| INplement a écrit : 
 
 | A l'heure de l'adoption d'une Constitution, après un élargissement à 25 pays et l'adoption d'une monnaie unique, il est temps de faire le point sur la construction européenne et choisir quelle Europe nous voulons vraiment. Car bientôt, il sera trop tard... | 
 
 Une Europe en déficit démocratique
 
 Depuis 30 ans, les états européens ont transféré une part croissante de leur pouvoir à une Union Européenne dont les institutions ne sont toujours pas démocratiques. Le parlement est élu au suffrage universel, mais son pouvoir est limité. Quant au gouvernement européen (la "Commission Européenne" ) et son président, ils ne sont toujours pas élus par les citoyens européens. Le président de la Commission est choisi par les dirigeants des états-membres, après des tractations opaques. Quant aux ministres (les "Commissaires européens" ), ils sont choisi par le président de la Commission, une fois celui-ci nommé. La Commission doit néanmoins obtenir un vote d'investiture du Parlement.
 
 Souvent à juste titre, le pouvoir européen parait lointain, technocratique, ou même Orwellien. Si un simple citoyen se rend à Bruxelles pour exposer ses souhaits aux dirigeants de l'Union européenne, il sera refoulé poliment. A l'inverse, les portes sont grandes ouvertes pour les patrons des grandes entreprises. Ils peuvent être reçus et entendus quand ils le souhaitent, sans rendez-vous.
 
 
 Une Europe marchande sous l'emprise des multinationales
 
 La politique européenne est élaborée en étroite collaboration avec l'European Round Table (ERT), un lobby qui rassemble les dirigeants des grandes multinationales européennes. L'European Round Table est associée à toutes les grandes décisions en matière économique, financière, sociale, ou environnementale.
 
 Depuis le départ, la construction européenne se limite à un espace marchand, à un grand bazar commerçant dans lequel les intérêts des grandes entreprises sont prioritaires. L'émergence d'une citoyenneté européenne, un fonctionnement plus démocratique des institutions, ou encore une convergence sociale et fiscale et sociale équivalente à la convergence financière et économique, toutes ces questions sont secondaires, voire indésirables du point de vue des entreprises.
 
 
 Une Europe à orientation dissymétrique
 
 Depuis 20 ans, la construction européenne se fait toujours dans certains domaines (ceux qui favorisent les intérêts des grandes entreprises) et jamais dans d'autres domaines toujours remis à plus tard (ceux qui vont dans le sens de l'intérêt des citoyens-salariés-consommateurs). Ainsi, on a organisé une harmonisation financière et commerciale entre les pays, sans organiser une harmonisation équivalente de la fiscalité, des salaires, et des charges sociales. C'est ce qui permet à certains pays de pratiquer un "dumping" fiscal et social pour attirer les délocalisations. C'est le cas en particulier des pays d'Europe de l'Est, récemment intégrés dans l'Union afin d'offrir aux entreprises un réservoir de main d'oeuvre bon marché.
 
 
 L'Europe des délocalisations
 
 Le nouveau président néo-libéral et pro-américain de la Commission est loin de vouloir remédier à cette dissymétrie. José Manuel Barroso  estime que "la concurrence fiscale" des nouveaux pays de l'UE est "juste". Il a qualifié "d'irréaliste" l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés au niveau européen.
 
 La commissaire européenne Danuta Hübner est explicite lorsqu'elle parle de la nécessité de "faciliter les délocalisations au sein de l'Europe". Dans un entretien publié par le quotidien français "La Tribune" et le journal allemand "Handelsblatt", elle déclare:
 "Prévenir les délocalisations, les stopper par des règles artificielles travaillerait contre la compétitivité des entreprises. Ce que nous devons faire, au contraire, c'est faciliter les délocalisations au sein de l'Europe. Ainsi les sociétés européennes seront globalement plus fortes car elles pourront abaisser leurs coûts". Selon Danuta Hübner, faciliter les délocalisations au sein de l'Europe est la seule solution pour éviter que les entreprises ne délocalisent vers l'Inde ou la Chine.
 
 Or cette logique consiste à céder au chantage à l'emploi exercé par les multinationales. Cela conduit à un alignement progressif des salaires européens sur les salaires chinois. Les entreprises n'ayant aucun sens civique ni aucune responsabilité envers la société et les populations, les délocalisations vers l'Asie continueront tant qu'il y aura le moindre centime à y gagner.
 
 Une Constitution opaque et anti-démocratique
 
 Dans toutes les grandes démocraties, la constitution est un texte court d'une vingtaine d'articles, rédigés dans un langage clair et compréhensible par tous. A l'inverse, la Constitution Européenne concoctée par Valéry Giscard d'Estaing est un monument de technocratie et d'hermétisme, avec pas moins de 340 articles et près de 400 pages.
 
 Par ailleurs, cette constitution outrepasse son rôle normal dans une démocratie, en incluant des articles qui fixent définitivement les orientations économiques "libérales", quels que soient les éventuels changements de majorité politique issus des futures élections. La constitution reprend l'essentiel des dispositions économiques et financières des traités de Maastricht et d'Amsterdam. La Constitution fixe donc dans le marbre des politiques économiques dont le choix doit dépendre des électeurs, et ce choix doit pouvoir varier dans le temps. Il est tout simplement inacceptable que la politique économique et sociale soit ainsi "constitutionalisée".
 
 La constitution affirme néanmoins que l'Europe est fondée sur "l'égalité des êtres, la liberté, le respect de la raison", ajoutant que "les peuples de l'Europe sont résolus à dépasser leurs anciennes divisions et, unis d'une manière sans cesse plus étroite, à forger leur destin commun". La constitution définit les droits fondamentaux en vigueur dans l'Union. Elle garantit la liberté d'expression et de religion. Elle évoque également le droit à la vie, à un toit, à l'éducation ou encore à des conditions de travail justes. Le problème est que ces droits sont toujours formulés dans des termes vagues qui ne permettront pas leur application dans la pratique. Alors que les droits accordés aux entreprises sont formulés de manière beaucoup plus précise.
 
 La Constitution ne prévoit rien pour faire respecter les libertés individuelles et les droits sociaux. Mais lorsqu'il s'agit des principes favorables aux entreprises, la Constitution prévoit des sanctions judiciaires, par exemple contre les états qui entraveraient la "libre-concurrence" en soutenant leurs services publics, ou des secteurs de leur économie, ou encore en fixant un salaire minimum (SMIC) qui limite la "concurrence" sur le "marché du travail". Or les entreprises tiennent à accroître cette concurrence, car elle permet de tirer les salaires vers le bas.
 
 Par ailleurs, certains droits fondamentaux sont absents de cette constitution, comme la liberté de disposer de son propre corps. L'absence de cette liberté est la porte ouverte aux abus médicaux, et à un contrôle social médicalisé, par le biais de la biométrie et des futurs implants.
 
 
 Une Constitution définitive
 
 Les partisans du "oui" à la Constitution disent en substance: "cette constitution est incomplète et imparfaite, mais elle représente quand même un progrès sur certains points. Prenons ce qu'il y a de bon a y prendre, et ses imperfections pourront toujours être corrigées plus tard".
 
 Mais contrairement à ce que suggèrent les partisans du "oui", il n'y aura pas de révision de cette constitution pour l'améliorer dans le futur. Pour parvenir à ce projet de constitution, il a fallu des centaines d'heures de négociations laborieuses et des milliers de documents imprimés dans les langues des 25 pays-membres. On imagine mal qu'une fois la constitution adoptée, un gouvernement européen prenne l'initiative de relancer une procédure aussi lourde pour un résultat très hypothétique. Car toute tentative de réforme de la constitution est assurée de ne jamais obtenir l'unanimité nécessaire des 25 pays-membres. D'autant plus que les gouvernements néo-libéraux sont majoritaires au sein de l'Union, et ils sont farouchement opposés à toute idée d'Europe sociale.
 
 Pour ceux qui refusent une Europe néo-libérale dissymétrique, le référendum sur la Constitution est donc la dernière occasion de changer le cours des choses. Un "non" à la Constitution, loin de provoquer une crise en Europe, permettrait au contraire à l'Europe d'aller plus loin, en obligeant ses dirigeants à améliorer et à compléter leur projet de constitution, sur des bases plus équilibrées et plus démocratiques.
 Sommet européen à Bruxelles. Autour de la table, les représentants des gouvernements des 25 pays-membres.
 
 Une Europe sans débat public franc
 
 Comme toutes les autres étapes de la construction européenne, celle de la Constitution fait l'objet d'un débat public biaisé, où toutes les cartes ne sont pas présentées aux citoyens.
 
 Les arguments utilisés par les pro-européens sont aussi lyriques qu'imprécis et incomplets, avec un mensonge par omission sur les points les plus importants. Ainsi lors du débat sur l'euro comme sur la constitution, les pro-européens utilisent une stratégie de dramatisation, en présentant un refus éventuel comme une catastrophe qui remettrait en cause toute la construction européenne, voire même la paix en Europe.
 
 On retrouve là des tactiques de manipulation typiques des agents de la pensée unique: utiliser la peur, "noyer le poisson" dans la confusion (afin que les gens finissent par ne plus savoir quoi penser), et faire appel à l'émotionnel (au pathos) plutôt qu'à l'analyse.
 
 Dans le même temps, le public n'est jamais informé des conséquences concrètes des "avancées" qui lui sont proposés. Au moment de l'adoption de l'euro, personne n'a dit au "public" que cela entraînerait une hausse des prix de 30 à 40%.
 
 De même, au moment de l'élargissement à 25 pays-membres, les citoyens européens ont été invités à une joie béate pour célébrer l'unité européenne. Mais personne ne leur a dit que la première conséquence allait être une accélération des délocalisations, ni que les nouveaux pays-membres pratiquaient un dumping fiscal et social qui favorise ces délocalisations.
 
 Les pièges de la Constitution
 
 Ce que l'on ne dit pas aux citoyens aujourd'hui, c'est que ce projet de Constitution est en réalité une abdication définitive des gouvernements élus, et donc de la démocratie. Comme l'AMI, la Constitution a pour but de soustraire les décisions importantes au débat démocratique et au pouvoir des gouvernements élus, et à empêcher toute politique contraire aux intérêts des entreprises, même dans le cas où un gouvernement authentiquement au service des citoyens serait élu.
 
 Un autre point commun avec l'AMI est la sacralisation du principe de "libre concurrence" pour démanteler les services publics. Par exemple, le financement par l'état d'un service public comme la Poste peut être accusés de fausser la concurrence par rapport aux entreprises privées de ces secteurs qui ne peuvent compter que sur leur propres ressources. De même, l'enseignement public fausse la concurrence par rapport aux écoles privées. Les télévisions publiques ou les subventions à la culture sont également menacés. Si la Constitution est adoptée, les service publics ne pourront exister que dans les secteurs où aucune entreprise n'est présente, autrement dit les secteurs totalement non-rentables. Mais ces secteurs sont de plus en plus rares, car même la police où l'armée peuvent devenir des "prestations" proposées par des entreprises.
 
 Ce que l'on oublie également de dire au citoyen, c'est que cette Constitution contient des articles qui seront lourds de conséquences. Il est notamment prévu que le vote des pays européens disposant d'un siège au Conseil de Sécurité de l'ONU devra être conforme à la "Politique Etrangère et de Sécurité Commune" (dite "PESC" ) définie par la Commission. Or, le responsable européen de la PESC, Javier Solana, était favorable à l'intervention militaire américaine en Irak. Avec la Constitution, la France n'aurait pu s'opposer à cette guerre comme elle l'a fait au Conseil de Sécurité de l'ONU. La Constitution affirme aussi que la politique de défense de l'Union devra se faire dans le cadre de l'OTAN, une organisation sous la tutelle des Etats-Unis.
 
 Un autre article du projet de Constitution donne tout pouvoir à la Commission (gouvernement non-élu) pour négocier les accords multilatéraux (comme l'AMI ou l'AGCS) à la place des états. En 1998, l'AMI n'avait pu être adopté à cause de l'opposition de la France. Avec l'entrée en vigueur de la Constitution Européenne, un pays n'aura plus la possibilité de faire échouer les accords multilatéraux en préparation.
 
 Ce projet de Constitution est tout simplement un piège mortel, dont le but est d'accroître et de rendre définitive l'orientation ultra-libérale de l'Europe, de rendre possible et même obligatoire le démantèlement des services publics, de livrer les citoyens européens au bon vouloir des entreprises, et d'aligner l'Europe sur la politique des Etats-Unis.
 
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