Citation :
L'esprit de l'athéisme - Introduction à une spiritualité sans Dieu - André Comte-Sponville
Notes de lecture
De petites fiches de lectures sans prétention ; mais utiles pour se remémorer les grandes lignes d’un ouvrage. Recopie de passages et synthèse tout à fait subjective.
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« Ou bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut ; ou il le peut et ne le veut ; ou il ne le veut ni ne le peut ; ou il le veut et le peut. S’il le veut et ne le peut,il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu ; s’il le peut et ne le veut, il est méchant, ce qui est étranger à Dieu. S’il ne le peut ni ne le veut, il est à la fois impuissant et méchant, il n’est donc pas Dieu. S’il le veut et le peut, ce qui convient seul a Dieu, d’où vient donc le mal, ou pourquoi Dieu ne le supprime-t-il pas ? ». (Epicure)
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Introduction.
Dieu existe-il ?
Faiblesse des preuves.
La preuve ontologique.
La preuve cosmologique.
Le mystère de l’être.
La preuve physico-théologique.
L’absence de preuve : une raison de ne pas croire.
Faiblesse des expériences.
Une expérience incompréhensible.
Excès du mal.
Médiocrité de l'homme.
Désirs et illusions
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L’ouvrage est composé de trois parties plutôt équilibrées. Je vais ici ne me focaliser que sur la seconde, à mon sens la plus intéressante : « Dieu existe-t-il ? ». Vaste question à laquelle l’auteur ne répondra pas car, sauf pour l’insensé, il n’y a pas de réponse possible. Le croyant a la foi, l’athée a quant à lui, au contraire, la conviction que dieu n’existe pas, tandis que l’agnostique se refuse de trancher le débat. Ainsi, plutôt que de savoir si dieu existe ou non, André Comte-Sponville, recense et analyse tout d’abord les preuves avancées par les croyants de tous les temps afin de prouver l’existence de Dieu. Et après en avoir explicité les faiblesses et les limites de ces "preuves", il énumère et détaille les bonnes raisons de ne pas croire. C’est clair, concis et écrit pour le plus grand nombre. Un argumentaire agréable à lire et fort utile pour tous ceux qui cherchent à mieux se situer sur la question.
Passons sur la définition de Dieu selon André Comte-Sponville. Pour faire bref, disons qu’elle se place dans le cadre monothéisme et dans le champ de la philosophie occidentale.
Sur la différence Athée et agnostique : l’auteur distingue, reprenant la terminologie de Kant : l’opinion, la foi et le savoir. Personne ne sait, au sens fort du terme si Dieu existe ou pas, mais le croyant affirme cette existence (foi) et l’athée la nie (conviction) alors que l’agnostique ni ne l’affirme ni ne la nie : il refuse de trancher ou s’en reconnaît incapable. On ne s’entretue pas pour les mathématiques, ni pour une vérité de fait, lorsqu’elle est bien établie. On ne s’entre-tue que pour ce qu’on ignore ou qu’on est incapable de prouver. Si l’une quelconque de ces religions avait la moindre preuve à avancer, elle n’aurait pas eu besoin d’exterminer les autres.
L’incertitude n’interdit pas le choix. Au contraire : il n’y a de choix, en toute rigueur, que là ou il y a incertitude. Quant à l’agnostique tient dans l’aveux d’ignorance telle la position de Protagoras : « Sur les dieux, je ne peux rien dire, ni qu’ils soient, ni qu’ils ne soient pas, ni ce qu’ils sont. Trop de choses empêchent de le savoir : d’abord l’obscurité de la question, ensuite la brièveté de la vie humaine ».
De quoi s’agit-il ? De montrer que Dieu existe par définition. Comment ? Par un pur exercice (ou artifice ?) logique, qui n’emprunte rien à l’expérience (preuve a priori). Vous commencez par définir Dieu comme l’être suprême. Si Dieu n’existait pas, il ne serait ni le plus grand, ni réellement infini, et il manquerait quelque chose à sa perfection, ce qui est contraire à sa définition. Dieu existe donc par définition. Les athées ? Ils pensent mal. Drôle de preuve qui ne convainc que les convaincus.
Le monde est incapable de rendre raison de lui-même : il n’est pas nécessaire mais contingent (il aurait pu ne pas exister). Il faut donc qu’il ait une cause ou une « raison suffisante », et cette « dernière raison des choses » c’est ce qu’on appelle Dieu. Au demeurant, ce pourrait être aussi bien l’apeiron (l’infini indéterminé) d’Anaximandre, le feu toujours changeant d’Héraclite (le devenir), l’être impersonnel de Parménide, le Tao de Lao-tseu… Ce pourrait être la Substance de Spinoza : Dieu c’est la nature, « Deus sive Natura » (panthéisme Spinoziste, plus près de l’athéisme que de la religion).
C’est la grande question de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». La question va au-delà de Dieu puisqu’elle l’inclut. La question « Pourquoi le Big Bang plutôt que Rien ? » se pose d’autant plus nécessairement qu’elle est sans réponse possible.
C’est la plus simple. La plus évidente et la plus discutable. On la trouvait déjà chez Platon, chezAndré Comte-Sponville les stoïciens, chez Cicéron. On la retrouve chez Malebranche, Fénelon, Leibniz, Voltaire, Rousseau… C’est une preuve a posteriori, fondée sur l’idée d’ordre et de finalité (argument téléologique). La démarche est simple, presque naïve. On part de l’observation du monde ; on constate un ordre, d’une complexité indépassable ; on conclut de là une intelligence ordonnatrice. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la théorie du « dessein intelligent ». cet argument était celui de Voltaire, à la fois libre-penseur et déiste : « Tout ouvrage qui nous montre des moyens et une fin annonce un ouvrier ; donc cet univers, composé de ressorts (…) découvre un ouvrier très puissant, très intelligent ». Pour suggestive quelle soit, l’analogie n’est pas sans faiblesses. Elle fait peu de cas des désordres, des horreurs, des dysfonctionnements, qui sont innombrables. Une tumeur cancéreuse est aussi une espèce de minuterie (bombe a retardement) ; un tremblement de terre un vibreur planétaire. En quoi cela prouve-t-il que tumeurs ou cataclysmes relèvent d’un dessein intelligent et bienveillant ? Enfin, l’analogie a vieilli : parce qu’elle donne dans un modèle mécanique, alors que la nature relève plutôt de la dynamique (l’être est énergie), de l’indéterminisme (la nature joue aux dé). On comprend que les partisans du « dessein intelligent » s’en prennent si souvent au darwinisme. Si le hasard (les mutations) crée de l’ordre (par la sélection naturelle), on n’a plus besoin d’un dieu pour expliquer l’apparition de l’homme. La nature y suffit.
Que conclure de tout cela ? Qu’il n’y a pas de preuves de l’existence de Dieu,j qu’il ne peut y en avoir. Dieu n’est pas un théorème. Il ne s’agit pas de le prouver, ni de le démontrer, mais d’y croire ou pas. La chose est moins embarrassante pour l’athéisme que pour la religion. Non seulement parce que la charge de la preuve incombe à celui qui affirme, mais encore parce qu’u néant, par définition est sans effet. Essayez par exemple, de prouver que le Père Noël n’existe pas, ni les vampires, ni les fées, ni les loups-garous… Vous n’y parviendrez pas. Ce n’est pas une raison pour y croire. Qu’on n’ait jamais pu prouver leur existence est en revanche est une raison forte pour refuser d’y prêter foi.
Faiblesses des preuves, donc, puisqu’elles n’en sont pas. Mais faiblesse aussi, et surtout, des expériences. Si Dieu existait, cela devrait se savoir ou se sentir davantage. Il suffirait d’ouvrir les yeux ou l’âme. La plupart de nos théologiens, et quelque uns de nos philosophes, se donnent du mal pour nous convaincre que Dieu existe. C’est bien aimable à eux. Mais enfin il serait plus simple, et plus efficace que Dieu consente à se montrer !
Les croyants invoquent depuis Isaïe, un « Dieu qui se cache ». J’y verrais, si j’y croyais, moins une délicatesse que d’enfantillage, moins de discrétion que de dissimulation. La réponse la plus fréquente, chez les croyants, c’est que Dieu se cache pour respecter notre liberté, voire pour la rendre possible. Si tel était le cas, nous serions plus libre que Dieu lui-même, puisqu’il n’a pas le choix, le pauvre, de croire ou non en sa propre existence ! Nous serions aussi plus libres que tel ou tel de ses prophètes ou propagandistes, auxquels il se serait, selon la tradition, manifesté directement. Enfin nous serions plus libres sur terre que les bienheureux dans leur paradis, eux qui voient Dieu « face à face ». La deuxième raison qui amène à refuser cette explication, c’est qu’il y a moins de liberté dans l’ignorance que dans la connaissance. Prétendre que Dieu se cache, afin de préserver notre liberté, ce serait supposer que l’ignorance est facteur de liberté. Que penseriez-vous d’un père qui se cacherait de ses enfants ? « Je n’ai rien fait pour leu manifester mon existence, ils ne m’ont jamais vu, jamais rencontré : je les ai laissé croire qu’ils étaient orphelins ou de père inconnu, afin qu’ils restent libres de croire ou pas en moi… » Vous penseriez que ce père est un malade, un fou, un monstre. Vous auriez raison.
Croire en Dieu, cela revient toujours à vouloir expliquer quelque chose que l’on ne comprend pas – le monde, la vie, la conscience – par quelque chose que l’on comprend encore moins : dieu.
Il s’agit de constater que les explications (d’ordre surnaturelle) que les religions prétendent apporter ont en commun… de n’expliquer rien, sinon par de l’inexplicable !
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Nous ne le savons pas. Pourquoi les lois de la nature sont-elles ce qu’elles sont ? Nous ne le savons pas davantage. Il est vraisemblable que nous ne le saurons jamais. Nommer ce mystère « Dieu » c’est se rassurer à bon compte. Pourquoi Dieu plutôt que rien ? Le silence, devant le silence de l’univers, parait plus juste, plus fidèle à l’évidence.
Cet argument est le plus ancien, le plus banal, le plus fort : c’est l’existence du mal, ou plutôt de son ampleur, son atrocité, sa démesure. Epicure, comme à son habitude va droit à l’essentiel : « Ou bien Dieu veut éliminer le mal et ne le peut ; ou il le peut et ne le veut ; ou il ne le veut ni ne le peut ; ou il le veut et le peut. S’il le veut et ne le peut,il est impuissant, ce qui ne convient pas à Dieu ; s’il le peut et ne le veut, il est méchant, ce qui est étranger à Dieu. S’il ne le peut ni ne le veut, il est à la fois impuissant et méchant, il n’est donc pas Dieu. S’il le veut et le peut, ce qui convient seul a Dieu, d’où vient donc le mal, ou pourquoi Dieu ne le supprime-t-il pas ? ». La quatrième hypothèse, la seul qui soit conforme à notre idée de Dieu, est donc réfutée par le réel même (existence du mal). Il faut donc en conclure qu’aucun Dieu n’a crée le monde, ni ne le gouverne. Ni providence, donc, ni destin : il n’y a rien à espérer des dieux, ni rien à en craindre.
Enfin il y a toutes ces souffrances, depuis des millénaires, dont l’humanité n’est nullement responsable. Qui oserait parler du pêché originel ? « Il faut que nous naissions coupables, écrit Pascal, ou Dieu serait injuste ». Il y a une possibilité plus simple : Dieu n’existe pas. Et puis il y a la souffrance animale. Des milliards d’animaux, dans des millions d’espèces, n’ont vécu qu’en en dévorant des milliards d’autres. Homo Sapiens est d’une violence et d’une injustice effrayante. C’est un long carnage qui n’en finirait pas.
Certains croyants, devant l’évidence et l’ampleur du mal, se battent aujourd’hui à fronts inversés, invoquant l’impuissance de dieu ou sa faiblesse. La Shoah rend insupportable l’idée même d’un Dieu tout puissant. Mais ce dieu-là est d’autant plus faible, pour Alain, qu’il n’est pas Dieu.
Trop de médiocrité partout. Trop de petitesse. Trop de dénéantise, comme dit Montaigne. Trop de vanité, comme il dit encore : « De toutes les vanités, la plus vaine c’est l’homme ». Bref l’idée que Dieu ait pu consentir à créer un telle médiocrité – l’être humain – parait, une nouvelle fois, d’une plausibilité très faible. « Dieu créa l’homme à son image » lit-on dans la Genèse. Cela ferait douter de l’original. Que le singe descende de l’homme (j’ai inversé la proposition de Comte Sponville, ce qui ne change rien à la démonstration ; la renforce même) parait bien davantage concevable, suggestif, bien davantage ressemblant.
Pourquoi préférons-nous que Dieu existe ? Parce qu’il correspond à nos désirs les plus forts. Que désirons-nous plus que tout ? Si on laisse de coté les désirs vulgaires, ou bas, qui n’ont pas besoin d’un dieu pou être satisfaits, ce que nous désirons plus que tout, c’est d’abord de ne pas mourir, ou pas complément, ou pas. « la foi sauve, donc elle ment » (Nietzsche). Dieu est trop désirable pour être vrai ; la religion trop réconfortante pour être crédible.
Toute religion est optimiste (même le manichéisme annonçait le triomphe ultime du Bien) ; cela en dit long sur la religion. « Evangile », en grec, signifie « bonne nouvelle ». Pas étonnant que cela tente et séduise ! Le triomphe définitif de la vie sur la mort, de la paix sur la guerre ? Une éternité, en tous cas, pour les justes, de bonheurs infini. On ne peut rêver mieux, et c’est ce qui rend la chose improbable. C’est une illusion : « une croyance dérivée des désirs humains ».
Par Axel Evigiran - Publié dans : Philosophie - Communauté : La commune des philosophes
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