Je me permets de remonter le topic pour discuter d'une vidéo, sous un angle athée :
https://www.youtube.com/watch?v=6vasbjzv34M
Cette vidéo essaie de vulgariser la position des historiens, présentée comme "scientifique" sur l'existence historique de Jésus, sans naturellement aller dans le débat théologique. Nous sommes bien dans une démarche neutre, et la discussion a donc sa place sur ce topic. J'aimerais discuter de cette vidéo car, malgré l'intérêt que je porte à cette chaine et la qualité du travail de son auteur, travail à saluer par ailleurs, je considère que cette vidéo posent de très nombreux problèmes et échoue totalement à démontrer ce qu'elle vise à démontrer.
Avant-propos
Je tiens à préciser que je suis athée, c'est à dire que je ne crois pas en la véracité des religions révélées et je pense qu'elles sont des constructions humaines se basant sur des sophismes et utilisant les biais cognitifs de notre espèce pour prospérer et manipuler. Je n'accepte la notion de Dieu que si on la confond avec l'univers et ses lois sans chercher à lui attribuer le moindre... attribut, notamment moral.
À côté de cela, je considère que la position "il a existé une figure historique assimilable au Jésus des chrétiens" comme parfaitement raisonnable. De fait, la vidéo que je m'en vais critiquer va dans le sens de ce que je pense déjà. Pour autant, je ne considère pas ma position comme scientifique, mais uniquement comme "raisonnable". C'est pour cela que je souhaite critiquer cette vidéo, considérant amener des "preuves scientifiques".
Maintenant, mes critiques :
1. Sur la comparaison des deux thèses
La vidéo présente deux thèses : celle défendue par certains historiens, sur l'existence de Jésus, et la thèse mythiste, qui est défendue par plusieurs historiens. Je reproche deux choses à la vidéo
a. De ne pas traiter les deux thèses avec le même sérieux : la thèse historique est étayée, les arguments de la thèse mythistes sont balayés d'un revers de manche et moqué
b. D'opposer ces deux thèses frontalement, comme si elles découlaient des mêmes règles.
En effet, la thèse mythiste ne peut pas, par définition, prouver l'inexistence de Jésus historique, elle ne peut faire que deux choses :
- Chercher des conjectures en ce sens, notamment par l'analyse des pratiques de syncrétisme
- Pointer l'absence de preuves d'un Jésus historique
Demander à une telle thèse de "prouver" ses dires représentent une inversion de la charge de la preuve. Il ne peut exister de preuve de la non existence de Jésus, tout comme il n'existe pas de preuves de la non existence de Zeus, de la ville de Troie, des géants de l'ancien testament ou de l’Atlantide. Juger cette thèse sur "ses preuves" est un parfait non sens. C'est en cela qu'elle n'est pas historique mais philosophique. Pour autant, la rejeter, pour absence de preuve, ou parce qu'elle ne respecte pas la méthode "scientifique" en histoire est une position de principe, à mon sens problématique.
De même, lui reprocher que les "historiens" ne la défendent pas est là encore un non sens : les historiens s'attardent sur ce qui est, pas sur ce qui n'est pas. Un historien n'a pas vocation à démontrer qu'un évènement historique n'a pas eu lieu, mais à chercher des éléments sur les évènements probables ou avérés, pour mieux les comprendre et les définir. La recherche en histoire, par construction, n'a pas à amener d'argument sur la non existence de Jésus. C'est un parfait non sens. De fait, il n'est pas étonnant de ne pas trouver d'historiens publiant sur ce sujet, et cela ne représente en rien une preuve. De même, quand des gens publient sur la ville de Troie, ils ne publient pas pour dire qu'elle n'a pas existé, mais pour nous dire, d'après les fouilles archéologiques, quelle ville de la région pourrait être assimilée à la citée légendaire de Troie.
2. Sur la méthode "scientifique" utilisée
Les sciences humaines se targuent bien souvent d'apporter des "vérités scientifiques", sans qu'aucune pincette ne soit prises par les praticiens de ces sciences. C'est un véritable problème, de fait de la nature même de ces sciences.
Les sciences humaines ne sont pas des sciences empiriques, elles ne peuvent pas utiliser les mêmes méthodologies, et les résultats produits par ces différentes sciences ne peuvent pas, pour ces raisons méthodologiques, être présentées comme ayant la même valeur démonstrative.
Dans les sciences dites dures, à l'exception des maths qui sont plus un outil qu'une science et qui se base sur des démonstrations, le principe de base est d'établir un modèle prédictif, c'est à dire de théoriser sur des fonctionnements et pouvoir prédire les résultats d'une expérience, d'une observation. Ce n'est que lorsque, répété un grand nombre de fois, on se rend compte que les prédictions sont correctes, qu'on peut considérer un élément comme "vrai".
Même pour les phénomènes qui ne sont pas purement prédictifs, et dans tous les cas, les sciences vont utiliser les statistiques et définir systématiquement des conditions de réussite et d'échec en amont de l'observation.
Cela se nomme "la méthode scientifique". Elle impose de poser une hypothèse neutre et de la tester pour savoir si elle doit être rejetée ou non. Le consensus scientifique n'existe que lorsqu'un grand nombre de recherches isolées arrivent aux mêmes résultats.
Cette méthode s'accompagne toujours d'une partie "discussion", présentant les biais possibles et mettant en avant les erreurs d'interprétation probable.
Enfin, et c'est peut-être le point le plus important : il n'existe pas de "vérité scientifique" en science. La science a pour objectif d'expliquer de la manière la plus précise possible le réel, mais a conscience de ces limites : la science ne fait que des approximations du réel. Ce que nous considérons comme des socles "véridiques" sont uniquement les modèles les plus performants, les plus prédictifs et les plus utiles, sans jamais considérer qu'ils sont "la" vérité absolu. La science, au contraire, cherche toujours à se compléter, à se préciser et à se démontrer à elle même qu'elle a tort. C'est ainsi que le modèle de Relativité générale d'Einstein a remplacé la gravité de Newton : plus précis, plus juste, plus correct, plus proche de la vérité. Pour autant, le modèle de Newton était déjà une excellente approximation de la vérité, et on sait aussi que le modèle d'Einstein n'est PAS la vérité (nous cherchons encore la théorie du tout permettant de corriger les failles dans la théorie d'Einstein).
Cette méthodologie est inapplicable en sciences humaines. De fait, le manque de prudence de la part des tenants des sciences humaines pose un énorme problème. Présenter quelque chose comme "une vérité scientifique", quand on parle d'histoire c'est à dire quelque chose d'immatériel, de non testable et de non productif, cela me pose à titre personnel un énorme problème. Il conviendrait plutôt de pointer une direction probable plutôt que d'affirmer une vérité.
Naturellement, certains "faits" historiques peuvent être attestés. Il n'est pas question pour moi de faire du relativisme, qui pourrait conduire, dans certains cas, à du négationnisme ou à une réécriture des faits (comme la thèse considérant le moyen-âge tout entier comme un mythe). Mais il convient de différencier deux choses :
- Les faits attestables (il n'est pas remis en cause que Robespierre a voté pour la mort de Louis Capet)
- Les conjectures (on peut disserter sur les intentions de Robespierre lors de ce vote, mais personne ne peut affirmer avec certitude ce qu'il pensait réellement)
Pour les faits attestables, en histoire, ces derniers doivent se baser sur un ensemble d'indices pointant dans une même direction. Ces indices peuvent être :
- Des témoignages directs ou rapportés. Il convient dès lors de les quantifier, de les qualifier et de considérer leur crédibilité avant toute conclusion
- Les évidences archéologiques
C'est en cela que les "preuves" sur l'historicité de Jésus posent problèmes : il n'existe aucune évidence archéologique sur le sujet. Pour conclure, l'histoire ne peut se baser que sur des témoignages, il convient donc de les analyser avec la plus grande des précautions
3. Sur les témoignages en faveur de l'existence de Jésus
En l'absence d'évidence archéologiques, le "consensus historique" mis en avant dans cette vidéo ne peut se baser que sur des témoignages. C'est, pour moi, ici que la vidéo fait les plus grosses erreurs, dans sa manière de considérer ces témoignages, en refusant tout simplement de se fixer des critères, en amont, sur leur valeur. Ou plutôt, elle ne le fait pas assez.
Le seul critère retenu ici est la neutralité de la source. C'est un excellent critère. En effet, il convient d'exclure de la démarche les sources religieuses. Ce qui est fait. Pour autant, la vidéo ne détaille pas ce qui serait nécessaire pour conclure.
Pour ma part, on peut hiérarchiser les témoignages en se posant les questions suivantes :
- Est-ce que les témoignages sont des témoignages directs ou non ? (Si oui, ils ont plus de poids que s'ils ne le sont pas)
- Est-ce que les témoignages citent leurs sources, à savoir, d'où ils tiennent leurs informations ?
- Est-ce que les témoignages apportent des éléments nouveaux, qui ne seraient pas déjà disponibles dans les sources religieuses, non neutre
- Est-ce que les témoignages avaient accès aux sources non neutre
- Est-ce que les témoignages peuvent être retenus comme étant sincères ou ont-ils pu être manipulés ?
Sur cette dernière question, l'autrice de la vidéo répond : en effet, certains passages sont très clairement "manipulés". Mais j'y reviendrais dans le dernier point pour expliquer pourquoi le travail d'analyse qui est fait est parfaitement insatisfaisant.
Bref, pour reprendre les autres questions, pour les deux témoignages présentés :
- Ce ne sont en rien des témoignages directs. Ces deux écrits présentés comme "neutres" chroniquent des éléments censé s'être passés plusieurs dizaines d'années plus tôt, auxquels les historiens en question n'ont pas eux-même assistés. Hors source religieuse, il n'existe, pour Jésus, aucun témoignage direct d'époque. En réalité, même les sources religieuses échouent à trouver des sources directes. Il n'y a non plus aucune document administratif, aucun élément archéologique, etc, pouvant attester de l'existence de Jésus.
- Les témoignages ne citent aucune source. Ils se contentent uniquement de nous donner des éléments factuels, sans préciser d'où ils tiennent ces informations, comment ils les ont collectés et comment ils les ont sélectionné. De fait, leur parole doit être circonstancié. Si demain, j'écris un bouquin sur la guerre d’Algérie, que je n'ai pas vécu n'étant même pas né à l'époque), et que j'explique que c'est là que Jean-Marie Le Pen a perdu son oeil, sans expliquer d'où je tiens l'information, qui me l'a transmise, etc, sur la base seule du fait que j'ai entendu parler de cette histoire et que je la considère comme vrai, il y a de fortes chances que j'écrive des conneries. Pour le coup, ça en serait, vu que la perte de son oeil n'a rien à voir avec l'algérie.
- Les témoignages avaient potentiellement accès à des sources non neutre. Les textes chrétiens les plus anciens datent des mêmes époques et circulaient librement. Cela implique que "l'idée" de Jésus circulait dans les milieux et était attestée / revendiquée par certains, sans nullement être remise en cause
- Les témoignages ne diffèrent en rien des éléments tenus pour vrais à l'époque par les croyants. Il n'y a aucune précision sur Jésus, aucune contradiction non plus (sur un autre nom, sur ses parentés, sur ces faits). Les textes mis en avant dans la vidéo se targuent de "citer" Jésus sans n'apporter aucun élément factuel qui ne soit pas déjà présent dans les croyances populaires
- Les témoignages ont naturellement pu, et ont été, altérés par des sources chrétiennes. La vidéo le montre, mais ne va pas assez loin.
4. Sur la fiabilité des témoignages
Attesté que ces témoignages ont pu être altérés, et l'ont très certainement été, la vidéo essaie de "reconstituer" le texte d'origine. Cette "reconstitution" pose deux problèmes :
- Elle ne se base que sur de la conjecture, en enlevant que les passages ouvertement rajoutés. Cela ne veut pas dire que d'autres, conservés, n'ont pas aussi été rajoutés ou altérés
- Elle ne s'interroge que sur ce qui a pu être ajouté, et en aucune cas sur ce qui a pu être modifié ou simplement supprimé.
En effet, si nos auteurs latins, dans leurs écrits originels, expliquent que les gens "croient" en Jésus ou utilise une forme de conditionnel, il est très clair que le moine copiste qui va passer derrière va enlever toutes les traces de doutes et tous les éléments circonstanciels.
Du moment où la source est altéré, on ne peut plus lui accorder de crédit. Il suffirait que l'auteur d'origine émette un simple doute, en rajoutant "d'après les chrétiens" dans une phrase pour que toute la démonstration tombe à l'eau. Mais comme nous ne disposons pas de la source originale, nous ne pouvons pas affirmer quoi que ce soit à son sujet. LE fait de présenter, dans la vidéo, "le vrai texte reconstitué" est une faute incroyable. On ne peut en aucun cas se prononcer sur ce qui a pu être enlevé et modifié, et on est limité sur ce qui a été ajouté. La phrase "nettoyée" ne peut pas recevoir plus de crédit que la phrase complète, dès lors qu'on sait qu'elle a été altéré, et qu'on ne sait pas comment / à quel point.
Conclusion
Cette vidéo présente une "vérité scientifique" sans respecter les attendus d'une démarche scientifique, ni prendre les pincettes d'usage lorsqu'on fait de la science
Elle n'apporte aucun élément archéologique probant
Elle n'apporte aucun témoignage direct d'époque
Elle n'apporte qu'un nombre très limité de témoignages indirects, rédigés des années plus tard, non sourcés et objectivement altérés
Ces témoignages n'apportent aucune information nouvelle ou divergente par rapport au dogme, permettant de témoigner d'une historicité
Que peut-on conclure des deux textes sourcés dans cette vidéo ?
Que le Jésus historique est un fait avéré et prouvé par la science ? Je ne pense pas.
La seule conclusion qu'on peut en tirer, c'est qu'à l'époque de la rédaction de ces textes, il y avait des chrétiens. C'est à dire des gens qui croyaient en l'historicité de Jésus, qui racontaient son histoire et qui suivaient son enseignement. Les sources non religieuses ne se basent sur rien d'autre que sur ce que les chrétiens, dont l'existence est attestée par ailleurs (CF incendie de Rome sous Néron suivi des persécutions), ne disaient déjà.
Il faut bien comprendre qu'à l'époque, aucun Romain ne remettait en cause l'existence des Chrétiens. Ils étaient là et c'est très bien documenté. Les paiens remettaient naturellement en cause les principes "divins" de Jésus, mais quant à son historicité, en rien leur situation ne différait de la notre aujourd'hui : ils n'avaient pas plus d'éléments de preuves à se mettre sous la dent que nous, et considérait en toute bonne foi, comme nous aujourd'hui, que le type avait vraiment existé, vu que des gens y faisait systématiquement référence. Les auteurs de cette époque, vu qu'ils n'ont pas de sources, n'ont pas plus de poids que nous sur un forum pour démontrer l'existence de Jésus : ils partent juste du principe qu'il existait, parce que c'était à lui que les Chrétiens, qui pour le coup étaient bien présents, faisaient référence.
Et c'est vraiment ça le problème : se tromper à ce point dans ses conclusions en étant persuadé de faire de la science. En rien les textes présentés ne permettent autre chose. Il n'y a pas assez d'élément probant pour simplement "trancher" la question du Jésus historique. Ces sources ne nous apprennent rien que les chrétiens de l'époque ne pensaient, et disaient, déjà. Elles ne sont en rien des témoignages directs et sont bien trop tardives, fragiles et peu nombreuses pour être considérées comme des éléments de preuves de l'existence historique de Jésus.
C'est pour cela que la thèse mythiste, par son étude du syncrétisme, courant à l'époque, et ses arguments philosophiques, est intéressante. Même si je ne partage pas ses conclusions, le fait qu'elle soit balayée dans cette vidéo me pose un incroyable problème : il n'y a aucun recul critique qui a été fait sur la question, doublé d'une confiance aveugle en "la science". C'est un peu "si des historiens l'ont dit, c'est que c'est vrai, quand même". Sans analyse critique des éléments apportés par ces historiens en question.
C'est ce que je reproche énormément aux sciences humaines par ailleurs, ce manque total d'auto-critique et de recul sur des éléments qui ne respectent pas, par la nature même des matières en question, la méthode scientifique empirique. Et je pense que cette vidéo est un échec, en terme de vulgarisation et, surtout, en terme de pensée critique.
Et malgré tout ça, je continue à considérer que la position "Jésus historique a existé" est la plus raisonnable.
Merci pour votre attention, enfin, le 1 ou 2 qui auront ET regardé la vidéo, ET lu ma prose
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Plop