Justement... Mais bon... En avant toute, ne me fouette pas trop durement stp T.T ET OUI, je sais que Yuling a pas de caractère -_-
Elle avait trouvé cette grotte quelques jours auparavant. Creusée à même le sol, là où la montagne sombrait vertigineusement dans les profondeurs de la forêt, c'était le nid idéal pour tout dragon qui se respecte. L'hiver était déjà bien avancé, le froid mordant s'était emparé du monde recouvrant le continent d’un fin duvet de coton, et malgré son ventre rebondi qui pesait sur ses entrailles, elle s'était vue contrainte de fuir son ancien refuge. Elle ! Un dragon !
Maudits humains !
Des heures durant, elle avait volé en direction du nord afin d’atteindre les contrées les plus reculées du royaume. Son instinct l'avait guidée jusqu'ici, si loin de ses terres et protégée du reste du monde, où elle serait en mesure d'élever le petit brin de vie qui l’habitait désormais.
Une vague d'amour la submergea : elle avait attendu ce moment avec tant d’impatience qu’il lui semblait étrange, comme coupé d’une réalité qu’elle n’avait pas connue... Oui, ici sa dragonnette serait en sécurité. C'était l'essentiel...
Elle grogna de plaisir et l’écho de sa voix (mal utilisé) résonna longuement contre les parois de la caverne. Doucement bercée par son propre ronronnement, la dragonne s’endormit et le silence envahit le monde, bientot accompagné du chant langoureux du vent s’engouffrant dans les branches.
***
Matrick le Un était de visite dans la dragonnerie d'Anyor. A sa succession au trône de Maestria, il avait demandé à changer de nom. S'appeler Alvin, Edgar ou Rodrig ? Il n'en était pas question ! Il était unique et il lui fallait donc un nom unique. Parce qu’il était différent de ses prédécesseurs, parce qu’il refusait de se voir mis dans le même panier qu’eux, parce que s’il souhaitait entrer dans l’histoire, il devait se démarquer.
Ainsi, la ville d’Anyor possédait une dragonnerie plus grande que son palais ? Soit. Il lui faudrait y remédier. Qui était le crétin qui avait ordonné la création des dragonneries, déjà ? Ah oui, Alvin le Douze. Un homme stupide et dépourvu de sens. Et dire qu’on le surnommait « le Bon »... A son avis, il etait surtout bon quand il était question de créer des maux de têtes inutiles à ses successeurs.
Elever des dragons, mais quelle idée ! Des créatures rustres qui auraient tôt fait de vous dévorer le bras au moindre désagrément. Une supercherie ! Si ca ne tenait qu'à lui, il y aurait belle lurette que ces stupides bestioles auraient disparues. Et les dragonneries avec elles. Mais c'était à la mode, parait-il. Alors si l'on pouvait divertir le peuple... Pourquoi pas ? Au moins, cela les occuperait pour un temps, et comme ça ils ne viendraient pas fouiner dans les problèmes plus graves...
Matrick le Un bifurqua dans l'allée de droite. L’air pesait tellement qu’il en devenait presque irrespirable. Sur son front perlaient les premières gouttes d’une sueure qui contribuait à lui donner l’allure d’un homme négligé, image dont il se serait volontiers passé ; bien loin de représenter la dignité imposée par son statut. Jamais, en quarante ans, il n’avait sué comme un porc : c’etait une première, et, cette fois encore, il la devait à ces enfoirés de dragons qui venaient de lui foutre en l’air sa journée !
La dite dragonnerie ressemblait à une immense caverne dont le plafond, ouvert par endroit, permettait aux créatures de s’envoler quand bon leur semblait. Matrick avait du mal à apprécier l’ingéniosité de la conception de l’édifice. En ce qui le concernait, l’architecte devait avoir eu un sérieux probleme pour ne pas avoir intégré à son oeuvre un système d’aération, car l’odeur lui était tout bonnement insupportable.
Abandonnant son premier conseiller à ses minauderies concernant l’histoire des dragons ces deux milles et quelques dernières années, il se dirigea vers les sombres cavités qui attiraient davantage son attention. De toute façon, cela faisait un moment qu’il n’écoutait plus ce que ce vieux grincheux lui racontait. Entre la chaleur, les effluves nauséabonds et la présence d’une troupe de bons à rien imitant chacun de ses mouvements, il en avait par-dessus la tête.
Les renfoncements étaient taillés plus ou moins profondément dans la roche, et permettaient à chaque dragon de jouir d’un minimum de tranquillité. Le manque de luminosité empêchait Matrick de discerner quoi que ce soit mais, curieux, il se rapprocha de la zone d’ombre. Un énorme dragon rouge surgit de nulle part et ouvrit sa gueule béante à quelques centimètres du monarque, qui sursauta : il était vraiment énorme ! Fichtre ! Il avait bien failli le bouffer, aussi !
Matrick recula en feignant l’indifférence : non, il n’avait pas eu peur. Même si ses doigts tremblaient, même s’il tenait difficilement sur ses jambes ramolies ; il n’avait pas eu peur ! Il s’empressa tout de meme de dissimuler ses mains sous sa longue robe pourpre, par « sécurité ». Combien de temps lui faudrait-il encore déambuler dans cette maudite dragonnerie pour satisfaire ses conseillers ? Certes, les dragons représentaient la puissance, mais cette visite était en train de tourner au ridicule...
- Et donc, comme le stipule la loi d'Alvin le Douze, votre fils devra devenir un Héros. Votre Grandeur, nous vous recommandons vivement la dragonnerie d'Anyor pour...
Fichus conseillers ! Pourquoi s'acharnaient-ils à perpetuer les traditions quand elles se révélaient dénuées de sens ? Un Héros ? Quelle plaisanterie, comme si cela lui serait utile dans un chateau. Il était hors de question que son fils mette les pieds ici ! Apres tout, si lui y avait échappé, il trouverait bien un moyen de déroger à la règle...
Un homme d’une cinquantaine d’années fit son apparition et vint à leur rencontre.
- Maître Torrish, susurra le premier conseiller, quel plaisir de vous voir !
Le vieillard agrementa sa phrase de bienvenue d’un de ces sourires feints, non dénué d'hypocrisie, mais l’homme ne fut pas dupe. Il l’ignora, passa devant lui sans même lui jeter un regard et alla se planter devant Matrick :
- Votre Grandeur, dit-il en lui servant une révérence moqueuse, c'est un immense honneur que de constater votre présence dans notre humble dragonnerie.
Il avait bien insisté sur le mot "humble", en sachant pertinemment que Matrick haïssait les dragons et qu’il n’espérait qu’une chose : en finir avec cette conversation au plus vite pour pouvoir se remettre de son éprouvant apres-midi.
- Quand aurons-nous le plaisir d'accueillir votre fils ? continua-t-il avant de fixer intensément le monarque dans les yeux.
Matrick le Un se figea. Comment un moins que rien comme lui osait-il se prendre pour son égal ? Qui était-il pour afficher autant d'assurance ?
- Je vous remercie de l'attention que vous lui portez, répondit-il en ignorant l'affront qui venait de lui être fait. Mais il n'a malheureusement pas encore été décidé dans quelle dragonnerie il se rendrait.
- Votre Grandeur, si vous permettez, intervint Maitre Torrish, il serait catastrophique pour le royaume que Votre fils ne choisisse pas la dragonnerie d’Anyor. Que penserait le peuple s’il se rendait dans un royaume voisin ? Leurs installations sont loin d'égaler les nôtres, et de son statut il ne peut séjourner à la dragonnerie royale. Il serait affligeant que le fils d'un Si-Grand-Roi soit contraint de se rendre dans une dragonnerie sans renom. Encore plus, qu’il ne puisse effectuer sa formation ! fit-il remarquer.
Les conseillers approuvèrent d’un signe de la tête tandis que Matrick maudissait l’homme en question. Quelle arrogance ! Ce « Maître Torrish » était loin d'ignorer que la dragonnerie choisie importait peu. Et il avait également intelligemment suggéré à ses crétins de conseillers un argument de premier ordre qui faisait pencher la balance en sa défaveur. Il n’était plus question de passer outre la loi : cet homme venait de balayer son dernier espoir. Son fils devrait non seulement effectuer sa formation, mais la suivre à la dragonnerie d’Anyor, sous la direction de ce Maitre Truc-Muche. Lui, Roi de Maestria, se retrouvait dans l’incapacité d’agir ! Non, il n’aimait definitivement pas cet homme.
Matrick le Un quitta la dragonnerie énervé, un tic nerveux à hauteur de son sourcil droit traduisant sa frustration. Dragon, dragon, dragon... Ce mot l'horripilait au plus haut point. Qui était-il pour oser s'opposer au Roi ? Pensait-il que posséder un dragon suffisait à le défier ? Pensait-il qu'il était invincible ? Il lui montrerait ce qu'il lui en coutait de défier Matrick le Un !
- Conseiller Ostrad ! aboya-t-il.
Le viellard chauve et malingre qui lui servait de premier conseiller se précipita, d’une demarche boiteuse, à sa suite :
- Votre Grandeur ?
- Mon fils se doit d'être exemplaire. Trouvez-lui un dragon. Le meilleur : j’en veux un sauvage !
Le petit homme écarquilla les yeux, désemparé par la demande de son monarque.
- Immédiatemment ! hurla Matrick.
- Bien, votre Grandeur, répondit-il d’une voix chevrotante, avant de disparaître dans les dédales d'Anyor.
***
- Explique à ta fille qu'elle n'a plus de père ! gueula l'homme.
- Ma fille, ma fille ! hurla la petite femme replète à son mari. Il s'agit toujours de ma fille quand elle créée des problèmes et jamais de la tienne. Je te rappelle qu'elle tient à moitié de toi !
- Je ne me souviens pas d'avoir fait une de telle connerie un jour ! Mais c'est bien ton genre à toi de créer des problèmes, répliqua-t-il d'un ton cinglant, t'étais bien contente dans les bras de l'autre connard !
- L'autre connard, comme tu dis, j'aurais pas eu besoin d'aller le voir si t'avais assuré ton rôle ! rugit-elle. T'as qu'à lui dire toi-même qu'elle a plus de père ! Elle en a jamais eu de toute façon ! Tu crois qu'il suffit de gueuler à tout bout de champ ou d'avoir des couilles pour être un père ?
- Et une mère qui baise la moitié de la ville, tu crois que c'est mieux ?
- J'ai jamais baisé...
- Vois l’exemple que tu donnes a ta fille ! la coupa son mari. Ca ne m’étonne même pas qu’elle disparraisse la moitié du temps et que les gosses du village parlent d’elle comme d’une trainée. Elle est exactement comme toi : une trainée !
- Je n’ai jamais baisé la moitié de la ville ! se justifia sa femme, les larmes aux yeux (je l’imagine pleine de caractère et pas prête à pleurer devant lui oO), prête a craquer.
- C’est tout comme !
- Parce que toi t’es mieux, peut-être ? T’es qu’un lâche ! T’as entendu les gamins parler d’elle et t’as rien fait ! Tu les as juste laissé dire ! Comme quoi, t’as pas changé d’un poil depuis cette époque, hein ? T’es toujours pas foutu de t’imposer quand tu vois un de tes proches...
- Tais-toi ! répliqua l'homme rouge de colère. Tu crois que j’avais le choix ? Et tu crois que j’ai envie d’intervenir quand tu te pavanes comme si t'avais encore quinze ans et le feu au c...
- Ca suffit ! intervint Yuling, la jeune fille blonde qui venait d'apparaître dans l'entrebâillement de la porte.
- Ne te mêle pas de ça, rugit son père. Monte dans ta chambre !
- Nan ! rétorqua la jeune fille dont le visage rougi et les yeux remplis de larmes trahissaient le chagrin. Vous en avez pas marre de vous engueuler ?
- Ca ne te regarde pas, maugréa sa mère entre ses dents. Et puis d'abord, si t'avais pas laissé l'enclos ouvert, on en serait pas là !
- Comme si ca changeait quelque chose ! ragea Yuling. C'est juste une excuse de plus pour vous engueuler !
Une larme coula le long de sa joue ; elle avait beau essayer de les retenir, elle prenait la situation trop à coeur :
- De toute facon, ca vous arrange bien que j’intervienne, comme ca vous pouvez me faire culpabiliser encore plus !
- Ca suffit ! la coupa son père d'une voix si profonde qu'elle arracha des frissons à la jeune fille. Monte dans ta chambre !
- Non ! déclara-t-elle en le fixant dans les yeux. J'en ai marre de vos disputes, j'en ai marre de vous, j'en ai marre de tout ! Je m'en vais !
- C'est pas à toi de décider ! rétorqua sa mère, méprisante.
- Et tu vas faire quoi ? rétorqua la jeune fille.
La petite femme réplète (répétition) écarquilla les yeux dans un éclair de panique. Elle regarda son mari, espérant que ce dernier la soutiendrait, mais ce dernier resta de marbre. Lentement, son petit corps se tassa un peu plus sous le poids de la culpabilité, désespérée par la tournure que prenait leur dispute.
- Yuling chérie... gémit-t-elle.
- Je m'en vais, balanca-t-elle en ignorant les supplications de sa mère.
- Il n’en est pas question, ordonna son père. Retourne...
Mais il n’eut pas le temps de terminer sa phrase, que déjà Yuling s’était retournée et avait franchi les trois pas la séparant de la porte d’entrée, qu’elle avait claquée sur son passage.
- C'est de ta faute ! reprocha le mari à sa femme.
- Quoi !? Tu oses me dire ça à moi ? Mais regarde-toi, espèce d’ordure...!
Marre ! Yuling en avait marre de leurs disputes incessantes ! Pourquoi n'avait-elle pas des parents normaux ? Pourquoi devaient-ils toujours trouver le moindre prétexte pour se détruire l’un l’autre ? Et tout ça à cause de leur fierté mal placée... En les regardant s’auto-detruire depuis des années, elle en arrivait à se demander dans quelles circonstances elle avait pu naître. Alors peut-être que son père ne l’était pas vraiment ? Peut-être que tout ce qu’il avait craché au visage de sa mère cachait une vérité lourde de sens ?
Cette idée lui arracha des frissons. Il ne fallait pas y penser, surtout pas... Cela l’aurait détruite (répétition). Mais elle persistait malgré tout, grandissant de minutes en minutes. Cependant, la seule pensée de ne pas avoir de père était encore bien plus effrayante que celle d'en avoir un qui ne servait à rien, et qui n'était même pas fichu de l'aimer.
Etait-elle une si mauvaise fille ?
Elle se sentit tout à coup très seule. Elle n'avait pas réfléchit à ce qu'impliquerait son départ. Elle était partie sur un coup de tête, alors que l'émotion poignante lui avait broyé le cerveau, l'empêchant de réagir de manière rationnelle. Mais les évènements l'avaient trop secouée pour qu'elle parvienne à penser plus loin que l'instant présent. Et ce qui comptait, maintenant, c'était de marcher, marcher, et marcher encore, avec l'espoir que sa rage s'évacuerait à mesure que ses pas l'éloigneraient du conflit.
La forêt lui parut accueillante ; enfin, plus que sa maison. Elle avait besoin de calme pour appaiser son esprit, et se retrouver. Car chaque dispute était ce qu'elle était, c'est à dire un amas de propos blessants qui lui déchiraient le coeur.
Seule, elle parviendrait à faire la part des choses.
Pas après pas, des heures durant, elle s’enfonça au coeur de la forêt. Ce n’est qu’une fois sa peine diminuée qu’elle réalisa qu'elle avait fait le bon choix. Ou tout du moins qu’elle ne le regrettait pas. Cela faisait trop longtemps qu'elle assistait, impuissante, aux disputes de ses parents.
Sans se l’avouer, Yuling espérait que sa décision apporterait du changement, tout en sachant pertinemment que c'était se bercer d'illusions. Si elle avait eut un tel pouvoir, le conflit serait réglé il y avait de cela bien longtemps. Or, la nature des sentiments séparant ses parents semblait prendre sa source dans un passé dont elle ignorait tout. Elle se retrouvait impuissante.
En revanche, elle regretta de ne pas avoir pris de vêtements plus chauds. Elle ne portait qu’une veste légère, qui servait, tout au plus, à rester quelques heures dehors pour les travaux de la ferme. Et pour peu qu'on rentre se réchauffer par la suite.
Mais là, Yuling s'appretait à passer sa première nuit dehors...
C'était sans importance. De toute façon son existence avait toujours été vaine : à cause de ses parents, la plupart des formateurs du village avaient refusé de la prendre comme apprentie. On la traitait de trainée, et quand ce n’était pas le cas, on se moquait d’elle parce que sa mère sortait en douce avec le vieillard (c’est définitif, il n’y a que des vieux dans cette ville XD) de la ville voisine, qui n’avait plus toute sa tête et auquel il manquait une rangée de dents. Rien que le fait d’imaginer sa mère dans les bras de cet homme la répugnait, elle aussi....
Quant aux autres formateurs à qui elle n'avait pas demandé, elle ne doutait pas de leur réponse. Le seul avenir qui lui restait dorénavant, était celui peu aguichant de femme mariée. D’accord, il lui faudrait attendre quelques années, mais elle refusait de se retrouver dans le lit d’un de ces lourdeaux du village. Et puis, qui aurait voulu d’elle ?
Non, disparaître restait encore la meilleure des solutions.
Yuling marcha une bonne partie de la nuit, ce qui lui permit de ne pas mourir de froid. A de nombreuses reprises, ses membres meurtris lui crièrent de s’arrêter, mais son esprit savait que cela signifierait son arrêt de mort. Alors elle continua, encore et encore, s’enfonçant toujours plus profondément au milieu de la végétation.
Puis, le soleil vint chasser la lune, innondant de ses teintes jaune-orangées le tapis de feuilles mortes. L’aube était là, baignant le sous-bois de sa chaleur réconfortante, avec ses innombrables particules de poussière qui virevoltaient dans les premiers rayons de la journée...
Elle aperçut une fleur, à l’allure étrange, qu’elle n’avait jamais observée auparavant. Le bleu de ses pétales se noyait dans le parme, supplenté d’une touche rosée, sur l’extérieur, qui donnait à la plante un côté éphémère. Pour dire vrai, la végétation s’était densifiée, et Yuling ne reconnaissait plus la moitié des arbustes qui l’entouraient. Quelles étaient ces feuilles aux reflets dorés ? Et ces plumeaux d’argent, dont l’extremité duveteuse ne scintillait qu’à l’ombre de ses congénères ?
Un spectacle surréaliste, dont l’énergie qui s’en dégageait s'immiscait en elle, insufflant à son corps, au bord de l'épuisement, une nouvelle vigueur. Elle avait tant marché qu'elle n'était plus capable de s'arrêter. Pas même pour reprendre son souffle. Seule, répondant à une détermination sans faille, elle poursuivait inlassablement le soleil dont les jeux d’ombres et de lumières égayaient sa journée. Et quand, à moitié inconsciente, son esprit n’avait plus été capable de suivre le rythme, son corps avait tout naturellement pris le relai.
Depuis un moment maintenant, la jeune fille errait au milieu de nulle part. Là où beaucoup auraient abandonné, Yuling n’en démordait pas. Ce tronc ébreché, cette branche qui frôlait le sol, elle avait l’impression de les avoir vu des dizaines de fois, et pourtant... Elle ne se rappelait pas de ce rocher en forme de tête de chien, sur sa gauche, ni de cette odeur de mousse humide. Elle ne se rappelait pas, non plus, de cette impression de légêreté qui accompagnait chacun de ses mouvements. Cédait-elle aux sombres sphères de la folie ?
Comment aurait-elle pu le savoir ? Elle était si épuisée qu’elle n’avait plus la force de paniquer. Pas même lorsqu’elle aurait dû. Le monde tergiversait. Un mélange difus de bleu et de vert, puis de vert et de jaune. Quelle heure était-il ? L’odeur de mousse avait disparu. Evincée par celle, plus forte, de la terre humide. Pleuvait-il ? Plic, ploc. Le monde tanguait. Ploc, plic. Ses sens lui échappaient. Plic, ploc. Le temps s’étirait. Ploc. Un eclair fusa. Blanc. Ploc. Oui, blanc. Plic. Une fraction de seconde. Ploc. Et le monde disparut.
***
Yuling se réveilla plongée dans la pénombre. Son corps était en piteux état ; elle remua les doigts de pieds et sentit une douleur cuisante lui remonter du talon à la nuque. Qu’avait-elle pu faire pour que...
Sa mémoire lui revint brusquement avec la violence d’un cours d’eau. En effet, elle avait peut-être mal appréhendé ce que son corps était en mesure d’endurer. Mais elle était en vie, n’est-ce pas ? Quant à savoir par quel miracle, c’était une excellente question.
A en croire son instinct, elle devait se trouver dans une sorte de... de grotte. De la lumière filtrait sur sa gauche, se reflétant sur les parois humides de la caverne : il devait y avoir une ouverture pas loin. Et sur la droite... Elle plissa les yeux et se pencha légèrement, espérant distinguer quelque chose qui se démarquerait de la pénombre, mais sa grimace ne servit qu’à lui arracher un petit cri de douleur en réalisant qu’elle venait de se cogner la tête contre un relief.
La main plaquée sur sa future bosse, Yuling jura intérieurement. Sur le coup, elle n’avait pas réfléchi : partir lui avait semblé la meilleure des solutions. Mais maintenant qu’elle se retrouvait là, perdue au coeur de nulle part, elle se sentit assailli par le doute. A peine s’était-elle tirée d’un problème qu’un autre surgissait : comment retrouverait-elle le chemin de la ville ? Et comment vivrait-elle, une fois qu’elle y serait parvenue ?
Son cerveau s’emballa. La panique était en train de la gagner...
Tout à coup, elle n’était plus très sûre d’être heureuse de se savoir en vie. Peut-être que si elle était morte, cette nuit-là...
« Non, » maugréa une voix puissante et profonde.
Alertée, Yuling chercha du regard qui avait parlé. Etait-ce le fruit de son imagination ?
« Non, » répéta la voix.
- Qui est là ? lança-t-elle dans la pénombre.
« Yuling... » dit la voix.
- C... Comment connaissez-vous mon prénom ? bégaya-t-elle.
Un frisson d'effroi la parcourut : cette voix sombre et profonde qui résonnait dans la caverne ne lui prédisait rien de bon. Allait-elle mourir ?
Cette pensée la crispa d’avantage... Il y avait une différence entre vouloir mourir à demi inconsciente et sans souffrance, et attendre sa mort de manière lucide, en sachant que de toute façon, on allait passer un sale quart d’heure.
Tout à coup, l’idée d’en finir ne lui parut plus aussi alléchante.
« La vie n'est pas vaine, » reprit la voix.
- Sauf quand on est voué à un destin pire que la mort, rétorqua Yuling, qui en avait marre des principes préétablis.