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 Si y'a un complot faudrait me prévenir, parce que pour l'instant je ne suis pas au courant et je pense voter oui  
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Circulez y a rien à voir!
 
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En attendant, un article de quelqu'un qui l'a lu:
 
 UN MONDE SOUS INFLUENCE
Qui dirige lEurope ?
 
décembre 2003, Henri
 
 
 
Lannée 2004, qui sannonce, sera une année européenne : élections, Constitution, élargissement, nouvelle Commission... Mais qui la dirige réellement ? Les chefs dEtat, les commissaires, le parlement ? Ou, en fait, des hommes de lombre : les présidents des plus grandes multinationales européennes, regroupés sous une association : la Table ronde des industriels européens (ERT, son sigle en anglais).
 
Article paru dans Angles dAttac, n°51, décembre 2003/janvier 2004, p.5-7. Un tableau reprenant les membres de lERT nest pas repris ici. On peut le trouver sur le site de lERT : ERT
 
Un monde sous influence
Qui dirige lEurope ?
 
Lannée 2004, qui sannonce, sera une année européenne.
 
Dabord, il y a le projet de constitution, élaboré par la Convention européenne (1), qui devra être approuvé.
 
Ensuite, dix pays de lEst vont adhérer à lUnion : Chypre, lEstonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie et la Tchéquie.
 
Puis, il y aura des élections en juin prochain, afin de choisir un nouveau parlement dont les pouvoirs sont à peine accrus depuis le dernier appel aux urnes.
 
Enfin, la Commission sera renouvelée, sans doute durant lété.
 
Il est certain que les responsables européens espèrent voir le visage de lUnion changer, de sorte que les habitants du continent sentent de plus en plus que lEurope est leur véritable pays. Comme laffirmait un rapport, écrit par Robert Cox, ancien fonctionnaire européen, et par Keith Richardson, dont nous reparlerons dans larticle : « LUnion européenne est en danger. (...) Que manque-t-il à lEurope ? Il lui manque le soutien de son opinion publique. Malgré ses discours, lUnion européenne na jamais été une Europe des citoyens. Ce nétait peut-être pas important hier, mais ce lest aujourdhui parce que ses activités affectent de plus en plus la vie quotidienne de tout un chacun » (2).
 
Un club de 45 multinationales
 
Ce qui risque de ne pas changer, cest la domination presque sans partage du monde des affaires sur la politique européenne. En cette matière, la Table ronde des industriels européens (en anglais European Roundtable, doù le sigle ERT) est lorgane le plus présent et le plus influent.
 
Créé en 1983 - il vient donc de fêter ses vingt ans dexistence -, lERT regroupe entre 45 et 50 directeurs de grandes multinationales européennes (voir tableau 1). Cest le gratin du patronat du continent. Rares sont les grandes entreprises qui ne sont pas représentées à un moment ou à un autre dans ce cénacle. Les seuls secteurs importants qui manquent sont les branches financières. De là, le nom dailleurs de Table ronde des industriels (et non des entrepreneurs ou des patrons) européens.
 
Le tableau 2 donne une idée de la participation des multinationales européennes à lERT, en classant par secteur celles qui ont envoyé un délégué et celles qui ne lont jamais fait.
 
On peut voir assez rapidement quune partie non négligeable des entreprises européennes, notamment dans les secteurs clés comme laéronautique, lautomobile, la chimie, lélectronique, le pétrole et les télécoms, font ou ont fait partie de lERT. Celui-ci représente le grand patronat européen, ce quon appelait jadis le grand capital.
 
La construction européenne sous légide de lERT
 
Malgré lampleur croissante que prennent les activités financières dans léconomie, cest lERT qui va jouer un rôle déterminant auprès des décideurs européens.
 
Ainsi, Wisse Dekker, alors président de Philips, trace, dès 1984, les grandes lignes pour un nouveau plan pour lEurope : le grand marché unique. La construction européenne est, à ce moment, en panne. Jacques Delors, le nouveau président de la Commission, va reprendre presque tel quel ce projet et en faire linstrument majeur du redémarrage du processus dintégration. Dabord, on commence par léconomique et le politique suivra, tel est le raisonnement des responsables européens.
 
Ensuite, lERT va impulser la création de la monnaie unique. En 1989, Wisse Dekker explique la conception politique qui se cache derrière cette initiative : « Beaucoup de dirigeants de firmes européennes saccordent pour dire que, sans une union monétaire qui fonctionne avec un seul système bancaire et une seule devise, les gains économiques réels (du grand marché - ndlr) vont sévaporer. Ces matières sont, toutefois, chargées de dangers politiques. La coordination des politiques économiques exige une structure monétaire centralisée, impliquant labandon dune position de souveraineté nationale absolue au profit dune structure fédérale » (3).
 
Pour faire fonctionner ce qui va devenir leuro il faut la coordination des politiques économiques. Doù la nécessité davoir une structure fédérale. Il faut donc avancer dans la construction européenne : coupler le grand marché par un organe politique, que certains nhésitent pas à appeler un Etat fédéral au niveau de lUnion.
 
LERT derrière le processus de Lisbonne
 
Linfluence de lERT ne sarrête pas là. Ainsi, le nouveau gouvernement belge, issu des élections de mai 2003, annonce fièrement que sa priorité est la création demplois. En Allemagne et en France, les autorités retardent lâge de mise en retraite des salariés. Toutes ces initiatives cadrent en fait dans ce quon nomme le processus de Lisbonne, à savoir les orientations qui ont été adoptées au sommet européen de Lisbonne en mars 2000.
 
LERT avoue son adhésion entière et complète à ces décisions. Et, pour cause, il a été à son origine également. Depuis sa création, il a publié des rapports montrant quil fallait traiter de façon prioritaire du problème de lemploi. En réalité, cest une astuce pour justifier une politique en faveur de la compétitivité des entreprises. LERT est tellement présent pour la rédaction du livre blanc sur lemploi, la croissance et la compétitivité que Delors est obligé de le remercier, lors de la présentation à la presse de ce document, en décembre 1993 (4).
 
Un an plus tard, les dirigeants des multinationales soufflent dans loreille du président de la Commission de créer un organe danalyse de la compétition internationale. Mais le chancelier allemand Helmut Köhl nest pas favorable à une nouvelle structure. Cest pourquoi lERT change son projet en une organisation consultative.
 
Cest la création du Groupe consultatif sur la compétitivité (GCC) en 1995. Il est composé de responsables des affaires, dont plusieurs membres de lERT, duniversitaires, mais également de trois syndicalistes. Il rédige deux rapports par an, chaque fois un peu avant la tenue dun sommet européen (ceux de juin et de décembre). Sa durée doit porter sur deux ans. Mais, en 1997, les dirigeants européens décident de prolonger son existence pour deux nouvelles années.
 
Derrière lemploi, la politique de soutien aux multinationales
 
Les rapports du GCC subissent linfluence décisive de lERT. En 1997, le premier document issu de second groupe établit la dépendance de la question de lemploi à celle de la compétitivité des entreprises : « Le GCC considère quil nest pas, pour les pays de lUnion européenne, de priorité plus élevée que la création demplois et la réduction du chômage. Il est convaincu que la seule voie qui permette datteindre effectivement et durablement cet objectif est celle de la compétitivité. Avoir lambition de jouer à nouveau les premiers rôles dans léconomie mondiale est pour lEurope la recette du succès dans la lutte pour lemploi » (5).
 
Pour créer des emplois, il faut défendre les entreprises (et donc leur profit). Cest avec une telle politique que, depuis vingt ans, les détenteurs de capitaux sont devenus plus riches, tandis quune bonne partie de la population a perdu son boulot ou doit travailler de façon plus intensive pour un salaire moindre.
 
Mais le GCC va plus loin. Il veut sattaquer aux chômeurs pour quils acceptent nimporte quel emploi : « Les indemnités de chômage et les prestations sociales qui y sont liées, si on tient compte des interactions avec le système fiscal, finissent souvent par fournir à certains chômeurs un revenu suffisant qui les dissuade de travailler (piège du chômage) ou les empêche de travailler davantage lorsquils ont un emploi à temps partiel ou mal payé (piège de la pauvreté) » (6).
 
Ce ne sont pas les emplois qui sont mal rémunérés, ce sont les indemnités qui sont trop élevées. Voilà le message de lERT et du GCC. On comprend pourquoi le ministre socialiste flamand Frank Vandenbroucke veut absolument suivre les chômeurs à la trace pour les obliger à travailler même si le travail ne leur convient pas ou si cest payé insuffisamment.
 
Il ny a pas que le chômage qui est mis sur la sellette. Le système de pension doit être revu pour permettre léclosion, le développement et lessor des fonds de pension : « En premier lieu, le GCC recommande aux autorités des Etats membres et de lUnion européenne ainsi quau secteur financier européen de stimuler le développement au niveau de lUnion européenne dun secteur des fonds de pension efficace et denvergure mondiale. (...) A terme, lintégration des marchés des capitaux débouchera sur un système de pensions paneuropéen » (7).
 
Ce système permettrait de financer les petites entreprises dans le secteur des technologies et, ainsi, rivaliser avec les Etats-Unis. Cest lessence du message de lERT et de la GCC. Il sera repris tel quel au sommet européen de Lisbonne. Priorité à lemploi ? Dans ce cadre, les salariés sont les soldats dune guerre économique entre les grandes puissances. La priorité à lemploi, présenté à grands fracas, nest quun leurre.
 
Encore plus révélatrice, cette citation reprise du quatrième rapport du second groupe du GCC : « Ce sont les marchés boursiers qui, par leur dynamisme, amorcent la création demplois, en alimentant lexpansion et soutenant la croissance des économies » (8).
 
Le patronat derrière le processus de Lisbonne
 
Rappelons que ces documents ont été approuvés par des représentants des travailleurs au sein de cet organe. Keith Richardson, secrétaire général de lERT de 1988 à 1998, en explique limportance : « le fait quils aient signé les rapports du GCC donne (aux rapports) un supplément de poids » (9).
 
Ces rapports trouveront le suivi attendu dans les conclusions du sommet européen de mars 2000. Dès lors, il nétait plus nécessaire de continuer lexpérience du groupe consultatif. Son mandat nest pas renouvelé en 1999.
 
Depuis lors, les organisations patronales font du processus de Lisbonne, avec lélargissement à lEst, le point le plus important de la construction européenne. Morris Tabaksblat, patron de Reed Elsevier, membre de lERT et ancien président de celle-ci, précise : « Lordre du jour de Lisbonne a établi un équilibre entre les questions économiques et sociales, reconnu limportance de lentrepreneuriat. Cela doit être maintenu. Sans entrepreneurs et gens qui prennent des risques, il ny a pas de croissance, ni demploi. Lisbonne était une déclaration politique impliquant un engagement socio-économique. Lindustrie européenne a besoin que cet engagement soit honoré » (10).
 
Une autre Europe est possible !
 
LEurope, dans sa forme et sa conception actuelle, est une construction à lavantage des multinationales et de la finance. Modelée par des organisations comme lERT, elle intervient dans la vie de tous les jours. Cest en son nom que lâge de la pension est relevé, que la flexibilité est appliquée partout, que le travail de nuit est considéré comme normal, que les salaires sont maintenus à la baisse, que la sécurité sociale, cet acquis fondamental des travailleurs, est progressivement démantelée, que les services publics sont privatisés... On pourrait dire que cest une Europe libérale, sil ny avait pas tellement de responsables des partis socialistes qui avaient forgé son cours.
 
Sans nul doute, il faudrait une autre Europe. Une autre Europe est possible, scandent les manifestants aux différents sommets européens. Une Europe fondée sur de véritables droits pour les simples citoyens, sur une solidarité au niveau international, sur le maintien de la paix. Une Europe qui soppose radicalement à celle érigée par lERT.
 
Henri Houben
 
(1) Voir les articles dAngles dAttac sur la Convention européenne, notamment Laetitia Sedou, « Union européenne : où sont les droits des citoyens ? », Angles dAttac, juillet/août 2003, p.10-11. (2) Les Amis de lEurope : « Prélude au débat 2001-2004 : A quoi sert lUnion européenne ? », septembre 2001, p.8. Rappelons que les deux vice-présidents de la Convention, Jean-Luc Dehaene et Giulano DAmato, sont membres des Amis de lEurope. (3) Wisse Dekker, « The American Responses to Europe 1992 », European Affairs, n°2, 1989, p.106. (4) Observatoire de lEurope industrielle, Europe Inc., éditions Agone, Marseille, 2000, p.44. (5) Second Groupe consultatif sur la compétitivité, La compétitivité pour lemploi, premier rapport au président de la Commission et aux chefs dEtat ou de gouvernement, novembre 1997. (6) Second Groupe consultatif sur la compétitivité, La compétitivité pour lemploi, premier rapport au président de la Commission et aux chefs dEtat ou de gouvernement, novembre 1997. (7) Second Groupe consultatif sur la compétitivité, Les marchés des capitaux et la compétitivité, deuxième rapport au président de la Commission et aux chefs dEtat ou de gouvernement dans le cadre du conseil européen de Cardiff, 1998. (8) Second Groupe consultatif sur la compétitivité, Pour une compétitivité durable, quatrième rapport au président de la Commission et aux chefs dEtat ou de gouvernement, septembre 1999. (9) Observatoire de lEurope industrielle, op. cit., p.60. (10) Morris Tabaksblat, « The Maastricht Inheritance », discours prononcé à lEuropean Connection Conference, à loccasion du dixième anniversaire de la signature du Traité de Maastricht, 5 février 2002.