Citation :
Synthèse du rapport
COMITÉ POUR LA MÉMOIRE DE LESCLAVAGE
Mémoires de la traite négrière, de lesclavage et de leurs abolitions
Synthèse du rapport remis à Monsieur le Premier ministre
le 12 avril 2005
I/ Pour une mémoire partagée de la traite négrière, de lesclavage et de leurs abolitions
La très grande majorité de nos concitoyens du monde issu de lesclavage (Guyane, Guadeloupe, Martinique et Réunion) est convaincue que lhistoire de la traite négrière, de lesclavage et de leurs abolitions continue dêtre largement ignorée, négligée, marginalisée. Ces concitoyens perçoivent cet état de fait comme un déni de leur propre existence et de leur intégration dans la République. Ils attendent de lÉtat, au-delà de tous les clivages, un acte symbolique fort et des actions, qui donnent un prolongement à la loi du 21 mai 2001.
La commémoration annuelle de labolition de lesclavage en France métropolitaine participera au travail de réparation historique que le Comité pour la Mémoire de lEsclavage (CPME) sest fixé. Elle devra être loccasion dun hommage rendu aux esclaves et à leurs contributions à la culture et à la pensée, dans les écoles, les médias, les institutions culturelles et les plus hautes institutions de lÉtat. Il est entendu que cette date ne se substitue pas aux dates commémoratives propres à chacun des départements doutre-mer et à Mayotte.
En France, labolition de lesclavage est présentée comme un événement dont la République peut légitimement senorgueillir. Mais la célébration de labolition a eu jusquici pour effet de masquer la longue histoire de la traite et de lesclavage et dopposer deux mémoires : la mémoire de lesclavage et la mémoire de labolition.
Le Comité souhaite rappeler que labolition de lesclavage fut laboutissement de luttes et de résistances en Afrique, sur les bateaux négriers, dans les plantations, aux Amériques, dans les colonies esclavagistes anglaises, espagnoles, françaises, portugaises, néerlandaises, danoises, suédoises sans oublier limpact de la Révolution haïtienne, et celui du mouvement antiesclavagiste en France et en Europe.
Le 10 mai 2001, les élus de la République adoptèrent unanimement une loi de portée universelle. Cest un vote historique. Plusieurs arguments ont été retenus par le Comité en faveur de cette date.
La portée citoyenne : cette date permet à la communauté nationale de faire sienne la démarche qui a conduit à ladoption de cette loi. Cest loccasion de mettre en lumière le travail des descendants desclaves, de souligner les étapes de la lente prise de conscience qui, un siècle et demi plus tard, a permis la condamnation du crime et de marquer limportance, pour la République française, dassumer cet acte de reconnaissance.
La portée universelle : cette loi se fonde sur un droit nouveau élaboré à partir de la notion de crime contre lhumanité. Cette notion est centrale. Elle permet de porter sur la traite négrière et lesclavage un regard contemporain qui sappuie sur une longue histoire du droit humanitaire. Elle ouvre ainsi une porte aux mouvements de réappropriation de lhistoire de la traite et de lesclavage autant dans les collectivités doutre-mer, en France métropolitaine que sur le continent africain et américain.
Aucune histoire de lesclavage ne peut sécrire sans tenir compte des mémoires différenciées de lesclavage. Cest la reconnaissance de cette multiplicité des mémoires qui seule permettra daboutir à une mémoire partagée et de construire une histoire commune.
La mémoire de lesclavage qui donne son titre au Comité serait alors la promesse de cette mémoire partagée, elle-même autorisant ce que le philosophe Paul Ricur appelle un récit partagé.
Le CMPE propose au gouvernement de la République française le 10 mai comme date de commémoration annuelle en France métropolitaine de labolition de lesclavage.
Le CPME propose que ce jour soit dénommé « Journée des mémoires de la traite négrière, de lesclavage et de leurs abolitions ».
Le CMPE préconise la mise en uvre de cette proposition dès le 10 mai 2005.
II/ Pour une meilleure connaissance de lhistoire de la traite négrière et de lesclavage dans les écoles
Le rôle central de lÉducation nationale dans la formation des citoyens nest plus à démontrer. Les membres du CPME sont conscients de la difficulté à établir des programmes qui prennent en compte une multiplicité de faits et de données et qui doivent sorganiser dans un temps limité. Ils sont aussi informés des modalités des changements de programmes et de manuels scolaires. Ces arguments ne peuvent cependant justifier la place mineure de la traite et de lesclavage dans lenseignement. Puisquil faut le rappeler, la République française a voté une loi tendant à la reconnaissance de la traite et de lesclavage comme « crime contre lhumanité ». Elle a donc reconnu et inscrit dans la loi la nécessité dune réparation historique.
Cette réparation historique doit se traduire dans les écoles où les futurs citoyens sont en droit de savoir pourquoi et comment la France fut une puissance coloniale et esclavagiste et comment labolition de lesclavage fut accomplie. Pour les écoliers, collégiens, lycéens, dont les ancêtres furent déportés et asservis, lintégration de cette histoire à lécole marquerait lintégration de leur histoire dans le récit national.
Le Comité pour la Mémoire de lEsclavage suggère un changement de perspective dans lenseignement de la question de lesclavage, des traites négrières et de leurs abolitions. Lhistoire des injustices produites par la colonisation, les traites négrières et lesclavagisme napparaît pas clairement comme un pôle important des programmes. Le traitement de ces questions dans une perspective globale, et non à titre dexemples aléatoires, doit trouver une juste place. Dabord parce que cette histoire sinsère à part entière dans lhistoire de lexpansion européenne, et en particulier de la France. Ensuite parce que dans la société française multiculturelle daujourdhui, dans laquelle les revendications identitaires saffirment, il apparaît important que toutes les composantes de la société se sentent partie prenante de lhistoire de France qui leur est enseignée.
Cette reconnaissance historique du passé colonial de la France à travers un enseignement approfondi contribuerait à la mission de cohésion sociale qui est aujourdhui une des priorités de notre École. Lintégration de ces questions dans les programmes et les manuels à léchelle nationale apparaît donc comme un point central de la réparation historique à mettre en uvre.
Le CPME souligne enfin limportance de la notion de crime contre lhumanité, reconnue par la loi française : elle doit figurer au cur de cette approche.
Les programmes scolaires du lycée et de lécole primaire venant dêtre récemment changés, il serait possible, en attendant un nouveau remaniement densemble, dinformer, par circulaire, les enseignants de limportance dun changement de perspective dans létude de la question.
En matière de formation des enseignants du secondaire, il serait souhaitable que les programmes de recrutement (CAPES et Agrégation dHistoire-Géographie, de Lettres modernes ou de Philosophie) nignorent plus aussi systématiquement les sujets liés à la traite négrière, à lesclavage et à ses processus dabolition. Le CPME propose que ces programmes intègrent les composantes historiques, géopolitiques, philosophiques de ces questions, ainsi que les uvres des écrivains francophones issus des sociétés post-esclavagistes, tant antillaises que réunionnaises ou encore haïtiennes
III/ Favoriser la recherche sur la traite négrière, lesclavage et leurs abolitions
La recherche sur la traite négrière, lesclavage et leurs abolitions est un enjeu majeur. Son développement contribuera utilement à lapaisement des controverses actuelles qui reposent trop souvent sur une méconnaissance des faits établis par les chercheurs des différents pays. La recherche sur lesclavage dans les colonies françaises et ses abolitions na pas encore pu jusquici transformer le débat public sur ces questions. La recherche érudite a pour objet de mettre en lumière la complexité des faits et de déconstruire les mythes et les raccourcis idéologiques empruntés par des démagogues peu scrupuleux. De telles dérives auraient peu de prise dans un pays où la recherche serait suffisamment avancée et ses acquis largement diffusés par le système éducatif, comme cela est le cas pour dautres grands drames de lhistoire.
Il est urgent que sétablisse une relation entre recherche et débat public. La recherche universitaire française sur ces sujets longtemps délaissés ou occultés a pris un immense retard par rapport aux travaux des chercheurs britanniques, nord-américains, jamaïcains, cubains ou brésiliens. Lui fournir en ces domaines, les moyens, matériels et institutionnels, doit être une priorité absolue.
Afin de répondre à cette exigence de développement de la recherche en sciences humaines et sociales sur les traites négrières, les sociétés esclavagistes et les processus dabolition de lesclavage, notamment sur les territoires relevant des anciennes colonies françaises, le CPME demande au ministère de lÉducation nationale, de lEnseignement supérieur et de la Recherche, de soutenir son projet de création de laboratoire inter-universitaire de recherche comparative sur les traites négrières, les esclavages et les abolitions. Il pourrait accueillir des chercheurs européens, africains, nord-américains, brésiliens, du monde arabe... pour encourager des regards croisés sur la traite et lesclavage. À ce titre, il est essentiel dencourager une ouverture résolument européenne de la réflexion et de la recherche sur ces questions.
Le laboratoire de recherche comparative inter-universitaire sur les traites négrières, les esclavages et les abolitions devrait sinscrire dans un projet plus vaste de création dun Centre national dHistoire et de Mémoire de la traite négrière, de lesclavage et de leurs abolitions, qui abriterait également un centre de documentation et des salles de conférences, de séminaires et dexpositions.
Le CPME demande le soutien du ministère de lÉducation nationale, de lEnseignement supérieur et de la Recherche et du ministère de la Culture et de la Communication pour :
- la création dun Centre national dHistoire et de Mémoire de la traite négrière, de lesclavage et de leurs abolitions qui abriterait un centre de documentation, une salle de conférences, des salles de séminaire, une salle dexpositions et le Laboratoire inter-universitaire de recherches comparatives,
- la création dun laboratoire inter-universitaire de recherche comparative sur la traite négrière, lesclavage et leurs abolitions,
- faire connaître le prix annuel dédié à une thèse sur lesclavage ou ses abolitions.
IV/ Préserver la mémoire de la traite négrière, de lesclavage et leurs abolitions :
Le CPME demande au ministère de la Culture et de la Communication :
- détablir un inventaire dans les collections nationales et régionales des objets relatifs à la traite négrière, à lesclavage et à leurs abolitions, ainsi quun état présent des lieux, musées, monuments, relatifs à la traite négrière, lesclavage et leurs abolitions,
- dintensifier le programme national de collecte des archives privées relatives à la traite négrière, lesclavage et leurs abolitions.
Le CPME soutient linitiative de la Direction des Archives de France de dresser linventaire national des archives relatives à la traite négrière, lesclavage et leurs abolitions en vue de la publication dun « Guide national »..
|