Logement: la fin des années folles
 
Les prix de l'immobilier reviennent à plus de sagesse. Mais les problèmes de logement ne sont pas réglés pour autant.
 
Ce qui devait arriver arriva: à force d'enfler, la bulle immobilière a crevé. Le volume des ventes de logements anciens a diminué d'un quart au cours des six premiers mois de l'année dans les grandes villes de province, selon le Conseil supérieur du notariat. Qu'il paraît loin le temps où les prix des logements prenaient 15% en un an, comme en 2004... Selon les notaires, les prix des logements ne se seraient cependant pas encore mis à baisser. La Fédération nationale des agents immobiliers (Fnaim), quant à elle, mise même encore sur une hausse de 0,8% pour l'ensemble de l'année - c'est son intérêt de ne pas affoler le marché. Elle révise cependant ses prévisions à la baisse de mois en mois. D'autres experts parlent déjà d'une diminution des prix de 2% à 3% cette année. Et il est probable qu'on n'en restera pas là.
 
La Fnaim espère encore un atterrissage en douceur: contrairement à ce qu'on observe aux Etats-Unis, "la mécanique contraignant les ménages à revendre leur logement à perte dans un contexte de chute brutale des prix, stimulée par une offre plus élevée et une contraction de la demande, ne s'est pas propagée", estime-t-elle. La Fédération souligne en particulier que seul un faible pourcentage des ménages est endetté à taux variables en France: contrairement à ce qui s'est produit ailleurs, la hausse des taux d'intérêt à court terme ne fait donc pas augmenter les mensualités de la plupart des accédants à la propriété. Un tel scénario semble toutefois bien optimiste.
Un krach bienvenu?
 
Après tout, un krach qui remettrait les pendules à l'heure des prix fous de l'immobilier ne serait-il pas bienvenu? Une grande partie de la hausse passée relève en effet d'une dynamique spéculative qui n'avait guère de justification en termes de "fondamentaux", en matière de qualité des logements ou du fait de l'évolution démographique. Au bout du compte, il n'y a guère que les marchands de biens et les notaires pour se frotter les mains quand les prix du mètre carré grimpent aussi haut: les locataires souffrent des hausses de loyer, mais les propriétaires occupants doivent, eux aussi, acheter très cher s'ils déménagent, même s'ils peuvent vendre cher parallèlement. Même les bailleurs n'y ont pas forcément trouvé leur compte, car la hausse des loyers - pourtant très élevée - est restée inférieure à celle des prix de vente.
 
Un effondrement du marché risquerait cependant d'entraîner dans la crise l'ensemble de la construction neuve, menaçant l'emploi dans un secteur qui a largement tiré l'économie ces dernières années. L'essor quasi continu de la construction neuve, amorcé au milieu des années 90 - on est passé de 250 000 logements neufs par an à plus de 400 000 (1), est déjà stoppé. Le recul est net: on a construit 208 000 logements sur les trois premiers trimestres de cette année, contre 316 000 au cours de la même période de 2007. Au final, l'année pourrait se finir avec entre 350 000 à 360 000 logements nouveaux commencés, 150 000 de moins que l'objectif de 500 000 logements par an fixé par le gouvernement. La construction de maisons individuelles s'était déjà retournée l'an dernier, aujourd'hui c'est le logement collectif qui entre dans le marasme.
Des réponses non satisfaisantes
 
Quel que soit le scénario final, le retournement du marché immobilier risque donc d'aggraver encore la crise du logement, bien que les prix baissent. Les banques commencent déjà à se montrer beaucoup plus circonspectes et "les clientèles primo-accédantes les plus modestes, celles dont le pouvoir d'achat est le plus affecté par l'inflation et dont la structure des dépenses est la plus riche en produits alimentaires et en énergie (chauffage, carburants...), risquent d'être évincées du marché, faute de pouvoir compenser la hausse de taux par de nouveaux allongements des durées des prêts", souligne la Fnaim.
 
Ces dernières années, un effort significatif a été fait dans le domaine du logement social. En 2007, près de 100 000 logements sociaux ont été financés, deux fois plus qu'à la fin des années 90. Pour une bonne part, il s'agit de logements intermédiaires, non accessibles aux plus démunis. Mais pas uniquement: entre 2002 et 2007, le nombre de constructions de logements sociaux les plus abordables a presque triplé, passant de 5 000 à 14 000 par an. Pour 2008, ce niveau, encore modeste, devrait être dépassé. La baisse des prix du foncier et le ralentissement d'activité des opérateurs privés devraient à l'avenir faciliter les opérations dans le secteur social.
 
Cet effort demeure toutefois insuffisant, comme le soulignent de nombreux observateurs du logement. A commencer par le député UMP Etienne Pinte, qui vient de remettre un rapport au Premier ministre (2) demandant un soutien plus important de l'Etat en matière d'hébergement d'urgence. Au total, plus d'un million de demandes de HLM restent toujours en attente et l'objectif fixé officiellement de construire 140 000 logements sociaux par an est encore loin d'être atteint. A partir de décembre prochain, la loi sur le droit au logement opposable (Dalo) commencera à entrer en vigueur: on se demande comment elle va pouvoir être appliquée...
 
La loi de "mobilisation pour le logement" défendue cet automne par la ministre du Logement Christine Boutin peut-elle améliorer significativement la situation? Cela paraît peu probable. Le gouvernement cherche à libérer quelques places de HLM en réduisant les plafonds de ressources donnant accès aux logements sociaux. Des abus existent, mais ce mécanisme risque surtout, dans le contexte actuel, de pénaliser les couches moyennes qui accèdent difficilement au logement privé. Il ne concernera de toute façon que quelques milliers de logements. Parallèlement, au lieu de renforcer les contraintes pour les élus qui rechignent à respecter le quota de 20% de logements sociaux prévus par la loi de solidarité et renouvellements urbains de 2002, le gouvernement va permettre à certaines communes de s'en affranchir en y intégrant des programmes d'accession à la propriété.
Le retour de l'aide à la pierre?
 
Il n'y a pas de miracle: entre le milieu des années 80 et 2006, l'ensemble des dépenses de la collectivité dans le domaine du logement s'est réduit de 1,6% du produit intérieur brut (PIB) à 1,25%. Le volume global est donc insuffisant, mais la structure des dépenses publique pose tout autant problème. "Les incitations fiscales se sont transformées en mécanismes destinés aux contribuables aisés, totalement déconnectés des besoins sociaux et territoriaux. Elles n'ont plus d'objectif en termes de politique du logement proprement dite", critique Christophe Robert, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre.
 
C'est le cas en particulier du dispositif dit "de Robien" (*) , du nom du ministre qui l'avait mis en place en 2003: il prévoit d'importantes déductions fiscales pour ceux qui achètent un appartement en vue de le louer. "On manque cruellement de logements pour les jeunes, mais on se retrouve aujourd'hui avec quelques dizaines de milliers d'appartements "de Robien" sur les bras, construits dans un objectif de défiscalisation là où les prix des terrains étaient peu élevés. Pas là où les jeunes en auraient besoin", poursuit Christophe Robert.
 
Quant au dernier mécanisme en date - le crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunt (40% la première année, puis 20%, avec un plafond) voté à l'été 2007 -, ses effets ont été annulés par la hausse des taux d'intérêt. Même les allocations logement atteignent leurs limites: elles jouent un rôle essentiel pour éviter la rue à toute une partie de la population et mériteraient d'être relevées. Mais à partir d'un certain niveau, elles nourrissent la hausse des loyers et profitent surtout aux bailleurs.
 
Au fond, c'est l'ensemble du système du soutien public au logement qui fonctionne mal. Dans les années 80, les financements ont été réorientés de l'aide à la pierre (soutien aux constructeurs) à l'aide à la personne (au consommateur). Entre 1984 et 2006, inflation déduite, les premiers ont baissé de 60%, alors que les seconds ont été multipliés par 2,4. Il y a urgence à inverser la vapeur et à financer plus directement les mises en chantier. En particulier dans le secteur social.

Lavieimmo.com : Cela vaut-il pour Paris ?
 
Laurent Vimont : Paris reste un marché à part, non extensible et extrêmement demandé. Cela dit, la correction est déjà à l’œuvre dans la capitale, où les arrondissements parmi les plus populaires, comme le 12ème, enregistrent déjà des baisses de prix. A l’exception peut-être des 1er et 2ème arrondissements, très touristiques, où les prestations restent exceptionnelles, aucun des quartiers de la capitale n’échappera à la baisse. Celle-ci pourrait atteindre -10% en moyenne cette année, avec des pics à -15% dans les arrondissements qui ont le plus monté.

Lavieimmo.com : Est-ce le début d’un retournement comparable dans son ampleur à celui du début des années 1990 ?
 
Laurent Vimont : Il s’agit de deux époques et de deux marchés très différents blablablablablabal .... En 2003, il fallait trois ans de revenus pour acheter un logement. Aujourd’hui, cinq ans sont nécessaires… Cet écart est devenu tellement important que la crise financière et le durcissement des conditions de crédit des banques ont précipité le décrochage du marché à la fin de l’été. Un décrochage qui est aussi souhaitable que sain, car il assainit le marché et redonne le pouvoir aux acquéreurs.