quelle pub ?
c'est notre quotidien les marques non ? Bret Easton Ellis avait fait ça de manière systématique dans "American Psycho"...
allez la suite...
CHAPITRE 2
Le peuple est dans la rue ce matin. C’est à travers tout Paris un fourmillement incroyable en ce 26 mars 1871. Et le temps hésitant n’arrive pas à dissimuler aux parisiens que c’est bel et bien une nouvelle saison qui est arrivée à l’improviste. Car Paris, aujourd’hui, est rouge et bleue comme l’été, car la liberté est un sentiment bien doux, car la révolution est comme un premier amour de vacances sur une plage normande, à l’abri d’une vague de dunes, sous le regard attendri d’une mouette rieuse. Tout semble changé : les fenêtres sont ouvertes, les portes accueillantes, les commerçants poètes ; jusqu’à la Seine qu’on dirait rajeunie à en juger par l’écume tumultueuse qui lèche les vieilles pierres du Pont-Neuf. Ah les vieux amants que voilà, depuis toujours embrassés au cœur de Paris ! Elle à ses pieds, lui à sa merci. On pourrait parier qu’il n’y a pas jusques à eux deux pour s’aimer comme jamais : aujourd’hui il la protège et elle le caresse. Mais, chers lecteurs, vous savez déjà que tout ça se finira bientôt car, comme le chante l’autre, il n’y a pas d’amour heureux.
─ Demandez Le Cri du Peuple par Jacques Vingtras !
On n’entend que cela et le marchand n’y peut suffire. Michel, que tous ces événement indiffèrent, ne peut résister à l’envie de lire comme tous les autres ce qu’on écrit dans ce fameux Cri du Peuple. Quelle prose vibrante et élégante, il y trouve ! On y croirait la révolution joyeuse et fraîche. « Liberté », « honneur », « lâcheté », les grands mots que voilà, pour ce qui n’est en fait qu’une vague révolution de plus. Et puis celle-là, il le sent bien, ne durera guère ; car il y’a du vrai dans la prose de ce Vingtras, elle est trop belle et pure. Elle se perdra elle aussi, comme se sont perdues les autres, dans les conflits d’intérêt, dans la médiocrité des hommes, dans la réaction qui vient immanquablement compenser l’action. A d’autres, oui ! Lui il en a trop vues. « Fils des désespérés, tu seras un homme libre ». La belle âme qui peut se prévaloir de tels élans ! Il les verra, lui, les fils des désespérés, se crever à la tâche dans les usines ou les mines ; leurs petits-fils laisser leurs entrailles dans les tranchées de Verdun. A eux aussi on dira : « Clairons ! sonnez dans le vent ! Tambours ! battez aux champs ! ». Bien trop d’exclamations pour notre héros, quant à lui plutôt un adepte du point-virgule qui sourit vaguement, qui ne conclue rien, qui accorde un long souffle au lecteur et autorise les enchaînements les plus creux. Non décidément cette Commune n’est pas la sienne !
Déjà il a jeté son Cri du peuple dans le caniveau, et s’est réfugié dans un des bistros du boulevard des Italiens dont les terrasses, en cette belle matinée, regorgent de récents convertis au socialisme, très démonstratifs, et de dindes piaffant après les nouveaux héros, tout aussi démonstratives. A la terrasse, les poseurs, à l’intérieur, les penseurs. Perdu dans les fumées âcres, Michel a été s’asseoir dans un recoin étroit, non loin d’une table très animée. Il peut donc écouter à loisir ce beau monde qui s’agite : ouvriers, artisans, instituteurs, les intellectuels et les manuels réunis en une belle communion. Une fois de plus, pense-t-il, et combien de fois encore à venir ?
Un grand gaillard s’emporte en violentes diatribes, un petit vieux rumine de vieilles utopies, un scribouillard desséché au regard fièvreux est venu cultiver sa haine, deux alcooliques approuvent, hébétés, tant que l’absinthe remplit leur verre ; voilà la Commune telle que la découvre Michel en ce beau matin de mars. Mais notre héros est de ces hommes que les discours fatiguent vite parce qu’il se méfie de ces belles phrases qui nous mènent aux pires folies, parce qu’il n’aime pas trop ces bavards qui s’écoutent bien plus qu’ils ne disent, parce que les théories l’ennuient ; alors, distrait, il ne capte que des fragments de la conversation :
- Camarades, l’heure a sonné pour tous ces brigands, c’est à nous qu’ils vont rendre raison !
(…)
- A Versailles, comme toujours ! Une fois encore le peuple ira les chercher…
(…)
- Les députés ? Traîtres et compagnie, qu’ont-ils fait pour nous ? Rien… Que feront-ils pour nous ? Vous le savez comme moi camarades…
(…)
- Une autre tournée, cafetier !
(…)
- Le sang n’aurait pas dû couler… La révolution n’a jamais besoin du sang des citoyens, juste de leur amour !
(…)
- Maintenant il faut des ministres à notre Commune !
(…)
- Cette fois la Liberté a retrouvé sa patrie
(…)
- Allons à l’hôtel de ville, camarades ! Au cœur de Paris, le futur de la nation !
(…)
- Remettez-en une cafetier !
(…)
Après une petite heure de débat, deux de nos révolutionnaires se sont effondrés sur la table dans une ronflerie d’ivrogne, filet de bave aux lèvres, un continue de pérorer pour une assemblé de verres vides et les deux autres se sont éclipsés en titubant, enivrés de liberté, égalité, fraternité, au moins pour la journée. Michel décide alors de retrouver l’atmosphère révolutionnaire de la rue.
La Commune c’est bien plus, en ce jour là, cette foule joyeuse et agitée sur les grands boulevards : un boucher en pleine effervescence, trois gamins en pleine délinquance, un groupe d’employés en pleine déliquescence, quelques ouvriers en pleine espérance. Et c’est ce dont Michel veut profiter par ce beau matin, croiser cette humanité plus joyeuse, plus agitée, plus anxieuse qu’à l’accoutumée ; il y’a quelques occasions où la foule offre ce spectacle étonnant : l’on croirait que chez tout un chacun seules les qualités subsistent : tel n’est qu’amour, le visage de l’autre respire le courage, un autre encore incarne soudain la générosité. La prise de la Bastille, la Commune, la Libération, la Coupe du monde 98… que sais-je encore : c’est à Michel qu’il faudrait poser la question. Parfois donc les événements subliment les hommes mais en général ce sont bien les hommes qui subliment les événements. Croire en la providence ou en la grâce dans ces rares occasions ce serait oublier bien vite Thuriot et de Launey, Brunel et Lecomte, Leclerc et von Choltitz, Zidane et Ronaldo et surtout le Peuple, immense abstraction faite de corps et de misères, de vraies rages et de faux espoirs, une abstraction bien rélle mais d’une réalité qu’on ne peut que trop rarement palper. Cependant quel instant béni celui où l’on se sent pour la première fois grandi de mille expériences, de mille humaines splendeurs, l’instant unique où l’on n’est plus seul, où l’on est éternel puisque l’on est aussi tous les Peuples à venir. Ah ! vertiges de la révolution ! Ivresse de la foule !
Mais Michel ne ressent rien de tout cela, il s’amuse d’un spectacle qu’il connait trop bien : celui de l’effervescence qui précède la rancœur ; seul le délai avant que la réaction ne se manifeste lui est inconnu : quelques jours ou bien quelques mois ? Enfin vous aurez compris que le second Empire n’a guère affligé notre héros, ou plutôt qu’il n’attend rien de mieux de cette période qu’il voit naître. De toutes façons il n’a jamais cru en la politique, enfin il n’a jamais cru que la politique puisse être de quelque utilité au peuple, peut-être parce qu’il ne comprend qu’à peine ce que la vie sociale demande de mesure et de mesures pour conserver un semblant d’harmonie, la beauté de ladite harmonie n’étant que question de goût. Il est donc bien plus sensible au spectacle des passions humaines qu’au sentiment d’une communauté d’espoir dans des temps nouveaux.
Alors il marche, tête haute et nue, il fend la foule, les couples béats et les attroupements guerriers, il bat le pavé d’un pas altier, son cynisme le grandit, il est immense d’indifférence ; oui, lui, est bien au dessus de tous ceux-là, parce qu’il est triste en fait alors que tous sont heureux. Et, alors que la joie est une mélodie intérieure, la tristesse est un cri qui n’attend qu’une oreille compatissante. C’est ainsi que cet homme seul et calme, marchant droit, insensible à tous ces élans de fraternité, ne peut qu’attirer la curiosité d’une de ces femmes pour qui toute forme d’excitation, même collective, se résume finalement aux élans du corps. Et c’est bien sûr ce qui arrive…
Il y’a, appuyée à une devanture, une de ces filles, arborant une indifférence dédaigneuse face à l’effervescence populaire. Elle en ressent les frissons, comme tous sur le boulevard, mais trop fière, trop orgueilleuse elle refuse de manifester son exaltation par des slogans révolutionnaires ou des démonstrations patriotiques. Aujourd’hui elle s’imagine plutôt en Charlotte Corday égorgeant Marat ou bien la cocotte d’un ministre, haïe du peuple, ou bien espionne au service des prussiens ; mais bêtement exaltée comme toutes ces mégères ? Ah, ça non ! Elle s’appelle Marie. Son père, un misérable, était homme à tout faire aux Halles, dans les faubourgs… homme à tout faire c’est à dire bon à rien. Alcoolique occasionnel, violent, aigri contre tous il est mort d’une glissade, comme chante l’autre, quand elle avait douze ans. Sa mère est modiste, elle a quelques clientes honnêtes, des petites bourgeoises fidélisées par son sérieux et son application. Elle aime profondément sa mère mais sa misère, cette vie de désespoir qui n’est qu’une attente résignée de la mort, ont fini par la dégoûter. Cette femme humble, qui s’est toujours consacrée à ce qu’on lui disait être ses devoirs, a fini par représenter pour elle un spectre indicible : la misère, la misère, la misère, le maître mot de cette époque. Alors un matin elle s’est enfuie, il y’a deux ans de cela, et depuis elle vit au jour le jour, fille des faubourgs, mais fille de la misère surtout, libre mais pieds et poings liés, folle de rêver plus haut que sa classe. Elle a déjà en elle les germes de cette maladie immonde qui la tuera bientôt, laissée en guise de pourboire par un bourgeois encanaillé d’un soir. Elle en mourra seule, dans un dispensaire de banlieue minable, abandonnée de Dieu, des hommes et d’elle même, à moitié folle, ressassant des contes pour petite fille, de ceux qui parlent de princesses et de fées.
Rusée comme le sont ses semblables, élevées dans les vices de leur milieu, elle ne va avoir aucun mal à profiter de la naïveté de notre héros. La voilà donc qui l’aborde franchement et gaiement, sourire aux lèvres et poitrine battante :
« On dirait que ça ne vous fait rien à vous ! Ah tous ces fous qui courent, qui s’affolent parce qu’on leur a changé leurs maîtres… Moi peu m’importe le maître pourvu que j’ai l’ivresse… » Elle lui chuchote à l’oreille : « Mon plaisir s’accomoderait bien d’un roi… ». Cette audace insensée, cette force de caractère et puis surtout cette jeune gorge qui palpite à portée de main ont déjà réchauffé les sens de notre héros. Lui qui n’était qu’un promeneur blasé devient aussitôt le plus sarcastique jouisseur, pour peu que cette mignonne puisse se laisser apprivoiser bientôt : « Tu les vois, petite, s’agiter en tous sens sans raison ? L’odeur du sang, le parfum de la gloire et euhhh… » il se relève heureusement bien vite de cette défaillance de son éloquence pour conclure piètrement : « enfin il y’a d’autres passions que celles de la politique ». Envolée faible mais suffisante pour étourdir une âme déjà conquise. « Monsieur, prenez mon bras et marchons un peu avec ces drôles… »
Pas la peine de s’attarder plus longtemps sur cette ballade complaisamment sarcastique, étonnament fraîche et joyeuse pourtant ; ils marchaient tous deux, passagèrement amoureux, heureux comme tous les autres autour d’eux, ils s’enivraient un peu de ce qu’ils croyaient être leur désir et qui n’était rien d’autre que le souffle torride et glacial de la révolution. Leur histoire se finit comme elle se devait dans un pauvre meublé, dans la sueur et la frustration d’une relation sans grandeur. Monologue du plaisir, effort de la jouissance, désarroi du quotidien. Elle n’osa rien lui demander, il n’osa rien lui proposer, ils se quittèrent ainsi déçus d’eux-mêmes. De même finirait trois mois plus tard la Commune de Paris…
Mais le soir même, alors que Michel, rêvassait allongé sur une couche étroite, alors qu’il essayait vainement de faire le point sur cette journée d’agitations, Elle entra brusquement dans la pièce et, comme folle : « Comment as-tu osé ? Misérable, ta vie s’arrête donc au bout de ton gland ! Tu vas mourir maintenant !». Avez-vous déjà vu votre échafaud se dresser au fond du regard qui va vous consumer dans un instant ? Avez-vous déjà senti le souffle frigide de la mort vous envelopper ? Avez-vous déjà perçu la frontière entre l’être et le néant au pied de votre lit ?
Message édité par lfcclb le 20-12-2007 à 17:14:09