Salut Alisdair
Allez, ma dernière production, correcte, en date
l'Amibe_R Nard
Titre : C'est le B qu'on sonne à l'Alphabet !
- C'est le B qu'on sonne à l'Alphabet !
- C'est le B qu'on sonne à l'Alphabet !
C'était la deuxième personne affolée du village à me répéter cette petite phrase absconse, alors que je descendais boire une bonne bière au bistrot du coin.
B ? Quoi B ? Ça voulait dire quoi ce B, consonne à l'Alphabet ?
Journaliste en vacances depuis quinze jours, dans ce charmant petit village de campagne, mon sang d'enquêteur ne fit qu'un tour de boucle : je devais bachoter immédiatement sur ce mystérieux B qui brinquebalait de bouche en bouche, avec une évidente inquiétude, et panique appropriée.
Mes réflexes professionnels rejaillirent aussi sec, et ça tombait plutôt bien : le meilleur endroit pour obtenir des informations, reste et restera toujours le débit de boissons du coin.
Comme je le savais, l'Alphabet - facile à trouver - trônait au milieu du village de Barbibouc en Saône. Il s'agissait d'un couvent, monument aussi long que bas, aussi beau qu'étroit, mais avec une bonne cloche bien bruyante. Une bombarde du quinzième siècle, bombardant dans nos oreilles, ne nous aurait pas davantage martyrisé les tympans, ni brûlé les bons synapses avec un tel bonheur.
Et là, la belle donnait de la voix. Do ré mi fa sol, en son de cloche bombarde, ça donnait surtout : Bo Bé Bi Ba Boooool ! Boooo Bé Bi Ba BOOOOOL !
J'avoue que, barbouillé par cette barbare et dissonante sonorité, mes questions se heurtaient au barrage de la mauvaise volonté du cabaretier autant qu'à sa petite bière maison.
Dans ce Bo-Bé-Bi-Ba-Bol agressif, l'homme ne m'écoutait pas un brin et vaquait à des occupations, aussi préoccupées qu'intensives, de rangement.
« Oui, mais que veut donc dire ce B ? » lui balancé-je entre deux coups de cloche Bo Bé Bi Ba Mal aux oreilles.
« Comment, vous le ne savez pas ? » balbutia-t-il avec une affreuse bonhomie. « Pourtant, avec votre métier, vous devriez être au... »
Soudain un cycliste passa en braillant :
- C'est bien B qu'on sonne à l'Alphabet ! C'est bien B qu'on sonne à l'Alphabet ! Et IL arrive !!!
D'un seul coup, la place déjà vide, se vida encore plus. Et le cabaretier me quitta, pressé, m'abandonnant entre deux balbutiements d'une cloche presque bégayante.
A toute berzingue, Boum. Bang ! Boum. Bang ! mon informateur peu disert se mit à refermer les volets de son auberge. Ce contraste fulgurant avec les Bo Bé Bi Ba Boooool ! faillit bien m'achever pour de bon.
Me voyant paralysé sur mon siège, l'homme bougonna sèchement :
- Mais bougez-vous, du diable, bougez-vous ! IL arrive !!!
Est-ce la petite bière maison ? le boucan ambiant d'un silence devenu total ?... j'étais incapable de bouger.
- Mais bougez-vous, me cria le brave bonhomme en me tirant d'un coup par le bras. Vous devriez pourtant savoir que...
La cloche cessa alors de sonner, sombrant dans une extinction définitive.
Renonçant, mon sauveur m'abandonna au bas de ma chaise paillée et s'enferma rapidement chez lui.
Blessé, dans mon honneur, plus que dans ma douleur, je me redressai enfin en brandissant le poing pour l'agonir d'une bordée d'insultes.
- Bachi-bouzouk. Babouin. Bandit. Bayadère de carnaval. Bibendum. Brute... Brontosaure. Bulldozer à réaction. Boit-sans-soif...
J'étais plutôt fier de la dernière, empruntée, comme les autres au Capitaine Haddock, et je les notai avec empressement sur mon carnet lorsqu'un bruit de béquilles, à vous faire frissonner le bas-ventre, bourdonna dans mon dos. Puis, un nouveau silence de tombeau étira son ombre jusqu'à moi.
- Eh bé, en voilà de biens bonnes, barrit une étrange voix de baryton.
Carnet en main, bic dans l'autre, je me retournai, prêt à en découdre de quelques lignes.
Le baryton aboya de nouveau :
- Tiens v'là que notre blanc-bec veut me béatifier d'une nouvelle embellie !
Et il dégaina un long couteau d'abordage en acier béni de sang.
Mon bic en main, je restai un instant, très court - en interruption momentanée de programme - à la recherche d'un bon mot à balancer.
Il faut dire que le personnage avait tout du boucanier à la dérive. Jambe de bois et bagues en toc, borgne, avec une légère barbichette, il complétait sa tenue de brigand d'un couteau de boucher, aussi sanglant qu'irréel et fantomatique.
- Bibendum, c'est toi ? m'écriai-je avec bonheur.
- Babar ???
Bon, ça commençait plutôt bien, si vous broyez ce que je veux dire, autant que lui me broya les oreilles en me reconnaissant pour celui que je n'étais pas.
- Mais qu'est-ce que tu viens faire à Babibouc en Saône ? me beugla-t-il dans les oreilles.
- Une enquête sur toi ! Et pourquoi d'autre d'après toi ?
- Et bien pour boire un broc de tord-boyaux, en compagnie d'un vieux pote à toi !
- Il y a de ça. Mais savoir ce que tu étais devenu me branche bien plus, comme les poissons du même nom, babillé-je avec enthousiasme.
- Ah ah ah, toujours le mot pour briller ! me rétorqua mon nouveau compagnon en abaissant son vieux couteau de boucher.
J'écrivis rapidement sa réplique, fier de mon à-propos déductif. Son T-shirt « Born Bibendum » et sa botte assortie, noire sur fond blanc, venaient de me sauver la vie.
- Et toi, tu sèmes toujours la terreur partout où tu brasses ?
Une nouvelle brouette de rires ébranla Bibendum et il beugla assez haut pour que tout le monde en profite :
- Sûr que je brasse à fond de quille, autant que j'embobine ces braves gens. Et que même je...
- Mais pourquoi à Babibouc en Saône, plutôt qu'à Babibêle en Sausse ? l'interrompis-je pour la paix de mes oreilles surmenées.
- Babibêle en Sausse ??? Tu veux dire Babibêle en Suisse, non ?
- Non, c'est bien Babibêle en Sausse ! que je viens d'écrire.
- Sauce Barbare ou sauce Barbue ? me rétorqua mon fantôme, avec un clignement d'oeil à faire vomir un boeuf.
- Ah, ah, ah, génial, mes lecteurs apprécieront. Surtout le coup de l'oeil qui sort de son orbite pour venir gluer sur mon carnet.
D'un geste rapide de la manche, j'essuyai la glaire grasse, verte et visqueuse que l'oeil venait de déposer sur la blancheur quasi immaculée de ma page.
Avant de continuer :
- Alors, pourquoi Babibouc ?
- Ben... euh... Je sais pas ! bafouilla mon fantôme.
- Parce que les gens te connaissent, c'est ça ?
- Sûr qu'ils me connaissent ! J'éborgne tous ceux qui traînent dans les rues, alors sûr qu'ils me connaissent !
- Et ils te craignent ?
Mon boucanier boucher se gratta la tête avec son couteau, puis branla du chef.
- Ben, évidemment !
Là, ce fut à mon tour de me brosser le cerveau avec mon bic. Le couteau quitta le crâne épais de mon interlocuteur et se pointa haut en bas, autant dire : vers moi !
- Mais pourquoi évidemment ? m'écrié-je. Alors que les gens de Babibêle en Sausse ignorent tout de toi, Bibendum ?
- QUOI ???
- Ben d'après toi, pourquoi je suis là ? Hein ?
- Ouais, et t'es là pourquoi ? me souffla-t-il d'un air aussi réchauffé que le mien, l'oeil et le couteau méchant.
- C'est pourtant bien simple !!! répondis-je sèchement pour temporiser la pointe acérée de sa lame.
Certes, je venais, en cet instant, d'échapper à l'éborgnage en direct, sans nulle caméra pour filmer la scène. Autant dire une heure de gloire et de boire perdue, sans aucune compensation financière ni aucune once de célébrité. Ce qui est plutôt barbant dans le monde du paraître beau, bof et branché. Mais je n'étais pas pour autant tiré d'affaire. Il me fallait user du grand art journalistique pour m'en tirer.
J'allais m'y employer.
Comme mon barjot commençait à s'échauffer, je lui biberonnai une bombe mentale de derrière les barreaux.
- Bon sang, Bibendum, je t'ai pourtant bien parlé des gens de Babibêle en Sausse blanche. Non ?
- Euh... ouais !
- Et alors, si j'écris pour eux, c'est pour qu'ils sachent combien tu es à craindre. Parce que je sais qu'ils ne te craignent pas.
- ILS NE ME CRAIGNENT PAS ?
- Ben non, sinon je n'écrirais pas un papier sur toi dans mon bavard !
- C'est bas bossible, banouina-t-il au comble de l'exaspération nerveuse.
- Mais zi z'est possible, lui renvoyé-je dans le même style bocho-bolchévique qu'il employait.
Dans un grondement terrible, il commença à bouillir. Et je le sentis prêt à en découdre avec les habitants de Babibêle en Sausse, plutôt qu'avec ceux de Babibouc en Saône. C'était tout simplement brillant, que dis-je, brillantissime ! Le temps qu'il arrive à Babibêle en Sausse, j'aurais répandu la bonne nouvelle, et à Babibouc et à Babibêle devenant une célébrité avec ses deux yeux en face des trous.
Et c'est là que tout dérapa !
J'écrivais déjà ce nouvel article dithyrambique lorsque Bibendum me jeta un coup d'oeil, noir et froid. D'un smash adroit, je le lui renvoyai et nous nous affrontâmes, oeil contre oeil - 15 A - sourire naissant contre sourire naissant - 30 A. Puis je m'avançai vers lui et collai mon nez contre le sien. 30-40. Je prenais l'avantage à la volée. Il faillit me bazarder un coup de boules pour égaliser, mais je lui plantai mon bic dans le blanc de l'oeil, juste à temps. Emportant le set et match de cette partie endiablée.
- C'était le B qu'on sonne à l'Alphabet ! lui hurlé-je dans les oreilles pour l'achever. Tu m'entends Bibendum, bête à bouffer du blé. Gros bêta bouffi ! Et le B, y en a assez ! A C ! Assez de jacasser ! Va-t'en bavasser ailleurs !
Et, de tout bouillant et chaud qu'il était, crevé, il commença à crépiter pour rapetisser dans une agonie coulante, correspondant à sa corpulence. La crème de son corps cascada dans l'écrin creux des égouts et disparut, d'un coup.
Encore une fois, la liberté de la presse triomphait. Et les cloches se mirent à canonner dans un hoquet joyeux : Bo Bé Bi Ba Ba Coooool ! Co Cé Ci Ca Ca COOOOOL !
Le temps pour moi de mettre un terme à mes vacances à Babibouc en Saône.
Les deux mains sur les oreilles.