Bon je me lance dans le plus long post que j'ai jamais fait...
Illusion (Titre de la nouvelle^^)
Elle retira son masque, une cascade de cheveux blonds comme l'or s'écoula, encadrant un visage angélique au teint pâle. Deux yeux bleus profonds me regardait à travers ma chair, sondant au plus profond de mon âme, découvrant toutes les vicissitudes que j'avais ancrées en moi. Un frisson me parcourut l'échine. Aucune femme ne me faisait cet effet là. Son nez petit et fin, ses lèvres pleines et rouges ayant toujours un sourire en suspens, des dents éclatantes de blancheur, un menton volontaire. Elle était le désir incarné, la tentation suprême. Sa robe, d'un bleu nuit en satin, épousait ses formes et laissait entrevoir les courbes généreuses de son corps par transparence. Je sentit mon désir pour cette femme augmenter et dut détourner les yeux avant de succomber. Le nom de cette créature enchanteresse était Clarisse. Elle m'embrassa puis remit son masque de porcelaine, je fis de même. J'en profitai pour observer de plus près l'endroit où elle m'avait emmené. C'était une maison typique de Venise, deux murs mitoyens, un donnant sur le bord du canal: on entrait par là, l'autre à l'opposé donnant sur une petite ruelle. On était arrivé par gondole et tout dans la vielle ville semblait sentir la fête. Même l'odeur de la vase pourtant si forte par endroit se faisait discrète. En passant près de l'Arsenal, nous avions observé la perspective lumineuse du canal qui conduit à la lagune, au moment du coucher de soleil, irradiant du rouge au jaune, de chaleur et de quiétude, de sérénité. Pendant quelques minutes, Clarisse se pressant contre moi, nous avions goûté au bonheur, au plaisir simple d'être là, ensemble, en vie. Puis nous étions partit en direction du Palais Contarini, elle tenait à me faire voir le Bovollo, chef d'oeuvre d'architecture, puis étions revenu quelques pas en arrière pour atterrir ici, une bâtisse en grès de trois étages appartenant à un petit bourgeois, une connaissance de Clarisse. L'alcool coulait à flot, les bourses de même. Dans un coin, autour d'une table, quatre hommes jouaient aux dés, les Ducats s'échangeaient en riant, les mauvais sentiments semblant avoir déserté les curs humains... Pourtant deux hommes masqués parlementaient sèchement dans un autre coin. Un tas de vêtement reposait près de la porte. Il résonnait un air de fête dans le bâtiment dû à un ménestrel, sa cape virevoltant au fur et à mesure de ses pas, chantant à la façon du haut-chant, ses doigts s'agitant sur sa harpe. Il était vêtu d'un pourpoint bleu clair, d'une chemise blanche aux boutons d'or, d'une culotte bleu foncée, renforcée par des coutures d'argent, ses pieds chaussé de bottines lustrées et vernies. Sa chevelure noire, grisonnante aux tempes retombait sur ses épaules. Son visage était à demi caché par un masque d'un blanc pur, laissant libre sa bouche pour lui permettre de chanter de sa voix claire. Clarisse semblait complètement sous le charme, et, je dois l'admettre, j'en ressentais une jalousie qui me brûlait les entrailles. Au centre, on avait repoussé les tables et les chaises contres les murs, un groupe dansait au son de la voix et de l'instrument. Voyant mon air contrit, elle m'emporta dans le tourbillon du tumulte.
« Laissez vous porter Liam! » me chuchota-t-elle au creux de l'oreille.
Laissant ma mauvaise humeur derrière moi, je m'adonnais totalement à la fête. Oubliant qui j'étais pour m'abandonner à ce charivaris de rires, de larmes de joies, de danse, ce brouhaha à la gloire de Bacchus des anciennes religions païennes. Je m'y engouffrai de tout mon corps, de toute mon âme, portant sur la vie un regard nouveau. Ce soir-là je naquis de nouveau. Et je mourus aussi... Des deux hommes qui parlementaient dans un coin, l'un se débattait avec un objet caché sous sa veste, pendant que l'autre s'éloignait en lui tournant le dos. Celui-ci arrivait près de nous lorsque, pris dans un mouvement de masse, nous le bousculâmes. Nous demandâmes pardon, Clarisse se retrouva entre les deux hommes. J'eu juste le temps de voir l'éclat de la lame briller avant qu'elle ne s'enfonce dans le corps de ma femme, entre les cotes, lui ouvrant le dos, perforant le poumon droit et sectionnant quelques artères au passage. Le monde s'ouvrit devant moi, les ténèbres obscurcirent mon regard. Sans perdre une seconde, je poussai rudement l'auteur de l'attentat pour m'occuper ma fiancée. La mort dans son infinie douceur l'accueillit environ vingt minutes plus tard après une agonie douloureuse. Mon esprit vacilla encore un peu plus dans la folie. J'hurlais ma douleur de toute mon âme, criant l'injustice de cette perte au Père. Lui demandant de la ramener, de l'épargner, de la faire siéger à ses côtés, tout à la fois.
Comment pouvait-il rappeler son plus bel enfant près de lui à ce moment-là? Puis la violence engendrant la violence, je ne pu réprimer le désir de vengeance qui montait en moi. Je cherchais du regard l'homme que j'avais fait tombé. Son acolyte était devant moi, il me parlait, des larmes aux yeux, il avait retiré son masque et j'avais devant moi une personne guère plus âgée qu'un enfant. Je ne comprenais, n'entendais pas ce qu'il disait. Tout ce que j'avais devant les yeux était un voile rouge, rouge du sang de ma bien-aimé.
Enfin mes sens revinrent et les hurlements des femmes me vrillèrent les tympans. Tous se lamentaient, hommes et femmes sans distinction. Je m'aperçu que la mort dans son étreinte avait laissé son sourire sur le visage de Clarisse. Je portai son corps avec une infinie tendresse sur la table la plus proche, arrangeai les plis de sa robe et me retournai vers l'enfant.
« Où est ton ami ? Lui demandai-je sans détours
-Ce n'est pas mon ami répondit-il, levant ses yeux larmoyant vers moi.
-Parle! Où est-il? Ou je jure devant Dieu et devant le corps de ma femme ici présente de te faire endurer tes pires cauchemars. Je me délecterai de ta souffrance, je m'abreuverai de ton sang, je mangerai ta chair! Parle!
-Je ne sais pas hurla-t-il, je vous dirai tout ce que je sais mais je ne sais pas où il est! Je vous le jure! »
Sans attendre, je cherchai ma dague à ma ceinture, la levait et l'abaissait... Un bras me retint juste à temps, un bras chemisé de blanc et boutonné d'or, le ménestrel sans masque. Je me rendis compte au même instant que j'en avais fait de même.
« Il n'est pas nécessaire de se faire justice soi-même me dit-il. De plus, il peut encore être utile si vous voulez retrouver l'autre. Allons, rangez ceci, il y a assez d'une seule tragédie pour aujourd'hui. »
Je rengainai ma dague non sans jeter un dernier regard meurtrier à l'enfant.
« Comment t'appelles-tu? Lui demanda le ménestrel.
-Janius lui répondit-il.
-D'accord Janius, suis nous, je me porte garant de ta sécurité. Monsieur venez, nous devons nous occuper du corps, je suis désolé de vous le dire aussi abruptement mais c'est nécessaire. Argos, surveille que quelqu'un ne cherche à voler la dépouille. »
Une mouvement attira mon regard vers la porte, une silhouette se déplia, s'étira, gagnant en hauteur à mesure que le temps passait. Ce que j'avais pris pour le tas de vêtement près de la porte était en fait un géant assis recouvert d'un patchwork en tissus, cuir, soie aux couleurs changeantes. L'immense créature vint s'asseoir près du corps de Clarisse, posant une main sur la poigné d'un gigantesque claymore capable de fendre un cheval en deux. Instinctivement, tous les invités reculèrent de trois mètres autours du géant.
« C'est un Géant des Marches m'expliqua le ménestrel. Avec lui, vous ne craignez rien.
-Je veux bien vous croire répondit Janius qui ne termina pas sa phrase devant mon regard.
-Au fait mon nom est Orfer et vous? lança le ménestrel pour baisser la tension.
-Liam répondis-je.
-Enchanté Liam. Venez, allons chercher la garde et interroger notre ami » me dit-il.
Je le suivais sans entrain, ne voulant pas quitter le corps de Clarisse mais la perspective de retrouver l'assassin me poussa à partir. La venger, tel était mon but désormais. Nous sortîmes par derrière, et remontâmes la ruelle. On finit par arriver à un corps de gardes. Les gardes nous accueillirent à grands cris, tout le monde était ivre. Dans un sursaut de lucidité, le capitaine prévint des docteurs pour aller s'enquérir de l'état de la victime, si elle était bel et bien morte et ne risquait pas de se relever pour aller danser. Je retins mon mécontentement devant ce manège ridicule, pris sur moi pour ne pas me mettre la garde à dos. Après avoir constaté le décès, ils me demandèrent mon nom, le nom de la jeune femme morte, où nous habitions. Je leur racontais que je m'appelais Liam al Rand, elle s'appelait Clarisse Gordun, elle n'avait plus de parents, emportés par la peste deux ans plus tôt. Elle était ma fiancée. Nous habitions Ifremer.
Ce fut Orfer qui me posa une question le premier:
« As-tu un lien de parenté avec le Duc de Rand, Hans al Rand?
-Oui, c'est mon père avouai-je.
-Quoi? Crièrent en choeur les docteurs et le ménestrel
-Oui Hans al Rand est mon père, Clarisse connaissait Venise car elle y a passé sa petite enfance. Nous venions ici pour célébrer la date de notre mariage qui avait été enfin fixée, profitant du Carnaval pour passer inaperçu. Nous devions nous marier en Mars prochain, pour l'équinoxe de Printemps. Personne n'était au courant de notre arrivée.
Je levai les yeux au ciel et ajoutai
-Clarisse, ma chère et tendre... »
Les docteurs partirent, emportant le corps recouvert d'un linceul, les affaires personnelles de ma fiancée dans les bras, je les suivis jusqu'au crématoire. Ainsi brulés, les défunts rejoignaient le Père grâce à la fumée. J'attendis la fin de l'oraison funèbre, ajoutai quelques anecdotes qui me firent légèrement sourire. Comme la fois où nous avions été pris en train de voler aux cuisines et dans notre précipitation à s'enfuir devant les apprentis, avions dégringolé les escaliers pour attérir juste devant le cuisinier... Mon postérieur se souvenait encore de ce moment.
Je confiais la garde de Janius à Argos. Le géant saurait prévenir toute tentative de fuite. On convint d'un rendez-vous le lendemain, dans une auberge. Pendant la fin de la nuit, je préparais à ma vengeance... On n'attaque pas le sang des Rand impunément, la contre-attaque allait être redoutable. Puis aux alentours de l'aube je m'autorisais un léger repos. J'allais avoir besoin de toutes mes forces pour défaire l'assassin et peut-être la conspiration qu'il y avait derrière. Clarisse m'avait rendu mon humanité, sa mort me l'avait enlevé. Je serai prêt à tout pour ma vengeance.
Le lendemain, réveillé frais et dispo vers dix heures, je m'habillais consciencieusement. Mon armure de cuir durçit , ma cape noire à capuche, mon épée ceinte à la taille, ma dague de l'autre côté, des poignards dans les manches, une dague de jet à la jambe, je partais en guerre. J'ajoutais une bourse pleine de Ducats d'or et d'argent que je liais à ma ceinture. Je me rendis à l'auberge, regardant droit dans les yeux chaque passant que je croisais, encore déguisés, ils le resteraient sans doute jusqu'à la fin du Carnaval. Pourtant personne ne prenait le risque d'entraver ma démarche, la main droite posée sur le manche de mon épée, je suppose que je faisais peur à voir... J'arrivai à l'auberge, fis trois fois l'aller-retour devant la porte sur plus de cinquante mètres, attendit trente minutes environ adossé dans l'ombre du batiment d'en face, puis, n'ayant relevé aucun mouvement suspect, je me décidai à rentrer. A l'intérieur une atmosphère étouffante m'attendait, un porc était en train de cuire dans la cheminé, trois grandes tables rectangulaires étaient garnies de clients costumés ou de chaise vides, deux autres tables rondes étaient disposées dans les coins de la salle. Je me dirigeais vers une de ces tables n'ayant aucun client. Je m'assis face à la salle, attendis le ménestrel et l'enfant qui devait arriver dans peu de temps. J'en profitais pour surveiller les clients et les serveuses, guettant le moindre mouvement suspect. L'une d'entre elle vint prendre ma commande. Je pris une bière. Des voix s'élevèrent, je levai les yeux de mon verre et vis trois personne qui marchaient dans ma direction. Argos, le Géant des Marches, passa à côté de moi, m'effleurant l'épaule d'une de ses griffes, puis s'assit à terre, complètement dans le coin. Je fus touché par cette marque de gentillesse,ce simple geste, plus que par de vaines paroles. Les deux autres personnes n'étaient autres qu'Orfer et Janius. Le premier prit place sur la chaise à ma droite, le second en face de moi.
« Satané aubergiste, commença Orfer, il ne voulait pas laisser Argos entrer. Mais mon ami peut être convaincant, il a suffit qu'il agite une de ses griffes sous le nez de l'intéressé pour que celui-ci se calme aussitôt. Bonjour à vous Liam, j'espère que vous avez pu passer une nuit pas trop excécrable. Encore toutes mes condoléances. »
Je ne l'écoutai que d'une oreille fixant l'enfant droit dans les yeux. Celui-ci se dandinait sur sa chaise, son regard refusait le contact entre nous. Il eut la judicieuse idée de ne rien ajouter à la dernière parole du ménestrel.
« Je ne demande pas si vous allez bien, votre expression est assez révélatrice continua le musicien, mais j'espère que vous verrez la lumière au bout du tunnel obscur où vous êtes. Il s'épancha encore pendant quelques minutes.
-Paix, Orfer. Votre langue a-t-elle sa vie propre pour ne jamais cesser de babiller comme une mégère? On n'est pas là pour échanger des inepties. »
Un grondement sourd et saccadé semblable à un éboulement s'éleva de derriere moi. Instinctivement, je fis jaillir mes poignards dans mes mains en me retournant, les préférant à mon épée dans cet endroit confiné. Le bruit venait du Géant, dont les épaules s'affaissaient et se relevaient au rythme des saccades. Je me rendis compte qu'il riait. Cet individu riait, non, se moquait de son ami. Je me rassit en souriant, remettant mes armes où elles étaient. Le bruit avait alerté les autres clients qui fronçaient les sourcils, échangeant des critiques acerbes sur nous en se réinstallant à leur table. Le ménestrel, affichant une mine boudeuse, le visage rouge, s'était tu. Je me penchai sur la table et fis signe à Janius d'en faire autant. Je lui murmurai à l'oreille:
« Tu vas me dire tout ce que je veux savoir, compris? Sinon, je te ferai ce que je t'ai dit hier soir... Commence par le début. Que faisait-tu hier soir dans la maison de grès?
J'avais rendez-vous avec Goupil, une connaisssance, pour vendre les secrets du verre vénitien. En effet, j'ai lié amitié avec un artisan verrier installé près du Rio dei Vetrai de Murano. Il est vénal et en a assez des contraintes imposées à son métier, comme l'obligation d'utiliser de l'aulne. Son but est l'argent et il ne le cache pas. Pourtant il souhaiterait partir de Venise, mais ne le peut pas. La Giustizia Vecchia est sur ses traces pour avoir fait chauffer son four au mois d'octobre. De plus la difficulté de se procurer des matières premières, comme les cendres végétales ou le manganèse pour colorer le verre, est un problème pour lui. Il y a deux ans, des Allemands du Fondaco dei Tedeschi qui lui devait de l'argent ont fui la peste sans régler leur dettes. Ce fut la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Il m'a donc demandé à combien pouvait se chiffrer les secrets du verre vénitien, j'ai eu beau lui dire qu'ils n'avaient pas de prix, j'ai été incapable de le détourner de son idée. J'ai donc cherché quelqu'un que ça intéresserai. J'ai rencontré un homme, je ne connais pas son identité véritable mais il se fait appeler Goupil. Je le voyait pour la deuxième fois hier soir. La première, il semblait vivement intéressé, mais hier soir, il estimait le secret à seulement mille Ducats d'or. Nous avons parlé, débattu, cherché un compromis mais rien n'y fit, il ne voulait pas démordre. Je concluai donc la conversation et le maudissait de son avarice pour un trésor si fabuleux. Il n'a pas dû aimer ces dernières paroles et je suppose qu'il voulait me tuer, moi, et non votre fiancée. Elle m'a sauvé la vie au péril de la sienne, peut-être sans le faire exprès, mais il n'empêche qu'elle l'a fait.
-D'accord, ton récit semble tenir la route. Dis moi tout ce dont tu te rappelles au sujet de ce Goupil. Les détails sont les bienvenus.
-Je sais qu'il n'est pas Vénitien, son accent l'a trahi, de même que sa démarche sur un bateau. Il est grand, vous avez pu le constater, sa stature est celle d'un homme fait. Il a les cheveux noirs, les yeux noirs également. Ah oui , son visage a été rongé par la petite vérole il y a un certain temps: les cicatrices lui marbrent le visage mais ne suintent pas. Il a le teint bronzé et possède en permanence sur lui au moins un poignard. C'est tout ce dont je puis me souvenir.
-Où vous êtes-vous rencontré la première fois?
-Près du Rialto. »
Je fini ma bière tout en réffléchissant. L'assassin, ce Goupil ne pouvait pas être seul dans cette affaire de verre vénitien. Il lui fallait avoir un commanditaire et sans doute quelques agents pour l'aider. On ne rigolait pas avec le verre à Venise... Un client entra dans l'auberge. Mon regard glissa sur lui sans noter aucun caractère suspect, il portait simplement deux parchemins scéllés de bleu pour l'un et de rouge pour l'autre. Je me détournai de la porte que j'entendis s'ouvrir encore une fois. Je jettai un regard à l'homme qui venait d'entrer, grand, de stature honorable, il avait le visage constellé de petites cicatrices. Mon esprit prit un temps infini à faire le rapprochement avec ce que m'avait dit l'enfant. Mais telle une tempête au mois de mars, qui arrive sans s'annoncer, ma colère explosa. Je me relevai en faisant basculer ma chaise. Mes poignards jaillirent de nouveau de mes manches. Le ménestrel me contempla sans comprendre, Janius également. Même le géant sursauta. Puis tous trois regardèrent dans quelle direction allait mon regard. L'enfant poussa un cri aigü en reconnaissant l'individu qui s'approchait toujours de nous. Ce fut l'élément déclencheur.
« GOUPIL! » hurlai-je en m'élançant. Les clients crièrent, l'intéressé leva les yeux vers moi. Mon poignard quitta ma main gauche pour décrire une trajectoire rectiligne en direction de son coeur. Il fut stoppé net par une chaise que l'assassin avait levé par réflexe. Je ne me décourageai pas et continuai de courir dans sa direction en prenant la dague de ma ceinture dans la main gauche. J'arrivai à portée, il avait toujours la chaise dans les mains. Je balançai mon bras droit en direction de celle-ci pour le faire lacher son bouclier improvisé. Entre laisser tomber la chaise ou perdre une main, il choisit la première solution. Je n'attendis pas et lançait mon bras gauche, tenant la dague. Je la lui enfonçai en pleine gorge, le sang gicla, éclaboussant mon visage déformé par la rage.
Je ne vis pas Janius, l'enfant comme je l'appelais, s'éloigner un sourire cruel aux lèvres rejoignant son ami porteur de missives pour de nouvelles missions. Seul Orfer vint arrêter mon bras que je continuais toujours à plonger dans le corps sans vie du vérolé. La raison m'avait quitté. Les clients courraient en tout sens, cédant à la panique. Plus tard les gardes arrivèrent. Le ménestrel et son ami partirent. Je reconnu le capitaine qui m'avait envoyé les docteurs la veille, celui-ci était aujourd'hui en pleine possession de ses moyens, il me reconnut et m'annonça pendant que ses subordonnés me maitrisaient:
« Qu'avez-vous fait? Vous venez de tuer le frère du Doge en personne! Vous êtes fini, votre nom est à jamais entaché de sang. »
Le masque tomba. Je compris alors la machination, elle ne visait pas seulement moi, mais aussi la famille gouvernante vénitienne. A qui une guerre entre Venise et le Duché de Rand profiterait-elle? Je n'arrivais pas à réfléchir correctement. Me manipuler avait été si facile! Il avait seulement fallu m'attaquer là où j'étais le plus vulnérable, la femme de ma vie. Les ténèbres m'envahirent lorsque le pommeau de l'épée atteignit ma nuque, me brisant au passage les cervicales.