hophophoptagada a écrit :
Salut à tous,
ça fait longtemps que l'envie d'écrire me titille mais je n'avais jamais trouvé le tonus de m'y mettre un peu sérieusement.
Voici toutefois une 1ère tentative. Elle est à ranger dans l'heroic fantasy... oui, encore, mais j'aime assez l'idée de commencer de 0, dans un univers vierge.
Après quelques pages, bien que totalement absorbé par mon récit, je me suis dit que des avis extérieurs pourraient être très utiles. Je n'ai aucune idée de l'intérêt (ou de la profonde souffrance) que pourrait susciter le lecture de ces quelques chapitres. Merci d'avance à ceux qui me feront part de leur avis.
La nature encore engourdie d'un long hiver ondulait timidement au gré des premières brises printanières. Les lointaines montagnes de l'Est aux sommets enneigés filtraient les froids rayons d'un soleil matinal sur les collines de Rosebrume.
Bien que le pays eut été jadis fort peuplé, les châteaux qui ornaient fièrement les collines n'étaient désormais que murailles brisées et mangées par les ronces, les villages, de simples amas de bois et de pierre calcinée et les sentiers qu'empruntaient alors villageois, fermiers et marchands étaient presque effacés par la poussière des années. La nature avait lentement repris ses droits et un voile de mystère avait recouvert le pays de collines.
Au sommet de l'une d'elles se découpait la silhouette d'un cavalier immobile comme la statue des héros protecteurs d'autrefois. Il avait de nombreux noms mais dans cette contrée il était jadis connu sous celui d'Avarist. Sa longue tunique de précieuse étoffe grise bien ajustée et bouclée au col semblait défraîchie comme par de longues années d'errance. Une profonde capuche laissait son visage dans l'obscurité. Il contemplait le vaste pays qui descendait lentement vers les plaines de l'Ouest, encore plongées dans une obscurité bleutée.
D'un léger mouvement de talon, il mit sa monture en marche en direction d'un vallon à l'ouest, au creux duquel se nichaient des ruines couvertes de mousse. Bien que couvert de pissenlits et de chiendent, le chemin, vestige d'une route très fréquentée autrefois, demeurait fort praticable et la descente prenait des airs de promenade bucolique. A l'approche d'une combe, les frondaisons s'épaissirent et la voie fut bientôt obstruée par un enchevêtrement de ronces et de lianes de clématites. Il tira la bride de sa monture et leva négligemment la main en psalmodiant une rapide formule et toute la sauvage végétation se racornit subitement en sifflant et grésillant. Il descendit de sa monture et releva sa capuche dévoilant le visage d'un homme mûr aux traits sévères et aux cheveux courts. Il parcouru du regard les vestiges d'une allée bordée de piliers émoussés et poussa un court soupir de soulagement en constatant que le temple n'était pas totalement effondré sous le poids des siècles. Il s'avança lentement, scrutant le sol et faisant jouer dans sa main un sceptre étrange qu'il avait fait surgir d'un repli de sa tunique. Une lourde porte de pierre surmontée de puissants linteaux interdisait l'entrée du sanctuaire. Le cœur du temple avait surmonté l'épreuve du temps et de la guerre des hommes et son accès demeurait inviolé.
Avarist eut un ricanement amer.
- quelle ironie ! dit-il.Tout un pays ravagé au nom de la foi mais son illustre symbole préservé.
Les traits tendus, il s'approcha de la porte que les premiers rayons du soleil venaient réchauffer. Il posa une main sur la pierre encore humide de rosée, y colla doucement son front et donna un coup bref et léger de son sceptre doré, provoquant le tintement d'un pur cristal.
Il recula d'un pas et attendit. Comme venu des entrailles de la terre, un bourdonnement sourd se mêla au chant d'un serin qui observait et commentait abondamment la scène. Le bourdonnement devint un grondement et lentement la porte pivota. Un souffle froid s'exhala du profond couloir et la lumière s'y engouffra pour la première fois depuis des siècles, chassant les ombres et caressant les murs polis.
Avarist s'avança dans le sanctuaire d'un pas qu'il voulait ferme mais il ne put réprimer un frémissement de doute. Une foi ancestrale imprégnait chaque pierre de l'édifice à la manière d'un parfum puissant. Il devait rassembler toute sa raison et sa logique obstinée pour ne pas céder devant des siècles de mises en garde. D'abord mise à l'index par un clergé dogmatique, l'église des Nuées avait bientôt été condamnée au rang d'hérésie par de vindicatifs théologiens, ses prêcheurs et fidèles avaient été pourchassés, ses lieux de culte anéantis et sa mémoire corrompue par de noirs anathèmes. Si la foi originelle devait subsister quelque part, c'était sans doute dans son dernier sanctuaire, le temple de Rosebrume, où autrefois était né le mythe du Prince des Nuées.
Avarist, en homme rompu aux sciences du corps et de l'esprit, disciplina ses pensées et franchit d'un pas décidé les derniers mètres qui le séparaient du cœur du sanctuaire. Si au temps de sa jeunesse il s'était ouvert à la foi, de longues années passées à étudier l'art de la sorcellerie l'en avaient peu à peu détourné. A mesure que son pouvoir avait crû, les mystères de la foi s'étaient dévoilés comme autant de rêves d'enfant sacrifiés sur l'autel de la maturité. Sa volonté de fer ne pouvait plus être entravée, ni par des impératifs divins, ni par les considérations de Bien ou de Mal, concepts qu'il ne pesait désormais qu'à la balance de leur utilité.
Le couloir débouchait sur une salle sans fenêtre. Une froide obscurité y régnait. Avarist formula un mot d'ordre de sa voix grave et sèche et les murs se mirent lentement à scintiller, irrigués de fines veines de lumière blanche. Si au dehors le temple paraissait en ruine, l'intérieur était intact. La sublime simplicité d'une voûte à la rotondité parfaite et les murs circulaires donnèrent à Avarist une brève sensation de vertige. Au centre du sanctuaire s'élevait un pilier de pierre finement ciselée au sommet duquel trônait la dernière et unique Pierre-Monde. Son aspect était fantastique : une sphère parfaite sans la moindre aspérité qui ne dépassait pas la taille d'une orange. L'œil y plongeait comme à travers une eau sombre et pure. Celui qui s'y attardait pouvait contempler de minuscules étincelles immobiles, pareilles à de lointaines étoiles, mais ne revenait au réel que par un violent effort de la pensée.Il semblait régner au sein de la pierre un vaste monde dans lequel l'esprit et l'âme pouvaient s'absorber, jusqu'à en devenir une infime mais suffisante parcelle.
Avarist s'approcha et tendit la main vers la pierre. Ses yeux brillaient d'une excitation contenue. Toute la froide rigueur dont il était si fier et qui confinait bien souvent à de l'arrogance ne pouvait endiguer le flot d'émotions qui le dévoraient. Pierre-Monde allait lui appartenir ! Fermant les yeux et retenant son souffle, il la saisit de ses doigts déployés comme des serres.
Subitement, une brutale vague de froid et de douleur l'envahit. Ses yeux sombres prirent des reflets de glace, son corps ploya et il tomba à genoux sans dessérer ses doigts de la pierre qui le tourmentait. Sa tête tournait et ses membres se raidissaient. Il tremblait, gémissait, mais sa volonté n'abdiquait pas encore. De ses mâchoires figées s'échappait un mélange de râles et de mots de feu. Son souffle glacé exhortait la chaleur à revenir dans ses membres transis mais ses mots de pouvoir se brisaient contre ses dents. Quel sortilège plus puissant était à l'oeuvre qui le plongeait dans une telle souffrance ? Toute la vanité d'un art auquel il avait consacré sa vie et sacrifié sa jeunesse lui était soudain révélée. Cet art en cet instant précis était impuissant comme un théorème isolé de l'expérience. Alors qu'il sentait son esprit se détacher de son corps engourdi et que l'étreinte glacée de la mort ralentissait son cœur, il s'en remettait au jugement divin, dernier recours de ceux qui savent leur fin proche et inéluctable, loin de toute raison et de toute logique... Ce n'était cependant pas le Seul Vrai Dieu qui s'imposait à son esprit confus mais celui dont il avait des années durant étudié les icônes et exhumé les textes sacrés. Il s'en remettait, au delà de toute conscience, au Prince des Nuées, le Dieu Impie. Son image se diffusait dans chaque repli de son âme et à mesure que l'entité prenait forme, la douleur diminuait et la chaleur revenait dans ses membres. Terrassé par l'épreuve, il s'étendit sur les dalles froides, les yeux fixés sur la voûte, Pierre-Monde posée sur sa poitrine et abritée de ses deux mains aux veines encore saillantes. Son corps était meurtri mais son cœur serein et son âme apaisée. Il ferma les yeux, sa respiration se fit plus régulière et il se laissa doucement glisser dans un abîme de béatitude.
La cité de Rosemonde jouissait d'une situation exceptionnelle. Bordée par deux fleuves limoneux, ses greniers débordaient en été et assuraient l'hiver une nourriture toujours abondante. Une légère brise venue des montagnes à l'ouest rafraîchissait les habitants pendant les mois les plus chauds. Les nombreux troupeaux de moutons qui paissaient dans la vallée offraient une laine chaude et douce que d'habiles tisserands transformaient en tuniques, bottes et houppelandes pour les quelques rares semaines de froid. Carrières de pierre et futaies de chênes fournissaient en quantité les matériaux nécessaires à l'édification et à la préservation d'une architecture conquérante et durable. De larges places grouillaient d'une foule bigarrée. Autour d'une myriade d'étals et comptoirs s'agglutinaient d'infatigables curieux. Rien ne semblait pouvoir rassasier les plus riches citoyens du ventre de l'univers. Aucune saveur n'était assez exotique, aucune parure assez brillante. Si le commun des habitants vivait dans le confort, la fortune de certains notables dépassait l'entendement. Des routes bien entretenues s'échappaient des hautes murailles à la rencontre des cités vassales. Des caravanes de marchands s'y pressaient toute l'année pour satisfaire les goûts sophistiqués de cette clientèle riche et très consciente de son importance. C'était la plus puissante cité du continent et elle ne souffrait aucune rivale. Ses armées, ses lois, sa culture et sa langue s'étaient répandus jusqu'aux confins du monde, suscitant d'innombrables mais toujours brèves résistances et révoltes.
Sa force et les clés de son succès reposaient sur une organisation tripartite séculaire. L'armée, l'église et le conseil des sorciers composaient les trois ordres d'une société à la fois soumise et prospère. Chaque ordre élisait, une fois tous les dix ans, un de ses membres pour le représenter au Conseil de la Cité. Rosemonde avait toujours été un théâtre d'intrigues et de luttes d'influences mais jamais un de ses ordres n'avait pu en évincer un autre à son profit. L'armée, dont les garnisons essaimaient le pays, nourrissait une méfiance naturelle envers les forces de l'esprit. Les militaires n'admettaient l'autorité d'un homme que lorsqu'il avait porté les armes. La hiérarchie de l'ordre religieux se confondait avec l'organisation de la société. Omniprésents, éduqués et influents, les clercs exerçaient une emprise très forte sur le peuple. Les sorciers, quant à eux, bien que fort peu nombreux, étaient l'objet d'une crainte respectueuse. Le peuple ignorait la fonction qu'ils occupaient mais tous acceptaient leur autorité, convaincus qu'un tel pouvoir était parfaitement nécessaire à leur bonheur et à leur sécurité. L'équilibre, bien que souvent précaire, était ainsi enraciné dans les fondements de l'histoire de Rosemonde et rien ne semblait pouvoir le rompre.
En cette fin d'été, alors que les habitants de Rosemonde se préparaient à célébrer dignement les Fêtes de la Moisson, de lourds nuages noirs s'étaient amoncelés au dessus de la cité. Un vent froid et sec s'était engouffré dans les ruelles, balayant la poussière et fouettant les visages inquiets des badauds. Un jeune clerc courrait tête baissée vers un temple du Messager. Sa courte barbe soigneusement taillée (et laborieusement obtenue) était couverte d'une fine poussière grise.
Il poussa la lourde porte et entra dans le temple. Le clerc prêcheur faisait son office devant une foule de fidèles rassemblés malgré l'heure tout à fait inhabituelle.
De sa voix haut perchée, il haranguait ses ouailles.
-… et c'est pourquoi, je vous le dis, la générosité est la preuve indubitable de votre grande piété ! Le Messager, à travers les saintes écritures, a été très clair à ce sujet : "lorsque les ténèbres cherchent le chemin de votre cœur, trouvez refuge dans la lumière de la Vraie Foi". Vous redoutez avec raison ces noirs nuages qui enténèbrent notre cité corrompue. Ils sont le signe infaillible de votre manque de piété ! Voyez votre serviteur harassé par de longues nuits de prière pour le salut de vos âmes étriquées. N'avez-vous pas trop longtemps négligé ses modestes besoins? Croyez-vous que ses prières sont audibles lorsque sa voix est ainsi affaiblie par les privations ? Pensez-vous que le Vrai Dieu se sente à son aise dans sa maison - VOTRE maison - quand vous l'abandonnez à la ruine ?
Le jeune clerc reprenait son souffle à l'entrée du temple en contemplant le replet orateur se tordre les mains de désespoir, le visage ruisselant de sueur, une épaisse fourrure d'hermine posée sur ses frêles épaules. Derrière le petit homme gesticulant, une majestueuse peinture récemment acquise à prix d'or ajoutait à la scène un effet dramatique tout à fait calculé : un clerc, très semblable en apparence au petit homme, si ce n'était une taille sensiblement plus haute, des épaules plus larges et une chevelure plus fournie, livrait un âpre combat aux forces du mal déchaînées. Les fidèles baissaient le front devant l’œil réprobateur de ce procureur de la foi. Son ton se fit alors plus doux, comme celui d'un humble pasteur touché par la vulnérabilité de ses brebis.
- Si mon corps est amoindri, la détermination de mon cœur est encore vive. Le modeste clerc que je suis ne vous abandonnera pas. Je jetterai mes dernières forces dans la bataille afin que survive notre belle cité et ses commerces prospères. Il avait appuyé ce dernier mot en promenant un regard sévère sur les riches notables du premier rang. Ces derniers enfoncèrent un peu plus le cou dans leurs précieuses tuniques.
- Mon jeune disciple va maintenant venir parmi vous récolter les témoignages de votre dévouement. En cette heure de doute et de crainte, donnez la force à votre serviteur de démêler les fils du destin et d'en appeler à la miséricorde du Très Haut. Si la froide obscurité qui se répand sur la cité vous empêche de compter vos deniers, ne les comptez pas et confiez-les tous à la sainte garde de l'église qui saura en faire bon usage pour la salut de vos âmes de pêcheurs !
Le temple était en effet très sombre, presque aucune lumière ne filtrait à travers les magnifiques vitraux. Seul le petit homme derrière l'autel, dont les lumières des nombreux cierges faisaient briller bagues et colliers semblait épargné par les ténèbres. Coincés entre la corbeille de la quête et le regard inquisiteur du scintillant prêcheur, les fidèles n’osèrent se soustraire à la demande. C'est une foule à la conscience (et la bourse) soulagée qui sortit du temple dont les portes s'étaient ouvertes sur la place déserte et battue par les vents.
Le jeune clerc déposa la lourde corbeille sur l'autel. Son aîné vidait un calice de cet excellent vin des coteaux de Rouge-Mont en regardant d'un œil morne le ciel de plomb à travers les vitraux.
- Maître, croyez-vous que tout cet or sera d'un quelconque secours dans la situation actuelle ? Le petit homme se tourna vers lui, le visage las et le regard absent.
- Mmh ? Que dis-tu Edmond ? - Je veux dire, maître, que la population est terrifiée ! Avons-nous jamais vu un temps pareil ? Les portes claquent, les chiens hurlent à la mort et mêmes les ivrognes de l'auberge du Chat Noir semblent plongés dans une sombre apathie !
- C'est donc là que tu traînais au lieu d'astiquer les candélabres, comme je te l'avais demandé.
Edmond s'empourpra et bredouilla quelques maladroites excuses.
- Allons, tu es arrivé à temps pour accomplir la quête donc je ne t'en tiendrai pas rigueur. Vois-tu, mon jeune ami, si un seul mot pouvait caractériser notre bon peuple, ça serait l'ingratitude. Cette cité nage dans l'opulence. Lorsqu'un bourgeois réussit dans les affaires, il s'en attribue toujours le seul mérite. Quand il nous fait l'honneur de sa présence, il ne peut se départir de cet air condescendant qui me hérisse le poil. En revanche, c'est lorsque les temps se gâtent qu'il se tourne vers son église en quête de protection et de réconfort, l’œil humide et la mine contrite. Si on ne les incite pas un peu à la générosité dans ces moments là, quand peut-on les mettre à contribution, je te le demande ! Vois-tu ce calice d'or fin constellé de splendides rubis ? Je t'assure que le vin qu'on y verse y développe des arômes stupéfiants. Et bien il fut offert à notre église à l'occasion de l'effrayante sécheresse que nous avons eu au début du printemps. Mon prêche, il est vrai, avait été fort inspiré. "Le sang de la terre aux couleurs de rubis jaillira d'une coupe en or et plus jamais vous ne connaîtrez la soif"... haha, je me demande où je suis aller chercher ce verset là !
Il souleva son précieux calice, un sourire rêveur aux lèvres et pris une large rasade.
- Mais ces nuages... fit le jeune homme !
- Oui oui je sais, ils ne présagent rien de bon. Maintenant que notre besace est confortablement remplie, je vais pouvoir y réfléchir plus sereinement. Je te prie de me laisser maintenant et, rappelle-toi ce que je t'ai enseigné, la liturgie n'est qu'un chemin grossier que suit la foule dénuée de spiritualité. Nous les clercs avons tissé un lien d'une autre nature avec le Très Haut. Exerce ton âme à discerner les volontés du divin. Elles se cachent parfois dans les endroits les plus inattendus. Une fois de plus, Edmond quittait son maître avec au cœur plus de questions que de réponses. Il avait toujours admiré son éloquence et sa façon si particulière d'alterner le cynisme le plus scandaleux avec une profondeur de vue à la limite de l'hérésie. Il savait toutefois l'immense prestige dont il jouissait au sein de l'Ordre des clercs et la vaste connaissance des textes sacrés qui lui valait le respect des théologiens les plus chevronnés.
C'est tout pour le moment...
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