limonaire Savoir renoncer avec grâce | spartak01 a écrit :
Tu devrais éviter de passer à la phase suivante sans lire ce que l'on t'écrit... Si t'avais lu les liens de Lonely, tu aurais pu lire
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Pas vraiment, selon l'économiste Liêm Hoang Ngoc qui décrypte le même graphique dans son dernier ouvrage à paraître aux édition La dispute : «Sous la crise, la répartition des revenus». Trois points de baisse ramenés au PIB français représenteraient la bagatelle de 55 à 60 milliards d'euros en moins pour les salaires. Et, à prendre la VA brute, le chiffre le plus complet, les 5 points de baisse montent la perte pour les salariés à 80 à 90 milliards d'euros ! Un joli plan de relance...
Or, sans le dire, presque inconsciemment, Cotis prend d'emblée le chiffre le moins gênant (la valeur ajoutée au coût des facteurs de production) et conclut, avec élégance, que la baisse «n'atteindrait que deux à trois points de valeur ajoutée» sur la période étudiée. De ce simple raccourci, tout le rapport Cotis peut être contesté...
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Citation :
Sa première conclusion, reprise en chœur par tous les médias et surtout par le Medef, est que, depuis vingt ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée est restée stable en France. Dans une discussion qui avait opposé il y a quelques semaines Denis Clerc et Michel Husson, on avait montré combien le choix du point de comparaison était important (voir ci-dessous « La bosse et le creux »). Selon que l’on prenait le point le plus haut atteint par la part salariale (autour de 1982, avant que la politique de désindexation du salaire par rapport à la productivité du travail n’entre en application) ou le point le plus bas (fin des années 1980, après que celle-ci eut produit ses ravages), on arrive à un résultat diamétralement opposé.
Dans le premier cas, une baisse de 10 points de pour cent de la part salariale, dans le second, une stabilité, voire une légère hausse. La conclusion était que le bon point de comparaison était celui qui précédait l’éclatement de la crise du capitalisme à la fin des années 1960 aux États-Unis et au début des années 1970 en Europe : alors, on constate que la baisse de la part salariale a été en France d’environ 4 points et demi sur le champ des sociétés non financières et de 6 points sur l’ensemble de l’économie.
Pour éviter un tel choix, le rapport Cotis se livre à un tour de passe-passe magistral : son point de comparaison est la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Dans un magnifique graphique (p. 10) démarrant en 1950, on voit que la part salariale était à 65% de la valeur ajoutée des sociétés non financières et qu’elle l’est toujours en 2007 ! Bravo l’artiste statisticien ! Ce point de repère permet de laisser dans l’ombre le franchissement de deux paliers successifs au cours d’une période s’étalant sur soixante ans (excusez du peu !). Sous l’effet du développement économique pendant les « Trente glorieuses » et des luttes sociales vigoureuses, la part salariale avait atteint 69,5% en 1973, c’est-à-dire avant que ne soit sensible en France la chute de la rentabilité du capital et donc la crise structurelle du capitalisme qui s’en était suivie. Ensuite, la crise capitaliste avait provoqué la hausse de la part salariale jusqu’à 75%, mais cette phase n’avait duré que très peu de temps, puisque le tournant de la rigueur salariale avait rapidement restauré les profits, ramenant la part salariale au niveau très bas qu’elle n’a plus quitté, et que Medef, gouvernement et Cotis considèrent comme naturel.
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Next, qu'il dit le monsieur...
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C'est l'envolée de la part des salaires dans la VA à partir de 1968 qui provoque le ralentissement des années 70 et l'apparition du chômage de masse. La montée progressive de la part des salaires de 68 à 82 n'était pas tenable : il fallait bien qu'elle s'arrête un jour. Pire : elle ne pouvait pas non plus rester à son niveau le plus élevé de 1982, car les profits devenaient alors trop faibles pour rémunérer l'accumulation du capital, qui dès lors était stoppée. Il faut voir les comptes d'exploitation des entreprises à la charnière des années 70 et 80 : beaucoup de pertes, beaucoup de faillites retentissantes d'entreprises.
Les Trente Glorieuses ont en fait bien fonctionné tant que le partage salaires-profits était stable, proche de sa valeur de longue période. Avec 68, l'augmentation du salaire minimum de 25%, le changements des règles d'indexation du Smic, etc, on s'éloigne de cette tendance de long terme, avec les conséquences néfastes qui s'ensuivent. La stagflation des années 70 doit beaucoup à cette déformation du partage de la VA, même si ce n'est pas la seule cause (la montée des prélèvements obligatoires : 7 points sous Giscard) et les désordres monétaires (fin de l'ancrage sur l'étalon or) n'ayant pas arrangé les choses.
Cette enflure excessive des salaires a donc été corrigée au cours des années 80 : et depuis 1990, malgré la mondialisation, malgré l'euro, malgré l'entrée de la Chine dans le commerce mondiale et les délocalisations, le partage salaires-profits est stable. La croissance ne repart cependant pas comme dans les années 50-60, bien que la partage salaires-profits soit le même, car entre-temps, le poids de l'Etat a encore augmenté (8 points de Pib de dépenses publiques en plus) et le Smic net depuis 1968 a augmenté en valeur réelle de 130% quand les salaires nets moyens n'augmentaient que de 70%. D'où le chômage massif des "non qualifiés".
On voit que partir de la référence de 1982 et parler d'une perte de 10 points n'a pas de sens. Car on ne pouvait pas rester à ce niveau élevé sans asphyxier les entreprises, qui ont besoin d'épargne (donc de profit) pour investir et accumuler du capital. Reste la perte de 3 points entre le niveau atteint depuis 1990 et le niveau des Trente Glorieuses. Mais ces 3 points sont largement dus à des problèmes de mesure et de méthodes de calcul. Par exemple, la France des années 50 comprenait beaucoup de commerçants, artisans qui sont à la fois le facteur travail et le facteur capital : difficile dès lors de ventiler leur rémunération entre salaires et profits. Or, cette catégorie d'emplois a fondu en 50 ans, ce qui affecte le mode de calcul.
Il est donc absolument chimérique d'attendre une amélioration du sort des salariés d'un déplacement du curseur salaires/profits. Car ce curseur est à peu près à son bon niveau, celui de sa valeur de long terme. Pour améliorer le sort des salariés, il ne faut donc pas s'intéresser au partage du gâteau (qui est à peu près le bon) mais à l'augmentation de la taille du gâteau. Celui-ci n'augmente que s'il y a des gains de productivité. Or, ceux-ci ont fondu : 5% par an dans les années 60, 1,5% aujourd'hui. Les gains de productivité viennent essentiellement de l'accumulation du capital, qui elle-même découle de l'épargne. Pour améliorer le sort des salariés, et connaître à nouveau des augmentations fortes et régulières des salaires, il faut donc relancer l'épargne productive (et non la consommation). Mais ce n'est pas le chemin pris depuis 30 ans... (voir la stérilisation de l'épargne des ménages dans des dépenses courantes de l'Etat, au lieu de financer l'accumulation de capital, public ou privé).
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