Citation :
Chers amis,
j'ai été ce matin, témoin d'un fait d'une barbarie sans nom, indigne de la race dont nous faisons partie, j'ai nommé la race humaine (je ne parle pas des hommes-requins, morses, ou autres mélanges d'humains et d'animaux aquatiques à dents longues). Je ne peux me taire plus longtemps : même s'il m'en coûte de revivre cet instant douloureux pour vous le rapporter, c'est de mon devoir témoigner de cet acte, d'une cruauté rare.
Ce matin donc, je marchais, comme beaucoup de matins de jours ouvrables, sur le chemin goudronné qui longe le terrain vague, à proximité de mon immeuble de travail préféré... Je profitais de la lumière naissante du soleil que filtraient les nuages, tout en écoutant le vent dans les herbes hautes et humant l'odeur desdites herbes, rendues humides par une douce et enchanteresse pluie nocturne de printemps. Bref, je prenais mon bol de Nature du matin, pour affronter ensuite de façon sereine l'écran livide de mon ordinateur, les remugles mécaniques de l'imprimante, et les interjections plus ou moins grossières de mes collègues passant dans les couloirs... Je remarquais alors d'autres êtres qui, comme moi, faisaient ce qu'ils devaient faire sur ce chemin goudronné : des escargots.
Ces petites bêtes à coquille, appelées par l'humidité du sol à sortir de leur antre protecteur, se promenaient, ou plus exactement se traînaient sur leur estomac, tâtant tranquillement les alentours avec leurs tentacules, en direction du terrain vague. Etait-ce l'appel du ventre ? Ont-ils senti comme moi l'odeur de l'herbe, fraîche et drue ? Ou bien leur instinct les dirigeait-il tout bonnement dans la bonne direction ? Toujours est-il, que pas un ne se trompait quant au chemin à prendre !
Emerveillée par ces petits animaux, survivant vaillamment au milieu de la jungle urbaine, dans les bulles de Nature encore présentes, au milieu de la mer de béton et de goudron que nous autres humains avons édifiée ; émerveillée disais-je, je les observais, les admirais tout en marchant, et prenais bien garde à n'en écraser aucun. Pour plusieurs d'entre eux, j'ai eu l'envie de les soulever de terre, les déposer un peu plus près du garde-manger qu'il aspiraient manifestement à atteindre... Mais ma conscience me disait qu'ils seraient perdus, que leur sens seraient désorientés si je faisais un tel geste, pour moi insignifiant, mais pour eux immensément grand... Je ne voulais pas traumatiser ces êtres qui, après tout, ont droit au bonheur autant que nous.
C'est alors que survient le drame : un homme avance, face à moi. En costume-cravatte des plus standards, c'est un cadre, parasite typique de ces environs de la Défense. Il s'engage le long du terrain vague. Il ne profite de rien, n'entend rien, ne sent rien... Il n'a d'yeux que pour son téléphone portable, ouvert à la main, sur lequel il tapote un numéro de fournisseur, de client, ou un texto à son patron, que sais-je... Je vois la catastrophe arriver : le petit-gris, là, presque parvenu au bout de sa course, à la Tour d'Argent des escargots urbains, est en droite ligne sur le chemin de l'ignoble créature qui approche à grands pas ! Je stoppe aussitôt, et retiens mon souffle, incapable de dire quoi que ce soit devant l'indicible qui va se produire, incessament sous peu... L'espace d'une demi-seconde, j'espère de tout mon coeur que la chaussure se pose ailleurs que sur le minuscule corps mouvant...
Crac. Pas de miracle pour les escargots malchanceux. Le bout noir de la chaussure d'homme d'affaires a sonné le glas du petit gastéropode. "Salaud !" n'ai-je pu m'empêcher de m'exclamer, en lançant à l'individu, continuant sa marche sans rien remarquer, un regard chargé de reproches qu'il n'entendra pas. Attristée et révoltée, je parcours les quelques pas qui m'amènent à l'immeuble. La journée de travaille débute à présent, et les contrariétés ne font que commencer...
Bon courage à tous !
Tigrou_bis
|