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  écriture d'un roman d'héroïc-fantasy - tome 2

 


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écriture d'un roman d'héroïc-fantasy - tome 2

n°2596823
Calaquendi
Posté le 29-04-2004 à 21:56:02  profilanswer
 

hé hé hé.... avouez que vous aviez cru hein ?!   :whistle: :D  
Hé bien non, ce n'est pas la suite des écrits de notre Grenouille national :p  (respect au batracien :jap: ); mais c'est un moyen d'attirer votre attention  :ange:  
Disons que je suis presque dans la même situation que le reptile cité précédemment, et j'aimerais avoir des avis différents et divers sur ce que j'écris...(j'en vois d'ici encore raler de se faire envahir par des auteurs débutants... mais si ça ne vous plait pas, rien ne vous oblige à lire...) Et comme je n'en ai pas envie d'envahir le topic de la rainette, j'en crée un nouveau.
 
En espérant que vous accrocherez, et que ça vous plaira... voici le prélude et le premier chapitre de "La Symphonie de Sonaruo - Des Ombres dans les Ténèbres"
Bonne lecture à ceux qui en prendront le temps..
 
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Prélude
 
 
Les légendes racontent que le Fort Hérémos est né de la dernière larme de Uel, le Dieu aveugle du savoir, lorsqu?il perdit ses yeux dans le combat qui l?opposa a son ancienne amante, la reine Hérème. La goutte tomba du Neocromion, le Palais-Blanc, et vint s?écraser  sur Sonaruo, dans la mer, au bord des côtes de Tol. Du point de sa chute, jaillit tout d?abord un énorme geyser. Et alors surgit une presqu?île, sortant des eaux, au milieu de laquelle trônait l?Anyon,  la Grande Bibliothèque des dieux, à l?architecture dantesque. Alors les elfes, enfants de Uel, se mirent en quête de protéger le plus  immense des trésors divins : la connaissance. Pour défendre les plus grands secrets de l?univers des autres créatures de Sonaruo, ils ont bâti des remparts insensés, et des architectures démentes. Fort Hérémos fut ainsi créé.  
 
C?est ce que me racontais toujours mon père, quand je n?étais encore qu?un tout petit enfant. Je ne comprenais pas pourquoi tout ce lieu, si grand et si beau, était autant protégé. Je ne comprenais pas non plus pourquoi tous les gens, qui y vivaient, semblaient tous si accablés par la fatalité. Quand papa m?a raconté la légende de la création de Fort Hérémos, j?ai enfin été éclairé. Le lieu est né d?une larme. Le Dieu qui a créé la presqu?île pleurait de douleur et de tristesse. Alors la peine divine a attiré à elle, les gens dans le chagrin. Ils se sont regroupés, formant une Communauté bâtie sur les pleurs. Mais à ce moment là, un autre problème s?est posé. Pourquoi donc, alors que je vivais depuis toujours à Fort Hérémos, je n?étais jamais triste ?  
 
Mon papa m?a dit en souriant que c?est parce que j?étais un ange. Et qu?ils ne sont jamais tristes? sauf quand ils sont dans une prison, et qu?ils ne peuvent pas voler. Je n?en croyais pas un mot. J?étais persuadé d?être une personne très spéciale, ça c?est un fait (comme en témoignaient mes oreilles pointues), mais justement, je ne savais pas voler. Et en plus, je ne pensais pas me trouver dans une geôle. Mais les cellules n?ont pas toujours des barreaux visibles. Parfois, elles sont mêmes très grandes, et très belles, me répondit mon père.  
Il m?a aussi dit que j?avais beaucoup de chance. Je savais voler. De la plus belle des manières en plus : avec mon esprit et mon imagination. Ne trouvant plus rien à redire, je restais cette fois-ci perplexe.  
 
Papa a toujours voulu sublimer ma vie, et tout ce qui m?entourait, inventant des milliers d?histoires, et toute une infinité de légendes, autour desquelles il voulait que je bâtisse ma future existence.
Pourtant aujourd?hui, c?est moi qui tiens cette plume qu?il a tant utilisé, et ce sont mes mains qui vont écrire à sa place. Cette simple idée m?angoisse affreusement. Je ne sais pas si je dois? Coucher sur le papier toute cette histoire laisse germer en moi une sensation paradoxale. Je ne saurais la définir, mon âme est trop trouble pour cela. Mais je prendrai le temps de comprendre enfin. Ce n?est plus ça qui me manque?
 
Le Fort Hérémos n?est pas l??uvre d?un dieu qui perdit ses yeux. Ni un lieu bâti pour les gens qui se noient dans la morosité. Ce n?est pas non plus  le dernier bastion d?un peuple elfique, qui a aujourd?hui totalement sombré dans la déchéance, et le déprâvement le plus total. Non, ce n?est rien de tout cela.  
Fort Hérémos est le rêve d?un homme qui a passé toute sa vie à croire en sa beauté. Et qui est arrivé à la matérialiser. Antoine Nöllopa était son nom. Aujourd?hui déifié par la Communauté crée après sa mort, la plupart des gens ont totalement oublié qui il était avant tout : le porte parole d?une nouvelle manière de penser. Pas d?une nouvelle doctrine.
 
Il est assez compliqué d?expliquer en quelques mots quel était le message véhiculé par les idées de Nöllopa. C?était un génie, dans un nombre, incalculables de domaines ; grand écrivain, philosophe, explorateur, scientifique, ? Mais cet homme là, tout le monde l?a oublié. Il est mort. Et il fut canonisé par la Communauté créée après son trépas. Il devint Noto, le Dieu Prophète. On a tué en son nom. On a justifié des horreurs, bâti des monstruosités et commis des atrocités. Mais on a aussi fondé des rêves, des espoirs, et des merveilles. On a tout fait, ou presque. On a tout interprété, chacun des actes de sa vie... Mais on a peut-être oublié de comprendre.  
Il est étrange de voir à quel point les écrits peuvent être déformés différemment selon les époques, les cultures, les âges, ou je ne sais quelles autres choses encore. Il est dérangeant de voir à quel point les gens veulent s?approprier, à n?importe quel prix, quelque chose qui leur rappelle ce qu?ils voudraient êtres, ce qu?ils voudraient avoir, ou ce qu?ils voudraient faire. Il est effrayant de voir ces mêmes personnes s?imaginer que ce qu?ils font, est juste car cela a déjà été réalisé par le passé. Il écoeurant de constater que leurs actes ne sont dictés que par la vilenie et l?appât du gain.
 
Personne n?a jamais compris le message d?Antoine Nöllopa. Ni mon père. Ni moi. Ni la plupart de tout ces gens qui ont la prétention de dire qu?ils continuent les travaux de leur maître. Le seul être, qui incarnait l?âme même de la pensée de cet homme ne l?a jamais su?
Ma bouche s?assèche, mes mains sont parcourues par de légers tremblements convulsifs. Je ne sais pas par où commencer. Je pose la plume. Evidemment, j?ai les mains moites. Les lettres que je dessine avec l?encre sont irrégulières. Elles s?effacent, sur le papier les lettres coulent? Je froisse la feuille avec  dépit, et la jette dans le feu de bois, qui brûle dans la cheminée.
 
Depuis tout petit, j?ai continuellement les mains humides. Mes camarades de classe, au Fort Hérémos, pensaient qu?il s?agissait d?un grave un problème *pythopathologique*  ou d?une maladie *neuropsychologique*. Ils n?arrêtaient pas de chercher les hypothèses les plus farfelues sur ce si grand mystère...
 
Le feu brûle dans l?âtre, les flammes crépitent, et je les observe, le regard dans le vague. La pièce ou je me trouve est plutôt petite, et exiguë. Il n?y a aucune décoration, les murs sont sales et miteux, et le plancher en mauvais état n?est même pas droit. Pourtant, autrefois, elle fût resplendissante. Ce lieu est comme mon esprit.  
Des bruits de souris et de rats, qui courent sous les lattes, se font parfois entendre, éveillant de temps à autre le chat obèse, qui dort sur l?unique coussin de la pièce. Mais il ne bouge jamais de son lieu fétiche, préférant le doux confort de la pâtée que je lui apporte, plutôt que de se fatiguer à chasser. Lui aussi me ressemble un peu. Il se complait à se ramollir dans la facilité en vieillissant.
 
Je scrute la pièce des yeux, l?air désabusé. Le lit défait à côté de moi semble me dire d?oublier mes soucis et de venir m?allonger. Oui je suis fatigué? de rien faire. Tout sent un peu le renfermé ici, mais je ne peux pas ouvrir la fenêtre pour aérer les lieux. Il fait beaucoup trop froid, et je crains énormément ce temps glacial hivernal. Le chat qui dort à côté de la cheminée  n?apprécierait pas trop non plus que je purifie les lieux. Il dort si profondément que je ne sais même pas s?il s?en rendrait compte d?ailleurs.
 
Mes paupières clignent nerveusement. Mon ventre se serre. Ma tête tourne. J?ai froid. Dans mon esprit les étincelles se croisent et s?entrechoquent. Tout comme mon âme, mon corps tout entier redoute ce moment. Cet instant ou cette page blanche, belle, pure, sera noircie par mes mains.
 
Mon père essayait autant qu?il le pouvait, d?être le plus neutre possible dans ses écrits, mais il y parvenait rarement. C?était un homme merveilleux, à l?imagination débordante, qui cachait sa réelle personnalité derrière un masque qui ne plaisait pas toujours à tout le monde.
 
Mais j?ai réussi à voir le lutin caché derrière le démon. C?est une petite fille qui me l?a montré. Elle a grandie. Mais elle n?est pas devenue adulte. Elle s?est mise à raconter des histoires. Puis elle s?est transformée en fée, et elle s?est envolée. Je ne sais pas ce qu?elle est devenue. Mais elle m?a laissé des plumes en partant, que j?ai gardées précieusement, en prévision du jour ou je pourrais enfin tenir ma promesse...
 
Je lui avais toujours juré que j?écrirais quelque chose, sur tout ce qui s?était passé? il y a maintenant si longtemps. Je n?ai jamais eu le courage de prendre la plume, jusqu'à aujourd?hui. Pourquoi ?
Je sais la réponse. Je la sens au plus profond de mon c?ur. Elle bat et résonne à mes tempes. J?écoute un moment ma respiration. La vague me berce. Je me concentre sur elle, me laissant entraîner dans sa complainte.
 
Je prends une nouvelle feuille, et doucement, je me remets à écrire. Mais ma main tremble de plus en plus. Je pose un peu le stylet en soufflant. J?étire mes doigts, les faisant tous craquer par ce geste. Les os de mes mains ont toujours craqué, dans n?importe quelle circonstance que ce soit. Je les regarde un peu machinalement. Il me manque le pouce à gauche. Lorsque je l?ai perdu, je ne pouvais plus supporter la vue de ma main sans lui. A travers mon doigt, on m?avait pris tellement? Mon père n?arrêtait pas de me répéter que j?avais des mains de pianiste. J?aurais du l?écouter, prendre des cours de musique, quand j?en avais encore l?occasion. C?est vrai qu?elles sont très fines. Et j?avais plutôt l?oreille musicale?
 
Je soupire à nouveau. Dans son coin, le chat bouge nerveusement la patte. Il cherche à toucher un objet qui n?existe que dans son imagination. Il rêve. Il vole. Il est libre. Son poil roux est magnifique. Si roux? si beau?
 
Dans le coin la petite pendule sonne péniblement, me tirant en sursaut de mes souvenirs. Le chat daigne à peine lever une de ses oreilles. Il est quatre heures de l?après-midi. Une heure merveilleuse dans ma jeunesse, ou une petite fille aux  cheveux de la même couleur que ceux du félin, me faisait tous les jours, ou presque, apprendre à sourire d?une manière à chaque fois différente?
 
Je prends à nouveau une feuille, et je reste là, à contempler cette blancheur désespérante. Mes yeux s?attardent ensuite sur le reste de la table qui me sert de bureau. Des couverts sales côtoient des verres à moitié remplis, et des bougies à demi consumées se mélangent avec des feuilles froissées, et des restes de nourriture. Finalement, je suis devenue encore plus désordonné que mon père. Mes yeux s?égarent à nouveau sur le chat. Je devrais faire comme lui, et me remettre à dormir. Je ne veux pas être pris dans ce terrible piège qu?est l?écriture? Mais je ne peux pas aller plus loin comme ça. Je n?ai plus la force, je m?étouffe et je manque de chuter, chaque pas me rapprochant de cet instant ou je vais sombrer.
 
D?un revers de la main, je fais tomber toutes les cochonneries, et les assiettes vides, qui envahissaient mon bureau. Le chat sursaute sur son coussin, ses yeux dorés écarquillés, puis il se rendort aussitôt, voyant qu?il n?y avait aucun danger. Je me penche sous la table pour prendre un petit sac de cuir noir. J?en sors une petite poche de tissu vert que je pose sur le meuble. Je l?ouvre délicatement, pour en sortir une boite de fer rouillée, sur laquelle peuvent se lire deux mots, gravé en or.
 
Nux Delym, « le thé des écrivains », en langue ancienne Argonien. L?homme qui m?a donné ça ne s?en est jamais servi. Il ne voulait pas utiliser une aussi belle plume pour écrire, préférant passer son temps à la regarder. Sincèrement, je pense qu?il était idiot. J?ouvre la boite délicatement pour en sortir une longue plume de Genar, les oiseaux caméléons. Leur duvet change à la lueur de la lumière selon les lieux ou ils se trouvent. Je la fais machinalement tourner entre mes doigts un instant. Les couleurs défillent comme dans un kaléidoscope.
 
C?est à moi de diriger ma route. Pas à mon passé. Mes vieilles souffrances ont assez duré. Elles se sont trop attardées. Tant de temps je n?ai pas su voir autre chose qu?elles? Il est temps que je tienne ma promesse.
 
Mon esprit se perd, mais c?est à travers ce chaos que va naître mon harmonie. Ca y est, je sais par où commencer. Mes idées fusent sur le papier, images, sons, odeurs, sensations et émotions s?entrelacent et se percutent. Je m?égare sur des sentiers infiniment tortueux, dans des endroits où je ne veux pas revenir. Dans des lieux que je n?ai que trop fréquentés, et que je ne veux plus explorer.
 
J?ai si peur. J?appréhende tellement de revenir sur ces notes, et de chanter à nouveau des paroles, et des musiques que je n?ai entendues qu?une seule fois? Mais je ne l?ai jamais fait jusqu?ici, conservant en moi ce que je ne n?exprimais pas. Peut-être que tout cela m?aidera à mieux appréhender le futur ? Mon futur... Je ne sais pas.  
 
Il ne me reste plus beaucoup d?avenir dans cette vie. Passé, présent, futur, tout est toujours flou ou ténébreux dans mon esprit. Une fine larme coule le long de ma joue droite. Je ne l?essuie pas, laissant un goût amer et salé frôler mes lèvres.
 
Quoi que l?on fasse, une chose est sûre, il ne faut pas subir ce que l?on a décidé. Je l?ai assez compris. Ce qui compte, c?est comprendre pourquoi on a choisi de foncer ou de s?enfuir, de continuer ou de lâcher, de monter ou de descendre?De dire oui. Non.
 
Je crois que la pire des choses à faire est de stagner? Plus d?hésitations. Plus de tentations de renoncer. J?ai assez porté mon propre deuil. Et ceux des autres, avec le mien.
 
Je sais ce que je dois faire. J?ai peur de le faire, mais je ne vais plus me cacher derrière mes maux et m?y complaire. Et même si c?est la dernière fois, que je dois chanter la Symphonie de Sonaruo, j?aimerais que tu sois là, petite fée. Fais juste semblant alors, ça me suffirait. Mais, laisse-moi cette illusion, encore une fois, je t?en prie. Fais-moi croire que tu es là, et que tu écoutes mon histoire. Celle là, je ne te l?avais jamais racontée?
 
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Chapitre premier - Les Musiciens
 
C?est il y a plus de dix mille années que, aux quatre coins du monde, ils sont apparus. Leurs peuples ne les ont jamais vraiment acceptés. Trop différents. Incompris, ils ont été chassés, battus, exilés, et humiliés par les leurs. Parce que personne ne comprenait ce qu?ils faisaient. Alors ils ont erré, au travers de Sonaruo. Ils étaient seuls. Ils ont tout vu, tout connu, ou presque. Ils ont évolué, jusqu'à ce que leur don atteigne son paroxysme. Ils sont morts. Et alors, ils se sont enfin trouvés.
Ils étaient onze. Génies. Artistes insensés. Musiciens. D?eux on ne sait aujourd?hui que peu de choses. Hormis leur nom, et leur histoire commune. Ils se sont rejoins le jour de leur mort. Puis ils se sont dispersés. Chacun est allé construire son instrument. Chacun a replongé dans ses rêves. Et ils ont joués. Dirigés par le chef d?orchestre, ils se sont mis à modeler le monde, selon leurs sons. Selon leur esprit. Selon leur imagination?
Et Sonaruo a changé. Ce que le monde est aujourd?hui, nous le leur devons. Ils nous ont faits. Et c?est à travers la Symphonie qu?ils nous ont créés. Elle est ce qui régule tout ce en quoi nous croyons. Antoine Nöllopa l?avait compris. Il a laissé sur son chemin les germes de ce qui nous permettrait de faire renaître des choses trop longtemps enfouies. Et malheureusement oubliées.  
Ce que je vais tenter de vous faire accepter dans ma thèse, ce n?est pas que ce que nous prenons pour un mythe existe réellement. Non. Ce que je veux vous montrer, c?est que depuis plus de deux mille ans, la Communauté Nöllopéenne se trompe sur toute la ligne. Et son erreur est la pire des choses qui ai pu arriver dans toute l?histoire de l?humanité?

 
Frère Michael reposa son stylo avec fatigue, et il se laissa aller sur le dossier de son siège. A force d?écrire, ses mains étaient en feu, et lui criaient des « arrête ! » à répétition. Et ses jambes, endormies et endolories, lui faisaient horriblement mal. Il était assis depuis des heures, et grimaça en se les frottant nerveusement. Son mal de crâne et son manque d?inspiration achevèrent de l?accabler. A lents gestes lascifs, il se leva et aller tourner dans sa chambre.  
L?écriture de sa thèse, clôturant sa dernière année d?études au Collège de Nol, l?avait complètement ereinté. Autant physiquement que moralement. Et en plus, rester assis à longueur de journée l?avait rendu flasque et gourmand (à moins que ce ne soit plutôt un prétexte pour le devenir). En tout cas, ses nouveaux bourrelets, eux, étaient bien là.
 
Avec un regard circulaire, il lorgna sa chambre. Habituellement bien rangée, à l?image de tous les membres de la Communauté, elle était depuis quelques semaines un capharnaüm digne du bureau du professeur Lornal ! Il sourit en pensant à l?homme qui avait changé sa vie presque du jour au lendemain. C?est la passion de son professeur des Sciences de l?Evolution qui l?avait poussé à choisir son sujet de thèse.
 
Tout en étant étudiant au Collège de Nol, parallèlement, Frère Michael était un fervent pratiquant de la foi Nöllopéenne. Il était moine depuis dix ans. Mais à partir du moment ou il avait débuté ses recherches, ses ardeurs religieuses s?étaient quelques peu éteintes? Voire même étaient totalement consumées. Il avait pu consulter certains textes, écrits par Antoine Nöllopa avant que sa divinisation ne le transforme en Noto. Et ce qu?il avait pu apprendre et découvrir était assez édifiant. D?ailleurs ça ne plaisait pas à tout le monde ici?Certains moines avaient essayé d?intimider Frère Michael. Des pressions psychologiques surtout, et des menaces déguisées en conseils. Et des contradicteurs masqués en amis.
 
Il s?allongea un instant sur son lit, repoussant sa tignasse raide et filasse derrière ses oreilles. D?un geste nonchalant de la main, il empoigna une pâtisserie qui traînait sur sa table de nuit.  La tête rejetée en arrière, il se mit à la déguster avec avidité. Il se fixa sur le plafond. Poussiéreux. Quand ses idées et ses pensées venaient taper avec trop de violence sur son crâne, s?allonger sur le lit en s?empiffrant goulûment, et en ne pensant à rien, était la meilleure manière qu?il avait de retrouver un semblant de sérénité. Il ferma ses yeux et poussa un soupir d?apaisement.
 
Ces derniers temps, les pressions des moines s?étaient faites plus fortes. Même le professeur Lornal commençait à avoir des problèmes lui aussi, car il soutenait de trop près son élève. Et son aide avait été plus qu?essentielle. Il aurait beaucoup aimé aller dans l?Anyon. Mais nombre de personnes auraient à présent, considérés ça comme une provocation. Oh, le Grand Bibliothécaire aurait sans doute été là, lui aussi, pour le défendre et le soutenir, comme toujours? Mais qu?importe. Il n?avait pas envie de se faire remarquer encore plus. D?ailleurs, une fois sa thèse écrite, et son diplôme de Nol obtenu, il pourrait enfin quitter ce détestable Fort Hérémos. Il saurait ou aller. Et puis, même si le jury refusait sa thèse, il saurait quoi faire. L?obtention de son diplôme lui importait peu à présent. Avec tout ce qu?il avait pu apprendre au cours de ses deux dernières années, une simple feuille de papier -certes importante pour nombre de gens sur Sonaruo- ne lui faisait ni chaud, ni froid. Il avait d?autres idées et projets plein la tête. Voir les lointaines jungles de Seissanie était un rêve qu?il comptait bien mettre à exécution?
Avec un hoquet échappé, Frère Michael ouvrit grand ses yeux d?ébahissement. Sa mastication s?arrêta subitement. Il blêmît à une vitesse impressionnante, et considéra le morceau de son gâteau d?un air niais.
 
Rêver?
 
Une immense allégresse l?envahit, alors qu?un frisson démentiel lui parcourut tout le corps. Avec un cri de victoire, il lança la sucrerie au travers de la pièce, et se leva d?un bond. Il avait trouvé, il avait enfin trouvé ! Le professeur Lornal avait raison ! Il fallait ne plus penser aux choses pour qu?elles viennent à nous ! Depuis tant de jours, de mois, et d?années? Tant de questions et d?impasses? Il n?en croyait pas ses yeux. Depuis si longtemps que tout était là, sous son nez ! Et il n?y avait même pas pensé, ça ne lui avait même pas effleuré l?esprit une seule fois.  
 
Quel sombre idiot ! C?était si simple pourtant !
 
Sa jubilation lui faisait trembler les mains. Sautillant sur place, il farfouilla dans un des tiroirs de son bureau, et en sortit un petit carnet de cuir noir. Fébrile, il se mit à rédiger rapidement quelques phrases pleines de ratures. Il eut un sourire béât en refermant son cahier, qu?il serra sur sa poitrine comme la promesse d?une vie nouvelle. Assis par terre, sa poitrine se soulevait avec une frénésie particulièrement rapide.  
 
En fait, il avait été trop intelligent et trop réfléchi. Voilà, c?était ça. Il n?avait pas réussi à penser simplement, à raisonner « autrement » comme le prône si bien la Communauté. Mais cette Communauté, il n?y croyait plus. Leur dieu était un mensonge. C?est en l?homme qu?il avait été avant sa divinisation qu?il était un des adeptes ! Ce sont ces idées là qu?il s?était efforcé de comprendre ! Et il y était enfin arrivé?  
 
La complexité se trouve dans ce qui nous est évident disait Antoine Nöllopa.
 
Depuis tout le temps qu?il étudiait les textes de l?explorateur, il n?avait même pas réussi à appliquer ses préceptes. La solution était dans l?énigme elle-même, c?était bien sur évident ! Trop évident ! Et quand on se concentre trop sur la forme, on en oublie le fond.
Que de temps perdu en d?inutiles recherches? Tout était si simple pourtant? Il ramassa un petit sac sous son bureau, qu?il déposa délicatement sur ses genoux. Il souffla à nouveau et avala sa salive. Des larmes commençaient à lui brouiller la vue?
 
Et si c?était vrai?
 
Il tressaillit lorsqu?il LE sortir pour l?admirer à la lumière du jour. La lumière était tamisée, mais qu?importe, c?était suffisant pour LE voir.
D?un revers de la main, il fit tomber toute la paperasse de son bureau, pour LE poser. Frère Michael LE contempla un moment. La chose avait du être très belle avant? A présent, ce n?était plus très attirant, mais ça allait changer sa vie.
Pas seulement ma vie?
 
Oh, il devait vite aller prévenir le professeur Lornal ! Il fallait qu?il sache. Lui seul pouvait comprendre !
 
Il se leva, et dans son excitation, se pris les pieds dans son tapis, et s?affala de tout son long. Jurant, en se releva, il enfila son long manteau noir et ses chausses, puis il LE dissimula dans sa poche intérieure. Il faisait de plus en plus sombre à l?intérieur de la pièce. Frère Michael n?y prêtait pas la moindre attention. Il ne prit même pas le temps de souffler les bougies du chandelier posé sur la table. Il n?avait d?ailleurs même pas remarqué que a moitié avaient été éteintes. Il n?y avait pourtant pas le moindre courant d?air dans la pièce.
 
Vite, vite !
Il ne passa jamais la porte de sa chambre. Sa surprise fut telle, qu?il ne su même pas ce qui s?était passé. Il avait trouvé ça presque?doux.  Voire même plaisant. En tout cas, son sourire fût figé l?instant même ou ça lui arriva. Il avait aimé sa mort.  
 
Au loin, le carillon sonna un coup.

mood
Publicité
Posté le 29-04-2004 à 21:56:02  profilanswer
 

n°2601897
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 30-04-2004 à 15:52:53  profilanswer
 

J'ai lu les oeuvres de Calaquendi sur un forum où il les avait publiées, et j'avais beaucoup accroché à l'époque. Je conseille cette lecture à tout le monde :D
 
Par contre, je t'avais *dit* qu'il valait mieux faire intervenir Monia, ton personnage le mieux développé, dès le prologue pour accrocher les gens !


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Ma chaîne YouTube d'écrivain qui déchire son père en pointillés - Ma page d'écrivain qui déchire sa mère en diagonale
n°2619149
Calaquendi
Posté le 03-05-2004 à 21:02:46  profilanswer
 

Bon, j'avais posté une réponse hier, mais visiblement, le forum avait des problèmes...donc je recommence ! :D  
Chouette, je suis parainé par Grenouille ! :D   :bounce:  ;)  
 
A propos de Monia (rebaptisée Monya), elle ne va pas tarder à apparaitre, mais comme de nombreux chapitres ont été rajoutés en début de romans, elle arrive un peu plus tard. Mais les personnages déjà existants ont été longuement "améliorés" (du moins je l'espère), et l'intrigue apparaitra sans doute plus claire...
Voilà je poste deux nouveaux chapitres que tu n'as lu puisqu'ils sont entièrement nouveaux par rapport à ce que tu avais déjà vu.
 
Bonne lecture à tous, j'attends vos commentaire-critiques-remarques si vous accrochez...
 
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ERRION
 
 
J’ai toujours pensé que les yeux des gens sont des galaxies, remplies d’étoiles. Que chacune de nos larmes est une de ces étoiles, qui s’en va, vers de nouveaux cieux, briller dans d’autres lieux, là ou sa luminescence peut déployer toute sa beauté. La nuit est le reflet de toutes les peines et joies du monde. Elle est l’éclat de notre évolution. C’est pour cela qu’elle brille autant, même si le fond est noir et vide pour certains. Le néant n’est qu’une infinité de choses que les désespérés ne savent pas voir. Nombreux sont ceux qui ont essayé de ternir l’éclat des étoiles. En vain. Le but de tout est d’évoluer. On ne peut pas détruire cette envie naturelle. Ce besoin. Ce devoir.
 
Errion stoppa sa lecture, et il leva son nez de son ouvrage, les yeux encore contractés par l’intensité. Il scruta l’assemblée silencieuse qui l’écoutait religieusement. Sa voix, tellement transportée, fiévreuse et bouillante, laissait abasourdis moitié de ses étudiants. Et parmi ceux qui ne l’écoutaient pas, il y avait ceux -assommés- qui n’accordaient même pas de l’importance à ce qu’il disait. Ils étaient surtout fascinés par l’intense aura de passion, qui émanait de leur professeur des Sciences de l’évolution.  
« … toujours aussi fabuleux… » murmura pieusement Errion, en fermant le livre qu’il tenait dans ses mains. Encore tout fébrile de sa transe littéraire, ses lèvres tremblaient légèrement d’excitation, alors que ses yeux éblouis clignaient toujours de passion. Un nuage de poussière lui envahit la face, lorsqu’il claqua les pages du vieux manuscrit. En toussant, et balayant devant lui la poussière d’un geste brusque de la main, il la toisa pièce du regard. Un silence assommant tomba sur le minuscule amphithéâtre. Il y avait là trente-six visages de jeunes hommes et femmes, d’une vingtaine d’années tout au plus. Ils le dévisageaient, bouche ouverte d’ébahissement, ou mine dépitée de stupeur. Des regards furtifs étaient échangés contre des sourires en coin. Les bouches de chaque personne dessinaient un rictus différent. Sauf sur deux ou trois, qui découragés, continuaient d’écrire ou dessiner sur leurs cahiers.
C’est presque effrayant en fait toutes ces têtes, songea Errion.
Il avala sa salive, pris une profonde inspiration, et il apostropha ses auditeurs encore sonnés.
« Je voudrais avoir votre avis sur ce texte. » tonna t’il avec ferveur.  
Un silence, encore plus intense que le précédent, descendit du haut de la salle, pour venir se glisser jusqu’aux oreilles d’Errion. Il baissa son front vers le sol, et ferma les yeux. Il était perçu tellement différemment par ses élèves, qu’il ne savait plus trop au juste, si les insonorités qu’il suscitait, étaient dues à leur attention démesurée ou à leur ennui profond. En tout cas, une chose était certaine, son enthousiasme débordant les avait étourdis. Bien plus que le texte qu’il avait lu.
Il releva la tête.
« Est ce qu’il y a quelque chose qui vous choque à la lecture de ces lignes ? » insista t’il, en serrant ses mains devant lui, pour éveiller une quelconque réponse chez ses étudiants. Il eut un haussement de sourcils, et son visage prit un teint plus morose.  
« Enfin, à l’audition plutôt. » se corrigea t’il d’un revers de la main devant son visage. Il fit passer ses yeux de droite à gauche, aux aguets de la moindre réponse. Devant le mutisme des jeunes gens, un long soupir intérieur de désespoir le traversa. Il se passa la main dans sa chevelure châtain en bataille en soufflant.
Symboliquement, il déambula le long de son bureau, en faisant craquer les planches dissonantes du sol. Un ricanement caustique intérieur créa quelques contractions spasmodiques sur son ventre. Ca n’allait pas arranger ses aigreurs à l’estomac…
La salle où il enseignait était la plus petite, et la plus vétuste, du Collège de Nol. Ses hauts plafonds emplis de toiles d’araignées -et d’innombrables autres espèces d’insectes- n’étaient plus que l’ombre de la blancheur qui devait les illuminer auparavant.
Ce lieu était d’ailleurs tellement obsolète, qu’il avait pu obtenir le droit de la personnaliser à son goût. Entre de vieilles cartes du monde, des plans de Fort Hérémos, et quelques dessins de ses élèves, on apercevait le plâtre effrité. Les murs tombaient en lambeaux.
Errion marcha jusqu'à la fenêtre. Il s’arrêta devant elle, le regard pensif. Au travers de la lourdeur des nuages, les timides derniers rais de soleil s’infiltraient à travers les vitres. Les grains de poussière, qui flottaient dans la pièce, scintillaient à leur passage.  
La salle donnait directement sur la cour intérieure du Collège. C’était en fait un vaste cloître. Il avait abrité, il y a deux mille ans ce qui allait devenir la Communauté Nöllopéenne. Les arcades étaient très larges et hautes, sublimant l’ampleur de la fontaine qui trônait au centre de la cour. La puissance du vent était telle que les jets d’eau en étaient légèrement déviés.
Un homme passait sous les arches d’un pas pressé. Errion fut traversé d’une bouffé d’énervement, quand il reconnu le personnage. Il s’agissait de Jacques Rieffag, le Recteur de la Communauté. L’homme censé avoir le plus de pouvoir sur tout le Fort Hérémos. Aujourd’hui son influence était infime, mais il y mille ans, il aurait été tout simplement le pape de plus d’un millier d’adeptes. Il marchait d’un pas pressé et nerveux, la nuque presque déformée à force de garder la tête continuellement baissée. Le vent s’amusait à décoiffer les quelques cheveux qui parsemaient son crâne, à chaque fois que l’homme venait d’y passer la main pour les remettre en place. Un soldat à l’air patibulaire l’attendait à la porte de sortie. C’était son garde du corps, aussi grand et sinistre, que le Recteur était petit et ennuyeux.
Errion souffla avec mépris sur la vitre, dessinant une tache de buée sur le carreau. Une expression farouche durcit ses prunelles bleues. Il eut un rictus méprisant, puis il l’effaça avec le bout de sa manche la tache qu’il venait créer. S’énerver sur un homme qui n’essayait pas d’aller plus loin que ce qu’il voyait, ne servait à rien. Surtout quand il s’agissait du Recteur. Il croisa ses bras derrière son dos, et se tourna d’un bloc vers ses étudiants. Son visage crispé sublimait l’agacement qui l’avait submergé.
« Bon. » dit il, sur un ton lourd.  
Les élèves, qui discutaient entre eux à voix basse, lancèrent un regard en coin vers leur professeur. Errion monta sur l’estrade d’un pas pesant, et il vint s’asseoir sur son bureau. Il posa son livre et resta là quelques temps, à écouter le silence ironiquement. Il se fixa sur le visage d’une élève jusqu'à ce qu’elle rougisse, puis il recommença son manège avec une autre. Il se mit à taper avec ses doigts sur le bois du meuble.
 « Il n’y a rien qui vous saute aux yeux ? Rien qui vous éclate devant les pupilles ? (il mima une explosion avec ses mains) »
Devant les quelques rires timides fusèrent, il haussa les épaules et les sourcils d’un air narquois. Une main pourtant, se leva.
Errion grogna intérieurement. C’était Henri Degar, le fils d’un notable de Tandris –une ville proche du Fort Hérémos. Son père était ami avec le Recteur, et Errion savait que la seule chose pourquoi Henri levait la main, c’était pour montrer à son enseignant qu’il était attentif et intéressé. D’un signe du menton, il lui fit signe de parler.
 « Ce que je ne comprends pas dans ce texte, c’est pourquoi Noto associe le désespoir avec la notion d’évolution. C’est assez paradoxal.» fit le garçon sur un ton posé et arrogant.
Errion leva un doigt en signe d’avertissement, lançant un coup d’œil acéré au jeune homme.
« Antoine Nöllopa, monsieur Degar. Antoine Nöllopa. Noto n’est pas la même personne. »
Son regard noir ne laissait place à aucune contestation. Errion n’entendait surtout pas que l’on appelle l’homme par le nom qui lui avait attribué lors de sa divinisation. Les deux personnes étaient trop différentes. Et l’une était un mensonge. Et puis le cours qu’il donnait n’était pas un enseignement religieux !
Il se força à sourire.
« Mais votre question est… plutôt bonne. » se réjouit-il, hypocrite. « En effet, par rapport à ce que vous connaissiez auparavant, c’est vrai que la notion de désespoir est nouvelle chez Antoine Nöllopa. » Une bouffée de fierté luisit sur le visage d’Henri, il jeta un regard satisfait à son collègue de droite.
« Mais par rapport à vous-même, qu’est-ce que ça vous évoque ? hein ?! Par rapport à vous ? » Errion posa son dos sur son dossier. Il fixa Henri. Et ses yeux bleus étincelants voyaient loin, très loin, au travers l’esprit. L’autre détourna résolument le regard.
« Que représente la nuit pour vous ? » interrogea Errion, les yeux plissés.
Son élève repoussa nerveusement ses deux mèches de cheveux derrière ses oreilles. Il toussa, et s’éclaircit la gorge.
« Heu… Et bien. » L’élève recula involontairement sur son siège, sous le regard pénétrant d’Errion, mais il ne rencontra que le dossier derrière lui. Semblant satisfait de son effet, Errion poursuivit :
« Et je ne vous demande pas ce que vous enseignent vos professeurs d’astronomie monsieur Degar. Qu’est-ce que la nuit ? Les étoiles ? Pourquoi cette noirceur ? Imaginez, vous ne l’ayez jamais vu de votre vie, et vous découvrez sa splendeur pour la première fois. Quelle serait votre réaction ?»
L’assemblée resta silencieuse. Quelques toussotements nerveux se firent entendre, et des airs ahuris apparurent un peu partout. Errion tapota à nouveau avec ses doigts sur le bureau.
« Essayez simplement de donner un sens aux choses. » dit il d’une voix plus calme et posée.  
« C’est essentiel, sinon vous n’avancerez pas. Si on ne trouve pas un sens aux choses, on ne peut pas espérer donner une forme au vide. »
Une petite voix  résonna dans la salle.
 « Excusez-moi professeur Lornal, mais j’ai un peu du mal à vous suivre là. » se risqua une nouvelle étudiante. « On ne peut pas donner du sens à quelque chose que l’on ne comprend pas. Le vide c’est rien, non ? Le néant ?»
La terre semblait s’ouvrir sous les pieds d’Errion. Il commença à sautiller sur place d’exaspération. Et lorsqu’il frappa de dépit du poing sur la table, la porte de la salle s’entrebâilla en couinant. Une tête d’homme pénétra dans la pièce, avec une retenue impressionnante. Errion surpris par cette intrusion fronça d’abord les sourcils, puis il se leva en reconnaissant le visiteur. C’était un des archivistes, les adjoints de Prométhée, le Grand Bibliothécaire de l’Anyon. Ils portaient tous de longues robes violettes et arboraient des cheveux rasés sur le haut du crâne, mais longs dans la nuque. L’homme s’excusa et se dirigea sur la pointe des pieds vers Errion. Les Archivistes étaient tellement habitués à rester dans la bibliothèque, qu’ils étaient devenus d’une discrétion des plus absolues, en toutes circonstances.
A pas feutrés, l’homme s’approcha d’Errion, et il lui chuchota quelques mots à l’oreille. Le visage du professeur se renferma, et il hocha doucement la tête à plusieurs reprises.
« Dites lui que je viens dès la fin de mon cours, je n’en ai pas pour longtemps. » murmura t’il.
« Il a bien précisé que c’était très urgent. »
Errion soupira de dépit.
« J’arrive dans un quart d’heure, tout au plus. »
L’archiviste s’inclina poliment, et il ressortit de la salle aussi discrètement qu’il était entré. Errion le regarda s’en aller avec une expression lascive. Il scruta à nouveau ses élèves, en contractant sa bouche en une grimace désabusée. Se forcer à avoir l’air content était quelque chose qu’il détestait faire. Surtout face à ses élèves. La colère montait petit à petit, s’insinuant un peu partout en lui, en envahissant chacun de ses sens. Comme il était facile de s’y laisser glisser… Il eut soudain envie de pousser un immense hurlement de rage.
« Bien. » cria t’il en claquant dans ses mains, plus pour chasser les pensées de sa tête, que pour attirer l’attention de ses étudiants.
« Je vois que les étoiles d’Antoine Nöllopa vous ont beaucoup inspiré aujourd’hui. » continua t’il en se levant de son siège. Sa voix posée et gracieuse paraissait tellement peu sincère à ses yeux, qu’il décida de jouer son rôle d’hypocrite jusqu’au bout. Quitte à être dans la médiocrité, autant y être à fond.
«Et j’imagine à quel point le fait de voir un cours se terminer plus tôt vous afflige, mais j’ai l’immense regret de vous affirmer que c’est bien le cas aujourd’hui. » Des murmures commencèrent à germer dans la salle.  
« Ne cachez pas votre peine de me quitter, je vous en prie, vous me savez très émotif. » Errion lança un regard acerbe à son assemblé, mais plus personne ne le regardait déjà. La moitié des étudiants se mit à rire de bon cœur pourtant, l’autre partie avait déjà rangés ses affaires, et commençait à sortir. Agacé, Errion n’arrêtait pas de contracter son visage en toute une série de tics, tout en reculant vers son bureau.  
« Bien, alors je vous dis à la semaine prochaine. » Il fit un au revoir de la main, mais déjà plus personne ne  lui y accordait de l’attention. Il s’affala lourdement sur son siège, en attendant que les derniers étudiants aient quittés la pièce. Les trois livres posés sur le bureau semblaient se moquer de lui. Il les fixa avec dérision, le regard vague.
« Quoi ? Vous ne croyez pas qu’ils vont changer un jour ? »
Il garda le silence pendant quelques instants. Le vent fit craquer le bois qui entourait les carreaux, emplissant la salle d’un son désagréable. Un sourire triste et mélancolique apparut sur ses lèvres. Il ferma les yeux, et souffla. Il retrouva un air résolu en les re-ouvrants. Déterminé, il empoigna ses ouvrages.
« Moi j’ai bon espoir. » souffla t’il.
Il se leva et partit, laissant la pièce vide derrière lui.
 

n°2619158
Calaquendi
Posté le 03-05-2004 à 21:03:30  profilanswer
 

SUEZ
 
La Nature…Comment définir sa beauté d’une sensualité enchanteresse ?  Comment mettre des mots sur quelque chose qu’on ne peut exprimer qu’a travers ses yeux ? Sa voix est aussi douce que celle des sirènes de Seisanne. Sa peau si suave, et ses gestes exquis et pleins de subtilité, semblent flotter dans l’air comme des arabesques féeriques. Et à chacun de ses mouvements, les dessins des rêves des lutins, cachés dans les racines des arbres, apparaissent dans le ciel. Alors, les fées, dissimulées dans les frondaisons, se glissent le long du tronc, des branches, ou des feuilles, pour venir voir, écouter, ressentir, comprendre… partager et poursuivre les songes des lutins. Le regard de la Nature,  éternellement passionné, nous donne et nous envoie tant de choses, que l’on ne sait plus exactement ou l’on se trouve, une fois que nos yeux ont quitté les siens. Son sourire nous ouvre à elle, telle une déclaration d’amour, et de compréhension de chaque instant… Ses prunelles, toujours fixées sur celles du ciel, nous renvoient toute la beauté des étoiles que lui offre ce dernier. Et dans chacun de ses yeux, ce que l’on y lit est si intense, que lorsque l’on quitte la délicate douceur de son corps, sa vision, son parfum et ses chants, nous hantent longtemps encore, même quand sa présence se fait plus discrète. Mais jamais elle ne nous quitte. La nature jette à tous ceux qui la comprennent, un sort… et c’est  la plus fabuleuse magie qui puisse exister. Ce n’est pas une sorcière. C’est une fée aux ailes enchantées…
 
Sara Mylegna sourit en se rendant compte qu’elle était en train de parler toute seule. Ses fines lèvres bougeaient en un murmure presque intimidé.  Comme si elle avait peur de troubler la quiétude des lieux ou elle se trouvait. Le cheval qu’elle montait, un grand étalon noir, au port fier et noble, semblait marcher sur la pointe de ses pattes. Lui aussi était respectueux de la nature qui l’environnait.
La forêt de Diane…
Tout était démesuré ici. La beauté, à la fois troublante et éclatante, excentrique et si simple… Aux troncs couchés et tortus, succédait des ramifications infinies d’arbres aux hauteurs disproportionnées. La diversité des plantes, des plus petites fleurs, aux plus éclatants arbustes, en passant par les fruits sauvages aux couleurs insensées, et les fougères aux formes dantesques, était une invitation à l’émerveillement. Les couleurs, à la fois sobres, dans leur apaisante tranquillité, mais aussi excitantes, dans la gourmandise de l’éclat des fleurs, étaient à l’image du lieu : paradoxal et fascinant.  
Un frisson naquit dans la nuque de Sara ; agréable et tendrement envahissant, il vint se perdre dans le bas de son dos. Elle se laissa aller complètement à ses sensations. Depuis trop  longtemps elle n’avait plus pris soin d’écouter son corps…Sa respiration s’accéléra doucement. Sans s’en rendre compte, elle serra plus fort l’encolure du cheval. L’étalon broncha légèrement pour signaler qu’il n’appréciait pas cette brusquerie. La jeune femme posa une main apaisante sur son destrier, tout en lui murmurant un tranquillisant « Désolé Welad »  à l’oreille.
Le cheval souffla, signe que les excuses de la femme étaient acceptées. Semblant grommeler intérieurement, il continua à descendre la pente du chemin forestier. Quelle corvée que de devoir supporter ces humains et leurs rudesses…
Sara et sa monture empruntaient le petit sentier sinueux depuis le début de l’après-midi. Elle adorait se perdre au milieu de la forêt. C’était un tel apaisement pour son corps et son esprit… qu’elle ne pouvait que rarement profiter malheureusement ! La jeune enseignante de philosophie du Collège de Nol, n’avait que très peu l’occasion d’échapper à la petite routine de son métier. Venir ici était un véritable bouffée d’oxygène. Au sens propre du terme, comme au figuré.
Au hasard d’un tronc, le son clair et limpide d’un ruisseau, vint perturber la douce musique du chant des oiseaux. Et le vent, puissant, qui se manifestait avec de plus en plus de vigueur, venait apporter à l’ensemble des sonorités à la fois graves et aiguës. L’eau était pure et fraîche, et Sara y laissa Welad s’y désaltérer quelques instants.
La jeune femme se redressa sur sa selle,  et ferma les yeux, ramenant le haut de son visage dans la capuche qui la protégeait. Elle inspira intensément. Des milliers d’odeurs envahirent ses narines et se diffusèrent dans tout son être. Un intense sentiment de bien-être et une douce euphorie s’insinuèrent en elle, éveillant une exultation intérieure intense. Les senteurs de l’humus mouillé, fraîches, côtoyaient celles, chaudes, des champignons, et encore d’autres, infinies, des innombrables plantes. Les fragrances émanaient de chaque graminée, arbuste ou du moindre petit brin d’herbe. Toutes différentes. Toutes complémentaires. Toutes magiques. Au pouvoir revigorant et vivifiant instantané.  
C’était un paysage presque utopique, de par sa si saine beauté. Toutes ces gouaches naturelles, peintes par une artiste aux mains d’ange, étaient magnifiques dans leur si pure féerie. Du vert partout, qui scintillait, comme une émeraude, le bijou étant sublimé par le marron sombre des écorces, et les minuscules points de couleurs vives des fleurs, disséminées un peu partout.
Tout ici n’était que merveilles et prodiges. La Nature était une artiste complète. Une amante dont l’amour était l’inspiration de ses chefs d’œuvres. Tantôt musicienne, d’autres fois peintre, puis parfumeuse, cuisinière, sculptrice, écrivaine, ou grande poète ;  danseuse et chanteuse, elle murmure ses mélodies et déclame ses vers à tous ceux, et celles, qui prenaient le temps de la comprendre. Et de partager avec elle la complicité et l’amour qu’elle offre.
La luminosité aurait du être extrêmement sombre, à cause de la hauteur disproportionnée des végétaux. Il n’en était rien. Le vert émeraude de l’infini tapi mousseux  recouvrait tout, cachant même le sol. Il semblait briller, reflétant sa luminescence sur les arbres et les feuilles, comme si un magicien avait lancé un sort sur les lieux.  
Un bonheur et une tranquillité découlaient de toutes choses en cet endroit si féerique. Pour beaucoup de gens, ceux qui ne prenaient pas le temps de s’arrêter tout simplement, tout ici était sale et insignifiant. Quelle tristesse….
Une goutte d’eau fraîche chuta sur le nez du professeur de philosophie du Fort Hérémos. Et la fit sursauter. Une fine bruine commençait doucement à tomber au travers des branches des végétaux. Chacune des gouttes étaient uniques. En chutant sur les feuilles, la mousse, le lichen et le bois, elles produisaient des notes. Une mélodie, une musique… les instruments se mélangeaient, s’associaient, s’harmonisaient en de délicats airs réconfortants et apaisants…
La Symphonie… La Symphonie de Sonaruo… songea Sara.
Avec un sourire à la fois nostalgique et narquois, elle se rappela à quel point cette vieille légende avait pu la fasciner, étant enfant. Elle revenait à la mode d’ailleurs, ces derniers temps, dans les discutions entre membres de la Communauté. Elle avait ouï dire dernièrement, au travers des couloirs, que des nouveaux textes d’Antoine Nöllopa auraient été découverts dans l’Anyon. Et ils concerneraient les musiciens mythiques qui auraient façonné notre univers…  
Si les rumeurs étaient fondées, ces écrits jetteraient encore plus de discrédit sur une religion déjà à l’agonie. Jacques Rieffag, le Recteur avait –parait-il- cherché à ébruiter l’affaire, mais il était déjà trop tard, le mal était fait. Les radômes se répandaient vites…
Un peu partout à travers le monde, des pseudos archéologues fouillaient déjà tous les lieux supposés abriter les instruments légendaires. Encore une passade… songea Sara. Dans un an tout ceci sera retombé dans l’oubli et l’on ressortira de derrière les fagots un nouveau texte du maître… Pour redonner de l’importance à Fort Hérémos.
La lumière se fit à la fois plus vive, mais terne en même temps. La forêt s’ouvrait sur une clairière qui faisait ressortir le gigantisme des arbres. Elle offrait à la jeune femme un moment de clarté qu’elle semblait apprécier pleinement. Le vieux chemin de terre qui serpentait entre les racines, s’élargissait en une route un peu plus praticable. Une centaine de mètres plus loin, il sortait définitivement de la forêt pour rejoindre la route côtière de Fort Hérémos. Les arbres étaient plus espacés et de moins en moins hauts. La mousse semblait se faire plus rare. L’Océan était tout proche, d’ailleurs une bouffée d’air marin, gonflée de passion océanique, s’infiltra dans la douceur apaisante de la forêt.
 La lumière commençait doucement à décliner. C’était le début de l’automne et les jours commençaient à se raccourcir sensiblement. La nuit n’allait pas tarder à tomber. Sara devait revenir au Fort Hérémos avant le coucher du soleil. Les moines de la Communauté Nöllopéenne avaient des horaires de repas très stricts et précis, et même les enseignants du collège de Nol devaient s’y conférer -et surtout les respecter. Sara n’aimait pas trop ces manières trop étouffantes –pas du tout à vrai dire-, mais elle devait aux Nöllopéens l’immense privilège de pouvoir vivre au Fort Hérémos, et d’avoir accès à l’Anyon. Et ça c’était exceptionnel.
 La bruine qui avait commencé à tomber tout à l’heure, s’était stoppée aussi vite qu’elle avait débutée. D’ailleurs le soleil perçait à travers les nuages maintenant. Elle n’apercevait pas la fantastique boule de feu de là ou elle se trouvait, mais on distinguait ses rayons, qui arrivaient quand même à passer au travers de quelques arbres. Le ciel commençait doucement à virer au foncé par l’Est. Elle tourna son regard à l’opposé, vers l’Ouest. Les nuages y étaient décidément bien sombres, allant de toutes teintes de gris et de bleus en passant par des reflets jaunes et verts. Un orage se préparait, et d’une grosse ampleur. Une raison de plus pour se dépêcher de rentrer.
Elle rabattit sa capuche en arrière, dévoilant sa chevelure rousse et frisée. Elle n’avait que si peu de temps libre pour venir profiter de la bienfaisance de la Nature... Ses cours au Fort Hérémos occupaient la moitié de son temps, et comme le climat n’était que trop rarement clément ici, oscillant entre vent, orages, et froid, elle occupait ses heures perdues à jouer de la lyre… et à lire !
 
« Hé bonjour ! »
Sara sursauta et se tourna prestement sur la selle, pour voir arriver une silhouette derrière elle. Elle fit pivoter Welad, et mit sa main sur sa cuisse, là ou pendouillait une fine dague. Derrière elle, sur le chemin qu’elle venait d’emprunter, une silhouette arrivait d’une démarche preste et assurée. A en juger par la trace noire qui lui entourait les joues, c’était un homme.
.  
La jeune femme avait l’impression que la personne amplifiait tout ce qu’elle faisait. Il était encore à une vingtaine de mètres d’elle, mais elle entendait le moindre de ses petits bruits. Comme si elle était un être miniature perché sur son épaule. Les sons que produisait chaque foulée étaient agréables et pénétrants. En parfaite harmonie avec le suave chant des oiseaux.  Et la douce mélodie, captivante et reposante, du vent qui soufflait de plus en plus fort, se frayant un chemin à travers le labyrinthe des feuilles et des branches.
Il fermait ses yeux assez souvent,  semblant y voir mieux encore que s’il les avait ouverts. Il passait, entre l’enchevêtrement que formaient les innombrables arbres et divers végétaux, avec une aisance rare. Comme si une carte était tatouée à l’intérieur de ses paupières, et qu’il lui suffisait de les clore pour la consulter.
« Hé bonjour ! Bien le bonjour ! » répéta l’inconnu, d’une intonation ne laissant transparaître aucune animosité. Elle était même sincèrement accueillante, comme s’il la recevait chez lui. Sara se raidît sur sa selle. Méfiante, empoigna le manche de son arme, sans toutefois la sortir de son fourreau. Les voyageurs sont rares en ces parages et surtout à pied qui plus est ! Elle considéra l’étranger qui arrivait en avalant nerveusement sa salive.
« Bien le bonjour belle dame. Oh l’heureuse rencontre en ces lieux… comme qui dirait…Oh oui, assurément. Heureuse rencontre. »
L’homme s’arrêta à quelques pas seulement du cheval, qui recula nerveusement. Il arborait des cheveux noir foncés et ondulés. Très longs, ils lui descendaient autour des deux cotés de son long visage, en cachant ses oreilles. Heureusement que sa légère barbe grisonnante étoffait un peu la forme très rectiligne de ses traits ! Sinon Sara eut bien l’impression qu’elle se trouvait en face du Dermiel, le mythique lutin des forêts, qui l’avait terrorisée, durant toute son enfance. Mais celui qui se tenait en face d’elle n’avait rien de très farfadet.
 Au-delà de son aspect peu attirant, l’homme était loin de la laisser indifférente. Sans qu’elle sache réellement pourquoi au fond. Peut-être à cause de cette impression de passion se dégageait de lui ? Elle secoua intérieurement la tête et se fustigea d’avoir de telles idées. Cet homme était laid et repoussant.
Ses yeux, tellement enfoncés dans ses orbites, donnaient presque l’impression qu’il en était dénué. Son regard était difficilement visible derrière ses épais sourcils. On ne percevait à peine que le fin mouvement de ses paupières qui clignaient sans cesse.
Ses vêtements de forestier, plutôt sales et abîmés -voire loqueteux- contrastaient avec cette indéniable noblesse dans la démarche. Il tenait avec pugnacité un bâton, dans sa main droite. Un bout de bois finement sculpté et magnifiquement ouvragé, semblant être une véritable prolongation de sa main. A sa gauche, une épée dans son fourreau pendouillait, presque nonchalamment sur sa cuisse, attachée à sa ceinture. Une minuscule dague y était aussi fixée tout comme de nombreuses petites poches de cuir. Il portait sur son dos un léger sac de voyage qui ne semblait contenir que le strict minimum.  
En entendant l’homme tousser, Sara réalisa soudain qu’elle l’observait en silence depuis assez longtemps. Derrière sa barbe rêche, elle crut lire sur ses lèvres un instant, une moue malicieuse. Il posa son sac à terre, et essaya de se tenir le plus droit possible, arbora un air impénétrable en souriant. Ses traits durs et anguleux, amplifiaient le peu de sincérité qui se dégageaient de cet amusement forcé.
Les deux personnes gardèrent le silence. Le vent se leva alors doucement, comme emportant avec lui certaines notes et en emmenant de nouvelles… Il semblait qu’un instrument inédit venait s’insinuer dans la litanie… un instrument crée par le côtoiement des trois autres… Une mélodie plus un autre. Elles formaient non pas un mélange des deux, mais une toute nouvelle musique. L’union des deux talents les a dépassés… L’homme tourna soudain la tête derrière lui, comme s’il était aux aguets. Il regarda avec suspicion, humant l’air un instant, puis sourit et se retourna vers Sara. Il ouvrit un peu plus ses yeux, essayant d’écarquiller ses paupières au maximum. Elle ne distinguait toujours pas ses pupilles mais elle les savait très… dérangeantes.
« Je sais que suis très beau madame, mais je vous en prie, arrêtez donc de m’observer avec tant d’ardeur ! J’ai l’impression d’être un morceau de viande face à vos yeux inquisiteurs. » lança t’il en rejetant nonchalamment son manteau en arrière.  
« Oh, excusez-moi, je… la rime m’a échappé… mais qu’il est jouissif de s’en délecter. » dit il paisiblement d’un accent cultivé. Il sourit de plus belle, et alors cette lueur dans ces yeux, brilla avec aigreur. Il eut un tic agacé avec son nez, alors qu’il s’observait les pieds d’un air lugubre.
Sara sentit la peau de ses joues devenir cramoisies. Elle se contenta d’avoir un sourire gêné, avant de détourner les yeux. L’homme la perturbait, mais elle n’arrivait à dire pourquoi. Elle posa la main sur l’encolure de Welad, comme pour y puiser de l’énergie. Ou se rassurer ? Mais le nervosité du cheval transparaissait aussi sur sa peau. Une impression piquante et désagréable la titillait, quelque part au fond d’elle-même. Elle s’éclaircit la gorge, et essaya de prendre une voix sure :
« Mademoiselle, cela suffira je vous prie. »
Un horrible pressentiment l’envahit alors que son interlocuteur eut un sourire ironique. Il se baissa en une révérence théâtrale, faisant une courbette ambiguë. Les os de son bas de dos, craquèrent, et un « oh » de douleur se peignit sur son visage. Il se redressa en se tenant les reins, tentant le plus possible de sourire. Visiblement il jouait la comédie, pourtant ses manières n’avaient rien d’un bohémien inculte.
« Très bien, mademoiselle. Mademoiselle, oui, c’est bien… comme qui dirait…Très bien… » fit il sur une tonalité enjôleuse.
Ce n’est qu’un vagabond, songea Sara, pour se rassurer. Un vagabond qui veut te mettre mal à l’aise.  
Il se releva et plongea ses pupilles dans celle de la jeune femme. Sara ferma nerveusement les paupières, et les rouvrit instantanément. Son regard tel, des flèches s’accrochait à tout ce qu’il pouvait trouver pour ne plus le lâcher.
« Très bien. Mademoiselle. » Répéta t’il sur un ton devenu oppressant. Son visage était laid sans être répugnant au fond se dit Sara. Mais ses yeux étaient horriblement effrayants… et attirants. Non ! Non, ce n’est pas vrai ! Son regard, aussi vide que la nuit était sombre et pure, ne laissait rien ne transparaître de lui, aucune émotion.  
Sara se battait avec elle-même. Elle ne pouvait pas être attirée par cet homme. La folie qu’elle avait entre aperçue s’était envolée, pour faire par au néant le plus total. Elle ne voyait pas la couleur de ses pupilles. Mais elle les trouvait déjà effrayantes. Soudain mal à l’aise, elle cligna des yeux, puis baissa la tête le temps de souffler quelques instants. Pourquoi tant de doutes ? Cet homme est… Son souffle s’accéléra soudain. Un murmure avait semblé trotter dans sa tête, et essayé de se frayer un chemin dans son être.
« C’est vous qui déclamiez de si jolies phrases tout à l’heure ? » s’enquît l’homme d’un ton léger. Sara dressa les sourcils. Ou il se gaussait d’elle, ou il l’avait suivie dans les bois ! Elle préférait encore la première solution.
« Heu… et bien oui » répondit elle, surprise par le ton séducteur. Après un court silence, elle repris : « Comment avez-vous pu m’entendre… je murmurais à peine ? »
L’homme eut un rire éraillé, et il bascula sa tête en arrière.
« Je ne vous ai pas entendue… je vous ai perçue disons. »
« Perçue ? » s’étonna Sara en dressant les sourcils.
L’homme se contenta de hocher la tête en silence. A nouveau un chuchotement vint chatouiller les oreilles de Sara. Il y avait plusieurs voix cette fois-ci, comme si de minuscules créatures venaient lui parler à l’oreille. Nerveuse, elle tourna la tête de droite à gauche. Le cheval trépignait de plus en plus, et elle essaya de le calmer en posant une main rassurante au dessus de sa tête. L’homme avait croisé les bras, ce qui lui donnait encore plus d’ampleur qu’auparavant. Il se dressait devant elle avec arrogance à présent. Elle le trouva plus grand, et que son aura s’étalait de plus en plus sur elle.  
« Qui êtes-vous ? » cria presque Sara, pour tenter d’oublier son malaise et retrouver un peu d’assurance.
L’homme eut un regard déçu en se désignant de la main. « Moi ? Oh c’est à moi que vous parliez ? » Faussement étonné, il s’amusait visiblement de la situation. Avec indolence, il poursuivit :  
« Oui, bien sur c’est à moi. Oui bien sur. Bien sur. » Il tourna sa tête de droite à gauche. « Hé bien… hé bien…comme qui dirait…Disons que je suis celui qui devait être ici même pour vous rencontrer avant que vous ne partiez. Je suis celui que vous deviez croiser et avec qui vous deviez avoir cette conversation, à cet instant précis. Je ne crois pas au destin, mademoiselle, mais je crois que nous étions faits pour nous croiser, et ici même. Mais qui je suis n’a aucune importance, vous savez, les arbres se fichent totalement de savoir comment je m’appelle pour me parler.»
Sara considéra son interlocuteur un instant. Fallait-il rentrer dans son stupide jeu, ou s’évader le plus vite possible de cette conversation ridicule ?
« Je ne suis pas un arbre. » repris Sara avec une expression farouche.
« Certes… » Fit l’étranger, évasif, en perdant son regard dans le ciel.  
« Mais vous me parlez. » Il abaissa sa tête en un mouvement vif et rapide. « Alors, comme qui dirait, comprenez que je vous associe à ces fiers végétaux. D’ailleurs vos cheveux ont la couleur et la forme exacte d’une fleur rare que l’on ne trouve que dans ces forêts nordiques… »
« Abrégez, je vous prie. » coupa Sara.
L’homme ignora la réplique et poursuivit, complètement obnubilé par ses mots.
« Oh tiens, je ne me souviens plus du nom de cette plante… Tiens oui, c’est étrange, elle est semble t’il sortie de ma mémoire… comme qui dirait… »
Les voix grincèrent à nouveau dans la tête de Sara. Le cœur battant, elle cria :
« Abrégez ! »
« Conduisez-moi au Fort Hérémos. » coupa sèchement l’homme, sur un ton insistant, et presque sans aucune contestation possible.  Il n’avait même pas laissé à Sara le temps de finir son mot. Comme sonnée, elle le dévisagea avec de grands yeux ronds, et mit du temps à articuler quelque chose.
« Pardon ? » fit elle, incrédule et anxieuse. Elle commençait à être rongée d’une sourde angoisse.
« Oh… excusez-moi… comme qui dirait…je me suis égaré… Oui, vous savez, à mon âge, les choses ne sont plus ce qu’elles sont pour les gens tels que moi. » Il prit un air fataliste, puis sourit. Derrière le hallier de poils drus, des dents blanches et apparurent.
« Excusez-moi, je reprends. » fit il narquoisement.
L’homme recula de quelques pas et bomba son torse, il prit son bâton, et étira ses deux mains en une croix imaginaire. Puis il fit une révérence exagérée en se baissant plus que nécessaire.
« Gente demoiselle à l’insolente et belle chevelure rousse, auriez vous l’extrême amabilité de conduire le pauvre être fatigué que je suis, jusqu’au au lieu que l’on nomme Fort Hérémos ou je dois me rendre le plus rapidement possible. J’ai… beaucoup de choses à y faire…»
Sara ne savait que dire. Tous ses sens lui picotaient, et elle commença à faire chair de poule. Ce n’est que la température qui baisse et le vent qui s’amplifie…
 Elle leva ses yeux pour voir le soleil décliner, et essaya de perdre ses pensées brumeuses en s’abîmant dans la contemplation du ciel. Elle commençait à se dire qu’elle avait réellement le chic pour attirer les originaux…
« Pourquoi voulez-vous aller à Fort Hérémos ? » demanda t’elle, sans détourner son regard de la lumière qui passait à travers les arbres.
« Suez. » tonna t’il.
Sara se tourna vers l’homme, interloquée.
« Suez ? Quoi Suez ?»
L’homme sourit de toutes ses dents. Son dur visage métallique et tellement froid semblait empli de folie… et d’une noirceur qu’elle masquait. Il la dévisagea avec  dureté, alors que la jeune femme n’en finissait plus d’essayer de se persuader à elle-même qu’elle devait partir.
« Oui, Suez, c’est ainsi que l’on me nommait…autrefois. »
Sara fronça les sourcils. L’homme ne lui laissait même pas le temps de finir ses phrases. Elle avait une furieuse envie de laisser l’homme planté là, mais sa volonté semblait l’avoir abandonnée.
« Autrefois ? Comment ça autrefois ? Je… je me fiche de votre nom !» lança Sara en commençant à trembler. L’homme transforma ses deux sourcils en accents circonflexes.
« Oh vous savez, je suis très âgé…  et autrefois, il y a bien longtemps, on m’appelait Suez. » Il poussa un long soupir empli de nostalgie.  « Oui, c’est ainsi que l’on m’appelait… Vous me l’avez demandé tout à l’heure d’ailleurs. Mais vous savez, le temps suit son cours, et les noms…tombent parfois dans l’oubli. Ils resurgissent, tantôt… Oui… mais…»
« Vous êtes fou.» trancha rudement Sara. Un frisson glacial la parcourut. Welad s’impatientait et trépignait sur place. Lui aussi semblait bloqué. Ses sabots fouettaient la terre nerveusement, et il commençait à hennir.  
« Et d’ailleurs je vous ai seulement demandé qui vous étiez. Je ne vous ai pas demandé votre nom. » Poursuivit Sara, en tentant de calmer son destrier. S’occuper de son cheval la détachait de sa contemplation médusée de l’homme.
« Certes… » souffla t’il, de plus en plus insaisissable. Il observa l’animal, comme soudain fasciné, il inclina sa tête à droite, puis à gauche. Puis à nouveau à droite. Petit à petit, l’étalon se calma.
« Oh, la folie, mademoiselle, est quelque chose de bien étrange en ce monde… Très vaste… Vous devez en savoir quelque chose … non ?… » dit il sans le lâcher des yeux.
L’homme sembla hésiter un moment, comme s’il cherchait une information à travers les pupilles de l’animal.
« Mademoiselle la professeur de philosophie ? » déclara t’il en relevant sèchement le regard vers Sara.
La femme eut un hoquet de surprise. Elle tressaillit autant que s’il lui avait enfoncé les doigts dans ses côtes. Mais qui était cet homme ? Elle fronça les sourcils. Et ne répondit  rien. Elle voulait dire quelque chose, mais elle n’arrivait plus à parler. Suez sourit de plus belle.
« Oh, là vous devez vous demander sans doute comment je peux connaître tant de choses…non ? » Il eut soudain l’air étonné. Il commença à marcher vers Sara et sa monture, d’un pas raide et lent. La jeune femme n’eut aucun mouvement de recul.  
« Et bien disons que j’ai des intuitions très fortes. » Il sourit encore une fois et se mit à faire le tour du cheval, comme s’il voulait voir la personne à qui il s’adressait sous toutes ses facettes. Sara sentait que quelque chose la malaxait, quelque part dans son être. Elle ne bougeait plus du tout. Une boule se forma dans son estomac.
« Vous jouez de la musique. » déclara glacialement l’homme. Sa voix se fit plus pressante. « De la lyre. » dit il en pointant son index vers la femme. Les yeux perdus dans le vague, Sara n’eut aucun mouvement. Tous les muscles de son corps se contractaient, et une douleur piquante s’infiltra dans son crâne. L’homme lui jeta un regard acerbe.
« J’adore la lyre. » se délectait Suez en esquissant un sourire. « J’en joue moi aussi vous savez. »  
Il se trouvait à présent derrière la femme, qui respirait de plus en plus rapidement. Elle entendait résonner dans sa tête les battements de son propre cœur, qui s’amplifiaient, envahissant tout, pour se diffuser petit à petit dans chacune des parties de son corps, au rythme de la voix de Suez. La douleur dans son crâne s’était transformée en une désagréable présence intérieure. L’homme se mit à caresser Welad, et en revenant se placer devant Sara, sa main effleura la cuisse de la jeune femme. Elle frissonna de tout son corps, mais n’osait plus bouger.
Son regard plongea instantanément dans les yeux de Sara, sans que celle-ci ne pus faire quelque chose pour l’éviter. Et ces yeux traversaient tout. Elle voulut fermer les paupières, mais elle n’y arrivait pas, elle n’avait plus leur contrôle !
Face à elle, Suez, n’était plus qu’un immense poison qui s’insinuait petit à petit dans ses veines. Subtilement, avec douceur…
« Oui voyez-vous…car comme qui dirait… »  
Sa voix devint un sifflement reptilien. Paradoxalement, elle avait des intonations roques, et sourdes. Le son se répercutait dans le crâne de Sara, comme s’il était soudain devenu creux. Suez réfléchissait et hésitait, son visage prenant un air de plus en plus concentré et intense. Ses traits se tendirent au ralenti, et son visage semblait se préparer à une métamorphose. Il puisait quelque chose, quelque part, au plus profond de son être. Mais Sara ne le voyait ni ne l’écoutait plus. Elle ne distinguait que ses pupilles qui s’amplifiaient démesurément.  
« Je suis même capable de savoir comment vous vous appelez en lisant dans vos yeux.... »  
Elle sentait dans son esprit quelque chose qui la touchait, la caressait, la soupesait et s’amusait à fouiller en elle. Doucement, avec une délicatesse presque sadique, c’était comme si l’on ouvrait tendrement son cerveau… avec amour… pour l’embrasser et voir de quoi il était constitué.  
« C’est très important vous savez les yeux, je peux tout savoir à travers eux. »
Ils étaient blanc les yeux de cet homme, oui totalement blancs, Sara les distinguait à présent. Elle ne voyait plus qu’eux, et ses pupilles… infimes grains rouges dans un océan pur… Ses pupilles, oh… ses pupilles, elle ne voyait qu’elles !
 Une voix dérangeante et écrasante résonnait dans toute sa conscience, mais elle ne comprenait pas ce qu’elle disait, elle parlait trop doucement, et elle était trop aiguë, tantôt trop grave, puis d’autre fois trop forte, ou trop lourde. Elles étaient même plusieurs parfois. En face d’elle, la tête de Suez n’était plus à présent, qu’une intense déclaration de peur et de haine, son, visage -et ses traits- se déformait à une vitesse monstrueuse. La respiration de la jeune femme s’accéléra encore… et tout s’arrêtât subitement.
Suez tourna la tête à droite. Un chien venait d’aboyer dans le lointain. Puis, un autre, un peu plus proche cette fois-ci, et un troisième. Des cris humains se firent entendrent. Des chasseurs. Dans les feuillage, un oiseau s’était envolé, faisant bruisser les feuilles. Sara baissa lentement la tête, libérée d’un poids énorme. Comme sortant d’une plongée en apnée, elle eut du mal à reprendre son souffle. Elle réussit enfin à fermer ses yeux. Elle se sentait à nouveau maîtresse d’elle-même.  
Suez n’avait pas quitté des yeux l’orée des bois. Un premier cavalier sortit, habillé de rouge et de vert. Il observa un instant les deux personnes, puis un deuxième homme survint à côté de lui, sortant des arbres. Il stoppa son destrier et interrogea son compagnon du regard.
Ils regardèrent en arrière, puis s’avancèrent vers Sara et Suez. La jeune femme souffla intérieurement. Ce n’était peu être pas les gens qu’elle portait le plus dans son cœur qui arrivaient… mais ils avaient eu le bonheur de la sortir d’une mauvaise passe. Des soldats du Romir, semblait-il, à en juger par leurs couleurs. Elle en eut la confirmation quelques secondes plus tard, lorsque qu’une troupe de cavaliers déboucha de l’orée du sous-bois, suivis d’une meute de chiens. Les princes étaient partis à la chasse, et ils rentraient.
« Olà ! Qu’est-ce qui se passe ici ! »
Deux militaires entourèrent Suez en pointant leurs lances sur ce dernier. En souriant narquoisement, l’homme leva les mains et laissa tomber son bâton à terre. Les deux hommes dévisagèrent Suez avec suspicion. Il croisa un dernier regard ambigu avec Sara, puis baissa les yeux en serrant les dents.
« Des problèmes mademoiselle ? »
Encore toute abasourdie, Sara bougea sur sa selle afin de trouver une position plus confortable, puis elle recula pour venir se placer à côté du soldat qui l’avait interpellée. Elle devait avoir gardé le silence sans s’en rendre compte, puisque le militaire répéta sa question. Semblant sortir d’un rêve, elle se redressa le plus possible sur sa selle.
« Non non… » Fis-t-elle un peu évasive. « Ce voyageur me demandait son chemin. » conclu-t-elle devant le regard peu convaincu de l’homme. Elle se tourna vers Suez, mais l’étranger gardait sa tête baissée. A quel jeu jouait-il ?
 « Et bien, les soldats du Romir protègent les Nölloppéens à présent ? Qu’est-ce que ceci ? Que se passe t’il ici encore?»
Un jeune homme à la longue crinière dorée s’avança d’un air  insolent vers Sara, en sortant de l’attroupement qui s’était formé autour de la jeune femme. Le destrier qu’il montait, une jument au magnifique pelage blanc, lui donnait un indéniable port royal. Il avait du mal à maîtriser son cheval, visiblement aussi fougueux que son cavalier. Les yeux dorés du jeune homme brillaient d’une étrange lueur hargneuse. Avec un regard sévère, il se planta devant l’enseignante. Noir était son manteau de zibeline. Aussi sombre que ses cheveux pouvaient être étincelants.
« Je ne fais pas partie de la Communauté. » répondit froidement Sara en dévisageant le visage d’ange qui se tenait devant elle. Qu’il était beau, c’était indéniable, c’en était même troublant. Rasé de frais, et les joues rosies par le froid et l’effort, son visage fin évoquait les doux traits des elfes. A l’époque où ils n’étaient pas ce qu’ils sont devenus aujourd’hui, songea Sara.
La mâchoire du jeune homme se souleva en un rictus d’énervement, et l’ange laissa place à sa partie démoniaque. Ses traits se muèrent en une exécrable dignité exacerbée.
« Travailler avec les Nöllopéens vous aurait-il fait oublier la politesse et la décence, pour ne même pas saluer l’héritier Romir ? » tonna t’il sèchement avec un rictus méprisant.
Sara baissa les yeux. Elle n’aimait pas se montrer soumise –surtout face à ce gamin de dix-huit années-, mais riposter au Prince Romir pourrait presque déclencher un incident diplomatique. Même si la famille royale n’était plus que la pâle ombre de ce qu’elle avait été autrefois… Et même si elle ne leur devait aucune allégeance d’ailleurs. Mélian lança un coup d’oeil dédaigneux sur Suez.  
Sara eut un regard circulaire en direction de la troupe qui l’accompagnait. Le jeune homme rentrait visiblement bredouille de la chasse. Déjà porteur d’un caractère impétueux, ses nerfs étaient à vifs. Et sa frustration sublimait ses défauts.
« Prince Mélian. » souffla Sara en baissant la tête. « Veuillez m’excuser. » dit-elle d’un ton neutre.
La troupe de cavaliers comptait bien une quinzaine d’hommes, et presque autant de chiens de chasse. Les molosses s’approchèrent en grognant de Suez. Ils commencèrent à le renifler, lorsque le voyageur tourna la tête vers le leader des dogues. Le chien recula, d’abord en retroussant ses babines, et en grognant ; puis il partir en couinant, la queue entre les jambes. Sa meute le suivit sous les regards interloqués des soldats.
« Même les chiens le trouvent répugnant. » murmura Mélian en persiflant. « C’est à un bien drôle d’être que vous parliez ! » Les deux soldats qui tenaient Suez en joue, avaient les plus grandes difficultés à tranquilliser leurs chevaux. Sans que l’étranger esquisse le moindre mouvement, ils piétinaient la terre avec leurs sabots. Mélian eut un sourire exécrable, et se retourna vers Sara, une moue dubitative sur les lèvres. Il ri avec un amusement sadique.  
 « Vous avez réellement de la chance d’être belle et très attirante vous savez, sinon je crois bien que nous vous aurions laissés aux bons soins de ce gentilhomme. » Il désigna Suez du doigt. « Regardez comme il est beau ce monsieur avec ces longs cheveux graisseux et sa vieille barbe rêche. »  
Le débit de sa voix s’accéléra. « N’est-il pas séduisant avec sa livrée impeccable ! Quel tissu magnifique ! »  Mélian commença à parler avec plus de frénésie et d’excitation. Il se raidit sur sa selle. « Que voulait-il mademoiselle Mylegna ? Vous prendre votre bourse ? Sans doute ! Admirer vos yeux ? Certainement ! Vous violer ?  Absolument ! » exulta t’il.
Le regard fou, Mélian, éclata d’un ricanement mordant et tonitruant. Quelques rires résonnèrent parmi les soldats du prince. Un autre homme, un peu plus jeune que Mélian gardait une mine sévère et désolée. Il s’agissait de Serys, le frère cadet du prince. Basané, les cheveux sombres, et le visage anguleux, il ne ressemblait pas du tout, physiquement parlant, à son frère -si ce n’est les boucles de leurs cheveux. D’ailleurs le cadet avait préféré s’habiller en lainages et cuir, plutôt que de se couvrir outrageusement -et luxueusement- comme son frère. Il tenait à marquer sa différence, jusque dans sa façon de s’habiller. Il fronça les sourcils mais ne dit rien.
« Il me demandait son chemin. » répondit placidement Sara, alors que Mélian se retournait à nouveau vers elle. Le prince eut un ironique coup d’œil en biais, en direction de Suez.  
« Ah oui ? » fis-il d’un ton aigre. « Mais un vagabond ne demande jamais son chemin, puisqu’il ne sait jamais ou il va. » Il ria à nouveau, mais personne ne le suivit dans son hilarité cette fois-ci. Solennellement, il s’approcha du voyageur, pour lui tourner autour avec son cheval. Suez ne réagit pas et garda sa tête vers le sol, comme un supplicié attendant son jugement. Ses longues mèches lui tombaient devant le visage, masquant une partie de son regard.
« Ou veux tu aller vieillard ? » apostropha Mélian d’un ton véhément.
Suez resta immobile et impassible. Mélian souffla. Chacun jouait avec l’autre, et dans ce jeu pervers, il n’y aura de vainqueur que le plus subtil… Agacé, Mélian croisa les yeux avec son frère un bref instant, ignorant le regard réprobateur de ce dernier.
« Ou veux-tu aller ?! » cria l’hériter.  
Son cheval se mit à hennir. Devant le mutisme de Suez, Mélian vira au rouge pivoine.
« Par la vessie d’un sanglier Seissanien, réponds- moi ! » Postillonna-t-il en dégainant son épée. « Je suis l’héritier du Romir, réponds-moi !! »
« Mélian ! » Laissa échapper Serys sur un ton lourd de reproches.
Le prince posa son arme à quelques centimètres du front de Suez. C’est alors que le voyageur remonta la tête, d’un mouvement rapide et vif. De ses deux grandes orbites caverneuses, une incroyable intensité vint traverser les pupilles de Mélian. L’héritier avala sa salive, et resta bloqué de stupéfaction. Le visage de Suez, totalement impénétrable, n’avait pas besoins de mots pour effrayer. Le prince, déstabilisé, fit reculer son cheval. Toute l’assistance se tu un instant.
 
« Laissez-le, il est sourd. » trancha Sara d'une voix peu sure.  
Tous les regards –hormis Mélian- se tournèrent vers elle. « Et il ne sait pas parler. » bégaya-t-elle.
Serys s’approcha.  
« Vraiment ? » rétorqua-t-il d’une voix calme. « Comment a-t-il pu vous demander son chemin dans ce cas ? » demanda t-il, finaud.
Sara réfléchit à toute allure. Mélian, toujours figé sur Suez, n’avait pas pipé mot depuis tout à l’heure. Son épée se baissait lentement vers le sol.
« Certaines choses se comprennent très bien à travers les yeux. » fit Sara, solennelle.
Serys hocha plusieurs fois de la tête, le regard empli de sous entendus. Il approcha son visage de Sara, et parla d’une voix plus basse : « Veuillez excuser la frénésie de mon frère, sa frustration de ne pas avoir trouvé du gibier le rend parfois… insaisissable. »
Serys avait des yeux d’onyx sombres et glacés, contrastant avec la douceur mélodieuse de sa voix. Il était diablement convainquant.
« Mélian ? » fit il l’air altier. Et son regard, pris à ce moment une tournure si dure, que Sara en fut un instant troublée. Si Mélian était empreint d’une colère extravertie, celle de Serys, était plus sourde, silencieuse, mais toute aussi dangereuse.
« Mélian ? » répéta Serys devant le silence de son aîné.
Le  prince lâcha enfin Suez des yeux, et c’est le regard  errant qu’il se tourna vers son frère. Suez l’avait déboussolé à lui aussi. Sara frissonna alors qu’une bourrasque de vent souffla dans la clairière.
« Oui. » bégaya l’héritier.
Serys ne parut pas noter le mal être de son frère.
« Nous devrions revenir au Château. Je crois que père a de la visite aujourd’hui. Un certain baron des contrées du nord…Ce serait faire disgrâce à son honneur, que de ne pas être là à ses côtés pour accueillir notre visiteur. » Sara observa furtivement Suez, mais détourna aussitôt son regard. Est-ce que c’est son imagination ou la sincérité dans la voix du jeune prince n’était qu’une illusion ?
« Oui. » Mélian, ferma un instant les paupières, et se frotta le crâne. « Tu as raison. » fit il la voix un peu vague.
« Ca n’a pas l’air d’aller ? » interrogea Serys.
Mélian se massa les tempes. « Si si… » Il se redressa enfin sur son cheval, et rangea son épée dans son fourreau. Il retrouva son aspect fougueux. « C’est cette maudite chasse, et ce gibier qui se cache ! Et ce vent qui se lève ! Serys, je ne supporte pas le vent ! » lança-t-il en retrouvant toute son ardeur. « Tu as raison, il faut que nous rentrions. » conclu-t-il.
« Et cet homme… » souffla Serys, en désignant Suez d’un signe de la tête.
« La femme te l’a dit… c’est un vagabond sourd-muet et perdu. » répliqua Mélian sur un ton mordant. Suez se baissa vers son sac, pour y chercher quelque chose, totalement étranger à la scène. Mélian lui lança un bref coup d’œil en coin.
« Rentrons. » tonna-t-il. Serys hocha la tête, et il fit un signe de la main aux soldats restés derrière eux. La troupe s’ébranla à petite allure, soulevant un nuage de poussière.  
« Vous vous joignez à nous mademoiselle Mylegna ? » questionna Serys.
L’enseignante s’attendait à la demande, mais elle ne comptait pas faire toute sa route en compagnie de ces personnages. Et elle tenait à sa solitude.
« Non… merci, je vais passer par le chemin côtier. J’ai besoin d’un grand bol d’air. »
Serys hocha la tête, et il rejoint Mélian en tête du cortège. Sara eut une moue narquoise. Finalement, elle se demandait si ça avait été une bonne idée que d’accepter ce poste de professeur de philosophie au Collège de Nol. Elle soupira. Sans, sans un regard pour Suez, elle fit pivoter Welad, et s’en alla dans la direction opposée, laissant le voyageur planté là. Elle fila à bribe abattue en direction de la route côtière.
« Au revoir Sara.» murmura Suez.  
Un sourire noir sans humour aux lèvres, l’homme observait la cavalière s’en aller devant lui à une vitesse impressionnante. Déjà son image vacillait derrière les arbres. Il sortit une gourde d’eau de son sac, avec laquelle il se désaltéra. Puis il leva ses yeux vers le ciel. Un vent de plus en plus fort et lourd se levait, emmenant avec lui une ambiance de plus en plus électrique.
« Alors c’est ce soir que tu vas te mettre à jouer de ton instrument Nëmes… » dit-il le visage toujours tourné vers le ciel.  
« Très bien ce soir… » murmura t’il. « Très bien… »
Lentement, il se remit en marche. Il fallait qu’il se dépêche. Il voulait être au Fort Hérémos avant la nuit.


Message édité par Calaquendi le 03-05-2004 à 21:06:27
n°2619194
Orkin Maru​s
Arvi pâ !
Posté le 03-05-2004 à 21:07:37  profilanswer
 


  Bon, je vais lire tous ça, mais ça va être long, lol.


---------------
écrire, y'a que ça de vrai !
n°2619210
Calaquendi
Posté le 03-05-2004 à 21:09:39  profilanswer
 

Merci d'y consacrer du temps   :)  Je vais essayer de me pencher sur ton roman dès que je peux (faudra d'abord que j'imprime tout ça, j'ai un peu de mal quand il faut lire de longs paragraphes sur un écran ;) )

n°2622714
foularou
Posté le 04-05-2004 à 10:53:45  profilanswer
 

Salut Calaquendi, j'ai beaucoups aimé les chapitres que tu nous as soumis et j'attend avec impatience les suivants. J'ai noté dans ton premier post que l'ensemble des ' avaient été remplacé par des ? un probleme de police sans doute.

n°2623201
Calaquendi
Posté le 04-05-2004 à 11:43:05  profilanswer
 

Merci beaucoup d'avoir lu ce que j'ai posté  :) Pour les "'" remplacés par des "?", je ne sais pas si un problème de police ou un bug tout simplement.. je vais essayer d'arranger ça.

n°2625570
foularou
Posté le 04-05-2004 à 16:07:11  profilanswer
 

A priori plusieurs signes de ponctuation ont été remplacé par des ? ainsi que certaines lettres,  

n°2625866
The Flint
Will for ever
Posté le 04-05-2004 à 16:45:33  profilanswer
 

Salut Calaquendi.
Bon, j'ai juste commencé, mais je crois que je vais l'imprimer.
Euh, par contre, il me semble qu'il faille ingurgiter beaucoup d'information d'un seul coup.

mood
Publicité
Posté le 04-05-2004 à 16:45:33  profilanswer
 

n°2634740
foularou
Posté le 05-05-2004 à 18:39:50  profilanswer
 

Et la suite? :p

n°2635116
Calaquendi
Posté le 05-05-2004 à 19:31:07  profilanswer
 

Elle ne va pas tarder, dès que les dernières corrections auront été rapportées au chapitre suivant :p

n°2639969
foularou
Posté le 06-05-2004 à 09:46:43  profilanswer
 

bon ca va alors :p

n°2859504
Calaquendi
Posté le 02-06-2004 à 19:21:21  profilanswer
 

Avec beaucoup de retard (désolé), voici le nouveau chapitre - introducing deux nouveaux personnages importants, un cher baron, et sa fille, bien connue de monsieur Grenouille  :D  
 
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ARTHUR DEL RYM
 
 
Le Château-Séluné serait l’un des bâtiments les plus anciens du Fort Hérémos. D’après les vieux grimoire de l’Anyon, il aurait été construit par Kim Nöllopa, la fille d’Antoine, vingt années seulement après l’achèvement de la bibliothèque -et la mort de l’explorateur canonisé. Sa façade, incroyablement blanche, reflétait toute la lumière environnante, donnant au lieu une aura quasi-divine. Un très large escalier d’une dizaine de marches, menait à l’entrée du Château, passant entre la dizaine de magistrales colonnes qui soutenaient le monument.
 
Le soleil perçait à travers les nuages, venant illuminer le porche d’entrée, et réchauffant un peu les lieux battus par des vents glaciaux. En frissonnant, Ameral Agbar se tira de sa contemplation des lieux, pour rajuster le haut de son pourpoint rouge sur son cou. Placé tout en haut des marches, de façon à dominer le petit parc du Château, il  songea avec un sourire, que vu d’en bas, sa silhouette devait avoir quelque allure royale du plus bel effet. Son regard embrassait Fort Hérémos. Il inspira un grand coup, et se tourna vers le petit attroupement qui l’accompagnait d’un air hautain.
 
« Je compte sur vous pour accueillir le baron de Weischtend avec le plus grand respect possible. Le roi a bien précisé que c’était un visiteur de la plus haute importance, et qu’il souhaitait qu’il soit traité avec tous les égards qui lui sont dus. »
Un court silence suivit la déclaration. Il reprit au bout d’un moment, non sans avoir à nouveau détaillé d’un air critique ses gens.
« Accédez au moindre de ses désirs sans broncher, et veillez à ce qu’il ne manque de rien. »  
Les yeux d’Ameral passèrent sur chaque personne, un air dédaigneux ouvertement affiché. Que ce soit les jeunes pages, les vieilles bourgeoises béatement souriantes, ou les vieux nobliaux aigris, il les méprisait tous autant les uns que les autres.  
La cour du Romir… soupira-t-il.
 
« Gouverneur, connaissez-vous les coutumes de la baronnie de Weischtend, que nous puissions mettre notre visiteur le plus à l’aise possible ? » s’exclama un page enthousiaste.
Ameral considéra le garçon aux cheveux blonds, comme s’il s’était agi du dernier des imbéciles. Le sourire juvénile disparut aussi vite qu’il était apparu, devant la moue exécrable que lui offrait le Gouverneur.
 
 « J’ai quelques notions de Weischi, mais j’imagine que le baron sait parler d’autres langues. Je saurais me débrouiller avec lui. Contentez-vous d’être polis et de vous occuper de sa suite comme il se doit. »
Le jeune homme s’inclina gauchement devant le ton dur. En croisant ses bras dans ses manches, Ameral défila devant ses gens comme un général face à ses soldats. Les visiteurs officiels envers la famille royale du Romir, étaient plus que rares, et en tant que Gouverneur du Royaume, le Gouverneur, la personne la plus importante après le roi, entendait bien exécuter sa tache avec le plus sérieux possible. Il avait tenu à accueillir personnellement le baron de Weischtend.  
Un cliquetis métallique le fit se retourner prestement, échappant au tirage de langue des plus jeunes pages. Un soldat venait de monter quatre à quatre les marches, et il arrivait essoufflé pour se mettre au garde à vous devant le Gouverneur.  
 
« Monsieur le Gouverneur, le Baron arrive. »
« Bien. » jubila Ameral en se frottant les mains. « Sa suite est-elle importante ? Vos soldats les escortent j’imagine ? »
« Heu… » Le militaire toussota, et lança un regard furtif derrière lui. « Il n’a pas voulu d’escorte. »
Ameral en réprima une moue dubitative. « Comment ça ? »  
Il savait les gens du Grand Nord assez rustres, mais de là à refuser l’accueil qui leur était proposé... Il y a des limites à la politesse tout de même !  
« Il est seul monseigneur. » déclara le soldat d’un ton morne.
Ameral se raidit et ouvrit grand les yeux. Il aurait autant tressailli si on lui avait enfoncé un doigt dans les côtes. Bon sang ! Seul ! Il fronça ses sourcils en une grimace innommable.
« Seul ? » se demanda t’il, plus pour lui-même, que pour le soldat. « Comment ça seul ? » Le visage d’Ameral s’empourpra d’indignation.  « Vous êtes en train de me dire qu’un baron vient voir son roi, sans se faire accompagner de sa cour ? Mais quel genre de noble est-ce là !? » S’emporta t’il.
 
« Je ne me définis pas vraiment comme un noble. » tonna une voix ténébreuse et féline sortie de nulle part.
Ameral Agbar tourna la tête à sa droite. En haut des marches, venait d’apparaître un homme, dont la silhouette, qui se découpait sur le ciel au dessus des arbres, alors que le soleil disparaissait derrière des nuages, donnait à la scène une allure irréelle. Le Gouverneur resta interdit, avant de dévisager de la tête aux pieds celui qui se tenait en haut des marches. Vêtu de cuirs noirs, presque sur tout son corps, seuls des bottes marron, un ceinturon de fer argenté, un fourreau d’un rouge brillant, et une longue cape bleu océan à capuche, coloriaient sa tenue de teintes plus claires. Ameral Agbar se perdit dans la contemplation de ses vêtements, pour cacher la gêne qui l’envahissait, et surtout pour éviter ces deux perçants presque transparents, que faisaient ressortir la noirceur d’ébène de ses cheveux bouclés. Le visage du baron était dur, tendu, et incroyablement impitoyable. A vrai dire cet homme était tout bonnement effrayant.  
Réalisant soudain qu’il se trouvait face à la personne qu’il attendait, Ameral réagit au quart de tour. Le visage empourpré, il se tourna vers le soldat d’un air furieux.
 
« Hé bien, annoncez-le, que diable ! C’est ainsi que l’on accueille un visiteur en ces lieux !? »
Le militaire secoua son menton pointu de haut en bas, puis il prit maladroitement sa lance d’une main, et frappa le sol avec son arme en criant.
« Monsieur le baron Arthur Del Rym de Weischtend, Seigneur de la baronnie de Weischtend, maître des terres de… »
« Vous êtes le roi ? » trancha ironiquement le baron, sans même laisser le loisir au militaire de finir la longue appellation de ses titres. Il planta le bleu pâle de ses yeux dans ceux du Gouverneur. Ameral cligna des paupières, et se gratta machinalement ses favoris. Oh ses yeux !
« Heu… non. » dit-il en essayant de cacher sa gène. « Je suis le Gouverneur. »
« C’est au roi que je dois être annoncé, et seulement au roi. » remarqua Del Rym sur un ton glacé. Un lourd silence suivit la déclaration.  
« Oui, et en plus le monsieur, il a oublié de m’annoncer moi aussi ! » s’exclama une espiègle petite voix d’enfant, elle aussi sortie de nulle part.  
Les tensions se détendirent un peu, alors qu’Ameral remarquait seulement la courte silhouette fluette, que le baron tenait par la main. Debout à côté de l’homme, cachée par la grande cape de ce dernier, se trouvait là une fille, de pas plus de dix années, à premières vues. Ses aux yeux étaient si brillants, son sourire si malicieux, et son air tellement satisfait, que même le Gouverneur fut effleuré par une bouffé de tendresse infinie. Sensation qui disparut aussitôt, lorsqu’il se demanda quel genre de baron pouvait bien laisser son château aux mains de ses serviteurs, pour voyager seul sur des miles et des miles, en compagnie de sa gamine.
 
« Tais-toi Monya je te prie. » trancha Arthur Del Rym d’un ton sans équivoque. L’enfant détourna son regard des yeux de son père, et baissa la tête. Visiblement, son enfant n’échappait pas elle non plus à sa froideur. Le baron se retourna vers Ameral.
« Conduisez-moi au roi je vous prie. »
« Bien sur, bien sur… heu… » Ameral se tourna et se retourna, perdu, et ne sachant plus trop quoi faire. Toutes ses certitudes s’ébranlaient en quelques instants.
« Et bien…suivez-moi… » bégaya t-il finalement. Il regarda par-dessus l’épaule de l’homme, cherchant quelque part dans les nuages, des mots qu’il n’arrivait pas à formuler. « Vous n’avez pas de bagages ? »
« Je vous ai demandé de me conduire auprès de sa majesté Planus Romir. » dit le baron, sur un ton si lourd qu’aucune contestation ne pouvait être possible. Ameral évita le regard vampirique pour baisser ses yeux vers Monya. La petite fille tournait des yeux dans tous les sens, observant tour à tout tous ces visages interloqués qui se tenaient devant elle. Le Gouverneur se força à sourire.  
« Vous pouvez confier votre enfant aux soins de Madame Pym. »
Une énorme bourgeoise sortit de l’attroupement, en un frou-frou de robe violette, et s’approcha en souriant à l’enfant qui fronça les sourcils à son approche. Elle pinça ses lèvres d’un air de « viens me chercher si tu l’oses. » Arthur attira sa fille près de lui, et serra sa main plus fort, en plaquant la femme sur place par la puissance de son regard.
 
« Monya reste avec moi. » tonna t’il d’une voix dure. La bourgeoise resta interdite, et Ameral commença à bégayer de confusion.
« Mais… »  
« Mais ? » trancha le baron d’un haussement de sourcils. Ameral inspira un grand coup, et il prit sa voix la plus solennelle possible.
« Les enfants ne sont pas autorisés en salle royale baron. » Il garda sa bouche ouverte, ne sachant plus quoi dire. « Et sa majesté est souffrante.» acheva t’il en soufflant.
« Souffrante, mais pas agonisante. » rétorqua le baron avec détachement.
Tous les gens présents retinrent un « oh » d’étonnement étouffé, mais un regard circulaire d’Arthur sur l’Assemblée les rendit silencieux. Ameral se contenta de froncer les sourcils, et le baron de regarder sa fille avec une étrange ambiguïté. Le temps sembla s’arrêter un instant. Arthur regarda à nouveau Madame Pym, puis se pencha sur Monya, et lui baisa le front avec une surprenante froideur venant de la part d’un père.
« Très bien. »
Arthur Del Rym mena sa fille face à Madame Pym, et il dévisagea la bourgeoise avec suspicion, avant de lui tendre la main de l’enfant. D’abord hésitante, Madame Pym se contenta de sourire béatement à la fille lorsque l’homme lui donna sa main.
« Alors ma petite… » Minauda t’elle en commençant à l’entraîner à part, avant que le baron la stoppe en lui mettant la main sur l’épaule. La bourgeoise se retourna, affrontant les prunelles perçantes du baron, et s’avouant tout de suite irrémédiablement vaincue. Extrêmement mal à l’aise, la femme baissa les yeux. Arthur Del Rym s’agenouilla, et chuchota quelques mots à sa fille, laquelle lui rendit un hochement de tête vague.
« Ne vous inquiétez pas, je vais bien m’occuper d’elle monsieur le baron. » fit Madame Pym d’une voix tremblante.
Du père ou de la fille, à ce moment précis, Ameral ne distinguait pas lequel des deux avait le regard le plus noir. Sans répondre à la femme, Arthur Del Rym, s’était déjà engagé vers l’entrée, et le Gouverneur, fit de la main le geste à ses gens de s’éparpiller. Il s’engouffra dans le Château à la suite du baron.
Monya regarda son père disparaître devant elle avec détachement. Elle semblait à la fois libérée d’un poids énorme, mais ces chaînes qui venaient de la quitter semblaient aussi déjà lui manquer. Elle darda vers Madame Pym un regard arrogant. La bourgeoise se frottait le bras en grimaçant, et lui rendit un rire sonore en voyant qu’elle était observée.  
 
« Il a une sacré poigne ton papa hein ! » gloussa t-elle, en faisant trembler ses lèvres boudinées. Madame Pym ébouriffa les cheveux de la fille, alors que le regard de cette dernière s’aventurait sur les immenses colonnes blanches avec un émerveillement sans pareil.
« Tu n’avais jamais rien vu d’aussi beau pas vrai ? »
Monya ignora les répliques de la femme, et commença à déambuler entre les piliers, fascinée.  
« Tu vas voir ma petite, je vais te montrer plein de choses merveilleuses ici. Dis-moi tu aimes les oiseaux ? » dit Madame Pym en la suivant la fille. « Le roi a une immense volière à l’intérieur, tu vas voir, c’est fantastique ! » Monya ne réagit pas, encore une fois. La bourgeoise lui sourit de toutes ses dents, et se mit à passer sa main dans les cheveux de la jeune enfant.
« Tu as de très beaux cheveux roux ma petite. »
Monya releva ses yeux mauves vers son interlocutrice, à une vitesse surprenante, une étrange lueur perverse au fond des pupilles. Un sourire en coin malicieux naquit à la commissure de ses lèvres.
 
« Dis-moi la vieille, tu sais jouer à trap-marrons ? »
 
*****
 
Ameral servait le roi Planus depuis toujours, avec loyauté, et il entendait bien poursuivre sa mission jusqu’au bout. Et même si le vieux monarque venait à décéder (ce qui ne saurait tarder d’ailleurs), son fils aîné Mélian avait l’esprit assez vif pour le remplacer. Et la vie serait certainement bien plus excitante avec le jeune homme pétri d’ambitions, qu’avec le vieux souverain attentiste…
 Mais au début de leurs règne, tous les rois exilés ont été ambitieux… l’espace de six mois tout au plus… songea Ameral avec dépit.  
Qu’importe, il resterait fidèle aux monarques, quoi qu’il arrive. La famille royale retrouverait bien un jour son pays légitime… Et il comptait bien être encore en vie quand cet instant arriverait.  
Planus, l’actuel roi, restait encore pour lui un grand mystère, même s’il avait partagé à ses côtés quarante années de règne. Ameral était l’une des personnes les plus intimes du roi, et en vieillissant, il se rendait compte que le vieux monarque lui cachait de plus en plus de choses. Ce Baron Arthur Del Rym par exemple. Qui était-il pour qu’il accorde autant d’attentions à sa visite ?  
 
A cette question, Planus avait été très évasif, prétextant qu’il s’agissait du descendant d’un vieil allié, maître d’une lointaine baronnie. Mais quel homme laisserait toutes ses terres aux mains de subordonnés, pour venir ‘rendre visite’ à un roi exilé mourrant, dans un lieu perdu au bout du monde ? Et en emmenant sa fille de dix ans qui plus est !
Les questions brûlaient la langue du Gouverneur alors qu’il cheminait à côté du visiteur dans les grands couloirs du Château-Séluné. Les pas résonnaient durement sur les grandes dalles de marbre. Les corridors, hauts et larges, répercutaient les sons avec une gravité solennelle.  
Arthur Del Rym se dirigeait dans les lieux avec d’étranges facilités. Il semblait déjà connaître ses couloirs en se repérant sans aisances. Vexé de se faire mener, Ameral accéléra le pas.
« Vous êtes déjà venu ici baron ? » demanda t-il.
Arthur Del Rym eut un rire narquois. « Vous vous demandez sans doute comment je fais pour me repérer aussi facilement dans votre château n’est-ce pas ? » fit il ironiquement en tournant un œil malicieux vers le Gouverneur.  
« Voyez-vous monsieur, je ne suis jamais venu ici, mais trouver la salle du trône –l’une des pièces les plus importantes d’un Château- ne me semble pas être une chose insurmontable. »
Ameral ne dit rien. Au fond, ce n’était pas pour déplaire lui déplaire que ce baron soit quelqu’un de sa trempe. Le *Royaume* du Romir n’étant constitué que d’une cour de bourgeois décérébrés –à des gens qui l’accompagnaient tout à l’heure-, qui suivent la famille royale dans son long exil.
 
 « Je peux vous assurer, Baron Del Rym, que Madame Pym est la nourrice la plus compétente que nous ayons dans tout le Fort Hérémos. Elle a élevé les princes Mélian et Serys. Et ce n’est pas rien que de s’occuper de l’éducation de futurs rois. Et elle s’est même occupée de la reine Agathe dans sa jeunesse Monseigneur. Ne vous inquiétez pas pour votre enfant, elle est entre de très bonnes mains tant que durera son séjour. » fit Ameral, tout miel.
Le visage impassible du Baron ne daigna même pas tourner la tête vers le Gouverneur. Il continua de marcher en gardant le silence. Ameral toussota nerveusement.
« Monya n’a pas besoin de nourrice. Je me charge moi-même de son éducation. » Fit Arthur, intransigeant. La déclaration sonnait avec tant de force qu’Ameral se força à sourire pour oublier l’impression oppressée qui commençait à l’envahir.
« Très bien… très bien…Mais elle pourra lui donner des cours en attendant votre… »
« Monya n’a pas besoin de cours. » coupa sèchement Arthur Del Rym. Il se lança un regard en coin au Gouverneur. Si Ameral eut l’air profondément troublé par le ton sans équivoque de l’homme, il n’en montra rien. Mais son gène fut amplifié par les deux yeux perçants vampiriques. Et le visage totalement imperturbable de son interlocuteur n’arrangeait pas son malaise.
« Très bien… très bien…Madame Pym s’occupera de… »
« La surveiller pendant que je ne serais pas là. » finit Arthur à la place d’Ameral, sur un ton chargé d’intensité.
« Bien… d’accord. » bégaya Ameral.
 
Il toussa nerveusement, et arrangea sa robe. Les deux hommes tournèrent à droite au prochain couloir, pour arriver devant une porte surveillée par deux soldats. Une belle porte de bronze, décore de motifs magnifiques représentant des hommes armés et menaçants. Les militaires hochèrent la tête lors de l’arrivée des deux hommes, et ils les laissèrent passer dans une petite salle éclairée par de beaux vitraux bleu clair. De nombreux tableaux ornementaient les lieux. Un homme en livrée impeccable, petit et trapu, surveillait la porte suivante. Ameral lui glissa quelques mots à l’oreille, et il s’empressa de disparaître derrière les battants.
« Le roi va vous recevoir dans quelques minutes. » fit le Gouverneur poliment à l’encontre du baron.
Arthur Del Rym ne l’écoutait même pas. Il se mit à examiner les toiles peintes à l’huile qui ornaient la salle d’attente. Ameral Agbar en profita pour l’observer avec suspicion. Mais pourquoi diable Planus avait invité cet homme ? Et puis qui était-il bon sang ? Ne pas savoir le rendait malade ! Son visage dur et cruel, ses cheveux longs bouclés et désordonnés, et ses yeux effroyablement acuités, lui donnaient un aspect bien peu aimable.
 
C’était un reptile…
 
Ses pieds glissaient sur le sol, et il se déplaçait avec une aisance et une souplesse rares. Ses vêtements de cuir, sombres, semblaient s’adapter aux couleurs des lieux ou il se trouvait. Son accoutrement lui collait à la peau, soulignant un corps finement musclé et subtilement sculpté.
 
Ses écailles…
 
De son regard transperçant, il fixa Ameral un instant. Comme s’il surprenait ses pensées. D’un bleu transparent vampirique, ses yeux s’insinuaient dans chacune des parties du corps de ses interlocuteurs. Ils étaient toujours fixes et ses paupières ne clignaient jamais. Quelle étonnante maîtrise de son corps ! Plus tranchants que n’importe quelle autre arme, il était passé maître dans l’art d’user, et d’abuser, de ses plus puissants organes.
 
Ses crocs…
 
 « Vous avez fait bon voyage depuis Weischtend ? » fit Ameral pour essayer de lancer la conversation. Mais surtout pour briser ce silence dérangeant. Arthur Del Rym lui lança un nouveau regard en coin, et il l’ignora, continuant de s’attarder sur les tableaux. Décidément, ce personnage lui plaisait de moins en moins... Le Gouverneur croisa ses bras, et s’éclaircit la gorge.
 « Et votre baronie… ou se trouve t-elle exactement ? Je dois dire que le roi a été fort évasif la dessus… » questionna t’il d’un ton guindé. « Weischtend m’évoque un pays lointain du Grand Nord, si mes souvenirs sont bons… »
Une lueur de malice passa sur le visage du baron. Il alla s’asseoir sur l’un des deux fauteuils moelleux de la petite pièce et sortit un étrange bout de bois de sa poche.
« Et vous attendez que j’éclaire votre lanterne ? » s’enquît-il paisiblement.
« Hé bien… » bafouilla Ameral en restant debout.
Arthur se releva, pour plonger le bout de son étrange cigare dans le feu d’une torche murale.
« Je ne le ferai pas Gouverneur. Si le roi ne vous a rien dit c’est qu’il ne veut simplement pas que vous soyez au courant. Respectez la volonté de votre souverain.»
« La volonté de mon souverain… » murmura Ameral.
« Même si vous ne le respectez pas lui, respectez-là elle. »
 
[i]Son venin…[/i]
 
Ameral grinça des dents et ignora la remarque. Le baron revint s’asseoir sur le fauteuil, et il commença à fumer de son étrange cigare. Ameral alla à se planter devant lui.
« Vous m’avez l’air de quelqu’un qui voyage beaucoup. Quelles nouvelles apportez-vous donc des Royaumes de l’Est ? J’ai entendu dire par certaines personnes que les relations étaient en train de se durcir, avec toutes ces infernales querelles de succession du roi Joan… »
 « Ces inutiles querelles de succession ! rectifia le baron, sur un ton aigu en coupant la parole à Ameral. Ses yeux s’étaient emplis soudain de vaisseaux sanguins éclatés, lui donnant l’air d’un drogué faisant une crise de manque.
Après un léger silence, il continua, sur le même ton :
« Le prince Malengar est un poltron, son cousin Hector un futur tyran en puissance, et Gerna, le frère de feu le Roi Joan, est un Républicain… Que vaut-il mieux ? Que le Royaume d’Argon soit un pastiche de monarchie aux mains des riches ? Une dictature aux mains d’un despote sanguinaire ? Ou une démocratie corrompue aux mains des guildes ? »
Son agressivité semblait tout de même être très contenue. Il se calma en fumant un peu de son cigare. Voilà ce qu’il faut faire, songea Ameral, le faire parler, pour savoir qui il est.
« Oui…le mieux serait une révolution. » finit par dire le Gouverneur.
 « Le mieux serait une évolution. » souligna Arthur Del Rym.  
La phrase du baron tonna comme une déclaration sans contestation possible. Il expulsa encore de la fumée, ouvrant sa bouche au ralenti et se délectant à la vue de ses spirales.  
« Vous m’excuserez, mais je n’aime pas parler politique, surtout après un long voyage. » poursuivit-t-il d’une voix dédaigneuse, sans même regarder Ameral. Il eut un geste agacé de la main. Et aspira un peu de son cigare, puis expulsa sa fumée et de belles volutes courbes, créant un mur immatériel entre lui et le Gouverneur. Il eut un regard circulaire tout autour de lui, puis il sortit son curieux cigare de sa bouche, jouant machinalement avec lui dans ses doigts un moment…
Il remonta son regard vers Ameral, ce dernier l’observant en silence, l’air soupçonneux.
« Des racines de Mandragore… Un goût délicat et fruité… en plus de leurs extraordinaires capacités de vous requinquer… » expliqua le baron en exhibant son « cigare » du bout de ses doigts devant son interlocuteur.
« Délicat et fruité hein ? Vous savez, elles entraînent aussi une forte accoutumance qui peut-être néfaste à la longue… » répondit Ameral, visiblement peu convaincu.
Il poursuivit, parlant avec une voix un peu plus sure :
« La Mandragore contient aussi de la scopolamine, ce qui provoque une forte excitation mentale. Et accessoirement aussi, cela détruit le cerveau petit à petit en  supprimant certaines fonctions intellectuelles. Je pense que vous savez cela autant que moi n’est-ce pas ? »
Arthur haussa les épaules…
« Vous êtes biologiste aussi ? » pouffa t’il. Il souffla et rapprocha sa chaise de l’homme, de façon à se trouver pile face à lui. Il le fixa dans le blanc des yeux.
« La racine de Mandragore était autrefois appelée ‘l’herbe aux pendus’. Et vous savez pourquoi ? Elle poussait aux pieds des gibets, arrosée par le sperme des personnes punies par pendaisons. Ces derniers jouissaient durant leur agonie, en un ultime plaisir si intense qu’ils ne mourraient pas à cause de la corde qui entourait leur cou. La mort leur faisait l’amour. Fantastique ! Ils périssaient d’un orgasme. Etrange paradoxe n’est-ce pas ? Atteindre le Nirvana lors de son décès. Mourir de plaisir… C’est au fond le but ultime de tout être humain. Nous sommes créés lors d’une jouissance. Notre vie entière est une quête vers ce qui nous a engendré : l’euphorie ! »
Ameral Agbar garda le silence, alors qu’une lueur d’amusement pervers pointa dans les yeux du baron. A travers sa disposition à faire le mal par des voies insidieuses, il y avait un vrai plaisir.  
La porte s’ouvrit, coupant court aux réflexions du Gouverneur, et le nain réapparut. Avec sa démarche de crabe et sa face de poisson, le petit homme avait tout de la créature maritime. Même ses habits outrageusement emplis de couleurs éclatantes, rappelaient ceux d’un poisson des mers de Tol.
« Sa majesté va vous recevoir, si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer. »
Le baron se releva, et il pénétra le premier dans la pièce, suivit d’Ameral et du nain qui referma la porte derrière eux. La salle n’était pas très grande, mais surabondamment illuminée. En plus des très larges baies vitrées, un nombre incalculable de torches –servant de chauffage d’appoint-, étaient placés sur les hauts piliers de marbre qui longeaient le riche tapis rouge menant au trône. Une désagréable chaleur moite emplissait les lieux, se mélangeant à des odeurs d’encens à l’opium dont Planus était friant.
La lourde porte de bois se refermait à peine sur le Baron et le Gouverneur qu’une voix retentit du fond de la pièce. Grave, aux intonations fatigués, le son n’était plus que le murmure de ce qu’avait été le timbre de Planus Romir.
« Ahhhh…. Mon cher baron ! Approchez ! Approchez donc ! »
Au bout du tapis, surélevé par rapport au reste de la pièce, se trouvait un immense trône sur lequel un homme était assis. Juste à côté de lui, à sa gauche, un peu en retrait, une deuxième personne, entièrement habillé d’une longue robe bleu ciel était assise.
Ameral lança un regard circulaire sur la pièce. Le roi et la reine étaient seuls, il n’y avait aucun soldat dans toute la pièce. Planus avait du les congédier, mais voilà qui était plutôt très étonnant, et surtout fort imprudent.  
Surtout avec ce qui venait de se passer… songea le Gouverneur.
Arthur Del Rym s’avança d’un pas décidé vers le monarque qui se levait de son trône à son approche. Ameral fronça les sourcils. La fierté du roi était plus qu’exacerbée, et sa maladie le contraignait à passer de longues heures assis. Qu’il daigne se lever pour saluer son visiteur, voilà bien une chose étrange !
« Mon cher baron, enfin vous voilà ! » tonna Planus avec un semblant d’entrain, alors qu’Arthur arrivait à son niveau. Le baron de Weischtend posa un genou à terre et baissa la tête.
« Majesté… » murmura t’il.
« Vous revoir m’envahit de plaisir. » coupa Planus sèchement. « Mais relevez-vous donc, que je puisse contempler ce que le Grand Nord a fait de vous. »
Un étrange sourire sans humour se dessina sur les lèvres royales. Le baron obtempéra, et toujours aussi impénétrable, il se redressa en plongeant son regard insaisissable dans celui du monarque.
Resté en retrait, le Gouverneur observait sans mot dire cette ambiguë discussion sans son. Une seule expression vint à l’esprit d’Améral, en voyant son roi –la même que d’habitude : vieillard décrépi à l’esprit acéré. Une âme perfide et caustique, enfermée dans un corps qui tombe peu à peu en décadence, pour étouffer celui qui l’habite. Le roi s’était laissé poussé la barbe, pour cacher ses innombrables rides. Il portait les cheveux très longs, autrefois d’un blond éclatant mais désormais gris, ce qui lui donnait l’air d’un prophète, et lui conférait une certaine sagesse aux yeux de sa cour. Les barbus sont bénis et respectés. Surtout s’ils ont les cheveux blancs ou gris.
Sa femme, la reine Agathe était assise à côté de lui, sur un trône de bois de moindre importance que celui de son mari. Plus de trente années séparaient le roi de sa seconde épouse, dont la beauté, était admirée de tous en ces lieux. Elle avait un visage fin et doux, sur lequel la mélancolie de ses yeux d’onyx, était rehaussée par la tristesse de sa longue tresse d’un châtain éclatant. Cette femme avait la splendeur des doux nuages gris isolés sur un ciel bleu.
« Vous vous souvenez de mon épouse je présume ? » fit Planus en indiquant la jeune, personne resté assise sur le siège secondaire.
Arthur Del Rym lança un bref regard à la reine, et se contenta d’un rapide coup de tête silencieux.
« Impossible d’oublier mademoiselle Agathe monseigneur. » dit posément Arthur.
« La Reine Agathe ! La Reine ! » cria Planus amusé, en levant son index théâtralement. Agathe sembla se sentir gêné, et croisa un regard en coin avec le baron. Planus respirait de plus en plus bruyamment. Il toussa, puis se mit la main sur le cœur et commença à grimacer. Ameral s’approcha de lui pour le soutenir, mais le roi le repoussa violemment.
« Au diable stupide Gouverneur, je suis assez grand pour me tenir encore ! » hurla t’il. Tout surpris, Ameral recula, et vint se placer aux côtés d’Arthur. Sous sa barbe, ses traits passèrent au rouge. Il regarda le baron qui avait croisé les bras, et observait le spectacle en silence. Planus s’avachi sur son trône d’un air las, et laissa échapper un souffle bruyant.
La reine Agathe, le regard dans le vague, paraissait toujours aussi impassible. Planus l’observa avec froideur, et il lui tapota la main en murmurant.
« Mademoiselle Agathe est morte en même temps que sa mère. »  
Le Gouverneur dressa un sourcil. Il y a deux ans que Hélène, la première épouse de Planus, était décédée des suites d’une longue maladie. Jamais, ou si peu, le roi ne parlait de sa mort ; et depuis la disparition de la reine, et son remariage immédiat avec son ancienne belle-fille, le sujet était devenu tabou devant sa royale personne.
Ameral s’éclaircit la gorge, et se décida à parler.
« Majesté, vu la situation, je pense qu’il n’est pas très prudent de congédier vos soldats… »
« Tttttt ! » coupa Planus en frappant du poing sur le dossier de son trône. « Je ne vais pas me laisser impressionner par ses maudits assassins, et leurs ridicules tentatives de meurtre ! » Il lança un regard à la fois réprobateur et colérique sur Améral. Il se tourna à nouveau vers Arthur Del Rym, un air fier revenu dans ses traits.
« Mais revenons-en à vous, si vous le voulez bien. » fit-il en croisant ses bras sur sa poitrine. Arthur hocha à nouveau la tête
« Je suis à votre écoute, votre majesté. »
« Oh là, c’est moi qui vais avoir besoin de votre écoute Baron Del Rym, je le crains. Vous n’ignorez pas pourquoi je vous ai mandé, j’en suis sur. Inutile dans ce cas que je vous raconte par le menu détail ce que j’attends de vous, je vous sais assez perspicace pour le deviner tout seul. »
« Si je suis venu, c’est aussi parce que je n’avais pas le choix majesté. »
Ameral Agbar bouillonnait intérieurement. La discussion était emplie de sous-entendus, il se sentait totalement exclu de tout, et ne comprenait les choses qu’en filigrane. Il ne supportait pas de ne rien maîtriser !
« Ce choix, vous l’avez fait, il y a bien longtemps. » dit gravement Planus. Il sourit, tout en devenant plus morose, considérant sa femme d’un air ironique. « Mais qu’importe, le passé est ce qui l’est, sachez vivre avec ce que vous vous êtes imposé. Et je ne crois pas que ça puisse être pire que ce qu’ont choisi d’autres personnes…»
Le roi laissa la dernière phrase volontairement en suspens, perdant son regard sur le plafond. Arthur Del Rym serra les dents, et Ameral sentit un instant une intense fureur émaner du personnage. L’homme était de plus en plus tendu, mais il maîtrisait étonnamment l’extériorisation de ses émotions.
Planus poursuivit :
« J’ai besoin de vous Arthur. J’ai besoin de vos talents. J’ai besoin de l’Inquisiteur Del Rym. »
Inquisiteur ? Voilà qui expliquait bien des choses dans le comportement du personnage, songea Ameral. Si cet homme était un membre du groupe d’élite des Chevaliers d’Argonpolis, il était, à n’en pas douter mortellement dangereux. Arthur Del Rym avala sa salive.
« Je ne suis que le Baron de Weischtend, majesté. »
« C’est moi qui vous ai fait Baron Arthur ! » explosa Planus. « Weischtend est l’une des seules Baronnies qui soit restée fidèle au Romir depuis l’exil de ma famille. Que vous la dirigiez ou non, elle restera mienne. » Une expression farouche durcissait ses prunelles.  
« Un homme de confiance est déjà parti là-bas pour prendre votre place. Je vous destitue Arthur. Vous n’êtes plus Baron. » Une nouvelle quinte de toux s’empara du monarque. Personne ne bougea cette fois, alors que Planus s’étouffait, écarlate, sur son trône.
La reine avait fermé les yeux, mais aucun sentiment ne transparaissait de sa silencieuse personne. Les mains sur les genoux, elle écoutait insensible, son mari suffoquer à côté d’elle. Arthur Del Rym était aussi impassible, mais ses yeux abritaient une colère intense. Ameral Agbar n’osait plus bouger. Le visage de Planus commença à virer de cramoisi, et son corps pris de convulsions.
Ce fut alors que le nain, resté jusque là en retrait devant la porte, arriva en trottinant, une fiole remplie d’un liquide bleu à la main. Il vint se placer devant le roi, qui l’empoigna avec véhémence pour en boire goulûment tout le contenu. Sa toux s’arrêta, et il s’appuya en haletant sur le dossier de son trône. Ses mains tremblaient. Il ferma ses yeux.
« Puisque mon mari est souffrant, je pense que nous continuerons cet entretient plus tard. » Agathe n’avait toujours pas parlé depuis le début de l’entretient, et sa voix surpris un peu tout le monde. Que la reine sorte de son habituel mutisme était aussi une chose rare. Décidément, songea Ameral, cet Arthur Del Rym a un effet incroyable sur le Royaume.
« Je ne suis pas encore mort Agathe. » dit sèchement Planus, d’une voix encore un peu enrouée. Il ouvrit à nouveau les yeux, semblant avoir vieilli de dix années en une minute, depuis sa crise.  
« Arthur Del Rym, vous n’êtes plus Baron de Weischtend. Vous êtes un inquisiteur, et vous êtes sous mes ordres. » Il essayait de parler, mais il avait encore beaucoup de mal. Les paupières plissées sous l’effet de la douleur, le roi toussa à nouveau, et poursuivit :
 « J’ai une mission de la plus haute importance à vous confier. Vous en connaissez les grandes lignes, je vais maintenant vous en apprendre les détails. » lança t’il d’un ton aigre
Un silence passa, et le roi se tourna vers le Gouverneur :
« Ameral… (le Gouverneur se redressa) Voudriez-vous, je vous prie, aller avertir le Chroniqueur que j’ai besoin de sa présence immédiate. »

n°2946225
Orkin Maru​s
Arvi pâ !
Posté le 13-06-2004 à 11:09:17  profilanswer
 

Dans l'ensemble, j'aime bien, la suite !!


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écrire, y'a que ça de vrai !
n°3998894
rose berry​l
Posté le 20-10-2004 à 10:48:50  profilanswer
 

Calaquendi a écrit :

hé hé hé.... avouez que vous aviez cru hein ?!   :whistle: :D  
Hé bien non, ce n'est pas la suite des écrits de notre Grenouille national :p  (respect au batracien :jap: ); mais c'est un moyen d'attirer votre attention  :ange:  
Disons que je suis presque dans la même situation que le reptile cité précédemment, et j'aimerais avoir des avis différents et divers sur ce que j'écris...(j'en vois d'ici encore raler de se faire envahir par des auteurs débutants... mais si ça ne vous plait pas, rien ne vous oblige à lire...) Et comme je n'en ai pas envie d'envahir le topic de la rainette, j'en crée un nouveau.
 
En espérant que vous accrocherez, et que ça vous plaira... voici le prélude et le premier chapitre de "La Symphonie de Sonaruo - Des Ombres dans les Ténèbres"
Bonne lecture à ceux qui en prendront le temps..
 
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Prélude
 
 
Les légendes racontent que le Fort Hérémos est né de la dernière larme de Uel, le Dieu aveugle du savoir, lorsqu?il perdit ses yeux dans le combat qui l?opposa a son ancienne amante, la reine Hérème. La goutte tomba du Neocromion, le Palais-Blanc, et vint s?écraser  sur Sonaruo, dans la mer, au bord des côtes de Tol. Du point de sa chute, jaillit tout d?abord un énorme geyser. Et alors surgit une presqu?île, sortant des eaux, au milieu de laquelle trônait l?Anyon,  la Grande Bibliothèque des dieux, à l?architecture dantesque. Alors les elfes, enfants de Uel, se mirent en quête de protéger le plus  immense des trésors divins : la connaissance. Pour défendre les plus grands secrets de l?univers des autres créatures de Sonaruo, ils ont bâti des remparts insensés, et des architectures démentes. Fort Hérémos fut ainsi créé.  
 
C?est ce que me racontais toujours mon père, quand je n?étais encore qu?un tout petit enfant. Je ne comprenais pas pourquoi tout ce lieu, si grand et si beau, était autant protégé. Je ne comprenais pas non plus pourquoi tous les gens, qui y vivaient, semblaient tous si accablés par la fatalité. Quand papa m?a raconté la légende de la création de Fort Hérémos, j?ai enfin été éclairé. Le lieu est né d?une larme. Le Dieu qui a créé la presqu?île pleurait de douleur et de tristesse. Alors la peine divine a attiré à elle, les gens dans le chagrin. Ils se sont regroupés, formant une Communauté bâtie sur les pleurs. Mais à ce moment là, un autre problème s?est posé. Pourquoi donc, alors que je vivais depuis toujours à Fort Hérémos, je n?étais jamais triste ?  
 
Mon papa m?a dit en souriant que c?est parce que j?étais un ange. Et qu?ils ne sont jamais tristes? sauf quand ils sont dans une prison, et qu?ils ne peuvent pas voler. Je n?en croyais pas un mot. J?étais persuadé d?être une personne très spéciale, ça c?est un fait (comme en témoignaient mes oreilles pointues), mais justement, je ne savais pas voler. Et en plus, je ne pensais pas me trouver dans une geôle. Mais les cellules n?ont pas toujours des barreaux visibles. Parfois, elles sont mêmes très grandes, et très belles, me répondit mon père.  
Il m?a aussi dit que j?avais beaucoup de chance. Je savais voler. De la plus belle des manières en plus : avec mon esprit et mon imagination. Ne trouvant plus rien à redire, je restais cette fois-ci perplexe.  
 
Papa a toujours voulu sublimer ma vie, et tout ce qui m?entourait, inventant des milliers d?histoires, et toute une infinité de légendes, autour desquelles il voulait que je bâtisse ma future existence.
Pourtant aujourd?hui, c?est moi qui tiens cette plume qu?il a tant utilisé, et ce sont mes mains qui vont écrire à sa place. Cette simple idée m?angoisse affreusement. Je ne sais pas si je dois? Coucher sur le papier toute cette histoire laisse germer en moi une sensation paradoxale. Je ne saurais la définir, mon âme est trop trouble pour cela. Mais je prendrai le temps de comprendre enfin. Ce n?est plus ça qui me manque?
 
Le Fort Hérémos n?est pas l??uvre d?un dieu qui perdit ses yeux. Ni un lieu bâti pour les gens qui se noient dans la morosité. Ce n?est pas non plus  le dernier bastion d?un peuple elfique, qui a aujourd?hui totalement sombré dans la déchéance, et le déprâvement le plus total. Non, ce n?est rien de tout cela.  
Fort Hérémos est le rêve d?un homme qui a passé toute sa vie à croire en sa beauté. Et qui est arrivé à la matérialiser. Antoine Nöllopa était son nom. Aujourd?hui déifié par la Communauté crée après sa mort, la plupart des gens ont totalement oublié qui il était avant tout : le porte parole d?une nouvelle manière de penser. Pas d?une nouvelle doctrine.
 
Il est assez compliqué d?expliquer en quelques mots quel était le message véhiculé par les idées de Nöllopa. C?était un génie, dans un nombre, incalculables de domaines ; grand écrivain, philosophe, explorateur, scientifique, ? Mais cet homme là, tout le monde l?a oublié. Il est mort. Et il fut canonisé par la Communauté créée après son trépas. Il devint Noto, le Dieu Prophète. On a tué en son nom. On a justifié des horreurs, bâti des monstruosités et commis des atrocités. Mais on a aussi fondé des rêves, des espoirs, et des merveilles. On a tout fait, ou presque. On a tout interprété, chacun des actes de sa vie... Mais on a peut-être oublié de comprendre.  
Il est étrange de voir à quel point les écrits peuvent être déformés différemment selon les époques, les cultures, les âges, ou je ne sais quelles autres choses encore. Il est dérangeant de voir à quel point les gens veulent s?approprier, à n?importe quel prix, quelque chose qui leur rappelle ce qu?ils voudraient êtres, ce qu?ils voudraient avoir, ou ce qu?ils voudraient faire. Il est effrayant de voir ces mêmes personnes s?imaginer que ce qu?ils font, est juste car cela a déjà été réalisé par le passé. Il écoeurant de constater que leurs actes ne sont dictés que par la vilenie et l?appât du gain.
 
Personne n?a jamais compris le message d?Antoine Nöllopa. Ni mon père. Ni moi. Ni la plupart de tout ces gens qui ont la prétention de dire qu?ils continuent les travaux de leur maître. Le seul être, qui incarnait l?âme même de la pensée de cet homme ne l?a jamais su?
Ma bouche s?assèche, mes mains sont parcourues par de légers tremblements convulsifs. Je ne sais pas par où commencer. Je pose la plume. Evidemment, j?ai les mains moites. Les lettres que je dessine avec l?encre sont irrégulières. Elles s?effacent, sur le papier les lettres coulent? Je froisse la feuille avec  dépit, et la jette dans le feu de bois, qui brûle dans la cheminée.
 
Depuis tout petit, j?ai continuellement les mains humides. Mes camarades de classe, au Fort Hérémos, pensaient qu?il s?agissait d?un grave un problème *pythopathologique*  ou d?une maladie *neuropsychologique*. Ils n?arrêtaient pas de chercher les hypothèses les plus farfelues sur ce si grand mystère...
 
Le feu brûle dans l?âtre, les flammes crépitent, et je les observe, le regard dans le vague. La pièce ou je me trouve est plutôt petite, et exiguë. Il n?y a aucune décoration, les murs sont sales et miteux, et le plancher en mauvais état n?est même pas droit. Pourtant, autrefois, elle fût resplendissante. Ce lieu est comme mon esprit.  
Des bruits de souris et de rats, qui courent sous les lattes, se font parfois entendre, éveillant de temps à autre le chat obèse, qui dort sur l?unique coussin de la pièce. Mais il ne bouge jamais de son lieu fétiche, préférant le doux confort de la pâtée que je lui apporte, plutôt que de se fatiguer à chasser. Lui aussi me ressemble un peu. Il se complait à se ramollir dans la facilité en vieillissant.
 
Je scrute la pièce des yeux, l?air désabusé. Le lit défait à côté de moi semble me dire d?oublier mes soucis et de venir m?allonger. Oui je suis fatigué? de rien faire. Tout sent un peu le renfermé ici, mais je ne peux pas ouvrir la fenêtre pour aérer les lieux. Il fait beaucoup trop froid, et je crains énormément ce temps glacial hivernal. Le chat qui dort à côté de la cheminée  n?apprécierait pas trop non plus que je purifie les lieux. Il dort si profondément que je ne sais même pas s?il s?en rendrait compte d?ailleurs.
 
Mes paupières clignent nerveusement. Mon ventre se serre. Ma tête tourne. J?ai froid. Dans mon esprit les étincelles se croisent et s?entrechoquent. Tout comme mon âme, mon corps tout entier redoute ce moment. Cet instant ou cette page blanche, belle, pure, sera noircie par mes mains.
 
Mon père essayait autant qu?il le pouvait, d?être le plus neutre possible dans ses écrits, mais il y parvenait rarement. C?était un homme merveilleux, à l?imagination débordante, qui cachait sa réelle personnalité derrière un masque qui ne plaisait pas toujours à tout le monde.
 
Mais j?ai réussi à voir le lutin caché derrière le démon. C?est une petite fille qui me l?a montré. Elle a grandie. Mais elle n?est pas devenue adulte. Elle s?est mise à raconter des histoires. Puis elle s?est transformée en fée, et elle s?est envolée. Je ne sais pas ce qu?elle est devenue. Mais elle m?a laissé des plumes en partant, que j?ai gardées précieusement, en prévision du jour ou je pourrais enfin tenir ma promesse...
 
Je lui avais toujours juré que j?écrirais quelque chose, sur tout ce qui s?était passé? il y a maintenant si longtemps. Je n?ai jamais eu le courage de prendre la plume, jusqu'à aujourd?hui. Pourquoi ?
Je sais la réponse. Je la sens au plus profond de mon c?ur. Elle bat et résonne à mes tempes. J?écoute un moment ma respiration. La vague me berce. Je me concentre sur elle, me laissant entraîner dans sa complainte.
 
Je prends une nouvelle feuille, et doucement, je me remets à écrire. Mais ma main tremble de plus en plus. Je pose un peu le stylet en soufflant. J?étire mes doigts, les faisant tous craquer par ce geste. Les os de mes mains ont toujours craqué, dans n?importe quelle circonstance que ce soit. Je les regarde un peu machinalement. Il me manque le pouce à gauche. Lorsque je l?ai perdu, je ne pouvais plus supporter la vue de ma main sans lui. A travers mon doigt, on m?avait pris tellement? Mon père n?arrêtait pas de me répéter que j?avais des mains de pianiste. J?aurais du l?écouter, prendre des cours de musique, quand j?en avais encore l?occasion. C?est vrai qu?elles sont très fines. Et j?avais plutôt l?oreille musicale?
 
Je soupire à nouveau. Dans son coin, le chat bouge nerveusement la patte. Il cherche à toucher un objet qui n?existe que dans son imagination. Il rêve. Il vole. Il est libre. Son poil roux est magnifique. Si roux? si beau?
 
Dans le coin la petite pendule sonne péniblement, me tirant en sursaut de mes souvenirs. Le chat daigne à peine lever une de ses oreilles. Il est quatre heures de l?après-midi. Une heure merveilleuse dans ma jeunesse, ou une petite fille aux  cheveux de la même couleur que ceux du félin, me faisait tous les jours, ou presque, apprendre à sourire d?une manière à chaque fois différente?
 
Je prends à nouveau une feuille, et je reste là, à contempler cette blancheur désespérante. Mes yeux s?attardent ensuite sur le reste de la table qui me sert de bureau. Des couverts sales côtoient des verres à moitié remplis, et des bougies à demi consumées se mélangent avec des feuilles froissées, et des restes de nourriture. Finalement, je suis devenue encore plus désordonné que mon père. Mes yeux s?égarent à nouveau sur le chat. Je devrais faire comme lui, et me remettre à dormir. Je ne veux pas être pris dans ce terrible piège qu?est l?écriture? Mais je ne peux pas aller plus loin comme ça. Je n?ai plus la force, je m?étouffe et je manque de chuter, chaque pas me rapprochant de cet instant ou je vais sombrer.
 
D?un revers de la main, je fais tomber toutes les cochonneries, et les assiettes vides, qui envahissaient mon bureau. Le chat sursaute sur son coussin, ses yeux dorés écarquillés, puis il se rendort aussitôt, voyant qu?il n?y avait aucun danger. Je me penche sous la table pour prendre un petit sac de cuir noir. J?en sors une petite poche de tissu vert que je pose sur le meuble. Je l?ouvre délicatement, pour en sortir une boite de fer rouillée, sur laquelle peuvent se lire deux mots, gravé en or.
 
Nux Delym, « le thé des écrivains », en langue ancienne Argonien. L?homme qui m?a donné ça ne s?en est jamais servi. Il ne voulait pas utiliser une aussi belle plume pour écrire, préférant passer son temps à la regarder. Sincèrement, je pense qu?il était idiot. J?ouvre la boite délicatement pour en sortir une longue plume de Genar, les oiseaux caméléons. Leur duvet change à la lueur de la lumière selon les lieux ou ils se trouvent. Je la fais machinalement tourner entre mes doigts un instant. Les couleurs défillent comme dans un kaléidoscope.
 
C?est à moi de diriger ma route. Pas à mon passé. Mes vieilles souffrances ont assez duré. Elles se sont trop attardées. Tant de temps je n?ai pas su voir autre chose qu?elles? Il est temps que je tienne ma promesse.
 
Mon esprit se perd, mais c?est à travers ce chaos que va naître mon harmonie. Ca y est, je sais par où commencer. Mes idées fusent sur le papier, images, sons, odeurs, sensations et émotions s?entrelacent et se percutent. Je m?égare sur des sentiers infiniment tortueux, dans des endroits où je ne veux pas revenir. Dans des lieux que je n?ai que trop fréquentés, et que je ne veux plus explorer.
 
J?ai si peur. J?appréhende tellement de revenir sur ces notes, et de chanter à nouveau des paroles, et des musiques que je n?ai entendues qu?une seule fois? Mais je ne l?ai jamais fait jusqu?ici, conservant en moi ce que je ne n?exprimais pas. Peut-être que tout cela m?aidera à mieux appréhender le futur ? Mon futur... Je ne sais pas.  
 
Il ne me reste plus beaucoup d?avenir dans cette vie. Passé, présent, futur, tout est toujours flou ou ténébreux dans mon esprit. Une fine larme coule le long de ma joue droite. Je ne l?essuie pas, laissant un goût amer et salé frôler mes lèvres.
 
Quoi que l?on fasse, une chose est sûre, il ne faut pas subir ce que l?on a décidé. Je l?ai assez compris. Ce qui compte, c?est comprendre pourquoi on a choisi de foncer ou de s?enfuir, de continuer ou de lâcher, de monter ou de descendre?De dire oui. Non.
 
Je crois que la pire des choses à faire est de stagner? Plus d?hésitations. Plus de tentations de renoncer. J?ai assez porté mon propre deuil. Et ceux des autres, avec le mien.
 
Je sais ce que je dois faire. J?ai peur de le faire, mais je ne vais plus me cacher derrière mes maux et m?y complaire. Et même si c?est la dernière fois, que je dois chanter la Symphonie de Sonaruo, j?aimerais que tu sois là, petite fée. Fais juste semblant alors, ça me suffirait. Mais, laisse-moi cette illusion, encore une fois, je t?en prie. Fais-moi croire que tu es là, et que tu écoutes mon histoire. Celle là, je ne te l?avais jamais racontée?
 
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Chapitre premier - Les Musiciens
 
C?est il y a plus de dix mille années que, aux quatre coins du monde, ils sont apparus. Leurs peuples ne les ont jamais vraiment acceptés. Trop différents. Incompris, ils ont été chassés, battus, exilés, et humiliés par les leurs. Parce que personne ne comprenait ce qu?ils faisaient. Alors ils ont erré, au travers de Sonaruo. Ils étaient seuls. Ils ont tout vu, tout connu, ou presque. Ils ont évolué, jusqu'à ce que leur don atteigne son paroxysme. Ils sont morts. Et alors, ils se sont enfin trouvés.
Ils étaient onze. Génies. Artistes insensés. Musiciens. D?eux on ne sait aujourd?hui que peu de choses. Hormis leur nom, et leur histoire commune. Ils se sont rejoins le jour de leur mort. Puis ils se sont dispersés. Chacun est allé construire son instrument. Chacun a replongé dans ses rêves. Et ils ont joués. Dirigés par le chef d?orchestre, ils se sont mis à modeler le monde, selon leurs sons. Selon leur esprit. Selon leur imagination?
Et Sonaruo a changé. Ce que le monde est aujourd?hui, nous le leur devons. Ils nous ont faits. Et c?est à travers la Symphonie qu?ils nous ont créés. Elle est ce qui régule tout ce en quoi nous croyons. Antoine Nöllopa l?avait compris. Il a laissé sur son chemin les germes de ce qui nous permettrait de faire renaître des choses trop longtemps enfouies. Et malheureusement oubliées.  
Ce que je vais tenter de vous faire accepter dans ma thèse, ce n?est pas que ce que nous prenons pour un mythe existe réellement. Non. Ce que je veux vous montrer, c?est que depuis plus de deux mille ans, la Communauté Nöllopéenne se trompe sur toute la ligne. Et son erreur est la pire des choses qui ai pu arriver dans toute l?histoire de l?humanité?

 
Frère Michael reposa son stylo avec fatigue, et il se laissa aller sur le dossier de son siège. A force d?écrire, ses mains étaient en feu, et lui criaient des « arrête ! » à répétition. Et ses jambes, endormies et endolories, lui faisaient horriblement mal. Il était assis depuis des heures, et grimaça en se les frottant nerveusement. Son mal de crâne et son manque d?inspiration achevèrent de l?accabler. A lents gestes lascifs, il se leva et aller tourner dans sa chambre.  
L?écriture de sa thèse, clôturant sa dernière année d?études au Collège de Nol, l?avait complètement ereinté. Autant physiquement que moralement. Et en plus, rester assis à longueur de journée l?avait rendu flasque et gourmand (à moins que ce ne soit plutôt un prétexte pour le devenir). En tout cas, ses nouveaux bourrelets, eux, étaient bien là.
 
Avec un regard circulaire, il lorgna sa chambre. Habituellement bien rangée, à l?image de tous les membres de la Communauté, elle était depuis quelques semaines un capharnaüm digne du bureau du professeur Lornal ! Il sourit en pensant à l?homme qui avait changé sa vie presque du jour au lendemain. C?est la passion de son professeur des Sciences de l?Evolution qui l?avait poussé à choisir son sujet de thèse.
 
Tout en étant étudiant au Collège de Nol, parallèlement, Frère Michael était un fervent pratiquant de la foi Nöllopéenne. Il était moine depuis dix ans. Mais à partir du moment ou il avait débuté ses recherches, ses ardeurs religieuses s?étaient quelques peu éteintes? Voire même étaient totalement consumées. Il avait pu consulter certains textes, écrits par Antoine Nöllopa avant que sa divinisation ne le transforme en Noto. Et ce qu?il avait pu apprendre et découvrir était assez édifiant. D?ailleurs ça ne plaisait pas à tout le monde ici?Certains moines avaient essayé d?intimider Frère Michael. Des pressions psychologiques surtout, et des menaces déguisées en conseils. Et des contradicteurs masqués en amis.
 
Il s?allongea un instant sur son lit, repoussant sa tignasse raide et filasse derrière ses oreilles. D?un geste nonchalant de la main, il empoigna une pâtisserie qui traînait sur sa table de nuit.  La tête rejetée en arrière, il se mit à la déguster avec avidité. Il se fixa sur le plafond. Poussiéreux. Quand ses idées et ses pensées venaient taper avec trop de violence sur son crâne, s?allonger sur le lit en s?empiffrant goulûment, et en ne pensant à rien, était la meilleure manière qu?il avait de retrouver un semblant de sérénité. Il ferma ses yeux et poussa un soupir d?apaisement.
 
Ces derniers temps, les pressions des moines s?étaient faites plus fortes. Même le professeur Lornal commençait à avoir des problèmes lui aussi, car il soutenait de trop près son élève. Et son aide avait été plus qu?essentielle. Il aurait beaucoup aimé aller dans l?Anyon. Mais nombre de personnes auraient à présent, considérés ça comme une provocation. Oh, le Grand Bibliothécaire aurait sans doute été là, lui aussi, pour le défendre et le soutenir, comme toujours? Mais qu?importe. Il n?avait pas envie de se faire remarquer encore plus. D?ailleurs, une fois sa thèse écrite, et son diplôme de Nol obtenu, il pourrait enfin quitter ce détestable Fort Hérémos. Il saurait ou aller. Et puis, même si le jury refusait sa thèse, il saurait quoi faire. L?obtention de son diplôme lui importait peu à présent. Avec tout ce qu?il avait pu apprendre au cours de ses deux dernières années, une simple feuille de papier -certes importante pour nombre de gens sur Sonaruo- ne lui faisait ni chaud, ni froid. Il avait d?autres idées et projets plein la tête. Voir les lointaines jungles de Seissanie était un rêve qu?il comptait bien mettre à exécution?
Avec un hoquet échappé, Frère Michael ouvrit grand ses yeux d?ébahissement. Sa mastication s?arrêta subitement. Il blêmît à une vitesse impressionnante, et considéra le morceau de son gâteau d?un air niais.
 
Rêver?
 
Une immense allégresse l?envahit, alors qu?un frisson démentiel lui parcourut tout le corps. Avec un cri de victoire, il lança la sucrerie au travers de la pièce, et se leva d?un bond. Il avait trouvé, il avait enfin trouvé ! Le professeur Lornal avait raison ! Il fallait ne plus penser aux choses pour qu?elles viennent à nous ! Depuis tant de jours, de mois, et d?années? Tant de questions et d?impasses? Il n?en croyait pas ses yeux. Depuis si longtemps que tout était là, sous son nez ! Et il n?y avait même pas pensé, ça ne lui avait même pas effleuré l?esprit une seule fois.  
 
Quel sombre idiot ! C?était si simple pourtant !
 
Sa jubilation lui faisait trembler les mains. Sautillant sur place, il farfouilla dans un des tiroirs de son bureau, et en sortit un petit carnet de cuir noir. Fébrile, il se mit à rédiger rapidement quelques phrases pleines de ratures. Il eut un sourire béât en refermant son cahier, qu?il serra sur sa poitrine comme la promesse d?une vie nouvelle. Assis par terre, sa poitrine se soulevait avec une frénésie particulièrement rapide.  
 
En fait, il avait été trop intelligent et trop réfléchi. Voilà, c?était ça. Il n?avait pas réussi à penser simplement, à raisonner « autrement » comme le prône si bien la Communauté. Mais cette Communauté, il n?y croyait plus. Leur dieu était un mensonge. C?est en l?homme qu?il avait été avant sa divinisation qu?il était un des adeptes ! Ce sont ces idées là qu?il s?était efforcé de comprendre ! Et il y était enfin arrivé?  
 
La complexité se trouve dans ce qui nous est évident disait Antoine Nöllopa.
 
Depuis tout le temps qu?il étudiait les textes de l?explorateur, il n?avait même pas réussi à appliquer ses préceptes. La solution était dans l?énigme elle-même, c?était bien sur évident ! Trop évident ! Et quand on se concentre trop sur la forme, on en oublie le fond.
Que de temps perdu en d?inutiles recherches? Tout était si simple pourtant? Il ramassa un petit sac sous son bureau, qu?il déposa délicatement sur ses genoux. Il souffla à nouveau et avala sa salive. Des larmes commençaient à lui brouiller la vue?
 
Et si c?était vrai?
 
Il tressaillit lorsqu?il LE sortir pour l?admirer à la lumière du jour. La lumière était tamisée, mais qu?importe, c?était suffisant pour LE voir.
D?un revers de la main, il fit tomber toute la paperasse de son bureau, pour LE poser. Frère Michael LE contempla un moment. La chose avait du être très belle avant? A présent, ce n?était plus très attirant, mais ça allait changer sa vie.
Pas seulement ma vie?
 
Oh, il devait vite aller prévenir le professeur Lornal ! Il fallait qu?il sache. Lui seul pouvait comprendre !
 
Il se leva, et dans son excitation, se pris les pieds dans son tapis, et s?affala de tout son long. Jurant, en se releva, il enfila son long manteau noir et ses chausses, puis il LE dissimula dans sa poche intérieure. Il faisait de plus en plus sombre à l?intérieur de la pièce. Frère Michael n?y prêtait pas la moindre attention. Il ne prit même pas le temps de souffler les bougies du chandelier posé sur la table. Il n?avait d?ailleurs même pas remarqué que a moitié avaient été éteintes. Il n?y avait pourtant pas le moindre courant d?air dans la pièce.
 
Vite, vite !
Il ne passa jamais la porte de sa chambre. Sa surprise fut telle, qu?il ne su même pas ce qui s?était passé. Il avait trouvé ça presque?doux.  Voire même plaisant. En tout cas, son sourire fût figé l?instant même ou ça lui arriva. Il avait aimé sa mort.  
 
Au loin, le carillon sonna un coup.


 
Pourquoi râlerait-il de voir de nouveaux auteurs?  Ces forums sont fait pour non?
 
Rose


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