SUEZ
La Nature
Comment définir sa beauté dune sensualité enchanteresse ? Comment mettre des mots sur quelque chose quon ne peut exprimer qua travers ses yeux ? Sa voix est aussi douce que celle des sirènes de Seisanne. Sa peau si suave, et ses gestes exquis et pleins de subtilité, semblent flotter dans lair comme des arabesques féeriques. Et à chacun de ses mouvements, les dessins des rêves des lutins, cachés dans les racines des arbres, apparaissent dans le ciel. Alors, les fées, dissimulées dans les frondaisons, se glissent le long du tronc, des branches, ou des feuilles, pour venir voir, écouter, ressentir, comprendre
partager et poursuivre les songes des lutins. Le regard de la Nature, éternellement passionné, nous donne et nous envoie tant de choses, que lon ne sait plus exactement ou lon se trouve, une fois que nos yeux ont quitté les siens. Son sourire nous ouvre à elle, telle une déclaration damour, et de compréhension de chaque instant
Ses prunelles, toujours fixées sur celles du ciel, nous renvoient toute la beauté des étoiles que lui offre ce dernier. Et dans chacun de ses yeux, ce que lon y lit est si intense, que lorsque lon quitte la délicate douceur de son corps, sa vision, son parfum et ses chants, nous hantent longtemps encore, même quand sa présence se fait plus discrète. Mais jamais elle ne nous quitte. La nature jette à tous ceux qui la comprennent, un sort
et cest la plus fabuleuse magie qui puisse exister. Ce nest pas une sorcière. Cest une fée aux ailes enchantées
Sara Mylegna sourit en se rendant compte quelle était en train de parler toute seule. Ses fines lèvres bougeaient en un murmure presque intimidé. Comme si elle avait peur de troubler la quiétude des lieux ou elle se trouvait. Le cheval quelle montait, un grand étalon noir, au port fier et noble, semblait marcher sur la pointe de ses pattes. Lui aussi était respectueux de la nature qui lenvironnait.
La forêt de Diane
Tout était démesuré ici. La beauté, à la fois troublante et éclatante, excentrique et si simple
Aux troncs couchés et tortus, succédait des ramifications infinies darbres aux hauteurs disproportionnées. La diversité des plantes, des plus petites fleurs, aux plus éclatants arbustes, en passant par les fruits sauvages aux couleurs insensées, et les fougères aux formes dantesques, était une invitation à lémerveillement. Les couleurs, à la fois sobres, dans leur apaisante tranquillité, mais aussi excitantes, dans la gourmandise de léclat des fleurs, étaient à limage du lieu : paradoxal et fascinant.
Un frisson naquit dans la nuque de Sara ; agréable et tendrement envahissant, il vint se perdre dans le bas de son dos. Elle se laissa aller complètement à ses sensations. Depuis trop longtemps elle navait plus pris soin découter son corps
Sa respiration saccéléra doucement. Sans sen rendre compte, elle serra plus fort lencolure du cheval. Létalon broncha légèrement pour signaler quil nappréciait pas cette brusquerie. La jeune femme posa une main apaisante sur son destrier, tout en lui murmurant un tranquillisant « Désolé Welad » à loreille.
Le cheval souffla, signe que les excuses de la femme étaient acceptées. Semblant grommeler intérieurement, il continua à descendre la pente du chemin forestier. Quelle corvée que de devoir supporter ces humains et leurs rudesses
Sara et sa monture empruntaient le petit sentier sinueux depuis le début de laprès-midi. Elle adorait se perdre au milieu de la forêt. Cétait un tel apaisement pour son corps et son esprit
quelle ne pouvait que rarement profiter malheureusement ! La jeune enseignante de philosophie du Collège de Nol, navait que très peu loccasion déchapper à la petite routine de son métier. Venir ici était un véritable bouffée doxygène. Au sens propre du terme, comme au figuré.
Au hasard dun tronc, le son clair et limpide dun ruisseau, vint perturber la douce musique du chant des oiseaux. Et le vent, puissant, qui se manifestait avec de plus en plus de vigueur, venait apporter à lensemble des sonorités à la fois graves et aiguës. Leau était pure et fraîche, et Sara y laissa Welad sy désaltérer quelques instants.
La jeune femme se redressa sur sa selle, et ferma les yeux, ramenant le haut de son visage dans la capuche qui la protégeait. Elle inspira intensément. Des milliers dodeurs envahirent ses narines et se diffusèrent dans tout son être. Un intense sentiment de bien-être et une douce euphorie sinsinuèrent en elle, éveillant une exultation intérieure intense. Les senteurs de lhumus mouillé, fraîches, côtoyaient celles, chaudes, des champignons, et encore dautres, infinies, des innombrables plantes. Les fragrances émanaient de chaque graminée, arbuste ou du moindre petit brin dherbe. Toutes différentes. Toutes complémentaires. Toutes magiques. Au pouvoir revigorant et vivifiant instantané.
Cétait un paysage presque utopique, de par sa si saine beauté. Toutes ces gouaches naturelles, peintes par une artiste aux mains dange, étaient magnifiques dans leur si pure féerie. Du vert partout, qui scintillait, comme une émeraude, le bijou étant sublimé par le marron sombre des écorces, et les minuscules points de couleurs vives des fleurs, disséminées un peu partout.
Tout ici nétait que merveilles et prodiges. La Nature était une artiste complète. Une amante dont lamour était linspiration de ses chefs duvres. Tantôt musicienne, dautres fois peintre, puis parfumeuse, cuisinière, sculptrice, écrivaine, ou grande poète ; danseuse et chanteuse, elle murmure ses mélodies et déclame ses vers à tous ceux, et celles, qui prenaient le temps de la comprendre. Et de partager avec elle la complicité et lamour quelle offre.
La luminosité aurait du être extrêmement sombre, à cause de la hauteur disproportionnée des végétaux. Il nen était rien. Le vert émeraude de linfini tapi mousseux recouvrait tout, cachant même le sol. Il semblait briller, reflétant sa luminescence sur les arbres et les feuilles, comme si un magicien avait lancé un sort sur les lieux.
Un bonheur et une tranquillité découlaient de toutes choses en cet endroit si féerique. Pour beaucoup de gens, ceux qui ne prenaient pas le temps de sarrêter tout simplement, tout ici était sale et insignifiant. Quelle tristesse
.
Une goutte deau fraîche chuta sur le nez du professeur de philosophie du Fort Hérémos. Et la fit sursauter. Une fine bruine commençait doucement à tomber au travers des branches des végétaux. Chacune des gouttes étaient uniques. En chutant sur les feuilles, la mousse, le lichen et le bois, elles produisaient des notes. Une mélodie, une musique
les instruments se mélangeaient, sassociaient, sharmonisaient en de délicats airs réconfortants et apaisants
La Symphonie
La Symphonie de Sonaruo
songea Sara.
Avec un sourire à la fois nostalgique et narquois, elle se rappela à quel point cette vieille légende avait pu la fasciner, étant enfant. Elle revenait à la mode dailleurs, ces derniers temps, dans les discutions entre membres de la Communauté. Elle avait ouï dire dernièrement, au travers des couloirs, que des nouveaux textes dAntoine Nöllopa auraient été découverts dans lAnyon. Et ils concerneraient les musiciens mythiques qui auraient façonné notre univers
Si les rumeurs étaient fondées, ces écrits jetteraient encore plus de discrédit sur une religion déjà à lagonie. Jacques Rieffag, le Recteur avait parait-il- cherché à ébruiter laffaire, mais il était déjà trop tard, le mal était fait. Les radômes se répandaient vites
Un peu partout à travers le monde, des pseudos archéologues fouillaient déjà tous les lieux supposés abriter les instruments légendaires. Encore une passade
songea Sara. Dans un an tout ceci sera retombé dans loubli et lon ressortira de derrière les fagots un nouveau texte du maître
Pour redonner de limportance à Fort Hérémos.
La lumière se fit à la fois plus vive, mais terne en même temps. La forêt souvrait sur une clairière qui faisait ressortir le gigantisme des arbres. Elle offrait à la jeune femme un moment de clarté quelle semblait apprécier pleinement. Le vieux chemin de terre qui serpentait entre les racines, sélargissait en une route un peu plus praticable. Une centaine de mètres plus loin, il sortait définitivement de la forêt pour rejoindre la route côtière de Fort Hérémos. Les arbres étaient plus espacés et de moins en moins hauts. La mousse semblait se faire plus rare. LOcéan était tout proche, dailleurs une bouffée dair marin, gonflée de passion océanique, sinfiltra dans la douceur apaisante de la forêt.
La lumière commençait doucement à décliner. Cétait le début de lautomne et les jours commençaient à se raccourcir sensiblement. La nuit nallait pas tarder à tomber. Sara devait revenir au Fort Hérémos avant le coucher du soleil. Les moines de la Communauté Nöllopéenne avaient des horaires de repas très stricts et précis, et même les enseignants du collège de Nol devaient sy conférer -et surtout les respecter. Sara naimait pas trop ces manières trop étouffantes pas du tout à vrai dire-, mais elle devait aux Nöllopéens limmense privilège de pouvoir vivre au Fort Hérémos, et davoir accès à lAnyon. Et ça cétait exceptionnel.
La bruine qui avait commencé à tomber tout à lheure, sétait stoppée aussi vite quelle avait débutée. Dailleurs le soleil perçait à travers les nuages maintenant. Elle napercevait pas la fantastique boule de feu de là ou elle se trouvait, mais on distinguait ses rayons, qui arrivaient quand même à passer au travers de quelques arbres. Le ciel commençait doucement à virer au foncé par lEst. Elle tourna son regard à lopposé, vers lOuest. Les nuages y étaient décidément bien sombres, allant de toutes teintes de gris et de bleus en passant par des reflets jaunes et verts. Un orage se préparait, et dune grosse ampleur. Une raison de plus pour se dépêcher de rentrer.
Elle rabattit sa capuche en arrière, dévoilant sa chevelure rousse et frisée. Elle navait que si peu de temps libre pour venir profiter de la bienfaisance de la Nature... Ses cours au Fort Hérémos occupaient la moitié de son temps, et comme le climat nétait que trop rarement clément ici, oscillant entre vent, orages, et froid, elle occupait ses heures perdues à jouer de la lyre
et à lire !
« Hé bonjour ! »
Sara sursauta et se tourna prestement sur la selle, pour voir arriver une silhouette derrière elle. Elle fit pivoter Welad, et mit sa main sur sa cuisse, là ou pendouillait une fine dague. Derrière elle, sur le chemin quelle venait demprunter, une silhouette arrivait dune démarche preste et assurée. A en juger par la trace noire qui lui entourait les joues, cétait un homme.
.
La jeune femme avait limpression que la personne amplifiait tout ce quelle faisait. Il était encore à une vingtaine de mètres delle, mais elle entendait le moindre de ses petits bruits. Comme si elle était un être miniature perché sur son épaule. Les sons que produisait chaque foulée étaient agréables et pénétrants. En parfaite harmonie avec le suave chant des oiseaux. Et la douce mélodie, captivante et reposante, du vent qui soufflait de plus en plus fort, se frayant un chemin à travers le labyrinthe des feuilles et des branches.
Il fermait ses yeux assez souvent, semblant y voir mieux encore que sil les avait ouverts. Il passait, entre lenchevêtrement que formaient les innombrables arbres et divers végétaux, avec une aisance rare. Comme si une carte était tatouée à lintérieur de ses paupières, et quil lui suffisait de les clore pour la consulter.
« Hé bonjour ! Bien le bonjour ! » répéta linconnu, dune intonation ne laissant transparaître aucune animosité. Elle était même sincèrement accueillante, comme sil la recevait chez lui. Sara se raidît sur sa selle. Méfiante, empoigna le manche de son arme, sans toutefois la sortir de son fourreau. Les voyageurs sont rares en ces parages et surtout à pied qui plus est ! Elle considéra létranger qui arrivait en avalant nerveusement sa salive.
« Bien le bonjour belle dame. Oh lheureuse rencontre en ces lieux
comme qui dirait
Oh oui, assurément. Heureuse rencontre. »
Lhomme sarrêta à quelques pas seulement du cheval, qui recula nerveusement. Il arborait des cheveux noir foncés et ondulés. Très longs, ils lui descendaient autour des deux cotés de son long visage, en cachant ses oreilles. Heureusement que sa légère barbe grisonnante étoffait un peu la forme très rectiligne de ses traits ! Sinon Sara eut bien limpression quelle se trouvait en face du Dermiel, le mythique lutin des forêts, qui lavait terrorisée, durant toute son enfance. Mais celui qui se tenait en face delle navait rien de très farfadet.
Au-delà de son aspect peu attirant, lhomme était loin de la laisser indifférente. Sans quelle sache réellement pourquoi au fond. Peut-être à cause de cette impression de passion se dégageait de lui ? Elle secoua intérieurement la tête et se fustigea davoir de telles idées. Cet homme était laid et repoussant.
Ses yeux, tellement enfoncés dans ses orbites, donnaient presque limpression quil en était dénué. Son regard était difficilement visible derrière ses épais sourcils. On ne percevait à peine que le fin mouvement de ses paupières qui clignaient sans cesse.
Ses vêtements de forestier, plutôt sales et abîmés -voire loqueteux- contrastaient avec cette indéniable noblesse dans la démarche. Il tenait avec pugnacité un bâton, dans sa main droite. Un bout de bois finement sculpté et magnifiquement ouvragé, semblant être une véritable prolongation de sa main. A sa gauche, une épée dans son fourreau pendouillait, presque nonchalamment sur sa cuisse, attachée à sa ceinture. Une minuscule dague y était aussi fixée tout comme de nombreuses petites poches de cuir. Il portait sur son dos un léger sac de voyage qui ne semblait contenir que le strict minimum.
En entendant lhomme tousser, Sara réalisa soudain quelle lobservait en silence depuis assez longtemps. Derrière sa barbe rêche, elle crut lire sur ses lèvres un instant, une moue malicieuse. Il posa son sac à terre, et essaya de se tenir le plus droit possible, arbora un air impénétrable en souriant. Ses traits durs et anguleux, amplifiaient le peu de sincérité qui se dégageaient de cet amusement forcé.
Les deux personnes gardèrent le silence. Le vent se leva alors doucement, comme emportant avec lui certaines notes et en emmenant de nouvelles
Il semblait quun instrument inédit venait sinsinuer dans la litanie
un instrument crée par le côtoiement des trois autres
Une mélodie plus un autre. Elles formaient non pas un mélange des deux, mais une toute nouvelle musique. Lunion des deux talents les a dépassés
Lhomme tourna soudain la tête derrière lui, comme sil était aux aguets. Il regarda avec suspicion, humant lair un instant, puis sourit et se retourna vers Sara. Il ouvrit un peu plus ses yeux, essayant décarquiller ses paupières au maximum. Elle ne distinguait toujours pas ses pupilles mais elle les savait très
dérangeantes.
« Je sais que suis très beau madame, mais je vous en prie, arrêtez donc de mobserver avec tant dardeur ! Jai limpression dêtre un morceau de viande face à vos yeux inquisiteurs. » lança til en rejetant nonchalamment son manteau en arrière.
« Oh, excusez-moi, je
la rime ma échappé
mais quil est jouissif de sen délecter. » dit il paisiblement dun accent cultivé. Il sourit de plus belle, et alors cette lueur dans ces yeux, brilla avec aigreur. Il eut un tic agacé avec son nez, alors quil sobservait les pieds dun air lugubre.
Sara sentit la peau de ses joues devenir cramoisies. Elle se contenta davoir un sourire gêné, avant de détourner les yeux. Lhomme la perturbait, mais elle narrivait à dire pourquoi. Elle posa la main sur lencolure de Welad, comme pour y puiser de lénergie. Ou se rassurer ? Mais le nervosité du cheval transparaissait aussi sur sa peau. Une impression piquante et désagréable la titillait, quelque part au fond delle-même. Elle séclaircit la gorge, et essaya de prendre une voix sure :
« Mademoiselle, cela suffira je vous prie. »
Un horrible pressentiment lenvahit alors que son interlocuteur eut un sourire ironique. Il se baissa en une révérence théâtrale, faisant une courbette ambiguë. Les os de son bas de dos, craquèrent, et un « oh » de douleur se peignit sur son visage. Il se redressa en se tenant les reins, tentant le plus possible de sourire. Visiblement il jouait la comédie, pourtant ses manières navaient rien dun bohémien inculte.
« Très bien, mademoiselle. Mademoiselle, oui, cest bien
comme qui dirait
Très bien
» fit il sur une tonalité enjôleuse.
Ce nest quun vagabond, songea Sara, pour se rassurer. Un vagabond qui veut te mettre mal à laise.
Il se releva et plongea ses pupilles dans celle de la jeune femme. Sara ferma nerveusement les paupières, et les rouvrit instantanément. Son regard tel, des flèches saccrochait à tout ce quil pouvait trouver pour ne plus le lâcher.
« Très bien. Mademoiselle. » Répéta til sur un ton devenu oppressant. Son visage était laid sans être répugnant au fond se dit Sara. Mais ses yeux étaient horriblement effrayants
et attirants. Non ! Non, ce nest pas vrai ! Son regard, aussi vide que la nuit était sombre et pure, ne laissait rien ne transparaître de lui, aucune émotion.
Sara se battait avec elle-même. Elle ne pouvait pas être attirée par cet homme. La folie quelle avait entre aperçue sétait envolée, pour faire par au néant le plus total. Elle ne voyait pas la couleur de ses pupilles. Mais elle les trouvait déjà effrayantes. Soudain mal à laise, elle cligna des yeux, puis baissa la tête le temps de souffler quelques instants. Pourquoi tant de doutes ? Cet homme est
Son souffle saccéléra soudain. Un murmure avait semblé trotter dans sa tête, et essayé de se frayer un chemin dans son être.
« Cest vous qui déclamiez de si jolies phrases tout à lheure ? » senquît lhomme dun ton léger. Sara dressa les sourcils. Ou il se gaussait delle, ou il lavait suivie dans les bois ! Elle préférait encore la première solution.
« Heu
et bien oui » répondit elle, surprise par le ton séducteur. Après un court silence, elle repris : « Comment avez-vous pu mentendre
je murmurais à peine ? »
Lhomme eut un rire éraillé, et il bascula sa tête en arrière.
« Je ne vous ai pas entendue
je vous ai perçue disons. »
« Perçue ? » sétonna Sara en dressant les sourcils.
Lhomme se contenta de hocher la tête en silence. A nouveau un chuchotement vint chatouiller les oreilles de Sara. Il y avait plusieurs voix cette fois-ci, comme si de minuscules créatures venaient lui parler à loreille. Nerveuse, elle tourna la tête de droite à gauche. Le cheval trépignait de plus en plus, et elle essaya de le calmer en posant une main rassurante au dessus de sa tête. Lhomme avait croisé les bras, ce qui lui donnait encore plus dampleur quauparavant. Il se dressait devant elle avec arrogance à présent. Elle le trouva plus grand, et que son aura sétalait de plus en plus sur elle.
« Qui êtes-vous ? » cria presque Sara, pour tenter doublier son malaise et retrouver un peu dassurance.
Lhomme eut un regard déçu en se désignant de la main. « Moi ? Oh cest à moi que vous parliez ? » Faussement étonné, il samusait visiblement de la situation. Avec indolence, il poursuivit :
« Oui, bien sur cest à moi. Oui bien sur. Bien sur. » Il tourna sa tête de droite à gauche. « Hé bien
hé bien
comme qui dirait
Disons que je suis celui qui devait être ici même pour vous rencontrer avant que vous ne partiez. Je suis celui que vous deviez croiser et avec qui vous deviez avoir cette conversation, à cet instant précis. Je ne crois pas au destin, mademoiselle, mais je crois que nous étions faits pour nous croiser, et ici même. Mais qui je suis na aucune importance, vous savez, les arbres se fichent totalement de savoir comment je mappelle pour me parler.»
Sara considéra son interlocuteur un instant. Fallait-il rentrer dans son stupide jeu, ou sévader le plus vite possible de cette conversation ridicule ?
« Je ne suis pas un arbre. » repris Sara avec une expression farouche.
« Certes
» Fit létranger, évasif, en perdant son regard dans le ciel.
« Mais vous me parlez. » Il abaissa sa tête en un mouvement vif et rapide. « Alors, comme qui dirait, comprenez que je vous associe à ces fiers végétaux. Dailleurs vos cheveux ont la couleur et la forme exacte dune fleur rare que lon ne trouve que dans ces forêts nordiques
»
« Abrégez, je vous prie. » coupa Sara.
Lhomme ignora la réplique et poursuivit, complètement obnubilé par ses mots.
« Oh tiens, je ne me souviens plus du nom de cette plante
Tiens oui, cest étrange, elle est semble til sortie de ma mémoire
comme qui dirait
»
Les voix grincèrent à nouveau dans la tête de Sara. Le cur battant, elle cria :
« Abrégez ! »
« Conduisez-moi au Fort Hérémos. » coupa sèchement lhomme, sur un ton insistant, et presque sans aucune contestation possible. Il navait même pas laissé à Sara le temps de finir son mot. Comme sonnée, elle le dévisagea avec de grands yeux ronds, et mit du temps à articuler quelque chose.
« Pardon ? » fit elle, incrédule et anxieuse. Elle commençait à être rongée dune sourde angoisse.
« Oh
excusez-moi
comme qui dirait
je me suis égaré
Oui, vous savez, à mon âge, les choses ne sont plus ce quelles sont pour les gens tels que moi. » Il prit un air fataliste, puis sourit. Derrière le hallier de poils drus, des dents blanches et apparurent.
« Excusez-moi, je reprends. » fit il narquoisement.
Lhomme recula de quelques pas et bomba son torse, il prit son bâton, et étira ses deux mains en une croix imaginaire. Puis il fit une révérence exagérée en se baissant plus que nécessaire.
« Gente demoiselle à linsolente et belle chevelure rousse, auriez vous lextrême amabilité de conduire le pauvre être fatigué que je suis, jusquau au lieu que lon nomme Fort Hérémos ou je dois me rendre le plus rapidement possible. Jai
beaucoup de choses à y faire
»
Sara ne savait que dire. Tous ses sens lui picotaient, et elle commença à faire chair de poule. Ce nest que la température qui baisse et le vent qui samplifie
Elle leva ses yeux pour voir le soleil décliner, et essaya de perdre ses pensées brumeuses en sabîmant dans la contemplation du ciel. Elle commençait à se dire quelle avait réellement le chic pour attirer les originaux
« Pourquoi voulez-vous aller à Fort Hérémos ? » demanda telle, sans détourner son regard de la lumière qui passait à travers les arbres.
« Suez. » tonna til.
Sara se tourna vers lhomme, interloquée.
« Suez ? Quoi Suez ?»
Lhomme sourit de toutes ses dents. Son dur visage métallique et tellement froid semblait empli de folie
et dune noirceur quelle masquait. Il la dévisagea avec dureté, alors que la jeune femme nen finissait plus dessayer de se persuader à elle-même quelle devait partir.
« Oui, Suez, cest ainsi que lon me nommait
autrefois. »
Sara fronça les sourcils. Lhomme ne lui laissait même pas le temps de finir ses phrases. Elle avait une furieuse envie de laisser lhomme planté là, mais sa volonté semblait lavoir abandonnée.
« Autrefois ? Comment ça autrefois ? Je
je me fiche de votre nom !» lança Sara en commençant à trembler. Lhomme transforma ses deux sourcils en accents circonflexes.
« Oh vous savez, je suis très âgé
et autrefois, il y a bien longtemps, on mappelait Suez. » Il poussa un long soupir empli de nostalgie. « Oui, cest ainsi que lon mappelait
Vous me lavez demandé tout à lheure dailleurs. Mais vous savez, le temps suit son cours, et les noms
tombent parfois dans loubli. Ils resurgissent, tantôt
Oui
mais
»
« Vous êtes fou.» trancha rudement Sara. Un frisson glacial la parcourut. Welad simpatientait et trépignait sur place. Lui aussi semblait bloqué. Ses sabots fouettaient la terre nerveusement, et il commençait à hennir.
« Et dailleurs je vous ai seulement demandé qui vous étiez. Je ne vous ai pas demandé votre nom. » Poursuivit Sara, en tentant de calmer son destrier. Soccuper de son cheval la détachait de sa contemplation médusée de lhomme.
« Certes
» souffla til, de plus en plus insaisissable. Il observa lanimal, comme soudain fasciné, il inclina sa tête à droite, puis à gauche. Puis à nouveau à droite. Petit à petit, létalon se calma.
« Oh, la folie, mademoiselle, est quelque chose de bien étrange en ce monde
Très vaste
Vous devez en savoir quelque chose
non ?
» dit il sans le lâcher des yeux.
Lhomme sembla hésiter un moment, comme sil cherchait une information à travers les pupilles de lanimal.
« Mademoiselle la professeur de philosophie ? » déclara til en relevant sèchement le regard vers Sara.
La femme eut un hoquet de surprise. Elle tressaillit autant que sil lui avait enfoncé les doigts dans ses côtes. Mais qui était cet homme ? Elle fronça les sourcils. Et ne répondit rien. Elle voulait dire quelque chose, mais elle narrivait plus à parler. Suez sourit de plus belle.
« Oh, là vous devez vous demander sans doute comment je peux connaître tant de choses
non ? » Il eut soudain lair étonné. Il commença à marcher vers Sara et sa monture, dun pas raide et lent. La jeune femme neut aucun mouvement de recul.
« Et bien disons que jai des intuitions très fortes. » Il sourit encore une fois et se mit à faire le tour du cheval, comme sil voulait voir la personne à qui il sadressait sous toutes ses facettes. Sara sentait que quelque chose la malaxait, quelque part dans son être. Elle ne bougeait plus du tout. Une boule se forma dans son estomac.
« Vous jouez de la musique. » déclara glacialement lhomme. Sa voix se fit plus pressante. « De la lyre. » dit il en pointant son index vers la femme. Les yeux perdus dans le vague, Sara neut aucun mouvement. Tous les muscles de son corps se contractaient, et une douleur piquante sinfiltra dans son crâne. Lhomme lui jeta un regard acerbe.
« Jadore la lyre. » se délectait Suez en esquissant un sourire. « Jen joue moi aussi vous savez. »
Il se trouvait à présent derrière la femme, qui respirait de plus en plus rapidement. Elle entendait résonner dans sa tête les battements de son propre cur, qui samplifiaient, envahissant tout, pour se diffuser petit à petit dans chacune des parties de son corps, au rythme de la voix de Suez. La douleur dans son crâne sétait transformée en une désagréable présence intérieure. Lhomme se mit à caresser Welad, et en revenant se placer devant Sara, sa main effleura la cuisse de la jeune femme. Elle frissonna de tout son corps, mais nosait plus bouger.
Son regard plongea instantanément dans les yeux de Sara, sans que celle-ci ne pus faire quelque chose pour léviter. Et ces yeux traversaient tout. Elle voulut fermer les paupières, mais elle ny arrivait pas, elle navait plus leur contrôle !
Face à elle, Suez, nétait plus quun immense poison qui sinsinuait petit à petit dans ses veines. Subtilement, avec douceur
« Oui voyez-vous
car comme qui dirait
»
Sa voix devint un sifflement reptilien. Paradoxalement, elle avait des intonations roques, et sourdes. Le son se répercutait dans le crâne de Sara, comme sil était soudain devenu creux. Suez réfléchissait et hésitait, son visage prenant un air de plus en plus concentré et intense. Ses traits se tendirent au ralenti, et son visage semblait se préparer à une métamorphose. Il puisait quelque chose, quelque part, au plus profond de son être. Mais Sara ne le voyait ni ne lécoutait plus. Elle ne distinguait que ses pupilles qui samplifiaient démesurément.
« Je suis même capable de savoir comment vous vous appelez en lisant dans vos yeux.... »
Elle sentait dans son esprit quelque chose qui la touchait, la caressait, la soupesait et samusait à fouiller en elle. Doucement, avec une délicatesse presque sadique, cétait comme si lon ouvrait tendrement son cerveau
avec amour
pour lembrasser et voir de quoi il était constitué.
« Cest très important vous savez les yeux, je peux tout savoir à travers eux. »
Ils étaient blanc les yeux de cet homme, oui totalement blancs, Sara les distinguait à présent. Elle ne voyait plus queux, et ses pupilles
infimes grains rouges dans un océan pur
Ses pupilles, oh
ses pupilles, elle ne voyait quelles !
Une voix dérangeante et écrasante résonnait dans toute sa conscience, mais elle ne comprenait pas ce quelle disait, elle parlait trop doucement, et elle était trop aiguë, tantôt trop grave, puis dautre fois trop forte, ou trop lourde. Elles étaient même plusieurs parfois. En face delle, la tête de Suez nétait plus à présent, quune intense déclaration de peur et de haine, son, visage -et ses traits- se déformait à une vitesse monstrueuse. La respiration de la jeune femme saccéléra encore
et tout sarrêtât subitement.
Suez tourna la tête à droite. Un chien venait daboyer dans le lointain. Puis, un autre, un peu plus proche cette fois-ci, et un troisième. Des cris humains se firent entendrent. Des chasseurs. Dans les feuillage, un oiseau sétait envolé, faisant bruisser les feuilles. Sara baissa lentement la tête, libérée dun poids énorme. Comme sortant dune plongée en apnée, elle eut du mal à reprendre son souffle. Elle réussit enfin à fermer ses yeux. Elle se sentait à nouveau maîtresse delle-même.
Suez navait pas quitté des yeux lorée des bois. Un premier cavalier sortit, habillé de rouge et de vert. Il observa un instant les deux personnes, puis un deuxième homme survint à côté de lui, sortant des arbres. Il stoppa son destrier et interrogea son compagnon du regard.
Ils regardèrent en arrière, puis savancèrent vers Sara et Suez. La jeune femme souffla intérieurement. Ce nétait peu être pas les gens quelle portait le plus dans son cur qui arrivaient
mais ils avaient eu le bonheur de la sortir dune mauvaise passe. Des soldats du Romir, semblait-il, à en juger par leurs couleurs. Elle en eut la confirmation quelques secondes plus tard, lorsque quune troupe de cavaliers déboucha de lorée du sous-bois, suivis dune meute de chiens. Les princes étaient partis à la chasse, et ils rentraient.
« Olà ! Quest-ce qui se passe ici ! »
Deux militaires entourèrent Suez en pointant leurs lances sur ce dernier. En souriant narquoisement, lhomme leva les mains et laissa tomber son bâton à terre. Les deux hommes dévisagèrent Suez avec suspicion. Il croisa un dernier regard ambigu avec Sara, puis baissa les yeux en serrant les dents.
« Des problèmes mademoiselle ? »
Encore toute abasourdie, Sara bougea sur sa selle afin de trouver une position plus confortable, puis elle recula pour venir se placer à côté du soldat qui lavait interpellée. Elle devait avoir gardé le silence sans sen rendre compte, puisque le militaire répéta sa question. Semblant sortir dun rêve, elle se redressa le plus possible sur sa selle.
« Non non
» Fis-t-elle un peu évasive. « Ce voyageur me demandait son chemin. » conclu-t-elle devant le regard peu convaincu de lhomme. Elle se tourna vers Suez, mais létranger gardait sa tête baissée. A quel jeu jouait-il ?
« Et bien, les soldats du Romir protègent les Nölloppéens à présent ? Quest-ce que ceci ? Que se passe til ici encore?»
Un jeune homme à la longue crinière dorée savança dun air insolent vers Sara, en sortant de lattroupement qui sétait formé autour de la jeune femme. Le destrier quil montait, une jument au magnifique pelage blanc, lui donnait un indéniable port royal. Il avait du mal à maîtriser son cheval, visiblement aussi fougueux que son cavalier. Les yeux dorés du jeune homme brillaient dune étrange lueur hargneuse. Avec un regard sévère, il se planta devant lenseignante. Noir était son manteau de zibeline. Aussi sombre que ses cheveux pouvaient être étincelants.
« Je ne fais pas partie de la Communauté. » répondit froidement Sara en dévisageant le visage dange qui se tenait devant elle. Quil était beau, cétait indéniable, cen était même troublant. Rasé de frais, et les joues rosies par le froid et leffort, son visage fin évoquait les doux traits des elfes. A lépoque où ils nétaient pas ce quils sont devenus aujourdhui, songea Sara.
La mâchoire du jeune homme se souleva en un rictus dénervement, et lange laissa place à sa partie démoniaque. Ses traits se muèrent en une exécrable dignité exacerbée.
« Travailler avec les Nöllopéens vous aurait-il fait oublier la politesse et la décence, pour ne même pas saluer lhéritier Romir ? » tonna til sèchement avec un rictus méprisant.
Sara baissa les yeux. Elle naimait pas se montrer soumise surtout face à ce gamin de dix-huit années-, mais riposter au Prince Romir pourrait presque déclencher un incident diplomatique. Même si la famille royale nétait plus que la pâle ombre de ce quelle avait été autrefois
Et même si elle ne leur devait aucune allégeance dailleurs. Mélian lança un coup doeil dédaigneux sur Suez.
Sara eut un regard circulaire en direction de la troupe qui laccompagnait. Le jeune homme rentrait visiblement bredouille de la chasse. Déjà porteur dun caractère impétueux, ses nerfs étaient à vifs. Et sa frustration sublimait ses défauts.
« Prince Mélian. » souffla Sara en baissant la tête. « Veuillez mexcuser. » dit-elle dun ton neutre.
La troupe de cavaliers comptait bien une quinzaine dhommes, et presque autant de chiens de chasse. Les molosses sapprochèrent en grognant de Suez. Ils commencèrent à le renifler, lorsque le voyageur tourna la tête vers le leader des dogues. Le chien recula, dabord en retroussant ses babines, et en grognant ; puis il partir en couinant, la queue entre les jambes. Sa meute le suivit sous les regards interloqués des soldats.
« Même les chiens le trouvent répugnant. » murmura Mélian en persiflant. « Cest à un bien drôle dêtre que vous parliez ! » Les deux soldats qui tenaient Suez en joue, avaient les plus grandes difficultés à tranquilliser leurs chevaux. Sans que létranger esquisse le moindre mouvement, ils piétinaient la terre avec leurs sabots. Mélian eut un sourire exécrable, et se retourna vers Sara, une moue dubitative sur les lèvres. Il ri avec un amusement sadique.
« Vous avez réellement de la chance dêtre belle et très attirante vous savez, sinon je crois bien que nous vous aurions laissés aux bons soins de ce gentilhomme. » Il désigna Suez du doigt. « Regardez comme il est beau ce monsieur avec ces longs cheveux graisseux et sa vieille barbe rêche. »
Le débit de sa voix saccéléra. « Nest-il pas séduisant avec sa livrée impeccable ! Quel tissu magnifique ! » Mélian commença à parler avec plus de frénésie et dexcitation. Il se raidit sur sa selle. « Que voulait-il mademoiselle Mylegna ? Vous prendre votre bourse ? Sans doute ! Admirer vos yeux ? Certainement ! Vous violer ? Absolument ! » exulta til.
Le regard fou, Mélian, éclata dun ricanement mordant et tonitruant. Quelques rires résonnèrent parmi les soldats du prince. Un autre homme, un peu plus jeune que Mélian gardait une mine sévère et désolée. Il sagissait de Serys, le frère cadet du prince. Basané, les cheveux sombres, et le visage anguleux, il ne ressemblait pas du tout, physiquement parlant, à son frère -si ce nest les boucles de leurs cheveux. Dailleurs le cadet avait préféré shabiller en lainages et cuir, plutôt que de se couvrir outrageusement -et luxueusement- comme son frère. Il tenait à marquer sa différence, jusque dans sa façon de shabiller. Il fronça les sourcils mais ne dit rien.
« Il me demandait son chemin. » répondit placidement Sara, alors que Mélian se retournait à nouveau vers elle. Le prince eut un ironique coup dil en biais, en direction de Suez.
« Ah oui ? » fis-il dun ton aigre. « Mais un vagabond ne demande jamais son chemin, puisquil ne sait jamais ou il va. » Il ria à nouveau, mais personne ne le suivit dans son hilarité cette fois-ci. Solennellement, il sapprocha du voyageur, pour lui tourner autour avec son cheval. Suez ne réagit pas et garda sa tête vers le sol, comme un supplicié attendant son jugement. Ses longues mèches lui tombaient devant le visage, masquant une partie de son regard.
« Ou veux tu aller vieillard ? » apostropha Mélian dun ton véhément.
Suez resta immobile et impassible. Mélian souffla. Chacun jouait avec lautre, et dans ce jeu pervers, il ny aura de vainqueur que le plus subtil
Agacé, Mélian croisa les yeux avec son frère un bref instant, ignorant le regard réprobateur de ce dernier.
« Ou veux-tu aller ?! » cria lhériter.
Son cheval se mit à hennir. Devant le mutisme de Suez, Mélian vira au rouge pivoine.
« Par la vessie dun sanglier Seissanien, réponds- moi ! » Postillonna-t-il en dégainant son épée. « Je suis lhéritier du Romir, réponds-moi !! »
« Mélian ! » Laissa échapper Serys sur un ton lourd de reproches.
Le prince posa son arme à quelques centimètres du front de Suez. Cest alors que le voyageur remonta la tête, dun mouvement rapide et vif. De ses deux grandes orbites caverneuses, une incroyable intensité vint traverser les pupilles de Mélian. Lhéritier avala sa salive, et resta bloqué de stupéfaction. Le visage de Suez, totalement impénétrable, navait pas besoins de mots pour effrayer. Le prince, déstabilisé, fit reculer son cheval. Toute lassistance se tu un instant.
« Laissez-le, il est sourd. » trancha Sara d'une voix peu sure.
Tous les regards hormis Mélian- se tournèrent vers elle. « Et il ne sait pas parler. » bégaya-t-elle.
Serys sapprocha.
« Vraiment ? » rétorqua-t-il dune voix calme. « Comment a-t-il pu vous demander son chemin dans ce cas ? » demanda t-il, finaud.
Sara réfléchit à toute allure. Mélian, toujours figé sur Suez, navait pas pipé mot depuis tout à lheure. Son épée se baissait lentement vers le sol.
« Certaines choses se comprennent très bien à travers les yeux. » fit Sara, solennelle.
Serys hocha plusieurs fois de la tête, le regard empli de sous entendus. Il approcha son visage de Sara, et parla dune voix plus basse : « Veuillez excuser la frénésie de mon frère, sa frustration de ne pas avoir trouvé du gibier le rend parfois
insaisissable. »
Serys avait des yeux donyx sombres et glacés, contrastant avec la douceur mélodieuse de sa voix. Il était diablement convainquant.
« Mélian ? » fit il lair altier. Et son regard, pris à ce moment une tournure si dure, que Sara en fut un instant troublée. Si Mélian était empreint dune colère extravertie, celle de Serys, était plus sourde, silencieuse, mais toute aussi dangereuse.
« Mélian ? » répéta Serys devant le silence de son aîné.
Le prince lâcha enfin Suez des yeux, et cest le regard errant quil se tourna vers son frère. Suez lavait déboussolé à lui aussi. Sara frissonna alors quune bourrasque de vent souffla dans la clairière.
« Oui. » bégaya lhéritier.
Serys ne parut pas noter le mal être de son frère.
« Nous devrions revenir au Château. Je crois que père a de la visite aujourdhui. Un certain baron des contrées du nord
Ce serait faire disgrâce à son honneur, que de ne pas être là à ses côtés pour accueillir notre visiteur. » Sara observa furtivement Suez, mais détourna aussitôt son regard. Est-ce que cest son imagination ou la sincérité dans la voix du jeune prince nétait quune illusion ?
« Oui. » Mélian, ferma un instant les paupières, et se frotta le crâne. « Tu as raison. » fit il la voix un peu vague.
« Ca na pas lair daller ? » interrogea Serys.
Mélian se massa les tempes. « Si si
» Il se redressa enfin sur son cheval, et rangea son épée dans son fourreau. Il retrouva son aspect fougueux. « Cest cette maudite chasse, et ce gibier qui se cache ! Et ce vent qui se lève ! Serys, je ne supporte pas le vent ! » lança-t-il en retrouvant toute son ardeur. « Tu as raison, il faut que nous rentrions. » conclu-t-il.
« Et cet homme
» souffla Serys, en désignant Suez dun signe de la tête.
« La femme te la dit
cest un vagabond sourd-muet et perdu. » répliqua Mélian sur un ton mordant. Suez se baissa vers son sac, pour y chercher quelque chose, totalement étranger à la scène. Mélian lui lança un bref coup dil en coin.
« Rentrons. » tonna-t-il. Serys hocha la tête, et il fit un signe de la main aux soldats restés derrière eux. La troupe sébranla à petite allure, soulevant un nuage de poussière.
« Vous vous joignez à nous mademoiselle Mylegna ? » questionna Serys.
Lenseignante sattendait à la demande, mais elle ne comptait pas faire toute sa route en compagnie de ces personnages. Et elle tenait à sa solitude.
« Non
merci, je vais passer par le chemin côtier. Jai besoin dun grand bol dair. »
Serys hocha la tête, et il rejoint Mélian en tête du cortège. Sara eut une moue narquoise. Finalement, elle se demandait si ça avait été une bonne idée que daccepter ce poste de professeur de philosophie au Collège de Nol. Elle soupira. Sans, sans un regard pour Suez, elle fit pivoter Welad, et sen alla dans la direction opposée, laissant le voyageur planté là. Elle fila à bribe abattue en direction de la route côtière.
« Au revoir Sara.» murmura Suez.
Un sourire noir sans humour aux lèvres, lhomme observait la cavalière sen aller devant lui à une vitesse impressionnante. Déjà son image vacillait derrière les arbres. Il sortit une gourde deau de son sac, avec laquelle il se désaltéra. Puis il leva ses yeux vers le ciel. Un vent de plus en plus fort et lourd se levait, emmenant avec lui une ambiance de plus en plus électrique.
« Alors cest ce soir que tu vas te mettre à jouer de ton instrument Nëmes
» dit-il le visage toujours tourné vers le ciel.
« Très bien ce soir
» murmura til. « Très bien
»
Lentement, il se remit en marche. Il fallait quil se dépêche. Il voulait être au Fort Hérémos avant la nuit.
Message édité par Calaquendi le 03-05-2004 à 21:06:27