Reprise du message précédent :
de rien Estelle.

L'un dénoue, l'autre ordonne, les deux stationnent au pied du mur de la normalité, mais les névroses n'ont ni porte ni fenêtre. Ecrire est un leurre joyeux.

Sûrement débattu et redébattu mais vous écrivez avec quel outil ?
 
Perso, j'ai tout essayé, y-compris la vieille machine à écrire. Ma préférence va au stylo/papier. Ça oblige à structurer ses idées, ce dont le traitement de texte dispense en permettant de remodeler le texte à l'infini. En plus, travailler sur l'ordi ne m'inspire pas, c'est déjà mon outil de travail toute la journée, et ça a surtout tendance à me distraire (musique...). Par contre, j'utilise un pc en parallèle pour le dico et Wikipédia et je saisis le manuscrit au fur et à mesure.
 
Et vous ?

 
éditeur de texte vi sous linux, what else ?    

Non ? C'est ce que tu utilises ??

Moi c'est tout à l'ordi mais avec des outils contemporains quand même  
Tout sur open office.
J'ai un bloc note dans ma table de nuit pour noter les idées qui me viendraient. Mais tout écrire sur papier et retaper au clavier ça doit etre une masse de travail énorme.

Ok
 
Non, pour moi, c'est adapté car quand j'écris directement sur ordi, je perds plus de temps. Et j'écris pas mal hors de chez moi donc je préfère sortir avec un bloc-note papier qu'avec un portable / ultrabook...

Justement je suis dans une grande période de questionnement à ce sujet
Quand je fais un NaNoWriMo j'y vais direct sur PC, mais j'ai vraiment des difficultés à écrire quelque chose de complexe comme ça, je ne vois pas du tout ce qui se passe. Là j'essaie de reprendre un vieux projet et je fais des fiches bristol pour remettre en place mes idées, j'ai l'impression que je ne m'en sortirai pas sinon. J'aimerais écrire un truc avec plusieurs intrigues à plusieurs endroits et à part en ayant des feuilles volantes qu'on peut annoter et réorganiser je ne vois pas trop comment faire. Je n'arrive pas à avoir une vue d'ensemble quand je ne manipule pas des objets physiques.

Je vois tout à fait ce que tu veux dire
 
J'ai essayé aussi le 100 % dématérialisé, en bossant avec l'équivalent en fichiers informatiques de fiches bristol, mais ce n'est pas pareil. Aucune vue d'ensemble, comme tu dis, je maîtrise mieux un tas de papier.
 
En plus, le papier autorise une certaine liberté formelle (flèches, traits, ratures...), je sais qu'il existe des applis plus fun que Word mais autant faire sur papier.
 
Pour me motiver / forcer à écrire, la première étape d'écriture avait été d'aller en papeterie acheter un beau cahier et un stylo. Sur ordi, créer un nouveau fichier n'a pas le même effet

plume d'oie, peau d'agneau et sépia de seiche, perso.

La plume d'oie j'ai essayé mais j'arrive pas à comprendre le truc pour écrire nettement, pourtant je la taille bien comme il faut normalement, mais je fais que des pâtés

Je pense que tu peux écrire correctement avec mais à l'époque, ils avaient quelque chose que l'on n'a plus, un truc vraiment rare : le temps.

En gros pour écrire une lettre avec une plume d'oie, ils mettaient une bonne semaine quand avec un crayon, on met une heure.

 
Meuh non. Libre Office. Pas de papier. J'ai un dossier dans lequel je mets quelques sources, des photos de bâtiments ou de gens pour pouvoir les décrire assez fidèlement sans faire de contresens. Je note les idées et la trame générale dans un doc Libre Office aussi. Avant de commencer un chapitre, je me relis ma trame et... je la suis pas du tout. Alors je réécris la trame

 
Tu crois sérieusement un truc pareil ou tu trolles ? (je pose la question sérieusement)

Sérieusement, je ne sais pas si ça prenait une semaine mais je pense qu'à cette époque, le temps paraissait probablement beaucoup plus long qu'aujourd'hui où la patience est une qualité qui se perd.
Je pense qu'écrire une (longue) lettre à la plume d'oie devait prendre du temps, il fallait réfléchir au tracé de chaque lettre, s'appliquer à justement ne pas faire des « pâtés », etc.

Tu en penses quoi, toi ?

Peut-être est-ce que j'exagère, ça ne devait pas prendre tant de temps mais cela nécessitait malgré tout de la patience et une certaine concentration parce qu'il n'y avait pas de blanc correcteur.

https://www.youtube.com/watch?v=FNWnM474sSo

 
J'en pense que… plein de choses en fait.  
 
Que le coup de « la patience est une vertu qui se perd » c'est un bon vieux cliché des familles et que ça n'a pas vraiment de rapport avec la question. Par ailleurs (et sans lien direct) le temps ne paraissait pas plus long, bien au contraire : si tu as déjà essayé de vivre sans appareils électroménagers et sans moyen de transport, tu dois bien voir qu'au contraire les journées sont bien trop courtes. Enfin, la vidéo est ridicule parce qu'elle montre quelqu'un qui ne sait pas écrire avec et/ou qui exagère, et qui en fait des tonnes sur des inconvénients tels qu'il les perçoit. Ne serait-ce que les encriers : il utilise une bouteille d'encre et pas un encrier ; crois-tu vraiment qu'on avait des encriers aussi faciles à renverser si on s'en servait tous les jours
 

Encrier XIXe s. à l'effigie de vous-savez-qui
 
Ces gens avaient une vie extrêmement active et tiraient le plus grand parti des moyens qu'ils avaient. Ça m'horripile cette sorte d'idée reçue que le XIXe était un sous-siècle de gens qui vivaient au ralenti. Et si tu écrivais chaque matin tes 80 vers avant le petit dej' (à la plume d'oie) comme Totor, toi aussi tu déchirerais grave (à la plume d'oie)  
 
D'ailleurs, il n'a jamais voulu rien d'autre. Il a gardé ses plumes des Misérables, pour tout dire :
 

 
Si ça prenait une semaine d'écrire une lettre, le roman serait vachement plus court
 
Edit : c'est d'ailleurs très amusant de voir l'évolution de son écriture avec le temps, il passe de la jolie calligraphie d'écolier à une écriture beaucoup plus libre, à la touche lourde et rapide, et parfois illisible !

Ah ok
 
Ça me choquait pas parce que j'aime assez le bloc-note Windows Notepad

Je t'ai répondu sans vraiment y réfléchir, c'est vrai que le cliché du temps qui passe plus lentement est peut-être trop ancré (jeu de mots hu hu) dans les esprit, du moins le mien, pour faire émerger la réalité de l'époque.

Néanmoins, je ne suis pas d'accord quand tu dis ça n'a pas de rapport à la question car justement on parlait de l'écriture à la plume et des défauts d'écriture que subissait le précédent intervenant. Je me suis fait la réflexion suivante : écrire aujourd'hui à la plume avec les habitudes d'aujourd'hui est possiblement la cause de ces ratés parce qu'en ces temps où le rythme de vie était moins stressant, moins dicté par l'immédiateté ambiante, alors il est possible qu'on prenait plus le temps sur certaines activités telle que l'écriture. C'est dans cet esprit-là que les journées pouvaient paraître plus longue, ça se tient aussi.

Maintenant tout est une question de pratique, effectivement, plus on s'entraîne à quelque chose et plus on excelle dans la dite pratique.

Quant à la vidéo, elle est juste là pour illustrer le propos, n'y vois pas un argument dans un sens comme dans l'autre.

Je crois que je ne vois pas du tout ce que tu entends par un rythme stressant et dicté par l'immédiateté ambiante. Mais je vis moi-même, dans une certaine mesure, au XIXe siècle  
 
Surtout, écrire à la plume en métal ça ne prend pas beaucoup plus de temps qu'écrire au stylo-plume. J'ai l'habitude d'écrire au stylo-plume, et quand j'écris avec un porte-plume je suis à peine plus lente : ça n'accroche pas plus sur le papier, le seul geste supplémentaire est de tremper la plume et c'est assez rapide. La plume d'oie a un inconvénient supplémentaire, c'est qu'il faut la tailler, mais à part ça et l'apprentissage de départ je suis convaincue que ce n'est pas beaucoup plus lent une fois qu'on écrit.

Pour avoir connu l'époque où l'on n'autorisait encore que le porte-plume et l'encrier à l'école (avec l'élève préposé au remplissage des encriers), le stylo-plume, le stylo, la machine à écrire mécanique, puis électrique et pour finir le clavier d'ordi, je ne vois pas non plus les moindres causes et conséquences qu'y voit Siddhartha. Les feuilletonistes au XIXème siècle avaient des deadlines de oufs qui les obligeaient à écrire 6 jours sur 7 sous la pression, les bourges rentiers dilettantes pouvaient prendre leur temps, les mêmes faisant carrière en littérature n'avaient pas de deadlines mais écrivaient autant que les feuilletonistes etc.
 
Dans les années 70, un auteur de littérature blanche pondait comme aujourd'hui un roman par an, souvent assez court, et vivait d'autre chose, tandis qu'un auteur de littérature de gare, qui ne vivait que de ça, devait pondre entre 2 et 8 romans par mois pour bouffer correctement (G.J. Arnaud sous ses différents pseudos, par exemple).
 
L'expression "le temps c'est de l'argent" est à prendre dans le sens "plus on a d'argent plus on a de temps". Rien à voir avec des accessoires d'écriture. L'emploi d'un outil ou d'un autre conditionne l'écriture pour une toute petite partie mais est est avant tout une histoire de rituels et de fétichisme. J'ai définitivement arrêté d'écrire à la main dès que j'ai pu récupérer ma première machine à écrire (mécanique) parce que j'aime le recul immédiat que procure la vision des caractères imprimés. Mais chacun a ses trucs à lui qui peuvent parfois confiner au TOC.

C'est vrai que j'ai écrit à un moment avec une vieille Remington sortie d'un grenier et j'ai adoré ça J'ai encore une pièce de théâtre dans un carton qui a été écrite là-dessus. Mais c'était peu maniable comme bestiau, je me rappelle, le corps était en fonte et je crois que c'était encore les petites touches rondes.  
 
D'ailleurs je tape actuellement sur un clavier mécanique clakathunk en switches black, c'est probablement pas pour rien

Et en vrai je fais semblant de pas comprendre, mais c'est parce que je préfère croire que Siddharta ne fait pas référence à cette idée qui traîne que notre époque « tout va si vite / tout est dans le maintenant / il faut réagir tout de suite / plus personne ne supporte plus que la gratification immédiate / avant c'était tellement mieux / #pestenoireforever » etc.

(je vais me coucher, je n'arrive plus à mettre les mots comme il faut pour faire des phrases donc ça ne veut probablement rien dire)

Je bois vos paroles ou plutôt vos écrits avec humilité, j'ai émis une opinion forgée sur des éléments vraisemblablement moins concrets que les vôtres et surtout avec moins d'exemples pertinents.
 
 

Un dernier ajout :
 

C'est vrai, les lettrés avaient beaucoup de temps pour écrire. Etant la minuscule fraction la plus riche de la population, ils avaient des domestiques pour s'occuper de tout. Essaie de préparer tous tes repas toi-même, faire tes lessives à la main, recoudre tes habits, alimenter le feu plusieurs fois par jour (tout en t'occupant de tes enfants si tu en as) etc. Et bien sûr, si tu n'es pas si riche que ça, en bossant 70 heures par semaine. Quand on parle de société des loisirs pour désigner l'époque qui a commencé après guerre, ce n'est pas un euphémisme.

Quand tu as appris à écrire avec une plume (de métal dans mon cas, ce qui s'est généralisé dès le XIXème siècle et a perduré jusque dans les années 60 du siècle dernier, je suis de la génération qui a connu la transition au stylo après avoir appris à écrire avec un porte-plume), tu n'as plus jamais à "réfléchir" au tracé de chaque lettre. C'est assimilé au CP. Il n'y a que 26 lettres, 52 signes avec les majuscules plus quelques signes de ponctuation. A 6 ans, sauf problème particulier genre dyslexie, tu apprends ça aussi facilement que les règles du jeu de l'oie. Dans la vidéo que tu as mise en lien, on pourrait montrer un quinquagénaire qui n'a jamais tapé au clavier, doit chercher chaque lettre, sigle, touche retour etc. et on en conclurait que "écrire un courrier au clavier demande beaucoup de temps, un luxe que nous n'avons plus de nos jours".

Oui c'est ce que j'appelle des arguments et des exemples pertinents.
 
Sur le : « On vit dans une époque où tout va plus vite », en aucun cas je ne dis : « C'était mieux avant ! », je le précise.
C'est vrai que nous sommes à l'heure des réseaux sociaux, de cette communication 2.0 à la fois formidable, révolutionnaire et en même temps dans son pendant avec tous les excès associés, à l'heure de cette immédiateté de l'information (vraie ou fausse) qui abonde de toute part, de la publicité omniprésente, des médias démultipliés, etc. Tout cela peut donner l'illusion que tout va plus vite et que par conséquent, le temps lui-même passe plus vite mais nous avons aussi dans une certaine mesure la liberté de choisir de se déconnecter, donc tout est relatif.
 
Toutes les autres activités de la vie quand on n'est pas un « privilégié » prennent aussi du temps, hier comme aujourd'hui, je suis d'accord. Je me suis probablement laissé emporter par cette image d'Épinal de l'écrivain passant sa vie à écrire dans son fauteuil, regardant la vie s'écouler paisiblement dans un contexte autrement moins « distrayant », au sens propre du terme, que le nôtre.
 
Enfin sur l'écriture à la plume, je pensais qu'il fallait plus de concentration et donc de temps à cause de la nature même de l'outil d'écriture... que je ne connais pas du tout. J'imaginais une habileté particulière à cause de la gestion de l'encre sur le papier et donc de la gestion du rendu en quelque sorte. Mais je l'avoue, je n'y connais rien, ce n'était là qu'une opinion flottante. ^^

Ça dépend des lettres quand même.

Voilà pourquoi Napoléon l'a eu dans son cul à Waterloo.

Valse Viennoise

La Journée promettait la fournaise, ce genre d’heures estivales où le soleil tape tellement fort que vous savez déjà que vous ne serez à l’aise nulle part, même en vous habillant léger. La radio de mon réveil débitait ses conneries, à grand renfort des éclats de rire lancés par les animateurs qui se renvoyaient la balle, avant qu’un autre ne vienne plus tard balancer les infos pour décliner les horreurs de l’époque. Au milieu de ces échanges sympathiques, il y avait une voix qui me plaisait particulièrement, celle d’une ancienne miss France reconvertie dans la prise de micro. Elle avait comme des polypes dans la voix qui en rendaient le son séduisant, mais peut-être que je ne pouvais me débarrasser mentalement de son physique agréable, que je connaissais comme tout le monde pour l‘avoir vu étalé partout depuis des années. Les photos montrent mais ne vous parlent jamais, alors je profitais en baillant des badinages de cette causerie hilarante, comme si la superbe blonde avec sa voix câline venait près de mon lit pour me causer dans l’intime. Cette nana joyeuse avait du bagou et faisait son boulot ; moi j’aurais certainement eu beaucoup de choses à lui faire, mais je n’avais en vérité rien à lui dire et elle ne risquait pas de me trouver drôle. Malgré le plaisir que j‘avais à l‘entendre, je me suis levé sans éteindre le poste, afin d’aller me raser dans la salle de bain. Mon réveil ne riait plus, le type des infos annonçait que se préparait là-bas une offensive majeure et hautement stratégique.

Leurré par l’épaisse couche de mousse blanche qui maquillait mon menton, je me suis coupé. J’ai continué comme si de rien n’était pour finir le travail. Le sang perlait, pas beaucoup, mais avec insistance. J’ai pris un gant de toilette pour éponger en tapotant mais ça coulait toujours. Un tout petit filet inoffensif, rien à voir avec le flot sanguinolent issu du front de cet ukrainien que j’avais terrassé le mois dernier, d’une balle en pleine tête. Son patron devait 85 000 euros au mien depuis trois mois, mais tout se paie dans la vie. Après mon intervention définitive, le boss du russkoff avait d’ailleurs payé sa dette sans plus rechigner. Encore à poil, je suis allé dans le salon pour coller une feuille de papier à cigarette sur la coupure, en attendant que ça coagule. Ce pansement de fortune était toujours en place lorsque j’ai terminé de boire mon café. J’ai jeté un coup d’œil à la fenêtre, il était dix heures dix du matin et il faisait déjà très chaud, vraiment. J’ai pris une courte douche et presque à contrecœur, je suis retourné dans la chambre pour m’habiller. Ma mâchoire ne saignait plus.

Mon patron avait décidé de se venger de Gaetano Casteldi en éliminant toute sa famille. Pippo devait se charger de l’épouse, moi j’héritais de la fille unique. D’après les photos que j’avais consultées, elle semblait très jolie. Son père était le roi des ordures mais Maria, d’après ce qu’on disait, était une petite femme charmante et bien élevée. Je l’avais jamais vu. Évidement, elle s’apprêtait à quitter le pays, ma mission consistait donc à contrarier ce projet pour lui faire plutôt dire ses adieux à la vie. Mon plan d’action se présentait fort simplement : je connaissais l’heure de son départ, j’allais ainsi la rejoindre à la gare pour occire cette gamine dans son train. Une toute petite piqûre dans la cuisse, presque indolore, elle aurait l‘air de dormir. Près de la photo de ma chère Sarah, j’ai attrapé mon Beretta et je l’ai collé dans ma ceinture, je n’avais pas l’intention de l’utiliser dans cette affaire, mais je ne sortais jamais sans lui. J’ai regardé avec satisfaction la mise en ordre de mon appartement et puis je suis sorti à pied pour trouver cette foutue Maria. Personnellement, je n’avais rien contre elle, mais elle était mal née, voilà-tout. Le soleil tapait dur et je n’en pouvais plus de marcher, ce fut un soulagement de rentrer dans la gare, il y faisait plus frais. Étrangement, même si le hall était parcouru en tous sens par quelques gens affairés, l’endroit ne grouillait pas de monde, tant mieux. Même les quais semblaient clairsemés, ça me dérangeait un peu, ce manque d’animation me rendait un peu trop visible.

Pippo était déjà là. Quand il m’a vu, il a juste fait un signe du menton pour me dire que nous étions raccords. Elle, je l’ai reconnue tout de suite, encore plus jolie que sur ses photos. Le triomphe de la jeunesse en petite robe d’été. Peut-être qu’elle avait moins de vingt ans. Avant de disparaître, Pippo s’est approché d’elle pour lui demander un renseignement en montrant un train du doigt. Maria a répondu poliment, puis elle a regardé deux secondes mon collègue s’éloigner, son front magnifiquement lisse se plissa un peu en lui donnant un air méfiant. Moi, j’avais la confirmation de ma cible par le signal convenu, mais je savais déjà que cette fille était celle qui devait mourir. Elle était belle, vraiment, avec une superbe peau d’un beige pâle et très doux que n’importe qui aurait adoré caresser. De superbes yeux bleus et un tout petit nez adorable, je me disais qu’au final, d’ici une heure ou deux, je la figerai dans sa plus grande beauté. Parce que j‘allais tout simplement lui éviter de vieillir. De loin, je la suivais intensément des yeux, peut-être un peu contrarié. J’avais bien du mal pour arriver à ne pas montrer que j‘étais en train de la surveiller. La fluette s’est assise sur un banc, sa petite valise à roulettes posée devant elle. Juste à ses côtés, une mémère à caniche s’éventait avec un journal. Maria Casteldi poupouilla le chien blanc, elle échangea un sourire avec sa voisine. Je rigolais sous cape, la vieille honnête faisait amie-amie avec l’enfant du pire mafieux que je connaissais. Et puis c’est arrivé.

Il faudrait porter plainte contre les mairies qui osent ce genre de traquenard. Mon petit paquet de fric s’est levé en trainant sa valoche, après avoir avisé un piano droit dans un coin. Au-dessus de l’instrument, une grande pancarte bleue signalait « A vous de jouer », indiquant clairement que le bazar était en libre service, à la disposition gracieuse des mélomanes. Maria s’est plantée devant le Yamaha et elle a libéré les touches avec un geste gracieux, puis elle s’est assise sur le tabouret en tirant un peu nerveusement sur sa robe. J’ai pris tout de suite les premiers accords de Frédéric Chopin en pleine gueule, parce qu’elle avait un jeu de génie. Le grand escalator continuait de monter et s’en branlait comme de l’an 3000, beaucoup des voyageurs qui passaient également. L’endroit impersonnel ne rendait pas grâce aux envolées sublimes. Certains s’arrêtaient tout de même pour écouter ou filmer brièvement la scène. Les mains dans les poches, j’avais calé mon dos contre le mur mais j’étais soudainement incapable de bouger, j’avais le cœur déchiré. La musique de cette petite salope me prenait traitreusement aux tripes, parce que pour mon malheur, je fusionnais avec ce que j’étais en train d’écouter. D’une manière irrésistible, il fallait que je me rapproche de cette source enchanteresse qui me faisait pourtant vivre des secondes déchirantes. Pendant de longues minutes intenses, je me suis collé dans le dos de la pianiste, elle dodelinait de la tête en jouant, ses doigts fins et agiles parcouraient le clavier en virtuose. Sur sa longue nuque étroite et sublime où la petite queue de cheval suivait tous les mouvements, une mèche brune frisait pour former près de l’oreille une boucle admirable. Un moment, le décolleté de la robe laissa entrevoir un petit sein fragile et aussi pointu qu’une pousse de bambou. Les notes s’égrenaient en cascades pour faire revivre en moi ma petite Sarah, ma bonne amie morte d’un cancer deux ans auparavant. Je ne pensais plus à rien d’autre, la musicienne opportuniste m’avait figé dans mes souvenirs, j’aurai voulu qu’elle ne s’arrêta plus jamais de jouer. Une grosse boule de chagrin m’obstruait la gorge, j‘avais les larmes aux yeux. Cette gare cruelle n’avait pas de pitié, moi le type aux cinq meurtres, j’étais en train de pleurer. Sarah qui plongeait dans mon lit en souriant, Sarah qui chaloupait son derrière sur la plage, en me parlant d’un ton sévère de projets fabuleux. Et moi, je l’ai laissé filer.

le tueur à gages de la mafia qui craque devant la beauté de la musique j'ai du mal à y croire...
mais indépendamment du fond, les personnages, le décor, l'environnement sont bien décrits, honnêtement la lecture était agréable.
 

merci à toi, tu es toujours présent et souvent le premier.
 
Je ne veux pas défendre l'indéfendable, mais mon gars ne craque pas sur la musique, mais surtout sur les émotions enfouies qu'elle ranime en lui involontairement. Perso j'ai déjà pleuré sur Chopin. Je reconnais volontiers que la chose soit à priori peu crédible, mais je trouvais justement que ça faisait le charme du postulat. Et puis c'est aussi un homme, hein, pas forcément une machine totalement froide. En plus, il pleure sur sa défunte copine mais rien ne précise qu'ensuite Maria, elle, soit restée en vie.
 
Après ce post était une toute petite chose en passant, pour satisfaire une petite envie !

Mouais tu as déjà pleuré sur du Chopin... mais es tu tueur à gage mafieux ? si c'est le cas souviens toi que j'ai apprécié ton texte  

Hé, hé, tu n'as plus qu'à apprendre à jouer du piano.

Des images me viennent sans efforts à la lecture, chez moi c'est bon signe.
 
Puis, le côté désagréable de la critique :
- pas mal de phrases pourraient sûrement être "nettoyées" et raccourcies ;
- des écarts dans le registre qui me font un peu sortir de l'histoire, quelques fautes aussi mais ça, osef ;
- quelques incohérences : "Étrangement, même si le hall était parcouru en tous sens par quelques gens affairés, l’endroit ne grouillait pas de monde, tant mieux. Même les quais semblaient clairsemés, ça me dérangeait un peu, ce manque d’animation me rendait un peu trop visible." => tant mieux ou pas tant mieux ? ;
- Quelques explications de texte assez lourdes : "De superbes yeux bleus et un tout petit nez adorable, je me disais qu’au final, d’ici une heure ou deux, je la figerai dans sa plus grande beauté. Parce que j‘allais tout simplement lui éviter de vieillir." (la phrase du "parce que" est superflue tellement elle est évidente) ou "Au-dessus de l’instrument, une grande pancarte bleue signalait « A vous de jouer », indiquant clairement que le bazar était en libre service, à la disposition gracieuse des mélomanes.". Entre la pancarte, le "libre service" et la "disposition gracieuse", on a compris  
 
Et peut-être plus embêtant, je rejoins Mason sur le tueur. D'après cet extrait, je trouve que le gars porte sur lui le lourd cliché du gentil bad boy émotif et je n'ai pas forcément de le suivre plus loin. Quand Chopin + le "jeu de génie" arrivent dans la même phrase, suivis par une nouvelle description sensuelle de la jeune femme, je me sens moi aussi... déstabilisé. C'est trop rapide peut-être, pour que le mec soit bouleversé par la fille ou son piano, j'aurais préféré qu'il prenne le temps de la connaître en l'observant plus longuement encore, avant. C'est qu'un extrait. Si le mec finit par dézinguer la petite pianiste après avoir traversé toutes ces émotions, ça peut être encore plus fort !
 
Hey, je n'ai pas l'habitude de critiquer les textes ici, si je le fais là, c'est parce que je trouve ça bien dans l'ensemble. Seulement, si je critique comme un connard condescendant, tu peux me foutre une bastos virtuelle !

Merci pour ce partage. Il y a de bonnes idées : figer la beauté, c'est bien trouvé.
 
On a le monologue intérieur du narrateur / tueur et quelques petits détails font que j'ai du mal à croire au narrateur :
- il s'habille léger parce qu'il fait chaud (lol), se plaint plusieurs fois de la chaleur, ce qui fait davantage penser à un geek pâle qui sort de chez lui qu'à un gros dur assassin, ou alors il faut mieux assumer le côté décalé du personnage par rapport à l'image cliché qu'on pourrait en avoir
- il se coupe en se rasant, idem, et ça pourrait être mieux exploité pour souligner le contrate du mec qui se plaint longuement d'une blessure anodine alors qu'il va tuer quelqu'un, c'est en outre l'occasion d'évoquer le sang et le rapport au sang plus en détail
- il dit qu'il "faudrait porter plainte contre les mairies", tu crois qu'un tueur compte sur la police pour des conneries pareilles ? il règle ça lui-même, fait sauter le piano
- il oscille entre les registres de langue, pour un résultat assez maladroit
 
En entrant dans un endroit frais, tu fais redescendre la tension créée par la chaleur accablante. Ou, là encore, souligner que ça renforce le malaise.
 
Il faudrait mieux décrire ce qu'il ressent, ou pas.
 
Pour moi, ça manque un peu de force, d'intensité, de rythme (notion de temps) et de progression crescendo vers un final grandiose. Ecoute des musiques si ça peut t'inspirer.

merci les gars.
 Bon mon disque dur est en train de crasher, je répond pour pas faire le goujat, mais mode sans échec, arrêt intempestif, tout ça, je suis cramé, c'est pas cool !
bon ce texte a été écrit vite, sans aucune prétention et la fin est assurément baclée, mais c'est une petite nouvelle, pas l'extrait d'autre chose. Ce qui est drôle sur vos posts c'est cette vision du tueur qui ne devrait avoir aucun sentiment, jamais. Et je sais pas pourquoi la canicule, peut-être un temps neigeux serait plus approprié. Bon je vous quitte avant l'écran noir. Merci encore de votre participation, je reviendrais j'espère.

Non c'est vraiment pas le sens des critiques, pas la mienne en tout cas. Ce qui nous intéresse, c'est comment c'est amené.

oui, et honnêtement l'écriture manque vraiment de force, indéniablement, mais je voulais faire court.
 
La chose intéressante sur trois avis, c'est que je me suis fait exactement les mêmes remarques et réflexions à la relecture, sur chaque critique proposée, elles sont donc vraiment pertinentes, voilà pourquoi c'est sympa, l'œil du lecteur.

 
L'oeil du lecteur est "sympa" parce qu'il te donne les infos que tu avais déjà en relisant ton propre texte ?  

tout à fait. Voilà quelques lignes écrites dans la matinée et comme j'en ai l'habitude, postées de suite à chaud, par plaisir et pas pour conquérir le Nobel. Pour autant, pas question en tant que joueur de bouffonner l'arbitre ou l'entraineur, puisque les interventions précédentes sont finalement des encouragements à faire moins le flemmard. Je ne crois pas avoir la mauvaise haleine du faux modeste prétentieux en disant ça et pour tout dire je reste à ma place. Maintenant, imaginons que je multiplie personnellement le temps d'écriture et de création par 10 ou 30 j'aurais mécaniquement amélioré grandement cette nouvelle, avec un effort de prise de tête. Je posais même peut-être les bases d'un roman. Ce n'était pas du tout mon but de proposer un texte idéal, loin, de là, beaucoup de choses l'affaiblissent et je remercie les intervenants qui le sentent donc tout autant que moi, ce n'est pas les injurier de le dire, mais une forme d'intelligence commune. Ils ont pris le temps de dire ce qui gâchait pour eux la magie des mots et me le disent, voilà ce qui est sympa. Il y a même une incohérence qui n'a pas été signalée, mais qui crève un peu les yeux et aurait du l'être : je ne pense pas qu'une nana se sachant traquée pour sa propre vie aille se coller tranquillement devant un piano de gare pour donner un concert public, c'est franchement absurde, non ?  

Ça m'a pas choqué. Qu'une jeune soit imprudente, aie envie de vivre au mépris du danger, de ne pas se cacher en permanence, ça me paraît crédible

Dans les histoires sur les milieux de la clandestinité / espionnage / infiltration, tu as souvent un écart entre les vieux aguerris et les jeunes insouciants par inexpérience ou pure inconscience.

Ouais alors le coup du "J'écris une nouvelle que je sais moyenne, je la publie quand même pour avis sans prendre la peine de la retravailler avant, et ensuite je viens dire aux lecteurs-critiques ce qu'ils ont raté comme énormités malgré leur bonne volonté", je trouve ça beaucoup moins réussi d'un coup    
 
On a aucun élément de contexte qui nous permettrait d'avoir une idée sur le comportement que la fille devrait logiquement adopter. Si on y va par là, l'extrait tout entier est absurde. Si la fille du très dangereux mafioso est menacée en permanence et que tout le monde le sait, elle n'a rien à foutre sur un quai de gare toute seule, et les informations sur son voyage auraient dû encore moins être connues si facilement. C'est pas le piano qui choque, du coup... Je continue donc à appeler ça un extrait.