#CR Marathon de Valence 2023
[Historique Marathon]
3h35 Paris 2015 (objectif 3h15, explosion au km30) : https://www.strava.com/activities/283901475
3h14 Florence 2015 (objectif 3h10) : https://www.strava.com/activities/444819429
3h09 Annecy 2017 : https://www.strava.com/activities/976029699
2h49 Paris 2023 : https://www.strava.com/activities/8817460395
Chapitre 1 – la naissance d’un objectif
Suite à l’euphorie de cet hiver, marqué par une progression au-delà de mes espérances après 10 ans de pratique avec 3 records coup sur coup sur mes trois distances préférées (36 au 10, 1h19 au semi, 2h49 au marathon), je décide sans tarder de repartir sur un marathon en fin d’année. Ce sera Valencia : parcours ultra roulant, calendrier idéal, grosse densité.
Cet hiver dernier, après 6 ans sans marathon, j’ai concrétisé 3 années de hausse globale du volume d’entraînement sans toutefois mettre de dossard (confinements, blessures…). Je suis néanmoins conscient que mon amélioration marathon de 20 minutes est en partie le fruit de la découverte du « advanced fueling » et des chaussures performantes. Ces bénéfices maintenant consommés, il va falloir pour aller au-delà s’entraîner davantage.
Je consacre le début du printemps à récupérer du marathon, je remplace les transports en commun par un abonnement vélib et multiplie les petites séances basse intensité, en parallèle de ma reprise progressive de la course. En juin je remonte bien en charge avec un cycle foncier : beaucoup d’endurance aux sensations, je regarde peu la montre. Quelques séances à allure plus rapide avec récups longues et actives.
Début juillet, après plusieurs semaines à 100-110kms, je m’inscris en dernière minute un vendredi soir à un 10km. Malgré l’absence totale de taper et 20km le vendredi, je cours le dimanche en 34:37 avec un passage à mi-course sous les 17’ pour finir en beauté une nouvelle semaine à plus de 100kms. C’est surréaliste, euphorique. C’est à ce moment que je me dis que j’ai même possiblement un sub34 dans les jambes avec taper et par temps frais. 2h45 n’est plus assez ambitieux à mes yeux, d’autant que mon 2h49 était couru dans des conditions difficiles avec l’humidité le vent et le dénivelé à Paris qui s’est gagné en 2h07. Je me projette alors sur un objectif 2h40, revois aussi mon objectif au 20km de Paris à la baisse (1h14 => 1h12), et repars de plus belle dans la prépa foncière avec en juillet un enchainement de semaines supplémentaires à 100-110kms. Semaines dont l’objectif est d’être en capacité de mieux assimiler la prépa marathon qui suivra avec simultanément volume et intensité.
Le moment venu fin août d’attaquer ma prépa marathon sur 15 semaines, voici le bilan de ma préparation foncière : un plaisir de courir démultiplié, des gains en économie de course, en relâchement, l’assimilation d’un volume conséquent sans douleur ou signe d’alerte, une meilleure acclimatation à la chaleur… La persévérance de m’entraîner beaucoup pendant une période prolongée sans me rentrer dedans, un gros volume d’endurance et des séances de qualité raisonnables et parfaitement assimilées, et un beau sub35 imprévu. L’espoir et la ferme motivation d’assimiler un entraînement spécifique au marathon à nouveau un cran plus intense, avec ses éprouvantes sorties longues et rapides.
Chapitre 2 – Après la prépa foncière, la prépa spécifique
J’ai pris le temps de réfléchir aux nouveaux leviers que j’allais activer.
Plusieurs changements par rapport à la préparation précédente :
- Passage de 5 à 6-7 séances de course par semaine, j’ai couru tous les jours sans exception du 13 octobre au 30 novembre.
- Volume en forte hausse dans la continuité de la prépa foncière : 100kms de moyenne sur les 15 semaines de prépa, avec 4semaines d’affilée entre 112 et 117kms avant le taper
- Volume moyen d’environ 8h de course par semaine, 3h de vélo basse intensité et 1 à 2 séances de renfo/gainage/pilates
- EF plus rapide, souvent autour de 5’00/km et beaucoup plus rarement autour de 6’00/km
- Pas de semi 4 semaines avant le marathon mais le 20km de Paris 8 semaines avant.
- 10 mercredi après-midi off dédiés aux SL qui m’ont permis de mieux assimiler le rythme de 2 SL par semaine et dormir davantage. En dehors des SL de qualité du mercredi et du dimanche, uniquement des séances EF courtes avec parfois quelques sprints en côte et lignes droites.
- Conditions météo dégradées avec un vent soutenu sur la plupart des grosses SL spé.
- Fatigue musculaire plus importante en particulier sur le pic de 4 semaines à 115kms avec 4 SL chocs (31/32/33/34kms), mais aucune douleur inquiétante ni début de blessure de toute la prépa. Une prépa globalement très bien assimilée.
Après le 20km de Paris couru sous l’objectif d’1h12 à la seconde près, je traverse en 2ème partie de prépa 2-3 semaines difficiles. Les conditions météo sont déplorables, et je peine à mon allure marathon objectif. J’ai beau découper la qualité (31k dont 8x2k AS42 puis 32kdont 6x3k), c’est bien dur de maintenir l’allure cible ! Je reste confiant en me rappelant le cumul de difficultés en comparaison de la course préparée (vent++,humidité, seul, fatigue cumulée, chaussures d’entraînement, faux plats…).
Et puis le vent tourne, malgré l’absence de semaine allégée j’enchaine deux semaines incroyables avec 33k dont 6/5/4/3k AS42+ et 34k dont10/7/4k AS42+. Sur ces deux sorties, malgré la fatigue musculaire toujours présente, je constate enfin un niveau de forme jamais atteint auparavant :celui que je voulais atteindre. Moyenne à 3:59/km sur 34kms, sans vraiment de traces particulières le lendemain… Des allures qui tournent autour des 3:40/km.Au moment de commencer les 3 semaines de taper, la confiance est maximale et j’avoue me mettre à rêver de 2h38, 2h37 voire 2h36…
Les trois dernières semaines, je dois jongler entre mon affutage et un stress pro. La dernière semaine en particulier, avec l’allègement drastique de la charge d’entraînement et un stress émotionnel important, je dors moins bien. Je dors de façon fragmentée avec des insomnies. Les sensations en courant étaient incroyables à J-7, elles commencent à être moins bonnes à J-4 et J-3.
Chapitre 3 – Le tiramisu maudit…
J-2 et J-1 : comme prévu et comme avant Paris, je ne cours pas. Je charge en glucides et limite fortement les fibres et lipides. Après plusieurs mauvaises nuits et une avant dernière nuit correcte, c’est enfin samedi le moment venu de terminer les préparatifs et d’aller prendre l’avion. Les larmes me montent aux yeux en voyant ma ville de destination inscrite sur le tableau d’affichage à Orly. Atterrissage prévu à 18h20 à Valence, atterrissage effectif à 18h.
Sortie de l’aéroport ultra rapide, taxi, à 18h40 je récupère les clés de mon logement. Je m’installe, me repose un peu puis je rejoins trajan pour dîner vers 21h. Sur le chemin, je réalise que le centre-ville est noir de monde et les restos sont blindés. Le resto italien qu’on avait repéré est complet avec une longue file d’attente. Je récupère mon dossard, merci trajan ! On se rabat sur un autre resto à deux pas en terrasse.
On passe un bon moment, débriefons nos prépas. Lorsqu’on nous apporte nos plats de pâtes, il est déjà 21h30. C’est bon mais pas assez copieux à mon goût. Je craque pour un tiramisu, un de mes desserts préférés. La portion servie est pour le coup énorme et plutôt liquide. Manquant de lucidité, ma gourmandise prend le dessus sur la raison et je le mange en entier. Je me suis toujours fait plaisir pour le dernier repas avant un marathon, après tout il faut de l’énergie. Mais à ce moment, il est tard on est à seulement 8h du départ. On se souhaite une bonne course, direction dodo.
Je me couche vers 23h et m’endors aux alentours de minuit. Je me réveille à 2h avec un bloc dans l’estomac. Je suis ballonné et en même temps constipé avec la forte réduction des fibres depuis 48h. Je comprends vite la situation : il me reste 6h pour parvenir à digérer ce dîner et surtout ce tiramisu. Je comprends que mon corps en a bien conscience et emploie toute son énergie.Le corollaire, c’est qu’il m’est impossible de me rendormir. Le stress monte, j’écoute un peu de musique, fais des aller-retours aux toilettes infructueux, les heures passent lentement. A partir de 4h ça va mieux je ne suis plus ballonné.Petit-déj léger, je désactive mon alarme qui était prévue à 5h. Je commence à avoir du succès aux toilettes que très progressivement vers 5-6h.
Je m’équipe, enfile les Vaporfly 2 : la même paire avec laquelle j’ai déjà couru toutes mes courses cette année : deux 10k, un 20k et un semi, un marathon, elle a 135kms au compteur. Je démarre l’échauffement à 7h35, n’étant qu’à deux kms de mon SAS je marche quelques minutes puis cours en direction de la zone de départ. Il fait frais, j’ai un vieux gilet des vieux gants et un tour de cou. Les conditions météo sont absolument parfaites. J’arrive sur place il y a un monde de fou, les coureurs s’échauffent : certains à vive allure avec des accélérations. Je me contente d’une allure douce pour économiser mon énergie, et passe aux toilettes : soulagement, j’évacue enfin pour de bon. Je poursuis l’échauffement puis entre dans le SAS bleu (2h50-2h38) à seulement 5 minutes du départ et parviens à me faufiler vers l’avant. Je me sépare de mon vieux gilet et consomme mon premier ravitaillement. On est ultra collés la densité est folle, personne ne dit un mot : concentration maximale. Prendre le départ d’un marathon en ayant peu dormi et après une longue lutte digestive, c’est spécial, mais quand on est en plus sur un objectif ambitieux c’est carrément flippant. Je suis dans un état second, forcément chargé d’adrénaline. 8h15. Le départ est donné.
Chapitre 4 – Valencia Marathon !
[km 0-5] 18:44
Je franchis la ligne de départ et déclenche mon chrono en seulement 10 secondes. Autour de moi autant de dossards verts du SAS -2h38 que de dossards bleus (+2h38). Au vu des conditions idéales, de mon niveau de forme atteint et malgré l’incertitude sur mon état (fatigue/mental), j’ai l’intention de courir le premier semi autour des 1h19 soit une allure cible de 3:44/km-3:45/km et plutôt 3:42/km-3:43/km au GPS. La densité est telle qu’il faut être ultra concentré sur là où on met les pieds pour ne pas tomber. Ca joue des coudes de partout, c’est la guerre. A l’issue de plusieurs minutes éprouvantes, la situation se détend enfin.Je vérifie l’allure c’est tout bon, en revanche je ventile anormalement beaucoup pour un début de marathon. Je passe le premier 5km en 18:44 sérieusement inquiet pour la suite.
[km 5-10] 18:40
Mon ressenti s’améliore de km en km : mon moteur aérobie fonctionne enfin normalement. Mon efficacité progresse, je parviens à me relâcher davantage. Impossible toutefois de profiter du parcours tant le peloton est dense, tant je suis concentré sur l’effort à fournir, tant je ne suis pas dans mon état normal. Mais à mesure que le quart de course s’approche,je passe progressivement d’un état d’inquiétude à un état d’euphorie, d’excitation :je me surprends même avec l’envie d’accélérer. Je cours depuis maintenant plusieurs kms avec deux français du même club. Je discute en particulier avec l’un d’entre eux dont c’est le premier marathon. 1h14 au semi, objectif 2h38, il finira en 2h5x. Coté gastrique ça va mais je reste prudent, je déroule ma stratégie de fueling.
[km 10-15] 18:41 et [km 15-20] 18:38
J’ai l’impression de voler, je suis dans la zone, « le flow »comme on dit. Je me souviendrai toujours de ce que j’ai ressenti pendant quelques dizaines de minutes. Loin d’être essoufflé, je discute ponctuellement.Je savoure, je réalise que je suis heureux d’être là. Le parcours est ultraplat, la densité dingue (je me répète mais il faut le vivre pour s’en rendre compte). Je suis hyper régulier, déterminé d’aller chercher ce sub 2h38 et pourquoi pas un peu en-dessous ?
[km 20-25] 18:41
Je passe au semi en 1:18:50. Les ravitos, assez rapprochés, se sont enchainés. A l’un deux j’ai perdu de visu les deux coureurs avec qui j’aurai partagé une quinzaine de kms. A partir du semi l’euphorie laisse rapidement place à la reconnexion aux sensations corporelles, musculaires en particulier. Pas d’alerte particulière mais je sens déjà que j’ai un semi à bonne allure dans les jambes et il en reste un deuxième à courir, je renonce à l’idée d’accélérer.Il y a un peu de vent, je fais juste l’effort pour rejoindre un gros peloton très dense un peu devant, puis j’y reste aussi longtemps que possible. A l’approche du km25, ça devient plus difficile de maintenir l’allure.
Ma lucidité faiblit, il m’est difficile de me souvenir à quel ravito c’est arrivé précisément mais c’est arrivé, je dirais au km23… Il faut savoir que les ravitos sont très longs. D’abord les bouteilles des élites bien espacées, puis des dizaines de bénévoles de chaque coté qui tendent une bouteille chacun. Par rapport à la densité et au timing des bouteilles dispos,j’en laisse passer plusieurs et me retrouve avec frustration au niveau du dernier bénévole. Au moment où je passe devant lui il n’en a pas en main à proposer, ça s’est joué à deux secondes. Mais sur le moment, plutôt que d’ouvrir les yeux et réaliser qu’il y a un peu plus loin une autre série de bénévoles qui offrent des bouteilles (c’était loin d’être la fin du ravito, très allongé), ma réaction est de m’arrêter net. Je reviens de deux mètres sur mes pas (!), saisi une bouteille et repars. Quelle erreur et quel manque de lucidité. Je me suis senti tellement stupide en voyant les dizaines de bouteilles disponibles plus loin.
[km 25-30] 19:03
Au passage du km25, les choses se corsent. L’arrivée paraît loin, j’ai petit à petit mal aux jambes. D’abord aux deux aînes/hanches. J’ai un mauvais ressenti sous les pieds également, ça tape. Les Vaporfly ont perdu de leur amorti, en tout cas c’est mon ressenti. Elles termineront la course avec 180kms, je regrette de ne pas être parti avec une paire neuve. Je sens aussi que mon estomac est fragile, je réduis légèrement le fueling. Je suis toujours au milieu d’un peloton bien dense, concentré droit devant ça devient monotone avec la fatigue. Je n’ai donc pas vraiment de souvenirs du parcours du second semi si ce n’est qu’il est plat. Je sens que je vais manquer d’énergie, les sensations ressemblent petit à petit au mur de mon premier marathon, il me semble que c’était au km27 que je lâche mentalement l’objectif 2h38 et laisse filer le groupe. A partir de là, je suis seul. Seul, parce que je n’arriverai plus jamais à m’accrocher à un groupe jusqu’à l’arrivée.
[km30-35] 19:40
Au passage du km30, je sais que j’ai une grosse minute d’avance sur le sub 2h40. Environ 90 secondes pour 12kms à parcourir, un rapide calcul m’indique que si je maintiens une allure de 3:52/km ça peut encore le faire. Mes jambes sont de plus en plus lourdes, ma cadence s’effondre progressivement de 185 à180. J’ai l’impression d’être un zombie, je me fais dépasser. Lors de certains dépassements je m’efforce de m’accrocher quelques secondes, parfois dizaines de secondes à l’allure des autres. C’est probablement ça qui limite les dégâts. Mais inexorablement mon état se détériore et je vois mon allure diminuer. Seul point positif, je n’ai pas chaud.
[km35-40] 20:38
Le muret devient un mur, à l’approche du km40 je passe légèrement au-dessus des 4o kilo. J’ai l’impression de me trainer en EF, mais c’est tout de même une allure de course que je maintiens dans la douleur. J’ai le ventre crispé, pour mon dernier ravito je me rince la bouche de sucre sans l’avaler. Relativement peu de souvenirs de ces derniers kms, je me suis fait pas mal doublé, c'était très dur.
[km40-42.2] 8:49
Le sub 2h40 est définitivement perdu mais au km41 je parviens à calculer que sub 2h42 est jouable. Dans le dernier km, il y a des panneaux 800m to go, 700m to go etc… Le tapis bleu en descente, le public très présent et surtout la perspective de l’arrivée proche me redonne accès à une énergie insoupçonnée. Je retrouve mon allure marathon avec 3:42/km dans les 600 dernières minutes au GPS. J’ai un shot d’adrénaline, je ne sens plus mes jambes, je vois le chrono défiler et sprint tout ce que je peux.
2:41:38
Dès le passage de la ligne, je me sens mal, bien plus mal qu’en avril, j’ai un mal fou à marcher. Je craque complètement, je pleure et ça va durer pendant 20 minutes. Je pleure de bonheur, d’épuisement, de soulagement d’être allé au bout de moi-même, d’être libéré de cette épreuve, du deuil du sub 2h40, mais aussi du PR de plus de 7 minutes. Je suis dans un état second, je ne pensais pas un jour courir si vite. Je garde une belle marge de progression pour un prochain et n’ai aucun regret. C’est une des plus belles courses de ma vie car je suis passé par tellement d’états.
https://www.strava.com/activities/10321205296/
J’ai commis plusieurs erreurs bêtes, vous avez j’en suis sûr rigolé et allez me charrier.
Je me suis réinscris à Valencia 2024 car je rêve de battre mon record à nouveau de plusieurs minutes. Ce marathon est absolument fou, le paradis du coureur, j’espère avoir la chance de le redécouvrir dans un meilleur état de lucidité.
Merci à tous et encore un grand bravo à trajan !
