ah oui, et puisqu'on a parlé en début du fil du livre de Serge Raffy, voici la lettre ouverte à celui-ci par une des personnes interviewées pour son bouquin justement. Allez, à toi jacques-françois :
http://vdedaj.club.fr/spip/article.php3?id_article=307
dimanche 8 février 2004 par CSP , BONALDI Jacques-François
LETTRE OUVERTE À SERGE RAFFY, AUTEUR DE CASTRO LINFIDÈLE
Jacques-François BONALDI
La Havane, le dimanche 8 février 2004
In-estimable Serge Raffy
Par honnêteté intellectuelle élémentaire (un concept dont vous semblez ignorer lexistence et lessence), jai attendu davoir votre livre entre les mains pour vous adresser ces réflexions qui me démangeaient la plume depuis que javais lu votre quatrième de couverture et quelques bonnes feuilles dans Le Point.
Et je suis là, devant votre « machin » sans trop savoir comment laborder. Je tourne autour, le flaire en risquant le haut-le-coeur (il ne sent pas bon, assurément), le palpe, le toise, mais il refuse de me livrer son secret et de répondre à ma question : qui es-tu ? Alors, peut-être pourrez-vous éclairer ma lanterne : biographie, essai, roman, science-fiction, ouvrage de défoulement, biographie romancée, roman biographique, feuilleton ? Lamalgame des genres est au fond tout à fait en accord avec lamalgame tout court auquel vous recourez tout au long de ces 672 pages.
Sur ce point, je dois dailleurs vous tirer mon chapeau. Votre Castro linfidèle a été publié en septembre 2003. Or, quand nous nous sommes rencontrés en février 2001 - oui, faut-il vous rappeler que vous êtes venu chez moi à La Havane et que je vous ai reçu toute une après-midi ? - vous ne maviez guère impressionné par vos connaissances de Cuba, de son histoire, de sa culture, de sa Révolution : elles étaient bien légères à lépoque. Et voilà donc quà peine deux ans et demi après, vous nous « commettez » (jamais cette curieuse expression typique des milieux universitaires et de chercheurs selon laquelle on écrirait un livre comme on commet un crime ou un péché na été mieux à sa place) un gros pavé lourdement indigeste sur la quatrième de couverture duquel vous nous annoncez (puisque ce sont généralement les auteurs qui les rédigent, comme on le sait) des tas de « révélations » sur des tas de choses, vous nous expliquez « enfin » la mort du Che, vous nous parlez sans ciller « de longues années denquête », de « centaines dentretiens ». Bref, à vous croire, votre livre est la Summa Castrensis définitive. Et vous-même, un stakhanoviste de la recherche.
Mais si vous ne maviez pas époustouflé par vos connaissances de Cuba, vous maviez fait en revanche limpression dun type honnête, désireux décrire une biographie sérieuse de Fidel Castro. Vous étiez dailleurs en train den attendre une interview que vous appeliez de vos voeux et qui vous faisiez briller les yeux, même si maintenant vous tentez de cacher votre déconvenue en feignant de vous réjouir de navoir pas rencontré votre « biographé ». Soit je suis vraiment quelquun de très naïf, soit vous avez bien caché votre jeu. Car, bien entendu, si vous aviez tenu devant moi les propos que vous tenez dans votre « machin », je vous aurais mis à la porte au bout de dix minutes sans perdre plus de temps avec vous. En tout cas, nous étions convenus de rester en contact par courriel et je métais engagé à vous aider dans la mesure de mes moyens. En fait, je nai plus rien su de vous et je croyais même que vous aviez renoncé à votre projet. Je comprends maintenant les raisons de votre silence : nous ne nageons pas dévidence dans les mêmes eaux.
Donc, à défaut dhonnêteté, vous avez de la plume, ça cest sûr, parce que pondre un pavé pareil (même si votre ami léditeur vous a fait une fleur en le publiant en grosse police et à double interligne pour faire plus impressionnant) en deux ans et demi nest pas à la portée du premier venu. Même si vous donnez des signes dépuisement visibles sur la fin.
Ce qui saute aux yeux, en effet, cest le déséquilibre structurel de votre « machin » : vous consacrez 270 pages à Fidel jusquà la victoire de la Révolution, et vous le suivez dassez près (je ne parle pas dune « analyse » fouillée, tant sen faut, vous le faites sur le ton de commérage anecdotique qui caractérise tout votre ouvrage) ; vous nous expédiez en à peine cent quarante pages les trois premières années si riches de la Révolution, dautant que vous consacrez plusieurs pages à Marita Lorenz et trois chapitres entiers à lépisode relativement mineur doctobre 1959 (nous voilà arrivés p. 410). A partir de là, la crise des Missiles est expédiée en à peine quinze pages (alors que des tas de documents ont été pourtant déclassifiés ces dernières années) ; lassassinat de Kennedy vous retient pendant vingt-six pages ; la guérilla en Bolivie et le drame du Che ont droit à vingt pages. et nous voilà arrivés en 1967 et à la page 473. A compter de là, votre plume est prise de court, vous avez du mal à tenir la distance, et vos cent quatre-vingts dernières pages sont faites de raccourcis et de bonds de kangourou encore plus désordonnés quavant : le chapitre 35 est curieusement consacré à Alina et au Chili dAllende et nous atterrissons donc en 1973 ; le chapitre 36 embrasse pêle-mêle l« affaire Padilla », Virgilio Piñera, Reinaldo Arenas, Carter, et nous voilà arrivés en 1980, p. 500 ; après, bien entendu, laffaire Ochoa, de 1989, nous conduit jusquà la page 554 ; enfin, en à peine quatre-vingts pages, nous faisons du survol jusquau 14 juillet 2003 où se conclut louvrage. Vous avouerez que cest un peu court pour la biographie dun homme qui avait alors soixante-dix-sept ans et qui a rempli son siècle !
Comme quoi, votre Summa Castrensis nest faite que de picorements danecdotes, de butinages de faits sans que jamais le moindre fil conducteur ne guide le lecteur. Celui-ci doit accepter comme argent comptant tout ce que vous lui dites, puisque aucune note de bas de page, aucune référence bibliographique, aucun document - on le comprend puisquun ouvrage de fiction nadmet pas ce genre de gloses - ne vient étayer vos dires.
Devenir un expert « cubanologue » en deux ou trois ans est une gageure évidemment impossible à tenir, doù, Serge Raffy, la médiocrité de votre ouvrage dont la lacune fondamentale découle du fait que vous ne savez pas grand-chose du thème dont vous traitez : je veux dire par là que votre méconnaissance des quarante-cinq ans de Révolution et de lhistoire cubaine tout court vous oblige à traiter la vie de Fidel Castro comme si celui-ci navait rien à voir avec, comme si lune et lautre étaient réciproquement des épiphénomènes ou encore des galaxies tournant en orbite séparée. Alors, du coup, faute du bagage de connaissances, des capacités et des moyens danalyse requis, vous examinez lhistoire par le petit bout de la lorgnette et vous aveuglez sur des minuties. Et sur votre propre haine.
Car ce qui frappe en tout premier lieu, cest justement le ton de votre ouvrage. Il suinte la détestation par tous les caractères de la page, et cest bien là le seul vrai fil conducteur ! Pour sûr, il ny a guère dempathie entre biographeur et biographé. Alors, on se dit : où donc ai-je déjà vu ce ton-là ? On réfléchit deux secondes, on se frappe le front et on se répond : mais à Miami, pardi ! Il suffit en effet de consulter votre fort médiocre bibliographie (létude de livres sérieux et documentés nest évidemment pas votre tasse de thé) et la page de vos « remerciements » pour sen convaincre : vous navez choisi de prêter loreille quà ceux qui ont de bonnes ou de mauvaises raisons de clouer la Révolution cubaine et Fidel au pilori. Dans la bibliographie, 90 p. 100 des ouvrages au bas mot sont des écrits contre-révolutionnaires (au sens littéral de : contre la révolution). À propos, je me demande bien ce que je viens faire, moi, dans cette galère ! Vous auriez pu au moins méviter le déshonneur de côtoyer Juan Arcocha, Reinaldo Arenas, Guillermo Cabrera Infante, Teresa Casuso, Luis Conte Agüero, Daniel James, Theodore Draper, Jules Dubois, Jorge Edwards, Fogel et Rosenthal, Carlos Franqui, Martha Fraydé, Norberto Fuentes, Carlos Alberto Montaner, Juan Vivés, etc., jen passe et des meilleurs. Je ne sais pas trop ce que mon livre - qui est exactement lenvers du vôtre - a pu vous apprendre : il a dû vous tomber des mains. Jeusse aussi mieux aimé que vous nécorchassiez point mon nom : il ne brille pas comme le vôtre au fronton de la gloire, mais jy tiens tout de même.
Question bibliographie, soit dit en passant, je suis étonné de la minceur de vos références directes de Fidel Castro : ses oeuvres (in)complètes doivent occuper plusieurs dizaines de mètres détagères, et vous ne citez pourtant que quelques textes dont certains très mineurs et dont le plus récent est de 1986 ! Jaurais parié que le premier devoir dun biographeur était de connaître par le dedans son biographé, et quoi de mieux que de lire là où il exprime sa pensée. Tenez, si vous aviez fait appel à moi, jaurais pu vous piloter dans les discours de Fidel : voilà maintenant trente-deux ans que je le traduis (sil en existait un de cette nature, je décrocherais assurément le record Guinness du « plus long traducteur » de Fidel Castro !) et je crois connaître assez bien ce quil pense, et sur la durée... Et je vous assure que quand on y regarde dun petit peu plus près que vous ne lavez fait, on y trouve des analyses politiques et humaines assez étonnantes de prescience et dintelligence. Mais pour ça il vous aurait fallu perdre du temps, ce qui nétait pas dans vos intentions.
Permettez-moi par exemple de vous signaler - au cas où un étrange succès de scandale obligerait Claude Durand à vous faire un nouveau tirage - que Le monde économique et la crise sociale nexiste pas, que louvrage sintitule : La crise économique et sociale du monde. Ses retombées dans les pays sous-développés, ses sombres perspectives et la nécessité de lutter si nous voulons survivre, et que les « Editions du Conseil dEtat » nexistent pas plus, sinon lOffice de publications du Conseil dEtat. Je me demande dailleurs ce que vient faire cet ouvrage dans une bibliographie aussi étriquée que la vôtre, car, sil fallait choisir un texte représentatif concernant la Révolution cubaine et Fidel Castro, celui-ci ne serait certes pas le meilleur candidat : il sagit en effet du « Rapport au VIIe Sommet des pays non alignés », rédigé par Fidel lors de la passation de la présidence du Mouvement à lInde en 1983. Sans doute cette entrée nest-elle là que pour « faire sérieux ». En tout cas, cet impair est symptomatique de la « légèreté » avec laquelle vous abordez Cuba. Que vous nayez même pas consulté (à défaut détudier) des livres-interviews aussi capitaux quUn grain de maïs (entretien avec Tomás Borge, 1992, 267 p.) où il parle pour la première fois de Staline, ou Una Conversación en La Habana (entretien avec Alfredo Conde, 1989, 229 p.) où il évoque entre autres son enfance et sa famille, ou alors plus avant, With Fidel (entretien avec Frank Mankiewicz et Kirby Jones, de 1975, 246 p.), pour ne citer que ces trois-là, confirme que vous maîtrisez bien mal votre dossier.
Mais vous reprocher de ne pas vous être beaucoup foulé pour connaître les écrits de Fidel Castro, cest vous faire là une mauvaise querelle. Peu vous chaut, bien entendu, ce quil pense ou dit : limportant à vos yeux, apparemment, pour des raisons que vous seul et votre confesseur connaissez, cest de bâcler un ouvrage à partir de préjugés grappillés chez les autres dont vous acceptez les versions comme parole dEvangile.
Parce que, non content de vous repaître des ouvrages publiés à Miami ou dans loptique Miami, vous avez censément interviewé des centaines de personnes et obtenu des « témoignages exclusifs ». De qui et doù ? Je vous le donne en mille. Pour la plupart, de Miami encore. Et rebelote ! Et on ne peut pas dire dailleurs que le sens de la discrimination et de léquilibre soit votre fort : le gros des personnages mentionnés dans vos « remerciements » est un compendium de la haine. On a même droit à José Basulto, chef notoire dun groupe terroriste, à Lincoln Díaz-Balart, lun des législateurs cubano-américains de la Floride les plus retors ; à Huber Matos qui vous a raconté à sa manière ce fameux octobre 1959 auquel vous consacrez tant de pages ; à plusieurs membres de la Fondation nationale cubano-américaine qui a commandité des attentats terroristes à Cuba ; à Luis Zúniga, autre terroriste, etc. Cest exactement comme si lon écrivait une histoire de la Révolution française à partir des seuls textes et témoignages des ci-devant de Coblence !
Bref, vous avez choisi votre camp : vous ne faites pas oeuvre dhistorien ni même de chroniqueur, mais tout simplement de militant anticastriste pur et dur ! Au fond, et en fait, vous êtes anti-Castro comme on était antijuif sur les scènes de théâtre moyenâgeuses et élisabéthaines, et il ne vous reste plus quà affubler votre personnage du gros faux-nez crochu, de la perruque rouge brillante et du chapeau pointu pour que la ressemblance avec le Barrabas de Christopher Marlowe dans Le Juif de Malte soit parfaite. La caricature est à lidentique. Quant à lautre compendium, celui des « défauts » de Fidel, votre catalogue renvoie au néant celui de Leporello dans le Don Giovanni de Mozart !
Trop, cest trop, Serge Raffy. Nous ne sommes pas face à une étude sérieuse : nous nageons en plein grand-guignolesque, boulevard du Crime. Laccumulation, page après page, de poncifs faits pour horrifier le pauvre lecteur naïf du parterre finit par lasser, et lon se dit que personne ne peut être aussi « mauvais », aussi « ordure », aussi « infâme », aussi « salaud » que ce Fidel Castro dont vous nous brossez le portrait. Votre charge rhinocérontesque sémousse delle-même et votre animal seffondre sous son propre poids.
Ceci, pour dire quil serait vain de reprendre un par un vos à-peu-près, vos interprétations sollicitées, vos affabulations délirantes à partir de menus détails, vos contre-vérité, vos mensonges tout courts, vos inventions pures et simples. Il y faudrait plusieurs volumes au moins aussi épais que le vôtre, et jai quand même des choses plus intéressantes à faire que de contredire votre ouvrage de - je ne trouve pas dautre mot - « parvenu », car on a limpression que vous forcez constamment le trait dans lambition de vous tailler votre place au soleil dans le monde de la pensée unique et du « politiquement correct ».
Je ne prendrai quun seul exemple de votre délire dinterprétation permanent, mais qui vaut pour tous les autres. Le premier chapitre intitulé « Sale Juif ! » qui vous sert en quelque sorte de prolégomènes au sens littéral du terme, autrement un texte « contenant les notions préliminaires nécessaires à lintelligence dun livre ». À partir de quelques aveux de Fidel dans son fameux entretien avec Frei Betto, vous avez tout compris, vous avez tout saisi de la personnalité de Fidel : tout lhomme est là, in nuce, dans ces quelques lignes. Alors, pour le lecteur naïf, je reproduis ce qua dit Fidel en mai 1985 : « En général, tout le monde [dans le coin de campagne où il est né] était baptisé. Celui qui ne létait pas, on lappelait "juif", je men souviens bien. Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire - javais quatre ou cinq ans - je savais quun juif était un oiseau noir, très bruyant, et quand on disait : "cest un juif", je croyais quon parlait de lui. Voilà mes premières notions [en matière de religion] : celui qui nétait pas baptisé était "juif". » Et là, alors, monsieur Raffy, vous partez dans une psychanalyse de bistrot tard dans la nuit qui a dû vous rappeler la belle époque où vous étiez rédacteur en chef de la revue Elle : cest à peu près du même niveau. Je renvoie le lecteur intéressé à vos élucubrations des pages 11-12.
Au fond, je ne devrai pas men prendre à ces deux pages, parce que cest bien le seul endroit de votre pavé où, contre votre gré, sans même vous en rendre compte, vous glissez un éloge de votre biographé : en effet, prêter une telle profondeur de pensée à un gamin de quatre-cinq ans, cest vraiment le considérer comme un cerveau privilégié absolument hors du commun ! Que pense en effet Fidel ? « .il se mit à penser quil était un peu responsable de la mort de Jésus-Christ. Le gamin était plongé dans une grande détresse. Comment se faire pardonner pareil crime ? Quel châtiment allait fondre sur lui ? Quelle foudre divine sabattrait bientôt sur lui ? Le soir, en rentrant chez ses tuteurs, il sinterrogeait : "Suis-je un monstre ?" Comme nul ne lui apportait la moindre réponse, il décida de devenir monstrueux. refusa toute autorité. Il navait de comptes à rendre à personne, puisque seul le Très-Haut était à même de le juger. Chaque jour que Dieu faisait, il attendait dêtre précipité dans les flammes de lenfer. Un jour ou lautre, lassassin du Christ serait puni. Mais quand ? »
Et voilà pourquoi, monsieur, votre fille est muette ! Je laisse le lecteur juge de ces analyses où le farfelu le dispute à lincompétence prétentieuse. Et les 662 pages suivantes sont à lavenant.
En fait, en plus de votre méconnaissance de lensemble de votre sujet, le second vice rédhibitoire de votre « machin » est davoir évacué (tiens, pourquoi ce sont toujours des termes « cloaqueux » qui me viennent sous la plume à votre égard ?) le politique de votre « biographie » de Fidel Castro et de vouloir systématiquement - cest là un autre fil conducteur - expliquer ses actions par une personnalité paranoïaque. Or, sil est une chose qui saute aux yeux, cest bien le côté « animal politique » de Fidel Castro. Mais le prendre en considération - si tant est que vous en eussiez la capacité intellectuelle - vous obligerait à mettre de leau dans votre vin, à nuancer vos affirmations péremptoires mais jamais prouvées, ce qui nétait pas du tout dans vos intentions, bien entendu. Vous nous lavez dit dentrée : Fidel Castro est un « monstre », et vous êtes bien décidé, envers et contre tout, surtout contre la vérité la plus élémentaire, à en faire la démonstration et à nous déballer au grand jour tout ce quil y a de tératologique en lui !
Entre autres, en le transformant en un serial killer digne des scénaristes les plus délirants dHollywood (est-ce là laspect thriller dont vous nous avertissez en quatrième de couverture ?). On tombe comme des mouches autour de lui, et il ne fait pas bon être de ses amis, puisque, curieusement, aucun ennemi na jamais été victime de sa fureur homicide (Kennedy a eu de la chance dêtre du « bon côté ») : Camilo Cienfuegos, le Che Guevara, Salvador Allende. Et puis encore Frank País (cest du moins ce que vous laissez entendre), et aussi Eliecer Gaitán. Tiens, Serge Raffy, tant que vous y êtes, pourquoi ne pas lui coller sur le paletot dautres morts célèbres tels que Samora Machel et Omar Torrijos ? Si jétais chef de la police suédoise, jenquêterais sur la « connexion Castro » pour élucider lassassinat toujours inexpliqué dOlof Palme...
Oui, vraiment, trop, cest trop. Et votre livre se convertit en de la bouillie pour les chats, sen va en eau de boudin. Je jurerais bien que, sauf à Miami, personne narrive au bout.
Je vous pardonne dautant moins que vous avez le culot stupéfiant de dédier votre machin « au peuple cubain, héroïque et martyr ». Diable, mais vous le traitez par le mépris tout du long, Serge Raffy ! Dabord, on se demande bien comment un peuple « héroïque » a pu supporter pendant quarante-cinq ans le monstre hallucinant que vous nous peignez. ce nest pas de lhéroïsme, ça, cest de lavachissement !
Mais trêve de plaisanteries. Létonnant, cest que vous ne vous rendez même pas compte que vous le méprisez, ce peuple. À peine quelques exemples. Page 14 (ça commence mal.), vous nous apprenez, fort de votre connaissance poussée de lhistoire cubaine, que ce ne sont pas les insurgés qui ont mis à genoux larmée coloniale espagnole en 1898, mais tout bêtement les. moustiques ! Liquidé des génies militaires de la taille dAntonio Maceo, de Máximo Gómez, de Calixto García, et la volonté dindépendance dune armée solidement bâtie et dune population. Mais, bien entendu, à votre loup on lui voit le bout de loreille (et même les deux) : cela vous permet de sous-entendre à ladresse du lecteur naïf que cest grâce aux Etats-Unis que Cuba a obtenu son indépendance. Pages 397-398, la campagne dalphabétisation de 1961, menée par une partie de ce peuple et dont lUnesco a tiré des leçons pour étendre lexpérience à dautres pays du tiers monde, devient sous votre plume méprisante une « campagne dendoctrinement », les bandes contre-révolutionnaires armées par la CIA assassinant des alphabétiseurs se convertissent en « villageois peu portés sur lendoctrinement », doù votre docte conclusion : « cette "croisade" est une catastrophe. » Page 527, les troupes cubaines en Angola qui ont permis de préserver lindépendance de ce pays, daccélérer celle de la Namibie et de hâter leffondrement de lapartheid (ce nest pas pour rien que Nelson Mandela, qui savait à quoi il devait en grande partie sa libération, se rendit à Cuba pour son premier voyage à létranger) deviennent sous votre plume baveuse « une troupe de filouteurs, de contrebandiers et de voyageurs de commerce ». Jarrête là le recensement.
Quant aux épithètes dont vous affublez Fidel page après page, je ne tente même pas den faire un échantillonnage.
De toute façon, il ny a rien, mais alors absolument rien, pas une seule action, pas un seul geste, pas une seule pensée, pas une seule idée, dans une vie de soixante-dix-sept ans, qui trouve grâce à vos yeux. Même les récentes campagnes de lutte contre la dengue (pp. 609-610) méritent les calomnies prétentieuses de votre plume censément humoristique. Vous êtes le Midas de lordure !
Pour comprendre un tant soit peu quelque chose de la Révolution cubaine et de Fidel Castro, il vous faudrait des outils danalyse qui vous font cruellement défaut. Et un tant soit peu dobjectivité. Les ragots de bas étage dispensés tout au long de vos 672 pages napprennent rien dessentiel.
Un bon conseil pour finir. Maintenant que vous vous êtes bien défoulé (parce que votre livre, de fait, en dit plus sur vous-même que sur votre « victime »), retournez donc à vos anciennes amours, les lectrices de Elle, et cessez de vouloir jouer dans la cour des grands.
Jacques-François Bonaldi La Havane jadorise@hotmail.com
P.S. Tenez, je vais être gentil. En cas miraculeux dun nouveau tirage, rectifiez auparavant quelques bourdes. Au hasard : le Maine était un cuirassé, pas un croiseur (p. 14). Cest lîle de Guam, pas de Guan (p. 15). « Les mambis, représentants de la bourgeoisie » (p. 19) ! Elève Raffy, bûchez un peu plus et repassez la prochaine fois : cest un raccourci un peu raide. Antonio Guiteras, chef du Parti authentique ! (p. 30) Là encore potassez et repassez. Guiteras fut cadre du Directoire étudiant puis fonda ensuite Jóven Cuba en 1934, date de la création du Parti révolutionnaire cubain (authentique) et fut assassiné (pas par Castro qui navait encore que huit ans) lannée suivante. La salsa en 1940 ! (p. 49) « Le lézard, symbole de lîle » (p. 52) Et moi qui avais toujours cru que cétait le crocodile ou le caïman ! Evidemment, un alligator serait un tout petit peu gros à disséquer pour un enfant de dix ans et le prétendu symbolisme de votre psychanalyse de quai de gare ne fonctionnerait pas. « José Martí. forcé démigrer aux USA vers 1870 » (p. 88) Recalé, potache Raffy : Martí narrive aux USA que le 3 janvier 1880 ; en 1870, il est aux travaux forcés à La Havane, condamné par les autorités espagnoles. « LOriente. pays de José Martí » (p. 120). Décidément, la matière Martí, ce nest pas votre fort : Martí est né à La Havane et na mis les pieds dans lEst de Cuba que le 11 avril 1895, deux mois avant sa mort au combat le 19 mai. « Granjilla Siboney » (p. 121) : non, granjita. Ainsi donc, vous connaissez la date exacte de la rencontre entre Fidel et le Che Guevara : 9 juillet 1953 (p. 153) ! Jaimerais bien savoir qui vous la fournie. Je passe sur les élucubrations délirantes concernant cette rencontre. Tout comme je passe sur la « trouille » de Fidel qui dirige de loin les combats (p. 236) : dites donc, il ne faudrait tout de même pas croire les yeux fermés tout ce que vous a raconté Huber Matos. Quant à Fangio, le « fameux coureur italien » (p. 240), décidément votre eurocentriste vous emporte : laissez donc aux Argentins une de leurs gloires nationales. « Le plan dément. suicidaire. lopération folle. » (p. 259) : vous parlez de lenvoi vers Las Villas de Camilo Cienfuegos et Che Guevara. Si vous connaissiez un peu mieux lhistoire de Cuba, vous sauriez que ce plan reproduit pour des raisons stratégiques et de symbolique historique lInvasion vers lOuest qui avait toujours été une des clefs de voûte des guerres dIndépendance, toutes deux démarrées dans lEst du pays, et quAntonio Maceo mena à bien en compagnie de Máximo Gómez jusquen Pinar del Río en 1895-1896. A partir de là, lopération nest pas si folle.
Bien, je marrête. Les autres bourdes, trouvez-les vous-même. Tiens, deux autres pour mamuser : la CIA, « bienfaiteur » de Fidel pendant la guerre de la Sierra Maestra (p. 264). Faut le faire, et surtout lécrire ! Page 271 : je ne résiste pas à lenvie de faire connaître au lecteur un petit échantillon de vos délires dinterprétation : « Fidel [il vient dentrer à La Havane le 8 janvier 1959] est dans un drôle détat : il a tout simplement langoisse du vide. Il y a quelques mois encore, il nétait quun bandit de grand chemin, un aventurier plus ou moins romantique. Le voici à la tête dun mouvement qui le dépasse. Tout est allé trop vite. Il na pas conquis Cuba, cest le pays qui sest offert à lui. » Plus loufoque, tu meurs ! Car sil est quelque chose qui saute aux yeux, cest la parfaite maîtrise des événements dont il a fait preuve.
Je vais pousser la gentillesse jusquà vous signaler deux autres âneries, et après, promis, jarrête : le père Varela na jamais été un « héros de la guerre dIndépendance » (p. 611) puisquil est mort en 1853, quinze ans avant la première de 1868-1878 ; le colonel qui se trouvait à la Grenade en 1989 sappelait Tortoló, et non Torloto (p. 516).