Extrait-résumé d'un article de Christian MARCHAL ,Ancien élève de l'Ecole polytechnique
Docteur es Sciences (1967)
Les parties en italique sont plus techniques ou sont des références et peuvent éventuellement être sautées. Pour les pressés
Les progrès successifs dus à Poincaré sont les suivants.
A) Dans le livre La science et l'hypothèse (1902), pages 111, 245 et 246 .
Il n'y a pas d'espace absolu et nous ne concevons que des mouvements relatifs.
Il n'y a pas de temps absolu ; dire que deux durées sont égales, c'est une assertion qui n'a par elle-même aucun sens et qui n'en peut acquérir un que par convention.
Peu nous importe que l'éther existe réellement, c'est l'affaire des métaphysiciens...
Einstein lui-même dira encore bien plus tard, en 1920, dans la conclusion de sa conférence de Leyde : " En résumant, nous pouvons dire : D'après la théorie de la relativité générale, l'espace est doué de propriétés physiques ; dans ce sens par conséquent un éther existe. Selon la théorie de la relativité générale un espace sans éther est inconcevable... ."
Einstein A. L'ether et la théorie de la relativité. Conférence faite à Leyde (Pays-Bas) le 5 mai 1920. Traduction en français par Maurice Solovine et M. A. Tonnelat dans : Albert Einstein, Réflexions sur l'électrodynamique, l'éther, la géométrie et la relativité. Collection "Discours de la méthode", nouvelle édition, Gauthier-Villars éd., 55, quai des Grands Augustins, Paris 6e, page 74,1972.
B) Le congrès scientifique mondial de Saint-louis (Missouri, septembre 1904, publié en novembre 1904).
Henri Poincaré est invité à présenter une conférence générale sur " L'état actuel et l'avenir de la Physique mathématique " . Il ajoute audacieusement le " principe de relativité " au cinq principes classiques de la Physique :
"Le principe de relativité, d'après lequel les lois des phénomènes physiques doivent être les mêmes pour un observateur fixe et pour un observateur entraîné dans un mouvement de translation uniforme, de sorte que nous n'avons et ne pouvons avoir aucun moyen de discerner si nous sommes, oui ou non, emportés dans un pareil mouvement.".
Ce principe était bien sûr essentiellement basé sur les résultats négatifs des expériences de cette époque sur l'éther. La plus grande partie de la conférence est consacrée à la défense du nouveau principe et Henri Poincaré conclut : "Ainsi le principe de relativité a été dans ces derniers temps vaillamment défendu, mais l'énergie même de la défense prouve combien l'attaque était sérieuse... Peut-être devrons-nous construire toute une mécanique nouvelle que nous ne faisons qu'entrevoir, où l'inertie croissant avec la vitesse, la vitesse de la lumière deviendrait une limite infranchissable."
Poincaré H. L'état actuel et l'avenir de la physique mathématique. Bulletin des Sciences Mathématiques, 28, 2e série (réorganisé 39-1), pages 302-324,1904.
C) La note à l'Académie des sciences de Paris (5 juin 1905, publiée le 9 juin 1905).
Poincaré écrit à nouveau le principe de relativité et analyse le " changement de variables " présenté par Lorentz dans son mémorandum. Il simplifie la présentation de ce changement et lui donne son nom actuel.
Plus tard, en 1914, Lorentz corrigera cette affirmation : "je n'ai pas indiqué la transformation qui convient le mieux. Cela a été fait par Poincaré et ensuite par M. Einstein et Minkowski."
Lorentz H. A. Deux mémoires de Henri Poincaré dans la Physique mathématique. Acta Matematica, 38, pages 293-308,1921.
Poincaré remarque que la théorie de la relativité implique l'existence " d'ondes gravifiques " ou ondes gravitationnelles se déplaçant à la vitesse de la lumière. Cependant ses recherches ultérieures sur ce sujet ne furent pas couronnées de succès.
Poincaré note enfin que la transformation de Lorentz et les transformations associées sont les éléments d'un "groupe" au sens mathématique du mot (aujourd'hui le groupe de Poincaré, dont celui de Lorentz est un sous-groupe). Cela lui permet de donner la valeur du coefficient 1 utilisé par Lorentz dans sa transformation : ce coefficient est égal à l'unité.
Les groupes ont des invariants et Poincaré trouvera l'invariant de son groupe : la quantité L2 - c2T2 où L représente l'intervalle de longueur et T l'intervalle de temps. Quelques années plus tard Minkowski présentera ce même invariant sous la célèbre forme différentielle : c2 dt2 - dx2 - dy2 - dz2 = c2 ds2
Le paramètre s est le " temps propre ", lequel étant un paramètre physique donné par les horloges de bord du véhicule étudié, doit évidemment avoir la même valeur dans tous les référentiels.
Il faut comprendre que le second temps, t', apparaissant dans la transformation de Lorentz a le même caractère physique que le premier, à cause de l'inexistence de l'éther et du temps absolu, et à cause de la parfaite symétrie de la transformation. Poincaré avait déjà donné un sens physique à ce temps t' en synchronisant les horloges avec des signaux lumineux, grâce à l'invariance de la vitesse de la lumière
Poincaré H. La mesure du temps. Revue de métaphysique et de morale, 6, pages 371-384,1898
D) Le dernier travail fondamental de Poincaré sur la relativité est son étude [b]"sur la dynamique de l'électron"[/b] dans laquelle il démontre et développe les idées de sa note à l'Académie (réf. 5, juillet 1905, publiée en janvier 1906).
L'expression de la transformation du champ électromagnétique est impressionnante : l'électromagnétisme apparaît comme le mariage de l'électrostatique et de la relativité.
La théorie de Lorentz et Poincaré conduit donc au caractère relatif de l'espace et du temps physiques, elle est en accord avec le principe de relativité, avec les équations de Maxwell non seulement dans le vide mais aussi ailleurs, avec les expériences sur l'éther (Fizeau, Airy, Michelson, etc.) et avec les résultats classiques de l'électromagnétisme tels qu'ils furent découverts par les pionniers : Coulomb, Ampère, Volta, Laplace, Gauss, Oersted, Faraday... La théorie de la relativité restreinte était dès lors complète.
Pendant ce temps, Einstein prépare et publie son premier et plus célèbre travail sur la relativité : Zur Elektrodynamik der bewegten Kôrper (réf. 6). Ce travail fut présenté sans aucune référence et est pour cette raison considéré par certains auteurs comme une compilation des travaux précédents.
Leveugle J. " Poincaré et la relativité". La Jaune et la Rouge, pages 31-51, avril 1994
L'idée de base d'Einstein est l'invariance de la vitesse de la lumière (ce qui oblige les photons à avoir une masse nulle).
Einstein est conduit au principe de relativité. Il obtient tous les résultats décrits par Poincaré. Il mentionne même que les transformations de Lorentz et les transformations associées forment un groupe, mais ne fait aucun usage de cette propriété.
Einstein était-il au courant des travaux de Poincaré ? Ceci est une question difficile.
D'une part il écrit en 1955 dans une lettre à Carl Seelig :
Il n'y a pas de doute que, si nous regardons son développent rétrospectivement, la théorie de la relativité restreinte était prête à être découverte en 1905. Lorentz avait déjà observé que, pour l'analyse des équations de Maxwell, les transformations qui porteront plus tard son nom sont essentielles et Poincaré avait été encore plus loin.
En ce qui me concerne, je ne connaissais que les travaux importants de Lorentz de 1895 : La théorie électromagnétique de Maxwell et Versuch einer theorie der elektrischen und optischen Erscheinungen in bewegten Kôrpern mais je ne connaissais ni les travaux ultérieurs de Lorentz ni les investigations correspondantes de Poincaré.
Dans ce sens mon travail de 1905 était indépendant
Mais d'autre part :
A) Le travail d'Einstein en 1905 sur la relativité contient les mêmes résultats que celui de Poincaré y compris la propriété de groupe pour les transformations de Lorentz et les transformations associées. Cette notion de groupe mathématique était alors très nouvelle et pratiquement ignorée chez les physiciens, Einstein n'en fait aucun usage.
B) Einstein n'a évidemment pas pu utiliser le travail de Poincaré de juillet 1905 pour écrire son propre texte, mais la Note à l'Académie du 5 juin 1905 est arrivée à Berne, à temps, le 12 ou le 13 juin, et la lire faisait partie de son travail ordinaire. On peut d'ailleurs remarquer qu'Einstein résumait régulièrement pour les Annalen der Physik les travaux de physique les plus intéressants, y compris ceux parus dans les comptes rendus de l'Académie des sciences de Paris
Einstein A. Beiblätter zu der Annalen der Physik. 29, n° 18, pages 952-953,1905.
C) Selon ses amis Maurice Solovine et Carl Seelig, Einstein avait lu le livre de Poincaré La Science et l'Hypothèse (pas de temps absolu, pas d'espace absolu, pas d'éther...) pendant les années 1902-1904. Ce livre fut discuté à leur cercle de lecture "Académie Olympia" durant plusieurs semaines
Solovine M. Lettres à Maurice Solovine. Éd. Gauthier-Villars, Paris, 1956.
Néanmoins, même si le principe de relativité doit être appelé principe de Poincaré, et même si Einstein n'est pas le premier, nous lui devons non seulement la relativité générale de 1916 mais aussi une magnifique vulgarisation de la relativité restreinte.
...
Henri Poincaré n'était pas homme à se mettre en avant. Il avait attribué à Lorentz plus que sa part, ce qui fut loyalement refusé par celui-ci. Il avait appelé " fonctions fuchsiennes", fonctions du professeur Fuchs, des fonctions pour lesquelles il avait fait plus des deux tiers du travail...
En fin de compte l'amitié de Lorentz le sauva. En 1921, après le triomphe de l'éclipse de Soleil de 1919, le comité Nobel se réunit avec pour première pensée : " Nous devons donner le prix Nobel à Einstein pour la relativité ". Mais Lorentz, prix Nobel de physique 1902, proteste : "Ce n'est pas juste ! " et il publie la notice sur la vie de Poincaré qu'il avait écrite en 1914 ... "Je n'ai pas établi le principe de relativité comme rigoureusement et universellement vrai. Poincaré au contraire a obtenu une invariance parfaite des équations de l'électrodynamique et il a formulé le " postulat de relativité ", termes qu'il a été le premier à employer. "
Embarrassé, le comité Nobel décide de prendre le temps de réfléchir et, après quelques mois, donne finalement le prix Nobel à Einstein mais pas pour la relativité... pour l'effet photoélectrique !
Lorentz H. A. Deux mémoires de Henri Poincaré dans la Physique mathématique. Acta Matematica, 38, pages 293-308,1921
Ainsi, en dépit de sa modestie et de sa timidité, Henri Poincaré doit être considéré comme le père du principe de relativité et le fondateur de la relativité restreinte.
Message édité par polyplu le 03-01-2005 à 09:55:21