Tenez je vous balance le miens....si vous avez le courage de le lire jusqu'au bout
A Bards Tale
Chapitre I
Lanimal le regarda dans les yeux sans bouger. Jaewin nosait faire le moindre mouvement, face à la puissance quexprimait le corps de la bête.
- Vas y, lui souffla Gwiren, cest le moment ou jamais
Jaewin shumecta les lèvres et en approcha lentement sa flageole. Il sarrêta brusquement sans quitter des yeux lanimal toujours immobile.
- Je ne peux pas ! Je narriverais jamais à utiliser ce charme contre lui. Je suis encore trop jeune pour faire ça ! Et puis il est bien trop gros ! Murmura-t-il,
- Mais non, je tassure, joue, lentement, en te concentrant sur son esprit, tu verras ça va marcher, jen suis sûre !
Le jeune barde posa alors son instrument sur ses lèvres, et dun geste délicat, sans se défaire du regard insistant de la bête, commença à jouer un air doux qui emplit la forêt. Une sensation, jusqualors inconnue, commença à monter en lui. Quelque chose de fabuleux était en train de se produire, son esprit devenait ours et celui de lours pénétrait en lui dans une harmonie parfaitement convenue. Gwiren retenait sa respiration, malgré la croyance quelle avait dans le jeune barde, elle nen croyait pas ses yeux, le souffle de lanimal sétait ralenti et ses yeux reflétaient maintenant de la sympathie pour le musicien.
Je peux te sentir, je peux tentendre, je peux deviner tes pensées.
Lours sétait maintenant assis et agitait ses pattes comme un chien faisant le beau pour obtenir sa récompense.
- Que se passe til ?
- Cest à toi de me lexpliquer, petit homme.
La voix de lanimal était à la fois, claire et rassurante, elle résonnait dans lesprit de Jaewin comme si elle provenait des ténèbres. Elle envahit son corps et son âme dune sensation de bien être, jamais atteint, ni Gwiren, ni la forêt nexistaient, seulement lui, lours et la musique qui suivaient son enchantement. Les doigts de Jaewin se déplaçaient sur la flageole avec une étonnante dextérité, libérant une mélodie qui ne cessait denvahir les lieux se propageant entre les arbres comme une brise printanière.
- Je ne sais pas, cest la première fois que
enfin je nai jamais
- Essayé de parler à un animal ?
- Oui, cest ça.
- Et que veux tu au juste ?
- Rien, monsieur
dame, jessayais juste de vous convaincre de quitter les lieux sans nous attaquer
enfin
- Je vois, nai crainte jeune homme, je ne te ferais aucun mal, mais saches que cest un très grand don, que tu as là, ne lutilise pas à tort, et prends bien garde à toi, car tout comme vous, humains, le monde animal est composé de bons et de mauvais éléments.
- Merci
madame
sieur
Lanimal se remit sur ses pattes et sen alla sous les yeux ébahis de Gwiren. La musique sarrêta. Jaewin perdit connaissance.
Le soleil éclairait la moitié du visage encore endormi de Jaewin, il ouvrit un oeil, quil referma aussitôt tant la douleur dune telle clarté était insupportable. Sa tête lui faisait horriblement mal, comme si on lavait rouée de coup. Leoran était assis sur une chaise de lautre côte de la pièce, il tenait dans ses doigts, son amulette, lobjet sacré des Mages, quil possédait depuis la mort prématurée de son père lors de lincursion des troupes du roi Vrugor. Gwiren était assise par terre, la tête appuyée sur sa jambe, elle dormait.
- Quel heure est il ? Demanda Jaewin en se frottant les yeux,
- Sexte vient de sonner, cela fait peu de temps,
- Jai dormi longtemps ? Dit-il en se relevant péniblement du lit.
- Oh, deux bonnes heures, au moins ! rétorqua Leoran, en replaçant son amulette autour de son cou.
Gwiren ouvrit les yeux, et se leva dun bond en voyant Jaewin assis sur la couche. Elle se précipita sur lui et le plaqua sur le lit en le serrant fort dans ses bras. Malgré sa fine corpulence et son jeune âge, Gwiren avait une force étonnante, elle lui venait de son père qui fût un des plus grand guerrier reconnu par delà les Hautes Plaines. Cétait dailleurs grâce à cette puissance quelle avait réussit à traîner Jaewin, pendant plus de deux kilomètres, jusquà la maison de son grand père.
- Doucement, Gwiren, tu vois bien quil est encore affaibli ! Lança Leoran étouffant un rire.
- Je sais, grand père, mais je suis si contente de le revoir, jai eu si peur, jai cru un instant que je lavais perdu pour toujours ! Elle parlait avec une telle hystérie, quil dût se relever de sa chaise et savancer vers elle pour lui caresser les cheveux afin dapaiser son émoi.
- Allons, allons, ne dit pas de sottises, il sest juste évanoui, rien de plus. Cest assez fréquent, lorsque lon essaye de surpasser ses forces ». Jaewin sentit bien, que Leoran lui reprochait la stupidité de son acte. Il se dégagea de Gwiren, qui alla sasseoir sur un tabouret, et sassit sur le rebord du lit.
- Ecoute, commença-t-il en baissant les yeux, je suis vraiment désolé, je voulais juste lobliger à faire demi tour, je ne pensais pas que je pouvais
, il marqua une pause pour être sûr de bien choisir ses mots,
enfin, je savais que je pouvais contrôler lesprit dun animal, grâce à la musique et à ton enseignement, mais jignorais que je pouvais
.communiquer avec eux ». Il prit sa tête entre ses mains, « comment est-ce possible ? Et que sest il passé ensuite, je me souviens avoir arrêté de jouer, et
.plus rien, le néant.
Leoran vint sasseoir à côté de lui, le bruit de la couche brisa le silence qui régnait dans la pièce. Il resta silencieux un instant. Seuls les piaillements des oisillons, réclamant leur nourriture, et le ruissellement de la rivière qui suivait son court, se faisaient entendre au dehors en cette belle mi-journée printanière.
- Gwiren, tu veux bien nous laisser seuls un instant ?
- Mais, grand-père, je
commença-t-elle
- Sil te plait ». Interrompit calmement Leoran. Elle rajusta sa brassière dans un mouvement de mauvaise humeur et sortie de la pièce en faisant la moue. La porte claqua si fort, que Jaewin crût que la maison allait seffondrer sur eux.
- Ah
, soupira-t-il, je crois revoir son père lorsquil avait son âge, agité, excité, curieux, toujours prêt pour partir à laventure. Un sacré caractère ! , il marqua une pause - Dis moi Jaewin quel âge as-tu maintenant ?
- Je vais avoir quatorze ans dans deux mois.
- Déjà ! Que le temps passe vite, je me souviens encore lorsque je vous ai recueillis, Gwiren et toi, vous nétiez que deux jeunes enfants de trois et cinq ans. Ah, cétait il y a bien longtemps. Maintenant laisse moi te raconter ce quil sest réellement passé.
Il respira longuement et commença.
- Vrugor, avait mené une attaque cinq ans auparavant, tuant des milliers de personnes défendant les terres des Hautes Plaines, parmi les guerriers et magiciens qui luttèrent contre les troupes de Vrugor, y figurait mon père, hélas celui-ci était trop vieux et trop las pour pouvoir profiter de ses nombreux pouvoirs, qui en avaient fait, lun des plus grand magicien de la comté. Il payât cher le prix de son courage et mourût dans mes bras, me laissant en héritage cette amulette, lamulette sacrée des Mages. Grâce à notre obstination, nous pûmes congédier les forces du mal et ainsi garder les terres des Hautes Plaines libres.
Leoran se leva, et marcha vers son pupitre. Il sortit du tiroir une longue pipe et un morceau de tissu, soigneusement enroulé, qui contenait un mélange dherbe, dont lui seul en avait le secret. Il en bourra soigneusement le fourneau, puis ferma les yeux. Il posa délicatement ses doigts sur lherbe qui se mit à émettre un filet de fumée, timide, au début, mais qui sactivait, au fur et à mesure quil aspirait sur le bec. Jaewin était habitué à ce type de magie, surtout après tant dannée à ses côtés, mais cela le captivait à chaque fois. Après deux longues bouffées Leoran revint sasseoir sur la couche. Lodeur du tabac, doux et âcre à la fois, avait déjà envahit la pièce, se confondant avec le parfum printanier, qui ne cessait dentrer par la fenêtre grande ouverte.
- Malheureusement cette victoire, ne dura pas éternellement, poursuivit-il, et déjà on rapportait quune terrible vengeance se préparait et serait guidée par Vrugor en personnes. On racontait, dans les comtés les plus éloignées, que les forces du mal avaient triplé leurs effectifs, et que leur détermination à conquérir nos terres était encore plus forte que jamais.
Il sarrêta pour tirer une autre bouffée.
- Cest alors quavec la confrérie des mages nous prîmes la décision, dinitier les meilleurs dentre nous à lart de la magie suprême. Nous choisîmes notre meilleur guerrier, notre meilleur barde, notre meilleur druide et enfin notre meilleur clerc, et nous les formâmes, afin quils puissent exploiter au mieux leur pouvoirs ». Il se leva et marcha vers la fenêtre.
- Inutile de te dire que le barde que nous avions choisis était ton père. Cétait le plus doué de tous, il était capable de charmer des foules entières, sa musique était puissante, captivante, dangereuse allant même jusquà tuer tout comme sa voix ! Cétait son arme. Et plus ses pouvoirs grandissaient et plus il se distinguait comme le meilleur élément du groupe. Cest moi qui était chargé de sa formation, et depuis le début, javais compris que ses pouvoirs nétaient pas le fruit de mes efforts mais un don, un don quil avait en lui depuis sa plus tendre enfance, un don qui faisait partit de ses gênes, un don quil ta transmit à ta naissance.
Jaewin le regarda sans pouvoir prononcer un mot. Il connaissait lhistoire de son père. Il avait entendu, à plusieurs reprises, les légendes qui le décrivaient comme lun des plus grands bardes que les terres des Hautes Plaines aient connu. Mais il ignorait tout de son côté guerrier, magicien si puissant comme venait de le décrire Leoran. Des milliers de questions se bousculaient dans sa tête, mais il était incapable den formuler ne serait-ce quune. Sa vie allait prendre un grand tournant, il en était conscient mais comment allait-il affronter son avenir, sachant quil se savait maintenant doté de très grands pouvoirs ? Comment allait-il faire pour pouvoir les maîtriser, afin de les utiliser à bon escient ? Autant de questions qui allaient rester, pour linstant, sans réponses.
- Malheureusement, tout na pas fonctionné comme nous lavions prévu, poursuivit Leoran, les forces du mal attaquèrent plus tôt que prévu et nous pûmes contenir leur fureur, beaucoup prirent la fuite, et ceux qui décidèrent de lutter jusquau bout y laissèrent leur vie. Cest lorsquil vit quil ny avait plus despoir, que ton père menvoya te chercher pour temmener loin des terres des Hautes Plaines, ce fut la dernière fois que jentendis sa voix. Cette nuit là, je perdis mon fils, ma famille et nombreux de mes amis et me retrouvai seul, fuyant par delà des montagnes avec Gwiren dans mes bras et toi sur mon dos.
Jaewin lui adressa un regard attristé. Dans lespace dun spasme, il crut voir des larmes dans les yeux du vieil homme. Ce nest que lorsquil le vit ravaler sa salive, quil comprit quil était réellement en train de pleurer. Il se leva péniblement de son lit pour le rejoindre, il lenlaça et appuya son oreille contre sa poitrine, il entendait les battements réguliers de son coeur, comme le son dun tambour marquant le pas des hommes de guerre.
- Tant dannées dentraînement, dapprentissage, pour quil nen reste rien, juste quelques écrits, qui heureusement, sont aujourdhui en ma possession. Sans cela nous serions tous perdu.
- Quels écrits ? De quoi parles-tu ? Lança Jaewin tout en se détachant de lui.
- Lorsque nous prîmes la décision dentraîner ces quatre prodiges, un de nous avait pour mission de reporter chaque phases qui constituaient cette formation. Tout y était reporté, sorts de tous niveaux, chants sacrés, recettes de potion, et bien plus encore. Ce livre est une véritable mine dor pour quiconque veut comprendre et maîtriser ses pouvoirs magiques, mais il est également une arme dune puissance extrême pour celui qui lutiliserait à faire le mal, heureusement les pages ne peuvent être lues que si lon possède lamulette des Mages. Sans cela, elles ne sont que des feuilles vierges de toute écriture.
Jaewin essayait de contenir son excitation, mais ses yeux miroitants le trahissaient. Depuis sa plus tendre enfance, il avait tenté de découvrir, peu a peu, ses pouvoirs. Mais souvent limité par sa pauvre connaissance en la matière, il sétait vu abandonner à plusieurs reprises. Peut être était-ce loccasion de combler ses lacunes et maîtriser une fois pour toute le mana qui brûlait en lui. Leoran esquissa un sourire en voyant les yeux ampli despoir du jeune barde, et alla sasseoir prés de son pupitre.
- Oh, je sais ce qui est en train de se passer dans ta petite tête ! Lui lança-t-il dun air enjoué, mais, ne crois surtout pas que lapprentissage sera facile ! Cela demande beaucoup de temps et dénergie. La maîtrise de la magie nest pas à prendre à la légère Jaewin. La magie utilise les forces de la nature, la magie peut faire le bien mais aussi le mal, la magie est régie par des lois. Jaewin buvait chacune de ses paroles, les yeux écarquillés. Il avait du mal à croire que le grand moment était enfin arrivé.
- Il y a quelque chose de très important quil faut que tu saches. Les trois lois auxquels elle obéit sont : la loi de lempreinte, la loi de lanalogie et la loi du triple retour. Cest à cette dernière quil faudra que tu attaches le plus dimportance, car cest elle qui influera tes choix, lorsque tu auras recours à une incantation.
- Quest-ce que la loi du triple retour, grand-père ? Jaewin avait pris l' habitude, depuis la mort de son père, dappeler Leoran grand-père, sachant très bien quil nen était rien, mais cela lui donnait la sensation dêtre plus important à ses yeux.
- Aime et on t'aimera; Blesse et on te blessera; Nuis et on te nuiras. En dautres termes le bien que tu feras te sera remit trois fois, mais il en est de même pour le mal. Cest pour cela que lon ne doit avoir recours à la magie quen cas dextrême nécessité, et surtout pour une juste cause.
Jaewin trépignait dimpatience. Malgré la fatigue et le mal de tête qui ne cessaient de lassaillir, il navait plus quun idée en tête : commencer son apprentissage.
- Quand pourrai-je voir ce livre ? Demanda-t-il dune voix vibrante, malgré les efforts quil faisait pour ne rien laisser paraître de son impatience.
- Dabords tu dois te reposer, reprendre des forces; lénergie est vitale pour un tel enseignement. Allonge-toi, dors et demain si tu te sens mieux, on pourra commencer. Lui murmura-t-il dune voix apaisante. Il sortit de la chambre, sans un bruit, alors que Jaewin, malgré lexcitation qui frémissait en lui, commençait peu à peu à sentir son corps sabandonner sous le poids de la fatigue. Et il sendormit.
Pendant les quatre années qui suivirent, Jaewin étudia les écrits du livre, page par page, mot par mot, sans perdre une seule phrase de se qui avait été reporté. Il insista plus particulièrement sur la partie décrivant lapprentissage de la magie barde, qui bien évidemment lui était bien plus destinée. Il apprit grâce à lenseignement de Leoran, à contrôler son mana ainsi que ses énergies positives et négatives. Ses progrès étaient spectaculaires, il était sans aucun doute beaucoup plus doué que son père, dans lart de la magie barde. Chaque jour il exerçait ses pouvoirs afin de les perfectionner, ses prouesses étaient reconnues par tous les villageois dalentour, il devenait presque une légende dans la comté de Lagdy, bien que personne ne connaissait son vrai visage. Sa musique et sa voix étaient devenues des armes maîtresses, pour quiconque voulait sopposer á lui, il était capable de contrôler lesprit de ses adversaires, et bien plus encore. Jaewin nayant aucune notion de magie druidique, Leoran confectionnait lui-même les potions de mana, qui servaient á régénérer les forces du jeune barde lorsque celles-ci étaient fortement mises à lépreuve. Grâce à elles, il pouvait exercer des sorts nécessitant une concentration démesurée, sans perdre conscience pour autant. Il apprit, en parallèle, le maniement de lépée et aux fils des années, la fusion de son corps et de son âme devint une arme redoutée de tout le monde.
Chapitre II
Jaewin était maintenant à laube de ses dix-huit ans, et avait acquit bien plus que nimporte quel magicien ayant existé dans les terres du Lagdy. Son corps aussi avait changé, lentraînement physique qui complémentait sa formation, avait fait de lui un homme dont le corps sétait joliment développé, marquant une musculature parfaite. Ses longs cheveux, dun blond doré, finissaient dans son dos en une longue natte. Ses traits imparfaits dadolescent avaient laissé la place á un visage dhomme dune finesse assez exceptionnelle, compte tenu de ce qui était coutume de voir dans cette comté, dont le vert émeraude de ses yeux ne faisait que renforcer cette beauté captivante.
Lhiver avait sévit cette année là, la neige avait recouvert la plupart du paysage de sa blancheur, devant le pas de la maison, la rivière nétait plus quune étendue de glace. Jaewin rentra plus tôt que prévu dAllaryan, la ville où il travaillait comme luthier, le froid lavait obligé à renoncer à ses outils. Gwiren était là, garnissant la cheminée de bois pour essayer, tant bien que mal, de réchauffer lenceinte de la maison, que le froid avait saisie par surprise. Les années navaient pas épargné la jeune fille, non plus, malgré son plus jeune âge, elle sétait vue doter de courbes généreuses. Les cheveux courts ébouriffés, jamais coiffés. Elle nétait pas tellement jolie, un nez trop court pour un visage trop large, mais son regard, et surtout ses yeux, dun bleu nuit, lui donnaient un pouvoir saisissant, qui en faisait son atout majeur. Lorsque Jaewin pénétra dans la pièce, elle leva les yeux dun air grave.
- Qest-ce quil y a ? somma-t-il dun air inquiet, quest ce qui ne va pas ?
- Grand père va de pire en pire, il a demandé á te voir, dès que tu seras rentré.
Sans prendre le temps de répondre, il se débarrassa de ses affaires et se précipita à létage. Il ouvrit discrètement la porte, pour ne pas réveiller Leoran, au cas où celui-ci se serait endormi.
- Tu peux entrer, Jaewin. La voix du vieil homme nétait quun souffle presque inaudible. Sa respiration était très lente et émettait un petit sifflement à chaque expiration. Il faisait très sombre dans la pièce, un parfum dencens se répandait, pour masquer lodeur acres qui avait envahit les lieux depuis plusieurs jours déjà. Malgré les difficultés quil avait pour se mouvoir, il réussit à détacher lamulette de son cou.
- Donne moi ta main, souffla-t-il. Le jeune homme sexécuta. Il lui posa lamulette dans le creux de la main et la lui referma.
- Prends en bien soin, elle nous appartient depuis plusieurs générations déjà. Cest un objet sacré très convoité, il te faudra lutter pour le protéger, mais je pense que tu es maintenant en âge daccomplir cette tâche. Il reprit son souffle et ferma les yeux un instant. Jaewin le regardait, immobile, lair grave.
- Tu parles comme si tu sentais la fin venir
- Les présages font partie de mes dons, coupa-t-il, ce que je pressens est inexplicable, mais toi aussi un jour, tu seras à même de ressentir cela et il ne faudra pas avoir peur de laffronter. Il referma les yeux, pour la deuxième fois.
- Va rejoindre Gwiren, elle va avoir besoin de toi.
Jaewin sessuya une larme qui commençait à naître, et sortit rejoindre Gwiren. Au dehors, la nuit commençait à sinstaller dans le froid hivernal. Une vision de ténèbre recouvrait le Lagdy, les étoiles étaient effacées par de lourds nuages menaçaient à chaque instant de libérer une tempête de neige. Gwiren était assise près du feu quelle surveillait du coin de loeil, elle aiguisait la lame de sa dague dont elle ne se séparait jamais. Celle-ci avait été fabriquée de toute pièce par son père avant sa mort. Son manche, serti de pierres, était dune splendeur rarissime, elle agissait avec une délicatesse et une précision sans pareil.
Elle leva les yeux vers Jaewin lorsque celui-ci fit son apparition dans la pièce. Il effaça un sourire en voyant le regard de la jeune fille rempli dinquiétude. Lorsquelle le vit mettre lamulette autour de son cou elle comprit et baissa la tête pour masquer ses larmes.
- Ne ten fait pas, Gwiren, tout ira bien. Le jeune barde avait la gorge nouée, les mots avaient du mal à en sortir mais il réussit, tout de même, à voiler sa tristesse pour rassurer la jeune fille.
- Quest ce que nous allons faire maintenant ?
- Continuer, rétorqua-t-il, comme si rien ne sétait passé, la vie continue pour nous deux, il ne faut pas avoir peur, tu sais, je suis là.
Elle soupira.
- jespère que nous nous en sortirons, concéda-t-elle.
Elle sessuya la joue du revers de la main et continua de sacharner sur la lame de sa dague.
- jen suis sûr. Rétorqua le jeune barde, en lui caressant les cheveux, en signe de compassion.
Jaewin souffla la flamme la bougie posée à ses côtés. Dhabitude, la lumière bleutée de la nuit éclairait la pièce, mais cette nuit là, les nuages plongeaient la chambre dans les ténèbres. Le silence était tel, quil pouvait entendre la respiration difficile de Leoran à lautre bout du couloir. Il sallongea sur son lit, prit son amulette entre ses doigts et la souleva devant ses yeux pour essayer de la discerner dans le noir. Elle se mit alors à briller sous le regard intrigué de Jaewin, qui malgré lépaisse noirceur qui avait envahie la chambre, pouvait voir sa forme et la spirale quelle portait en son centre. Cétait un peu comme de la magie, quelque chose que lui seul pouvait entrevoir, cest du moins ce quil croyait. Cela lamusa lespace dun instant. Il la reposa sur son torse et ferma les yeux.
Gwiren nétait pas venu se coucher, trop occupée à polir sa dague. Toutes les torches et bougies de la maison étaient éteintes, seule la lumière vacillante des flammes de la cheminée refluait lobscurité totale. Le crépitement incessant du bois brûlant, brisait le lourd silence de la nuit. Ce fût Jaewin qui entendit le premier bruit. Il se réveilla en sursaut et regarda tout autour de lui. Gwiren nétait toujours pas montée se coucher. Il se releva lentement et chercha son épée en tâtonnant sous son lit, son cur battait la chamade, sa respiration saccélérait. Une goutte de sueur commença à perler sur son front, la peur sans doute. Il en était certain maintenant : ce nétait pas un rêve, il avait bel et bien entendu des bruits de pas sur le ponton de bois qui menait à la maison. Il sapprocha de la fenêtre, mais le givre avait recouvert sa surface dune fine pellicule, juste assez épaisse pour ne rien voir au dehors. Il serra fermement son épée des deux mains et se dirigea, sans faire de bruit, vers la porte qui menait au couloir. Ses yeux sétaient maintenant, habitués à lobscurité. Il traversa le couloir et pénétra en silence dans la chambre de Leoran.
- Lamulette
sauve lamulette, murmura le vieil homme sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit. Elle les a prévenus
maintenant ils savent.
- De qui parles tu ? Que savent ils ? Qui sont ils ? Jaewin perdait son sang froid, la situation lui échappait.
- La guilde des Sorciers noirs, lordre des Scorpions
- La quoi ? Mais quest
.
- Prends Gwiren et sauve toi, coupa Leoran. La voix du magicien nétait plus quun souffle.
- Sauve lamulette
. lâcha-t-il dans un dernier soupir.
Jaewin retint sa respiration. Il y eut un moment de silence total
trop long. Il lâcha son épée et se laissa tombé à genoux. Leoran avait cessé de respirer. Les yeux remplis de larmes, il tenta de récupérer ses esprits. Gwiren. Il se redressa dun bond, ramassa son épée et se dirigea vers lescalier qui menait au salon. Il descendit les marches une à une, sans un bruit, tout en essayant de voir si Gwiren se trouvait dans la pièce. Les quelques braises qui finissaient de se consumer dans la cheminée, laissaient paraître un semblant de lueur, suffisante pour que Jaewin puisse se rendre compte que le salon était désert. Aucune trace de Gwiren. Il descendit la dernière marche de lescalier et savança vers la sortie. En lespace dun spasme, il se sentit enserré avec une telle brutalité quil en lâcha son arme, et cest alors quil sentit le froid glacial dune lame sur sa gorge. Un être, dapparence humaine, vêtu dun long manteau, sortit de nulle part et savança vers lui. Le jeune barde ne pouvait voir son visage qui se masquait dans lombre de sa capuche.
- Alors voilà le nouvel élu ! Lança-t-il dun ton sarcastique, le nouveau gardien de lamulette !
Jaewin se débattait, mais ses efforts étaient vains, face à la force démesurée de son adversaire.
- Quest ce que vous me voulez ? réussi-t-il à lâcher, malgré la pression de la lame sur son cou.
- Voyons voir
, il sortit le livre de Leoran de sous son manteau et commença à le feuilleter. Jai donc trouvé le livre et
oh
.tiens donc, il ny a que des pages blanches. De la magie sans doute, comment vais-je pouvoir en lire le contenu ?
à moins que tu nais en ta possession lobjet qui me le permette ?
- Jamais, vous entendez !
- Tu préfères peut être mourir ?
Jaewin tenta de répondre, mais la lame sappuya encore plus fort, lempêchant ainsi de parler.
- Assez plaisanté ! Beugla lhomme, tranche lui la gorge et prends lui son amulette, je nai pas de temps à perdre.
Alors que Jaewin se préparait à mourir, sans la moindre défense, un cri retentit dans son dos et la lame de son adversaire tomba à ses pieds, le libérant ainsi de toutes emprises.
- Ne reste pas là, cria Gwiren, vas ten ! Elle tenait dans sa main sa dague maculée de sang, avec laquelle elle venait de trancher la gorge de son agresseur. Son visage marqué par la haine, était plus terrifiant que jamais.
Sans réfléchir, Jaewin ramassa son épée et se précipita vers la porte dentrée. Il sarrêta et se retourna vers Gwiren, qui tenait en respect lintrus avec son arme.
- Quest ce que tu attends ? Viens dépêche toi ! lui cria-t-il
- Non, sauve lamulette, fuis, ne reste pas là, pars loin et ne reviens jamais ou ils te trouveront.
- Mais je ne peux pas partir sans toi !
- Dépêche toi, tu nas pas le choix, je me débrouillerai toute seule !
Elle ne lâchait pas son adversaire du regard, la lame pointée dans sa direction. Le jeune barde ferma les yeux pour mieux se concentrer et commença à murmurer une incantation. Gwiren se tourna vers lui, le regard menaçant.
- Ne fais pas ça ! Hurla-t-elle, lhomme profita de ce moment dabsence et se jeta sur elle en poussant un cri effroyable, elle accusa le coup en amortissant sa chute, et saidant de ses pieds, le projeta par-dessus elle. Dans cette confusion, Jaewin ouvrit la porte, ramassa au passage sa veste en peau et courut dans la nuit noire et glaciale. Il senfuit vers la forêt peinant à chaque pas, tant la neige était vierge et profonde. Tout son corps était en sueur, malgré le froid saisissant qui lui brûlait les poumons à chaque inspiration. Lorsquil fût assez loin, il sarrêta et escalada un mamelon de terre, sur cette hauteur il dominait assez bien la plaine. Il regarda en direction de la maison dans lespoir den voir sortir Gwiren. Ce quil vit ne fut quune vieille bâtisse que les flammes commençaient à dévorer peu à peu. Gwiren nétait nulle part. Il ne devait plus la revoir.
Chapitre III
La pluie balayait les ruelles désertes dAllaryan. Leau suintait sur les pavés, sa noirceur était le reflet de la laideur et de la puanteur qui lhabitait depuis trop longtemps déjà. Les maisons nétaient plus que de vieilles ruines délabrées, habitées par la pauvreté. Les remugles qui émergeaient de toutes parts ne faisaient quaugmenter la désolation de cette cité.
La ville dAllaryan avait été lune des plus belles. Sa richesse en ressources naturelles en avait fait lune des plus importantes localités des terres du Lagdy. Véritable plaque tournante des échanges commerciaux, elle était devenue une mine dor pour quiconque voulait y faire fortune. Malheureusement, victime de son succès, la qualité de ses occupants sétait dégradée au fil des ans. Voleurs, brigands, putains, arrivaient par centaines, sinstallant autour de la ville, et même quelques fois à lintérieure pour les plus fortins dentre eux. Linsécurité, accentuée dune forte délinquance, en avait fait en peu de temps lune des cités les plus périlleuses dont les principales activités étaient le vol et la prostitution.
Lalliance que fit le roi Enruk, fils de lancien tyran Vrugor, avec les sorciers noirs, navait fait quaggraver la situation. Exclus de la Guilde des Sorciers, pour cause de déontologie divergente avec les idées fondatrices de celle-ci, ces derniers sétaient réfugiés sous la protection du nouveau roi. En échange, ils mirent leurs magies noires à son service, lui permettant, ainsi, de faire régner la terreur sur Allaryan. Tout nétait que chantage et corruption, les plus chanceux pouvaient soffrir la protection des sorciers, les autres vivaient dans la pauvreté ou périssaient dans datroces souffrances. De nombreux malfrats venus des terres voisines, proposaient leurs services à lalliance en échange de quelques pièces dor, assurant ainsi une parfaite coordination au sein même de la ville. Le résultat de tant dannées de tyrannie fut une ville ruinée, affaiblie, vidée de ses ressources, où survivre était le mot dordre.
- Alors cest ça la ville de ton enfance ? Lança Elrik dun air moqueur pour tenter dégayer latmosphère.
- Et cest pour ça que tu vas nous abandonner ? Ils rirent tous. Mais les rires sonnaient faux car personne navait le cur à plaisanter. Et surtout pas Jaewin, qui ne pouvait défaire son regard devant une telle vision de désolation. Le visage atterré, il navait pas dit un mot depuis leur arrivée. Dix ans sétaient écoulés depuis la nuit du drame, et voilà à quoi avait été réduit le seul endroit qui le rattachait à ses souvenirs. Un ivrogne les regarda passer, en lâchant quelques jurons. Tout en vacillant, il les menaça du doigt en balbutiant quelques insultes incompréhensibles, et finit par leur jeter une bouteille vide, qui se brisa à larrière de la roulotte. Le bruit arracha Jaewin de ses pensées. Il referma le rideau et regarda ses compagnons dun air sombre. Tous les regards étaient fixés sur lui. Seuls les pas des chevaux et le bruit incessant des roues vibrant sur les pavés, perturbaient le lourd silence qui les accompagnait.
De tous, cétait avec Elrik que Jaewin avait le plus daffinités, peut être parce que cétait lui qui lavait sauvé en le ramassant sur le bord de la route à moitié mort de froid. Il était doté dun physique massif déparé dune énorme barbe lui couvrant la plus grande partie du visage, le genre de personne que lon verrait plus à laise avec une épée à deux mains quavec une vièle. Et pourtant, malgré ses allures dours, il était toujours enjoué et était un excellent musicien. Maen et Adrieg sétaient greffés au duo, lannée qui suivit leur rencontre. Les deux frères étaient inséparables et leur ressemblance était bouleversante. Draelia, quant à elle ne les rejoignit que beaucoup plus tard, elle était la seule fille de la bande. Sa voix avait captivé Jaewin lorsquil lentendit pour la première fois dans lune de ces fêtes où ils avaient lhabitude de jouer. Tous ensemble ils formèrent ainsi une des troupes de saltimbanques les plus talentueuses quil était offert de voir dans tout le pays. Pendant toutes ces années ils confirmèrent leur talent, jouant de ville en ville, ce qui permit à Jaewin dexercer ses facultés de charmeur de foule, au grand bonheur de ses compagnons. Tous étaient conscients que les talents du jeune barde étaient exceptionnels, cest pourquoi, lorsque Jaewin leur annonça quil désirait se retirer de la troupe afin de sinstaller à Allaryan, se fut un drame, et pas seulement parce quils allaient devoir se passer des ses prouesses, mais parce quils allaient perdre un très grand ami.
- Es-tu sûr de vouloir rester ici ? Demanda Adrieg. Tu sais, pour nous, cela ne va pas être facile sans toi.
- Je sais ! Rétorqua Jaewin en baissant les yeux, mais il le faut, il faut que je découvre ce quil sest passé. Trop dannées se sont écoulées, pendant lesquelles jai essayé de trouver une raison à leur mort. Maintenant je suis revenu et je suis bien décidé à clarifier tout cela
même si je dois y laisser la vie.
Draelia ne disait rien, elle avait toujours eu un faible pour Jaewin, mais qui nen aurait pas eu un ?
- Mais es-tu certain de pouvoir affronter, tout seul, ce que tu vas découvrir ? demanda Maen.
- Je ne sais pas, mais la seule façon de le savoir cest dessayer. Je ne peux plus vivre dans le doute et continuer à fuir comme ça...
- En tous cas, ces dix dernières années passées avec toi, auront été les meilleures de toute ma misérable vie de musicien ! trancha Elrik en riant. Il lui adressa une tape dans le dos qui projeta le barde vers lavant, celui-ci manqua de se cogner la tête contre un arceau de la roulotte. Cette fois ci, ils rirent de bon cur et dans cet engouement général chacun prit son instrument et se mit à jouer en essayant doublier que la fin dune très longue amitié était en chemin.
Le vent avait chassé la pluie. La pancarte, rongée par la rouille, de lauberge du Dragon dor, venait frapper sans relâche la façade, dans un grincement irritant. Des rires mêlés aux conversations séchappaient de la taverne brisant le silence qui hantait les ruelles. La roulotte sarrêta et Jaewin en sortit le premier, suivi de Elrik et des jumeaux. Draelia resta à lintérieur, au grand regret de tous.
- Ten fait pas, le rassura Elrik, elle sen remettra, ce nest quune question de temps.
- Je sais, mais jaurais préféré que cela se passe autrement.
-Moi aussi. Bon allez, on va pas séterniser ici, lâcha Elrik le cur gros. Il prit Jaewin dans ses bras et le serra fort contre lui.
- Prends bien soin de toi, lui murmura-t-il à loreille.
- Ne ten fais pas, lui chuchota à son tour Jaewin la gorge nouée par le chagrin. Puis il rajouta en le serrant une dernière fois contre lui : - On se reverra.
- Jen suis sûr, lui affirma Elrik
- Alors moi les adieux, jai horreur de ça
lança Adrieg sessuyant une larme.
- Moi aussi, reprit son frère. Ils saffalèrent tous les deux sur Jaewin en pleurant comme deux gamins, à qui on aurait refusé un jouet.
- Doucement les gars, vous allez finir par me faire tomber ! Sécria le barde dans un demi rire. Ils relevèrent leurs têtes, le libérant de leur emprise.
- Tu vas sacrement nous manquer, balbutia Maen en pleurnichant, fais bien attention à toi !
- Allez, ne vous en faite pas pour moi, tout ira bien
jen suis sûr.
Tous remontèrent dans la roulotte, le cur renversé. Jaewin gardait lespoir de voir Draelia en sortir, mais il nen fut rien. Elrik lui lança un dernier regard.
- Embrasse la pour moi ! Lui dit il, alors que la roulotte avait démarré. Elrik hocha la tête.
- Et prenez soin de vous. Rajouta-t-il à voix basse.
Lorsque Jaewin poussa la porte de la taverne, un relent dalcool et de fumée accompagné dune forte puanteur, lui provoqua un haut le cur, qui faillit le faire vomir. La taverne était pleine à craquer, tous le monde se bousculait, riait, criait, buvait à en perdre la raison. Des mains parcouraient les corps des putains, sans aucune pudeur. Des ivrognes jonchaient le sol un peu partout, inanimés, piétinés. La plupart dentre eux étaient vêtus de haillons reflétant la pauvreté et la dégénérescence qui émanait de la ville. Lorsque Jaewin pénétra à lintérieur, personne ne sembla lui prêter attention, tous semblaient bien trop occupés à exercer une quelconque activité sordide. Il en profita pour se faufiler entre cette foule infâme, en essayant de ne pas trop attirer les regards sur lui. Il repéra une table libre, dans un coin, et sy dirigea, peinant à chaque pas, tant il était dur de se frayer un chemin au milieu de cette marée humaine. Il sassit, posa sa cithare à ses cotés et se débarrassa de sa veste en peau. Les gens ne semblaient pas lui prêter attention, ce qui létonna un peu, car dans une ville aussi mal veillée que celle-ci, un étranger ne devait certainement pas être le bienvenu, mais après tout il nallait pas sen plaindre. Il se mit alors à observer les gens et se remémora les moments quil avait passé dans cette même taverne, en compagnie de Leoran et Gwiren lorsquils étaient enfants. Tout était alors bien différent de maintenant, la clientèle était faite de personnes respectables et civilisées, lodeur de la bonne cuisine en émanait, on pouvait y entendre des ménestrels jouer á toutes heures et la propreté était de rigueur. Ses souvenirs, lui causèrent un petit pincement au cur. Quaurait pensé Leoran de tout ça ?
- Quest-ce que je vous sert ? La voix abjecte de la tavernière, larracha de ses pensées. Elle était petite et ronde, ses vêtements étaient sales et sentaient la friture. Son visage était rond pourvu de grands yeux ronds glacials, dun nez porcin, et de deux grosses joues rougies par la chaleur des fourneaux. Tout laissait supposer quelle nétait pas dans un bon jour.
- Heu
je vais prendre un plat du jour avec
..
- poulet ou porc ? Déglutit elle sans lui laisser terminer sa phrase.
- poulet
- vin ou eau ?
- de leau ça sera parfait
- Un plat du jour poulet avec eau, se répéta-t-elle en tournant les talons et elle disparut dans foule.
Jaewin sourit devant autant dindigence et continua son observation.
Le brouhaha infernal sarrêta dun seul coup, tous se figèrent. Un silence angoissant envahit les lieux. Jaewin releva la tête pour entrevoir ce qui avait bien pu provoquer larrêt soudain de cette foule en délire. Cest alors quil aperçu quatre silhouettes vêtues de longues capes noires, se diriger vers le fond de la salle. Il nosait pas se relever de peur de se faire remarquer mais remuait la tête dans tous les sens pour essayer dy entrevoir quelque chose. Les uns après les autres, les gens sécartèrent de leur chemin leur frayant ainsi un passage qui menait à une table sur laquelle deux couples de paysans étaient entrain de prendre leur repas. A la vue des quatre hommes, ils se levèrent avec hâte et disparurent dans la foule leur laissant la place vacante. Lorsquils furent attablés les conversations reprirent un peu partout, cela commença par quelques murmures ici et la pour finir dans une cohue générale. Chacun reprit son activité mais cette fois avec une certaine modération, comme sils se sentaient observés, épiés. Un malaise général planait sur la taverne. Dailleurs celle-ci ne tarda pas à se vider, ce qui permit ainsi à Jaewin dobserver un peu mieux les nouveaux arrivants.
Enfin servit, il se mit à déguster son poulet rôti qui, malgré les apparences négligées de la maison, était un régal pour les papilles, à la grande surprise de Jaewin qui sattendait plus à une nourriture infâme quautre chose. La tête penchée sur son assiette, il fixait les quatre hommes pour ne rien perdre de leurs agissements. Lorsque lun deux releva la main pour appeler la serveuse, il sentit comme une bouffée de chaleur monter en lui, son cur saccéléra : la bague que portait lindividu était sertie dun scorpion noir sur fond rouge, le symbole que portait lanneau de son agresseur le soir du drame.
La tavernière accourut au plus vite, son insolence avait disparu comme par enchantement. Malgré son apparence porcine, elle essayait de garder tant bien que mal une allure respectable vis-à-vis de ses nouveaux clients. Elle nota la commande sur son calepin et sen retourna prestement comme sil en dépendait de la vie de quelquun.
Les souvenirs de Jaewin se faisaient de plus en plus précis, il prit sa tête entre ses mains et ferma les yeux pour mieux se concentrer. Une série dimages vint alors lui remémorer avec précision les événements de cette fameuse nuit. Lorsquil revint à la réalité une colère immense monta en lui. Il ne savait pas qui ils étaient, ni pourquoi ils se trouvaient là, mais il était certain dune chose : ces quatre individus appartenaient à la même guilde que les meurtriers de Gwiren et Leoran.
Instinctivement, il serra lamulette dans sa main, comme pour se rassurer de sa présence, celle-ci se mit à briller comme elle avait lhabitude de faire à chaque fois quil la prenait dans ses mains. Les quatre hommes sarrêtèrent brusquement de parler, et commencèrent à scruter la salle, comme sils avaient senti la présence de quelquun ou plutôt de quelque chose de menaçant. Jaewin lâcha lentement lamulette et plongea la tête dans son assiette. Ils continuèrent à examiner brièvement la salle, et se remirent à discuter normalement lançant de temps en temps quelques coups dil furtifs vers les tables des alentours.
En un temps record, la grosse femme, revint à leur table avec quatre chopes de bière bien remplies. Une fois servit, ils lui firent signe de disposer et elle sen alla, une fois de plus, dun pas empressé. La taverne sétait dépeuplée, seuls quelques buveurs solitaires vidaient leur dernier verre avant de retrouver le chemin de leur foyer.
La porte souvrit avec un tel fracas, que Jaewin sursauta sur sa chaise et agrippa sa dague, prêt à se défendre. Un homme, les cheveux en désordre, les yeux injectés de sang, entra avec une épée à la main. Il pointait son arme en direction des quatre hommes. Jaewin était pétrifié, il avait du mal à croire ce quil voyait. Lhomme avait du mal à respirer tant sa colère était démesurée, il exhalait une démence à faire pâlir le plus preux des barbares. Le jeune barde regarda autour de lui, cherchant le regard des quelques personnes qui se trouvaient encore là, mais personne ne sembla inquiété par cette intrusion.
- Vous, sales bâtards de sorciers ! Faiseurs de mal, vous mavez ruiné, vous avez massacré ma famille ! Vous allez payer de votre sang ! Hurla-t-il en se ruant vers eux.
Au même moment lun des quatre sorciers, se leva, tendit son bras et pointa la paume de sa main en direction du forcené. Celui-ci sarrêta net, comme paralysé, il lâcha son épée, et posa ses mains sur son ventre. Il se plia sans pouvoir prononcer un mot, la douleur se lisait sur son visage. Il leva la tête en direction du sorcier.
- Vous
.paierez
.. Bredouillât-il dans un râle.
- La ferme, imbécile, cest toi qui vas payer pour ton insolence ! Coupa le sorcier.
Il ferma les yeux dans une concentration ultime, et tendit les deux bras, mains ouvertes en direction du pauvre homme, qui poussa un dernier hurlement avant de sécrouler sur le sol sous le regard ahuri de Jaewin. Aussitôt deux hommes surgirent de larrière salle et ramassèrent le corps inanimé du pauvre homme, et disparurent au dehors. Le sorcier, toujours debout pour sassurer que le cadavre allait bien disparaître, jeta un rapide coup doeil en direction de Jaewin, qui feignît de finir son assiette, comme si rien ne sétait passé.
- Dessert ?
Encore tout étourdi par ce quil venait de se passer, Jaewin leva les yeux vers la serveuse, qui apparemment avait retrouvé sa mauvaise humeur, et resta muet.
- Dessert ? Repeta-t-elle, en insistant sur chaque syllabe. Son visage était à présent si prés de celui du jeune barde, quil pouvait sentir son haleine éthylique.
- Heu
.non merci, ça ira...
- Très bien, cela vous fera trois deniers.
Jaewin sortit prudemment sa bourse, en évitant dattirer lattention des quelques derniers clients qui restaient, bien que ceux-ci nétaient plus en état de voir quoi que ce soit, et sacquitta de son dû.
Les quatre sorciers étaient toujours en pleine discution, et ne paraissaient pas attacher la moindre importance aux dernières personnes restantes. Ce dont profita Jaewin pour quitter les lieux en toute discrétion. Il prit sa veste et se dirigea vers la sortie, tête baissée.
- Hep, jeune homme, aboya la grosse femme. Il sentit son cur saccélérer et se retourna vers son interlocutrice.
- vous oubliez votre truc à corde, là-bas.
- ah oui, cest exact, je vous en remercie. Répondit-il dun air embarrassé.
Il se dirigea vers sa table en évitant les regards des quatre hommes qui sétaient interrompus pour voir se quil se passait. Une fois sa cithare ramassée, il se précipita vers la porte. Une fois dehors il prit alors conscience que la discrétion avec laquelle il avait prévu de sortir avait complètement échoué, ce qui le mit encore plus mal à laise.
Le vent continuait de souffler. A cette heure de la nuit le froid était plutôt habituel, mais le jeune homme se laissa surprendre par sa rudesse. Il mit ses mains dans ses poches, enfouit sa tête dans son col et commença à dévaler la rue à la recherche dune auberge digne de ce nom. Après une bonne demie heure marche sans le moindre résultat, il se retrouva dans une impasse dont lobscurité, quasi-totale, lui donna la chair de poule. On aurait dit que celle-ci avait été frappée par une malédiction. Des rats aussi gros que des chats couraient dun trottoir à lautre en quête de nourriture. Jaewin avançait prudemment une main sur son épée balayant du regard chaque recoin.
Un chien sortit de derrière un baril en aboyant aux trousses dun chat faisant sursauter Jaewin. Il simmobilisa pour reprendre ses esprits, Son cur battait si fort, quil nentendit pas le bruit des pas sapprochant de lui. Lorsquil sentit une présence dans son dos il était déjà trop tard, une lame glaciale était appuyée sur sa gorge, ce qui ne manqua pas de lui rappeler quelques mauvais souvenirs. Il posa sa main sur son épée.
- Si jétais toi, je ny penserai même pas. Murmura une voix dans son oreille
- Daccord, daccord, balbutia Jaewin en levant les bras.
- Donne moi la jolie bourse que tu caches sous ton manteau,
- Quelle bourse ? Je nai rien
je vous le jure
- Allons, allons, ais un peu de bon sens, tu ne voudrais pas mourir si jeune nest-ce pas ?
- Mais je nai rien, je vous assure
- Ca suffit ! Cria son agresseur en enfonçant un peu plus la lame, je tai vu payer dans la taverne, alors donne la moi et je te laisserai vivre !
- Lâche ton arme, ordonna une voix familière à Jaewin. Aussitôt la lame se détacha de son cou et tomba à ses pieds. Le voleur leva les bras. Le jeune barde retourna pour faire face à la scène.
- Elrik ! Mais quest ce que tu fais là ?
- Tu ne croyais tout de même pas que lon allait tabandonner dans ce trou à rats !
Les jumeaux ainsi que Draelia sortirent de lombre et vinrent se joindre à lui. Le vent avait chassé les nuages, ce qui permettait à la lune de refluer lobscurité qui régnait dans limpasse.
- Alors ça cest une bonne surprise ! Une seconde de plus et jaurais servi de nourriture à ces mêmes rats !
Les jumeaux empoignèrent le larron et lui lièrent les mains dans le dos, celui-ci gardait la tête baissée enfouie sous sa capuche sans dire un mot. Elrik rangea son épée et ramassa la dague qui avait faillit ôter la vie à Jaewin.
- Tiens, ta récompense ! Lança t-il en tendant la dague à Jaewin
Le jeune barde la saisit et fût éblouit par léclat des pierres précieuses qui en composaient son manche. La dague. Il leva lentement les yeux vers le jeune voleur.
- Gwiren ?
Elle releva la tête pendant quAdrieg lui retirait sa capuche.
- Jaewin ?
Chapitre IV
Meryn regardait la pluie tomber à travers limmense fenêtre de la grande salle. Elle ne faisait pas partit des plus hautes du château, mais dominait toute la ville d Allaryan. La vue y était imprenable.
- Encore un rude hiver, pensa-t-il tout haut
- Comme chaque année mon cher, précisa Enruk, encore que pour vous sorciers, il est plus facile à supporter !
Il tourna la tête et foudroya le roi du regard.
- Que viens faire le fait que je sois sorcier là-dedans ?
- Oh ! Vous et votre magie, vous devez bien avoir un petit enchantement secret pour vous tenir bien au chaud lors des grandes gelées.
Meryn se retourna dun bloc.
- Baliverne ! Encore une de ses stupides légendes de barde ! Des histoires à dormir debout !
- Allons, allons, ne te fâche pas, je ne faisait que te taquiner, dailleurs en parlant de sorcier, il paraîtrait quil y eu du grabuge à lauberge du Dragon dor cette nuit, à moins que cela ne soit aussi quun conte de barde ?
Le sorcier continua de regarder la pluie tomber sans rien dire.
- Quest ce qui les a rendu si nerveux ? Ce nest pas dans leurs habitudes de tuer en public ? Me cacherai tu quelque chose mon bon chevalier ?
- Bien sûr que non ! Rétorqua Meryn sans lâcher du regard la fenêtre.
- Alors pourquoi un tel acte ?
- Mais je nen sais rien moi ! De toute façon quest ce que cela peut faire ? Cela ne fait quun idiot de paysan de moins en ville !
- Cest lindividu qui compte, non la population
- Dans ce cas là cest lindividu qui a menacé mes hommes, coupa-t-il, et il a payé pour la stupidité de son acte !
- Oui mais cest la population qui juge quels sont les bons et les mauvais actes, et pour eux, il nen reste pas moins dun meurtre de lun des leurs, et qui plus est, dans un lieu public.
- Ils oublieront vite
Ou nous les aideront à oublier.
- La violence ne résout pas tous les problèmes, Meryn
- Sauf votre respect, majesté, cest grâce à cette violence que vous êtes arrivé à garder vos terres.
- Cest vrai, je te laccorde, concéda le roi un peu confus. Enfin, de toute façon cest chose faite, jespère seulement quil ny aura pas de représailles. Tu nes pas sans savoir que le mariage de ma fille approche, et je ne voudrais pas que cela compromette les préparatifs.
- Il ny a aucun risque pour cela, vous pouvez compter sur moi !
- Oh ! Je nen doute pas un instant, rajouta til en souriant.
Les bruits de sabots sur le pavé attirèrent lattention de Meryn. Un messager de la guilde venait de pénétrer dans la cour.
- Sire un messager vient darriver, je dois me retirer
- Fais, de toute façon jallais demander que lon me prépare un bon bain.
Meryn sortit de la grande salle et descendit les escaliers qui menaient à la porte principale. Il avait été sacré chevalier du roi, malgré son statut de Sorcier, sous les recommandations de Faenor, son père. Ce dernier fût pendant longtemps le conseiller du roi Enruk pendant lalliance. Il était à la tête de la guilde des sorciers noir et fondateur de lordre des Scorpions.
Apres la victoire fracassante du roi Enruk, celui-ci lui fît construire un château en mémoire de leur éternelle alliance. Ce qui permit aux sorciers dagrandir leur cercle et de contrôler chaque parcelle dAllaryan.
La porte principale souvrit dans un bruit sourd. Le messager entra et se précipita vers Meryn.
- Messire, votre père demande à vous voir.
- A cette heure ?
- Il dit que cest urgent, et que vous le rejoignez, au plus vite dans la grande salle.
- Très bien, que lon prépare mon destrier.
- Tout de suite, maître, convint le messager en séloignant vers la sortie.
La pluie sétait transformée en neige. Les premiers flocons de lhiver venaient frapper le visage de Meryn comme de minuscules projectiles, lobligeant à diminuer la vitesse de son cheval. La route nétait pas très longue jusquau château de Faenor, mais le froid inattendu lavait rendu particulièrement pénible. Lorsquil arrivât aux portes du château, le pont-levis sabaissât laissant apparaître les immenses jardins qui ornaient la cours principale. Les pas de son cheval résonnèrent sur les pavés. Il laissa sa monture aux soins dun jeune écuyer. Et se dirigea vers la grande salle.
Lorsquil pénétra dans la pièce, le roi Faenor était assit sur une des chaises qui ornaient lénorme table où avaient lhabitude de se reunir en temps de guerre tout les sorciers du château. Une voix lannonça :
- Le prince Meryn !
- Père, jai fais aussi vite que jai pu ! Quil y a-t-il qui ne puissent attendre demain ?
- Elle est revenu. Dit-il sans relever les yeux.
- Qui ça ? De qui parlez vous ?
- Lamulette. Elle est ici. Je lai sentit. Il est revenu avec elle.
- Alors la prophétie se realise, ajouta Meryn à voix basse.
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