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Auteur Sujet :

Ecriture d'un roman d'heroic fantasy

n°2033689
taftonf
Posté le 11-02-2004 à 21:31:47  profilanswer
 

Reprise du message précédent :
bon je poste pas après chaque chapitre, mais mon compte est bon, je suis bien accroché. :)
au fait, petite question qui me trote en tête : 1 pièces d'or = cb d'argent ?


---------------
Méfies-toi des dragons, choisis bien tes ennemis et trouve ta vérité !
mood
Publicité
Posté le 11-02-2004 à 21:31:47  profilanswer
 

n°2034195
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 11-02-2004 à 22:04:51  profilanswer
 

:bounce: Hop :bounce:  
 
***
 
Mais Semos ne faisait pas le rapprochement. Il se sentait sourdement oppressé, mais il n'avait entendu parler de ces effets que dans les chansons.
 
Sa grâce et sa beauté Il avait récolté les honneurs et l'adulation du public, pour sa grâce et sa beauté aquiline
 
Il allait falloir attendre que les choses se calment un peu du côté de l?Académie, probablement, qui devait toujours se demander où elle était passée.

n°2034498
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 11-02-2004 à 22:26:45  profilanswer
 

Un nouveau smiley vient de faire son apparition  :D [:galatee]  :
 
http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif

n°2036659
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 12-02-2004 à 10:06:46  profilanswer
 

Voilà le chapitre XIII !
 
Une petite question tout de même, parce que j'ai du mal à m'en rendre compte: qui est-ce qui lit régulièrement ? Panem, Taftonf, Punkrod et Damrod ?
 
_________________________________________________________
CHAPITRE XIII
 
 
Cela faisait près de trente minutes que Laath courait, et la sueur coulait librement sur son front. Il avait les poumons en feu. Sa respiration ne s'échappait plus que par halètements rauques alors qu'il tournait dans la rue la plus proche et accélérait encore. Derrière lui, les bruits de bottes refusaient de s'éloigner.
Lorsque la poursuite avait commencé, les hommes étaient cinq. Cinq mercenaires entraînés, le visage fermé, l'expression résolue, qui l'avait aussitôt pris en chasse. Maintenant, après une demi-heure, certains avaient dû arrêter la poursuite. Mais combien ? Il ne pouvait se permettre le luxe de regarder derrière lui. De toute façon, cela importait peu. Un seul était déjà bien trop. Laath n'avait jamais su se battre et, à vrai dire, n'avait jamais souhaité apprendre. La seule chose qu'il savait faire, c'était courir. Alors, il courait. Vite.
 
Il cracha sur le sol, libérant la salive qui lui encombrait la bouche. A une époque, il aurait pu courir bien plus longtemps sans se sentir aussi épuisé. Mais trois jours de traque l'avaient mis sur les rotules. Toujours devoir se cacher, ne jamais être en sécurité. Il avait à peine dormi, et d'énormes cernes marquaient ses yeux habituellement brillants. Du jour au lendemain, Laath était devenu traqué dans sa propre ville.
La trahison du gouverneur brûlait contre son c?ur comme un véritable tisonnier. Il se sentait humilié et manipulé. Toute sa vie, il avait cru que cet homme se souciait de lui et de ses semblables. Qu'à la différence du reste de la noblesse, Mandonius avait un c?ur et les comprenait. N'était-ce pas lui qui versait de larges sommes chaque année pour la distribution de pain et de soupe dans les quartiers populaires ? N'était-ce pas lui qui souriait presque tendrement lorsqu'il chevauchait dans les rues, s'arrêtant toujours pour un petit mot ou deux avec quelques élus dans la foule ? Comment pouvait-on concilier ce comportement bonhomme avec ses yeux aussi glacés qu'un caveau, et sa voix froide alors qu'il ordonnait sa mort ?
Voir sa confiance trahie était toujours douloureux. Pour Laath, l'expression était à prendre au pied de la lettre.
 
Echapper aux premiers lourdauds s'était révélé facile. Ils ne savaient pas courir, et n'avaient pas son endurance. Surtout, ils ne connaissaient pas les rues comme lui-même. En quelques détours, il avait fini par les perdre totalement, et le Centre-Ville l'avait englouti. Personne n'irait le chercher ici, pensait-il avec optimisme.  
Mais il n'avait pas tardé à déchanter.
Les affiches avaient été placardées le soir même. On voyait son visage, aisément reconnaissable sous le trait de fusain. Quelque chose était écrit dessous, mais il ne savait pas lire. Probablement la récompense pour sa capture.
Elle devait être élevée, car les rues fourmillaient de gens qui ne cherchaient qu'à l'attraper.
Enfin, les bruits de pas commencèrent à décroître derrière lui. Prudent, il maintint son allure, attendant que les échos familiers disparaissent totalement. Ce ne fut qu'alors qu'il osa jeter un regard derrière lui.
 
Sur les cinq, il ne restait plus qu'un homme, visiblement à bout de souffle. Les mains posées sur les genoux, il tentait de reprendre sa respiration en ahanant comme un phoque. Les yeux de Laath s'écarquillèrent en voyant ce que l'homme portait. Une cotte de mailles, un casque à cimier, une épée au côté? comment avait-il pu tenir aussi longtemps à l'allure infernale qu'il avait imposée ? Un frisson parcourut le jeune homme. Il avait eu de la chance que le mercenaire n'ait pas été préparé pour une poursuite, sans quoi il se serait habillé plus légèrement. Laath n'avait aucune illusion. Il se serait fait rattraper en l'espace de quelques battements de c?ur.
"Maudit? bâtard !" hurla l'homme avec ses dernières forces. Il se laissa glisser contre le mur. Même d'aussi loin, Laath pouvait voir sa poitrine qui se soulevait à un rythme irrégulier. La poursuite était terminée. Le jeune garçon était sauvé.
Jusqu'à la prochaine alerte, au moins.
 
Laath tourna dans la prochaine rue et ralentit lentement sa foulée. Il ne savait plus exactement où il était. Il avait la tête qui tournait. Il fallait qu'il se repose, et qu'il trouve quelque chose à manger. Depuis quand n'avait-il rien avalé ?
Le premier soir, il s'était présenté devant la petite maison délabrée qui lui servait temporairement de domicile. Mais à peine avait-il passé le pas de la porte que les soldats avaient fondu sur lui. Il n'avait dû sa liberté qu'à ses réflexes de chat, et à une chance phénoménale. Le premier homme qui cherchait à l'attraper avait trébuché sur un tabouret abandonné sur le sol, et la confusion avait permis à Laath d'entamer ce qui ne serait que le début d'une longue fuite.
 
Deux fois, il était retourné dans le Centre-Ville. Maintenant, il ne ferait plus cette erreur. La récompense sur sa tête rendait les gens complètement fous. Des voisins, des connaissances, des amis même, le regardaient désormais comme s'il était une bourse sur place. La manière qu'ils avaient de se lécher machinalement les lèvres en l'assurant de leur aide l'avait passablement perturbé. La première fois, il s'était enfui au moment où les gardes s'engouffraient dans la rue. La deuxième fois, il était parti dès qu'il avait observé la lueur de cupidité dans l'?il de sa voisine.
Il ne pouvait plus compter que sur lui-même. Partout où il regardait, il pouvait voir son visage sur les affiches, impassible et menaçant. Le dessinateur avait accentué les courbes de son front, grossi les sourcils et, grossièrement, donné une expression menaçante au jeune garçon qui n'avait jamais fait de mal à une mouche. Une image complètement faussée ? mais suffisamment ressemblante pour que Musheim le prenne en chasse.
 
Laath fronça les sourcils en constatant qu'il venait de tourner dans une impasse. Ses réflexes de survie lui hurlaient que c'était une mauvaise idée que de rester ici, mais il n'aurait pas été capable de faire un pas de plus si sa vie en dépendait. Il cracha de nouveau sur le sol, tituba vaguement, puis se laissa tomber contre un mur. Des cloches sonnaient vaguement dans sa tête et sa bouche ne cessait de s'emplir de salive. Pourtant, il se sentait le gosier sec. Il avait faim, il avait froid, il avait peur, il avait sommeil.
Pourquoi avait-il accepté de révéler à un garde qu'il avait été témoin du meurtre sur lequel ils enquêtaient ? Tous ses problèmes avaient commencé à partir de là. Pourtant, il avait été très content de leur attention, au début. Son impuissance le rendait fou. Il voulait savoir qui était cet homme à la cape de fourrure bleue, et le garde paraissait ravi de l'écouter parler, plein de sympathie et de compréhension. Mais les choses s'étaient gâtées lorsqu'il avait appelé son capitaine, ce? Gundron. Et le gouverneur.
 
Laath reprenait lentement son souffle, ainsi adossé au mur. D'un mouvement de manche, il essuya la sueur qui perlait à son front. Avec le repos venaient les questions, et elles étaient nombreuses. Visiblement, on ne voulait pas qu'il parle. Pourquoi ?
"Parce que j'ai mis mon nez dans une sale affaire, voilà pourquoi" grinça-t-il, levant son poing vers le ciel en un geste théâtral. "Parce que le coupable est un noble quelconque qui veut étouffer toute cette histoire, voilà pourquoi. Parce que j'aurais mieux fait de tenir ma langue, voilà pourquoi."
Désabusé, il laissa sa main retomber. L'effort l'avait épuisé. Pour la première fois, il commençait à désespérer. Les poursuites ne cesseraient jamais. Tant que ces maudites affiches étaient placardées, toute personne qu'il croisait le prendrait en chasse avec l'espoir de toucher la récompense. Peut-être que s'il se déguisait? mais Laath n'y connaissait pas grand chose dans ce domaine, et n'avait pas la moindre idée d'un endroit où trouver des fausses moustaches, des perruques, ce genre d'habits de scène. Non, il allait falloir trouver autre chose. L'air était frais contre sa joue, le soleil agréable sur son front, et la vie paraissait plus précieuse que jamais.
 
Le bruit d'une porte qui grinçait le fit bondir sur ses jambes comme une biche affolée. Il trébucha et se retint au mur, alors que sa vision se brouillait de nouveau.
Un homme apparut devant lui, refermant soigneusement sa maison à double tour. Il n'était pas particulièrement grand et ne portait aucune arme ni armure visible, mais ses manières trahissaient pourtant un passé martial qu'il ne pouvait nier. Il était vêtu d'une épaisse robe de bure, et une lanterne allumée se balançait à son poignet, bien que l'on fût en plein jour.
Lorsqu'il pivota et se retrouva face à Laath, il ne manifesta pas la moindre surprise.
"Eh bien, bonjour toi. Qu'est-ce que tu fais là ? Tu es perdu ?"
Sa voix était douce, comme s'il s'adressait à un petit enfant, ou un animal. Pantelant, le jeune homme se redressa du mieux qu'il le put.
"Tout va bien" marmonna-t-il, les dents serrées. Son vertige passait difficilement.
"Tu es sûr ? Ca n'a pas l'air d'aller. Laisse-moi voir ça ?" Il avança d'un pas. Laath tenta de se soustraire à son attention, mais l'homme leva sa lanterne, et la lumière inonda son visage. "Mmh. Je vois. C'est toi qu'ils recherchent, n'est-ce pas ?"
Le jeune garçon ferma les yeux et tenta d'obliger ses muscles à bouger, mais il se sentait comme tétanisé. La fatigue de ces derniers jours s'abattait sur lui, un épais manteau d'épuisement qui le couvrait de la tête aux pieds. Un soupir de résignation s'échappa de ses lèvres craquelées.
"Oui" coassa-t-il.
 
L'inconnu hocha doucement la tête.
"Je m'en doutais un peu, à vrai dire. Ca fait un moment que je t'observe par la fenêtre. Je n'étais pas sûr, avec toutes ces ombres, mais ça me paraissait tout de même ressemblant." Il produisit un morceau de papier de sa poche et le déplia avec soin. Le portrait de Laath ondula doucement sous la lueur de sa torche. "Oui, très ressemblant. L'artiste a du talent."
Alors c'était ainsi. La traque se finissait ici, et Laath n'avait même plus l'énergie de se défendre. Ses doigts sans force vinrent enserrer sans conviction le poignet de son interlocuteur. L'homme ne se dégagea pas.
"Vous allez me livrer aux gardes ?" coassa-t-il.
"Te livrer ? Tu plaisantes, j'espère ?" L'homme éclata de rire. "Je ne m'approcherai pas à moins de cent pas d'un soldat ou d'un noble pour tout l'or de Musheim. Non, ne t'inquiètes pas, petit. Je ne vais pas te livrer, à qui que ce soit d'ailleurs. Par contre, je vais te demander de m'accompagner chez moi."
"Chez? vous ? Pourquoi ?"
 
L'homme haussa ses épaules, agitant sa lanterne dans un mouvement paresseux.
"Comment ça, pourquoi ? Pour éviter que les gardes te trouvent, voilà pourquoi ! Et pour te donner un peu à manger, et un endroit où dormir. Tu vas attraper la crève, à rester dehors pour la nuit. Je veux bien croire que le printemps arrive, mais il fait encore froid." Il renifla. "Et tu devrais prendre un bain, aussi. Je sais que ce n'est pas de ta faute, mais tu pues comme un bouc, fiston"
Laath se sentait dériver. Toutes ces émotions commençaient à être trop pour lui, et il perdait pied. Seule la tension l'avait fait tenir jusqu'à maintenant, et il la sentit se dissoudre en lui. Lentement, il bascula sur le côté. Le mur lui fournit un appui temporaire, et il chercha à se redresser. Sans succès. Il s'effondra.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il se sentit entravé. Machinalement, il tenta de porter sa main à son visage, mais n'y parvint pas. Quelque chose la retenait. Affolé, il tira plus fort ? et son bras sortit des couvertures.
 
Il était douillettement bordé dans son lit. Trois couvertures avaient été empilées sur lui, et c'étaient elles qui restreignaient ses mouvements. Un sourire sans humour traversa ses lèvres alors qu'il se maudissait pour sa stupidité. Malgré sa curiosité, il se détendit instinctivement. Pour la première fois depuis très longtemps, il se sentait au chaud. Sans trop oser lever la tête, il tourna son regard autour de la pièce, saisissant en un instant tout ce qu'il y avait à voir. C'est-à-dire peu de choses.
La pièce était petite et raisonnablement délabrée. Malgré les efforts visibles d'un invisible propriétaire pour la maintenir propre et fonctionnelle, on ne pouvait manquer d'observer les fissures qui craquelaient les murs et les infiltrations d'eau dans le plafond. Il y avait une flaque dans un coin et un seau qui prouvait qu'on avait tenté de résoudre le problème.
Dehors, la nuit semblait être tombée mais dedans, une cheminée en parfait état réchauffait la pièce et repoussait les ombres. Quelques bûches se consumaient joyeusement, craquant avec ce délicieux bruit des veillées nocturnes, et Laath se rendormit.
 
Il se réveilla avec l'impression diffuse que son estomac l'insultait agressivement. Son mal de tête était passé, et il se sentait presque reposé. Avec le repos venait la faim ? et les questions. Il n'avait rien mangé depuis une éternité, et ses mains se crispèrent à la pensée d'une platée de viande bien cuite, de quelque nature qu'elle fût. Pourtant, la curiosité restait la plus forte.
Où était-il ? Et que faisait-il ici ? Dehors, le soleil brillait, ce qui semblait vouloir dire qu'il avait dormi plus d'une journée. Précautionneusement, il se leva. Ses pieds se posèrent sur le parquet, et il frissonna.
"C'est froid?"
Il portait toujours les vêtements qu'il avait lorsqu'il s'était évanoui, et leur odeur avait empiré au cours de son sommeil. Il n'aurait jamais cru ça possible. Mais la sueur et la faiblesse avaient imprégné le tissu aussi bien que les ordures dans lesquelles il avait dormi les nuits précédentes. Il allait falloir qu'il fasse quelque chose. On ne pouvait se comporter en personne décente lorsqu'on portait de telles guenilles. Laath avait toujours compté sur sa beauté et sa répartie pour le tirer des situations dans lesquelles il se fourrait. Ces trois jours de poursuite et les coups des gardes l'avaient privé des deux.  
Mais pour l'instant, il avait d'autres soucis en tête.
Précautionneusement, il s'approcha de la porte et tourna la poignée. Elle s'ouvrit sans problèmes. Ses dernières inquiétudes d'être un prisonnier s'envolèrent alors qu'il se retrouvait en haut d'un escalier de bois. Il descendit lentement, accroché à la rambarde au cas où ses jambes le trahiraient. Une délicieuse odeur de viande montait du rez-de-chaussée, et sa bouche s'emplit de salive.
 
"Te voilà debout, eh ?"
Laath sursauta. L'homme qu'il avait rencontré dans l'impasse se tenait devant lui, les poings sur les hanches. Il arborait un large sourire, mais le jeune cambrioleur avait appris à se méfier des gens qui souriaient trop, ces derniers temps. Ses lèvres se retroussèrent en une grimace.
"Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que je fais ici ?"
L'homme leva ses mains paume ouverte.
"Hola, doucement. Quelle agressivité de si bon matin, et quel manque de gratitude !" Il haussa les épaules. "Qu'est-ce que tu fais ici, je t'ai recueilli, qu'est-ce que tu crois ? Tu es devenu tout blanc et tu m'es tombé dessus, que voulais-tu que je fasse ? J'espère que ça va mieux ? Tu as repris des couleurs, en tout cas."
Laath hésita.
"Je? je vais mieux, merci beaucoup. Je suis désolé pour ma mauvaise humeur. Vous ne méritez pas ça."
Les yeux de l'homme étincelèrent.
"Bah, ne t'en fais pas pour ça, va !" Il éclata de rire. "Les ennemis de l'Empereur sont mes ennemis, où que je les trouve ! Viens t'installer, viens, je vais te donner à manger ! Tu n'as que la peau sur les os. Franchement, tu fais peine à voir."
Laath avait des centaines de question qui se bousculaient dans sa tête, mais elles disparurent toutes lorsque l'homme s'écarta pour révéler la source de la bonne odeur. Devant lui, il y avait un ragoût en train de cuir, et une miche de pain, et du jambon, et un morceau de fromage, et un pichet d'eau, et? et Laath se trouva à bousculer à moitié son hôte pour accéder à la nourriture. Ses mains jaillirent comme des serpents de sous ses manches pour s'emparer du plus de choses à la fois et les porter à sa bouche, vite, très vite, avant qu'on ne change d'avis et qu'on lui retire son festin de devant les yeux.
 
L'homme éclata de rire en le voyant s'empiffrer ainsi.
"Eh bien, on dirait que tu avais faim. Remarque, je peux le comprendre. Ca fait plus de vingt-quatre heures que tu dormais, et je ne suis pas sûr que tu étais déjà bien nourri au moment où tu t'es effondré. J'ai hésité à te nourrir à la petite cuiller, mais je pense que tu avais plus besoin de repos que de nourriture. Tu verras, demain, il n'y paraîtra plus. Et puis, les gardes n'iront jamais te chercher ici. Ou, s'ils le font, ils ne repartiront pas vivants."
Le ton de l'homme s'était durci, et Laath leva les yeux, surpris. Poser des questions voulait dire stopper dans sa mastication, mais la curiosité reprenait progressivement le pas sur la faim au fur et à mesure de son repas. Il attendit d'avoir terminé entièrement le ragoût et bu la moitié de la carafe, puis soupira d'aise.
"Comme vous semblez déjà le savoir, je m'appelle Laath" fit-il enfin. "Je vous remercie pour tout ce que vous faites pour moi, et je ne sais pas si j'arriverai à vous repayer un jour. Qui êtes-vous ?"
 
L'homme eut l'air gêné. Il fit un geste vague de la main.
"Ah, comme je te l'ai déjà dit, pas besoin de remerciements. Ca me fait juste plaisir de savoir qu'un petit gars comme toi a réussi à tenir tête à l'Empereur. Moi, je suis Sijwoural. Un simple rebelle, comme il y en a des dizaines à Musheim. Mais je suis d'avis qu'on doit tous se serrer les coudes contre la tyrannie. Je ne sais pas ce que tu as fait pour énerver l'Empire et ses sbires, mais ça devait être impressionnant pour qu'ils mettent ta tête à prix si cher" Il vit la crispation du jeune homme et sourit. "Du calme, je t'ai déjà dit que tu n'avais rien à craindre. Honnêtement, je pense que tu peux me faire confiance, maintenant. Si j'avais voulu te livrer contre récompense, je l'aurai fait pendant que tu dormais, tu ne crois pas ?"
Laath se détendit. Il avait beau réfléchir, il ne trouvait aucune faille à ce raisonnement. Sijwoural avait raison, et c'était un tort que de le soupçonner ainsi. L'homme avait déjà tellement fait pour lui. Pour cacher sa honte, le jeune cambrioleur plongea son visage dans son assiette et mastiqua avec application un peu de fromage. Il déglutit.
"Est-ce que tu peux me parler un peu de cette? cette rébellion ? Je suppose que je suis dans votre camp maintenant, que je le veuille ou non. Mais il y a deux jours, je ne savais même pas que vous existiez. Rébellion contre quoi et pour quoi, exactement ?"
 
Sijwoural éclata de rire. Il avait le rire facile et communicatif.
"Mais contre l'Empereur Marcus, voyons ! Contre qui veux-tu que ce soit ?" Il redevint sérieux. "Cela fait trop longtemps que cet abruti sans ambition est sur le trône. Cela fait trop longtemps qu'il nous fait oppresse, nous fait payer des impôts démesurés pour payer ses stupides monuments. Il construit des bibliothèques, des tours, des hôpitaux. Je suis sûr qu'il est content de lui. Mais où est la grandeur ? Où est la puissance ? Où est l'honneur dans tout ça ? Tu peux me dire ce qu'on dira de Marcus dans cent ans, dans deux cent ans ? On ne se souviendra pas de lui ! C'est un empereur lâche et perfide, qui reste enfermé dans son palais et sa ville comme si c'était tout ce qui importait !"
Il se leva et commença à faire les cent pas dans la pièce, les mains jointes derrière le dos. Laath termina machinalement son repas et se lécha les doigts avant de continuer la discussion.
"Je n'avais pas l'impression que c'était si terrible" murmura-t-il.
"Et pourtant, ça l'est. Regarde-moi. Regarde-moi ! Que vois-tu ?"
Laath déglutit.
"Je? je vois un homme."
"Bravo. Excellente réponse. Et comment est-ce que je suis habillé ?"
"Une? une toge ?"
"Parfait. Tu as de bons yeux, Laath. Mais vois-tu, le problème est là. Je n'ai pas envie d'être en toge. Je veux être en armure, moi ! Je veux avoir une épée en main, je veux me battre !" Il cracha sur le tapis. "Je veux pouvoir me couvrir de gloire et participer à des batailles grandioses. Je veux conquérir les steppes de l'est, et m'étendre jusqu'à la fabuleuse Wesha vers le sud. Je veux que l'Empire ait la grandeur qu'il mérite !"
 
Laath recula un peu.
"Ca me paraît? une bonne idée" hasarda-t-il.
"Evidemment, que c'est une bonne idée ! Seul cet abruti d'empereur ne l'a pas encore compris ! En restant ainsi inactifs, on devient faibles. Et bientôt, les barbares iront festoyer au c?ur même de Musheim, tuant femmes et enfants. On verra si la bibliothèque nous aidera, à ce moment. Ha ! Au moins, on pourra se servir de l'hôpital ! Ce sera une boucherie." Il soupira. "Je suis sûr que tu ne vas pas me croire en me voyant comme ça, mais j'étais un soldat, pendant un moment. J'ai participé à quelques escarmouches aux frontières. L'Empereur appelait ça des actions de pacification. Hah ! Mais depuis six ans, je n'ai plus rien. On nous a tous démobilisés, ou presque. Et je dois vivre de ma demi-solde, sans plus rien avoir à faire que de voir l'Empire s'enfoncer dans la corruption et les barbares taper à nos portes. Il nous faut un homme à poigne, Laath. Un homme avec une vision."
Le jeune cambrioleur restait très droit sur sa chaise. Il réfléchissait furieusement. Toutes ces histoires ne lui plaisaient guère. Un complot ? Des rebelles ? Dans quoi était-il tombé ? Lui-même ne s'était jamais posé des questions de cette ampleur. Musheim était Musheim, les nobles restaient entre eux et les roturiers aussi, et le monde tournait bien. Parfois, il parvenait à voler la bourse d'un noble, et c'était d'aussi près qu'il ait jamais approché la politique.
 
Bien sûr, il entendait de nombreuses histoires dans les tavernes. Les gens parlaient beaucoup de leur Empereur, souvent avec fierté. Mais il y en avait, des vieux surtout, pour regretter l'époque de Bel II et de ses campagnes militaires. Il y avait de l'action à l'époque, disaient-ils avec des trémolos dans la voix. Nos petits gars se battaient sur le terrain, et on les voyait rentrer, les armures déchirées, la boue dans les cheveux, mais heureux et souriants alors qu'ils avaient vaincu un nouvel ennemi. C'était formidable, la guerre, disaient-ils. Non, ça ne l'était pas, protestait un autre.
Souvent, ces discussions philosophiques se terminaient mal. Et c'était tout ce que Laath savait de la guerre.
"Qu'est-ce que vous? qu'est-ce que vous attendez de moi ?"
Sijwoural haussa les épaules.
"Pas grand-chose, gamin. Ce que tu peux. On en discutera plus tard, pour savoir comment tu pourras nous aider. Mais à partir de maintenant, tu fais partie de nous. Tu n'as pas tellement le choix, puisque tu te feras attraper si jamais tu mets le nez dehors. C'est pour ça que je te fais confiance et que je te raconte tout ça. Mais tu comprends, évidemment, que rien ne doit filtrer de notre conversation."
 
L'homme se pencha en avant et, brusquement, le rire facile s'était envolé. Son visage était déterminé, et ses puissants muscles tendus. Laath recula d'un pas.
"Bien entendu. J'ai compris. Bien sûr."
"N'essaie même pas de me vendre en échange de ta liberté. Ce serait une erreur, Laath. La récompense sur ta tête ne vaut que mort, et les gens ne te laisseront pas dire un mot de toute façon. Mais même si ça arrivait? nous sommes plusieurs, rappelle-toi. Si tu me trahis, je mourrai certainement. Mais tu me suivras dans la semaine, sois-en sûr."
Laath se rendit compte qu'il avait beaucoup de mal à avaler sa salive. Il recula de nouveau, et se rendit compte qu'il était dos au mur.
"Bien? bien sûr" répéta-t-il.
Sijwoural éclata de rire, et soudain il était de nouveau l'hôte serviable et amical qui l'avait récupéré dans la rue.
"Je suis désolé de t'avoir terrorisé avec mes menaces, mais il faut bien que tu comprennes que nous ne jouons pas. Tous les jours, nous risquons notre vie pour que l'Empereur finisse par perdre son trône. J'espère que tu comprends mon inquiétude."
"Bien sûr" fit Laath. Il avait l'impression que c'était la seule chose qu'il parvenait à dire depuis un certain temps. "Bien sûr."
L'homme resta un instant pensif.
"Bien. Maintenant que nous avons fait connaissance, j'ai tout de même une question à te poser. Tu n'es pas obligé de répondre, bien sûr. Pas à moi. Mais nos responsables te la poseront aussi, et tu devras trouver quelque chose de convaincant. Alors autant me le dire. Pourquoi est-ce que ces gardes te poursuivaient ? Pourquoi est-ce que ta tête est mise à prix ? Qu'est-ce que tu as fait de mal ?" Il fronça les sourcils. "Au prix où tu étais, m'est avis que tu as dû mettre tes doigts là où il ne fallait pas. Tué un noble, peut-être ? Violé quelqu'un ? Raconte-moi un peu ça, je suis curieux."
 
Laath ne voulait pas répondre. Le poids de son secret le brûlait, mais il n'avait pas l'intention de le livrer aussi facilement. La dernière fois qu'il l'avait fait, les ennuis avaient commencé.
"Je? Je ne préfère pas en parler pour l'instant. Mais je crois que j'ai dû entendre la mauvaise chose, au mauvais moment."
L'homme haussa un sourcil intéressé.
"Oh ? Du chantage, alors ? Passionnant, ça. Nous avons toujours besoin de moyens de pression. Je suis sûr qu'on pourra s'en servir. Mais je n'insiste pas. Si tu ne veux pas m'en parler tout de suite, je comprends. Repose-toi, d'abord, et essaie de te rendre présentable."
Le rebelle se leva lourdement de son siège pour faire le tour de la table. Il fouilla dans un tiroir et en sortit une tunique propre, des braies et deux bottes de taille moyenne. Tous les habits étaient fatigués, vaguement incolores, mais de bonne facture.
 
"Tiens. Tu pourras mettre ces affaires. Je te prêterai un peu d'argent le temps que je prévienne notre Patron. Il sera content de voir que j'ai converti une nouvelle recrue, et c'est lui qui te fournira en or pour ta vie quotidienne. En échange, il faudra bien sûr que tu lui jures obéissance comme nous l'avons tous fait. J'espère que tu comprends ? C'est une précaution importante."
"Bien s?" fit Laath, avant de s'arrêter et de murmurer "Je comprends."
"Excellent. De toute façon, je dois t'avouer que tu n'as plus tellement le choix. Mais tu verras, c'est une vie confortable. Nous bénéficions d'assez de protections haut placées pour ne pas nous faire ennuyer souvent. Et lorsque viendra notre avènement, tu seras au premier rang avec moi pour recevoir les récompenses." Sijwoural sourit. "Personnellement, j'espère que je serai nommé sergent. Je n'étais que simple soldat autrefois, mais je suppose qu'ils pourront faire ça en échange de tout le sang que j'ai versé pour eux ! Ce sera exaltant, tu verras."
"Je n'en doute pas?"
 
Laath resta prostré sur sa chaise, ses nouveaux habits dans les bras. Il savait qu'il aurait dû se lever et aller prendre un bain. L'odeur qu'il dégageait était insupportable, même pour lui. Mais il sentait une certaine apathie descendre en lui alors que son estomac demandait merci. Tout ça était un peu trop pour lui.
Du jour au lendemain et sans aucun avertissement, il était devenu traqué. Puis, toujours sans avertissement, il semblait qu'il doive devenir conspirateur et rebelle. Il détestait voir les décisions lui glisser entre les doigts, mais Sijwoural n'avait pas tort. Il serait plus en sécurité dans ce groupe que n'importe où ailleurs. D'autre part, si jamais il contribuait à renverser l'Empereur, peut-être Gundron et Mandonius tomberaient-ils avec lui. Ce serait une sorte de vengeance poétique, après tout ce qu'ils lui avaient fait subir.
Mieux encore, peut-être la personne qui avait tué Deria ferait partie des victimes. Après tout, et vu la manière dont le Gouverneur et le Capitaine avaient réagi, c'était quelqu'un qu'ils connaissaient. Probablement des fils de nobles quelconques.
Oui. Si jamais il y avait une révolution, Laath pourrait y trouver profit. Et en attendant, il pouvait au moins se permettre de se détendre.
"Vous pouvez compter sur moi" fit-il honnêtement. "Et j'ai? quelques qualités qui pourront peut-être vous servir. Je sais? escalader les murs. Crocheter les serrures. Ce genre de choses."
 
Sijwoural se pencha en avant, les lèvres incurvées en un sourire radieux.
"Evidemment, que ça nous servira ! Mais ne te fatigue pas tout de suite. Je te dis, repose-toi. Dès que tu auras repris des forces, nous te trouverons un coin pour t'abriter, ainsi que de quoi t'équiper. Tu penses que tu seras d'aplomb demain ?" Laath hocha la tête. "Parfait ! Demain, donc, je t'enverrai voir notre plus fidèle alliée. Elle n'a pas un caractère très commode... mais c'est la meilleure contrebandière de la ville."

n°2036790
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 12-02-2004 à 10:36:38  profilanswer
 

hmmm oui, notification par mail pour moi ;)


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Assistants SWGOH
n°2036831
taftonf
Posté le 12-02-2004 à 10:46:58  profilanswer
 

pas de notification pour moi mais visite quotidienne :)


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Méfies-toi des dragons, choisis bien tes ennemis et trouve ta vérité !
n°2036886
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 12-02-2004 à 10:54:44  profilanswer
 

Pareil visite quotidienne :)  
 
http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif
 
 
***

Citation :

Cinq mercenaires entraînés, le visage fermé, l'expression résolue, qui l'avaient aussitôt pris en chasse.


 

Citation :

"Bah, ne t'en fais pas pour ça, va !" Il éclata de rire. "Les ennemis de l'Empereur sont mes ennemis, où que je les trouve ! Viens t'installer, viens, je vais te donner à manger ! Tu n'as que la peau sur les os. Franchement, tu fais peine à voir."


 
 :heink: T'es sûr ?


Message édité par Panem le 12-02-2004 à 10:55:08
n°2036924
ahe
Posté le 12-02-2004 à 10:58:43  profilanswer
 

Lecture quotidienne pour moi aussi  :hello:

n°2037491
Marnie
Posté le 12-02-2004 à 11:57:07  profilanswer
 

Je viens de lire le premier chapitre (oui, j'ai du retard :D) et j'ai deux remarques sur le premier paragraphe :
 

Citation :

Il faisait froid, il faisait sombre, et une petite pluie fine tombait depuis près de deux heures,. C'était le genre d'humidité oppressante qui pénétrait les vêtements, trempait les pourpoints et glaçait la peau. L'épaisse cuirasse de mailles ne faisait rien pour arranger les choses.. C'était le genre de temps qui faisait regretter à Revor d'avoir rejoint la garde.


 
- d'abord un détail : la ponctuation à la fin de la phrase a manifestement été changée, mais il faudrait faire un choix entre le point et la virgule ;)
- ensuite, je pense que supprimer 'c'était le genre' permettrait de gagner en force de suggestion : "l'humidité oppressante pénétrait les vêtements ..." plante le décors autour du lecteur, au lieu de lui demander de l'imaginer. Et puis ça évite la répétition avec la dernière phrase du même paragraphe. Tu utilises des contournements du même accabis à plusieurs autres endroits, que je ne relève pas en détail parce que c'est moins visible, mais à mon avis tu peux travailler ton style sur ces points là.
Sinon, l'histoire reste passionnante. :)


Message édité par Marnie le 12-02-2004 à 15:11:21

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Prison d'été, prison d'hiver, prison d'automne et de printemps, bagne pour petits et grands - Prévert, Le Roi et l'Oiseau
n°2039104
Freekill
Electron libre…
Posté le 12-02-2004 à 15:03:35  profilanswer
 

Avec 1935 lectures du topic, il doit quand même y avoir quelques réguliers? :D


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Faux & usage de faux ¤ Machins roses ¤ ASCIImage ¤ HFR Enhance v0.8.6
mood
Publicité
Posté le 12-02-2004 à 15:03:35  profilanswer
 

n°2039991
Gounok
Faux traître
Posté le 12-02-2004 à 16:55:43  profilanswer
 

Je suis aussi :)
 
Mais je préfère me l'imprimer et lire un ou deux chapitres le soir... [:youpi]
 
Je ne suis peut-être pas très exigeant comme public, mais je trouve l'histoire très sympa et suis heureux de pouvoir la continuer chaque soir :hello:

n°2040166
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 12-02-2004 à 17:22:41  profilanswer
 

"Bien le bonjour, Grenouille Bleue. Je suis désolé pour ce post, mais je pense qu'il est temps pour vous de mettre la suite !" :o  
 
 :bounce: Heupe :bounce:

n°2040220
Gounok
Faux traître
Posté le 12-02-2004 à 17:32:26  profilanswer
 

Panem a écrit :

"Bien le bonjour, Grenouille Bleue. Je suis désolé pour ce post, mais je pense qu'il est temps pour vous de mettre la suite !" :o  
 
 :bounce: Heupe :bounce:  


Et évidemment, il mit la suite. :whistle:

n°2040275
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 12-02-2004 à 17:41:46  profilanswer
 

Sous la menace de balles rebondissantes, il mit la suite  :ouch:
 
PS: ne relevez pas le nom de famille de Malek qui ne cesse de changer, j'en suis conscient :D
 
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CHAPITRE XIV
 
 
Le Palais Impérial était à la démesure de la capitale: gigantesque. Ce qui n'était à l'origine qu'un simple château seigneurial s'était développé avec le temps et les différents empereurs successifs. Chacun avait souhaité apporter sa touche personnelle et magnifier sa grandeur en ajoutant un bâtiment, un jardin, voire une aile entière. Ingvald le Bâtisseur n'avait pas seulement fait construire des routes dans tout l'empire; il avait aussi fait travailler des centaines d'hommes jour et nuit pour pouvoir adjoindre au palais le mausolée dans lequel il souhaitait reposer. Comme une épine incongrue, le tombeau avait depuis été à moitié récupéré pour installer une bibliothèque. Le respect dû au mort s'arrêtait là où le côté pratique commençait.
 
Pour toutes ces raisons, le palais était une véritable ville dans la ville. Trois cent serviteurs s'y pressaient à toute heure pour répondre aux désirs les plus extravagants des nobles de la cour, et leur livrée or et sable pouvait s'apercevoir jusque dans les moindres recoins du palais, obéissant à un ordre ou un autre. Il y avait un véritable dédale de couloirs qui partaient dans toutes les directions et s'entrelaçaient en une tapisserie inextricable. C'était Bel Ier, le père de Marcus, qui avait finalement trouvé une solution en baptisant les couloirs comme s'il s'agissait de rues. Chaque Empereur depuis la création de Musheim et l'instauration de l'Empire en avait une à son nom. Comme il n'y avait eu que vingt-sept empereurs et qu'on dénombrait plus de cent corridors, on avait ensuite eu recours aux ducs des maisons les plus puissantes, et aux différents héros à travers le temps. C'était considéré un honneur insigne que de laisser ainsi son nom à la postérité, et certains riches marchands avaient versé de substantiels pots-de-vin pour obtenir une obscure plaque au fond d'une impasse.
 
Lobstan Shahlman travaillait depuis plus de vingt ans à cet endroit. Il faisait partie des serviteurs les plus hauts placés, ceux à qui l'on confiait le soin d'accompagner les hôtes de marque. En fonction de leur rang, ces hôtes étaient placés dans les différentes ailes du palais et, par voie de conséquence, Lobstan les connaissait toutes par c?ur. Ses pieds n'hésitaient pas alors qu'il guidait ses trois charges à travers les étages, montant un escalier pour en descendre un aussitôt après. Il était tellement à l'aise ici qu'il n'avait même plus besoin de réfléchir pour se repérer, ce qui était bien pratique pour accomplir sa mission à bien. Sans en avoir l'air, Lobstan ne perdait pas un mot des conversations qui se jouaient dans son dos.
"Vous savez qu'il existe une rue de Carmelan dans l'aile ouest ?" racontait le jeune homme avec de grands mouvements de bras, tout gonflé de sa propre importance. "Juste à côté des jardins d'hiver, à une place d'honneur ! Je savais à peine marcher que mon père avait tenu à m'amener là-bas, pour que je puisse regarder la plaque d'argent, et voir à quel couloir nous avions donné notre nom."
La jeune fille qui marchait à côté de lui eut une moue perplexe.
"Tu marchais à peine, et tu te souviens quand même de ça ?"
"Non, non. Je ne m'en souviens pas, c'est juste qu'on me l'a raconté tellement de fois que ça m'est resté. Ah, mon père était tellement fier d'avoir un fils !"
 
Lobstan soupira discrètement. Depuis qu'ils avaient quitté leur chambre, ces deux-là ne cessaient de parler pour ne rien dire. Des sujets totalement inintéressants, la plupart du temps. Ce n'était pas par eux qu'il apprendrait grand-chose.
Le garçon était noble, sans aucun doute. Même s'il n'avait pas révélé le nom de sa maison, la simple manière dont il se tenait et dont il accentuait certains mots le posaient tout de suite comme un aristocrate. La fille, par contre? la fille était une énigme. Elle paraissait un peu gênée, dans cette robe, comme si elle n'avait pas l'habitude de porter de la soie. Et ses mouvements étaient un peu trop empressés, sans la grâce artificielle des dames de la cour, qui prenaient des leçons de maintien depuis leur plus tendre enfance. Lobstan fronça les sourcils. Une noble mineure, peut-être, qui viendrait d'une des provinces les plus reculées de l'Empire. Ou bien? il frissonna. Une roturière. Mais que viendrait-elle faire ici, dans cette compagnie ?
Ses yeux experts notèrent la distance à laquelle les deux jeunes gens se tenaient l'un de l'autre, et ses lèvres se compressèrent. Non. Ces deux-là n'étaient pas amant, du moins pas encore. La fille ne pouvait donc pas être sa maîtresse. Mais alors, quoi ?
Lobstan détestait les choses qu'il ne comprenait pas, et les ordres qu'il avait reçus le laissaient perplexe. Il avait été obligé d'abandonner sa surveillance de l'ambassadeur de Koush pour s'occuper de ceux-ci. Mais ils n'avaient pourtant rien d'exceptionnel.
 
Le dernier, par contre? ah, le dernier, Lobstan pouvait comprendre qu'on veuille le surveiller. Il s'était présenté comme le baron FroidVal. Une maison inconnue, donc forcément mineure. Pourtant, l'homme irradiait l'autorité et la présence. Lobstan l'avait pris de haut en arrivant, mais un simple regard du baron avait suffi pour qu'il s'incline en une révérence parfaite. L'homme avait des yeux de tueur ! Le serviteur s'était senti prisonnier de son regard, une fourmi gigotant sous le poids d'une pierre de plus en plus lourde. Soudain, la vie lui avait semblé tellement attirante, et l'air tellement pur ! Ses sens s'étaient trouvés magnifiés alors qu'il détournait les yeux, et il savait maintenant pourquoi.
Il avait regardé la Mort en face.
"Par ici, damoiselle, mes seigneurs. Nous sommes presque arrivés."
"Il était temps !" grommela le jeune homme. "Je commençais à me demander si je verrais jamais la fin de ces couloirs. Je ne me souvenais pas qu'ils étaient si longs"
"Nous avons pris le chemin le plus court, je peux vous l'assurer" fit Lobstan d'une voix suave.
Pas exactement le plus rapide, mais suffisamment pour que personne ne se rende réellement compte de la différence. Assez long pour avoir eu le temps d'examiner et de se faire une opinion des trois personnes et des relations entre elles.
"La salle du banquet est ici, alors ?"
Le garçon montra la porte du pouce, et Lobstan sourit obséquieusement.
"Je vois que votre mémoire est excellente. C'est bien ici." Il s'inclina. "Je vous laisse entrer. Il faut que j'aille chercher d'autres invités. Passez une bonne soirée !"
"Vous aussi" sourit la jeune fille. "Merci beaucoup pour votre aide."
"C'était un plaisir."
Lobstan tourna les talons. Garder son sourire en place demandait un effort. Il n'avait rien appris d'utile.
Mandonius ne serait pas content.
 
 
"Il était gentil, tu ne trouves pas ?"
Malek se tourna vers Shareen et haussa les épaules.
"Il faisait son travail. C'est pour ça qu'il est payé, après tout. Mais c'est vrai qu'il a su rester silencieux, et nous laisser parler. Figure-toi que certains essaient de discuter avec nous. Comme si nous avions quelque chose en commun avec les serviteurs !"
"Excuse-moi d'être une servante" fit Shareen amèrement.
Malek écarquilla les yeux et mit aussitôt un genou en terre, une expression contrite sur le visage.
"Je suis désolé, Shareen. Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Tu sais bien que? que tu es différente. " Il sourit. "Et puis, tu n'es plus une servante, maintenant. Tu es? tu es mon écuyère. Ma page."
"Les pages ne sont pas des garçons, d'habitude ?"
"Une petite entorse au protocole, rien de grave ! J'en parlerai à mon père et je suis sûr qu'il comprendra. Après tout ce que nous avons vécu ensemble, je n'ai pas l'intention qu'on se sépare aussi rapidement."
Shareen baissa les yeux, troublée.
"Vous avancez, les tourtereaux ? J'ai faim"
Rekk n'attendit pas la réponse. Son visage était déterminé.
Il n'avait jamais reculé devant une bataille, quelle qu'elle soit. D'une forte poussée, il ouvrit la porte à doubles battants.
Le brouhaha des conversations envahit soudain le couloir alors que la lumière de centaines de lanternes venait recouvrir la maigre lumière des torchères contre les murs. Shareen fit un pas en avant puis étendit les bras, comme pour conserver son équilibre. Elle avait le souffle coupé. C'était une explosion de bruit et d'odeurs. C'était gigantesque. C'était tout simplement inimaginable.
 
La salle de banquet ressemblait au palais qui l'abritait. Elle était d'une taille indécente, richement meublée, et joyeusement désordonnée. C'était une pièce immense, dont on pouvait difficilement appréhender la taille du premier coup d??il, tant le plafond semblait haut et paraissait fausser la perspective. Plus de vingt larges tables encombraient les allées, entourées de bancs et de fauteuils précieusement damasquinés de feuilles d'or et d'argent. Les fenêtres étaient gigantesques, recouvertes de draperies assez larges pour pouvoir enrouler un carrosse entier dedans et y rajouter les chevaux. Les cheminées ronflaient avec fierté, grandes excavations dans lesquelles se consumaient des troncs d'arbre entier avec force craquements. Oui, l'endroit était impressionnant
Mais, aussi grande que pût être la salle, elle paraissait tout juste suffisante pour la foule qui se pressait à l?intérieur. Ducs des six maisons principales, comtes et barons, chevaliers et seigneurs sans terre, tous s'amoncelaient les uns sur les autres dans cette parodie de promiscuité qu'on appelait la civilisation. Selon leur pouvoir réel ou supposé, ils étaient plus ou moins près de la table principale, à laquelle Sa Grâce l'Empereur dînait, entouré de son fils, du gouverneur, et d'une dizaine de courtisans particulièrement en grâce. Les tables étaient encombrées de plats en sauce alors que les cuisiniers se relayaient sans relâche, la vaisselle impériale brinquebalant dans leurs mains expertes.
 
"On dirait que nous sommes en retard" chuchota Shareen, inquiète des regards qui convergeaient vers elle.
Malek lui répondit du bout des lèvres.
"Ne t'inquiètes pas. L'Empereur n'a pas commencé à manger. Ce sont les autres qui sont en avance, c'est tout."
"Mais ça revient au même !"
"Pas du tout. L'étiquette est très stricte à ce sujet. Si l'Empereur n'a pas mangé, nous sommes à l'heure."
Shareen se lécha les lèvres, dubitative.
"Et c'est lui, l'Empereur ? Il n'a pas l'air si impressionnant."
Le brouhaha dans la salle diminua progressivement alors que les nobles présents prenaient la mesure des nouveaux venus. C'était perturbant, ce silence soudain oppressant.
Shareen se sentit toute intimidée alors qu'elle promenait son regard dans la pièce, comme une bête traquée. Elle avait trouvé sa robe tellement belle, tellement riche, lorsqu?elle l?avait vue dans l?armoire? Pourtant, à côté de ce que portaient les femmes de la cour, elle aurait aussi bien pu être vêtue de peaux de bêtes. Il y avait des petites robes, des grandes robes, des robes moyennes, des robes-entre-grandes-et-moyennes et des robes entre-moyennes-et-courtes, des robes droites à la mode Neiennienne, des robes de bal à multiples flonflons qui semblaient venir des lointaines îles, des robes de tissu épais qui semblaient recouvrir les femmes de la tête au pied, et des robes de satin fines et à moitié transparentes qui représentaient un véritable défi à la décence et au bon sens.
 
"Ah ! Cher Baron ! Vous voici enfin. Je commençais à m'impatienter." La voix de Marcus résonnait dans la grande pièce. "Je suis content de vous voir ici. Vous avez l'air resplendissant, et vos pages également. Laissez-moi vous présenter !" Les conversations s'étaient tues, mais il n'en frappa pas moins la table du poing pour réclamer le silence. "Damoiselles ! Messeigneurs ! Je souhaite vous présenter un de mes amis très cher, venu passer quelques jours à la cour. Le Baron FroidVal est châtelain de Bertholdton qui, comme vous le savez tous, protège jour et nuit notre bon royaume contre les invasions barbares. Il nous fait l'honneur d'être les nôtres ce soir. Réservez-lui le meilleur accueil !"
Il y eut quelques applaudissements polis, alors que les courtisans présents détaillaient les nouveaux venus. Puis, aussi vite que cela, tout retourna dans l?ordre et les discussions reprirent.
"Où est-ce qu'on va s'installer pour manger ?" demanda Shareen.
"Je croyais que l'Empereur nous inviterait à sa table, mais ça n'a pas l'air d'être le cas" répondit Malek, déçu. "Il va falloir trouver une place sur les tables les plus au fond, loin de la rayonnance de l'Empereur."
"Près du feu" fit Rekk. "Allons-y".
 
Shareen et ses compagnons semblait être le centre de l?attention générale alors qu?ils avançaient vers la table. Sur leur chemin, les conversations se taisaient, les murmures se calmaient, les verres s?abaissaient, et les yeux se faisaient calculateurs. La jeune fille offrit une fervente prière à la Déesse Vierge. Elle ne voulait pas se montrer ridicule. Pas maintenant, pas devant tout le monde ! Et pas devant Malek non plus, lui qui semblait tellement dans son élément.
Le jeune homme ne paraissait pas affecté par le climat de curiosité ambiante. Il marchait fièrement, la tête haute. Les De Cormeran n?étaient qu?une famille mineure, dont la gloire remontait à plusieurs centaines d?années, alors que l?Empire se résumait à quelques provinces éparses. Pourtant, son sang lui donnait le droit d?être ici ce soir, et il affichait la morgue hautaine que l?on pouvait attendre du fils héritier d?une maison. Lorsqu?il croisa le regard de son père, cependant, toute sa superbe sembla s?évanouir d?un seul coup. Le Duc était assis à une des tables les plus proches de l'Empereur, et son regard était brûlant. Il détourna les yeux lorsqu'il vit que son fils l'avait remarqué, et s'absorba dans la contemplation de son assiette. Ses doigts jouaient négligemment avec son couteau.
Malek déglutit. Il ne s'était pas attendu à des retrouvailles émues, mais ce genre d'attitude le blessait profondément. Le duc avait toujours été chaleureux avec son fils. Réprouvait-il tellement la conduite de ces derniers jours ? Regrettait-il de ne pas avoir été mis au courant ? Parfois, Malek trouvait que les pères exagéraient, à ne jamais vouloir laisser leurs enfants grandir. Puis il se souvint de ce qu'il avait fait, et ses joues s'empourprèrent. Disparaître pendant deux mois sans donner de nouvelles, tout ça pour ramener un tueur notoire à la cour, n'était pas particulièrement le genre de bêtise adolescente qu'on pouvait pardonner d'un sourire.
 
Pour cacher son trouble, Malek baissa le regard et observa Rekk du coin de l??il, autant pour essayer d?oublier ces gens qui paraissaient le déshabiller des yeux, que pour regarder comment se comporterait l?homme sans peur dans une situation dont son épée ne pourrait le sortir.
Mais s'il espérait qu?il montre le moindre signe de nervosité, il en fut pour ses frais. Le Banni avançait comme si la foule n?existait pas, et ses yeux restaient rivés sur l?Empereur. Pas une seule fois il ne détourna le regard, pas une seule fois il ne ralentit le pas. Lentement, derrière eux, les murmures reprenaient.
Ils s'assirent pesamment sur la dernière table, au milieu d'un certain nombre de nobles mineurs, dont Malek n'avait jamais entendu parler. Il les toisa avec morgue, et esquissa un demi-sourire en voyant qu'ils enfonçaient nerveusement leur visage dans leur assiette. Sa bonne humeur s'évapora lorsqu'il se rendit compte que c'était Rekk qui avait provoqué cette réaction.
"Alors, comme ça, vous êtes le châtelain de Bertholdton ? Cela doit être difficile de mater tous ces barbares, n'est-ce pas ?" susurra une jeune femme en s'approchant subrepticement du Boucher. "Je veux dire, ce sont des sauvages ivres de sang, et tout ça."
"Je vous avoue humblement que je ne connaissais pas l'existence d'un château au nord de Carnogel" observa un autre noble, pianotant du doigt sur la table. "Il faudra que j'aille regarder dans mes atlas. Une région fascinante, le nord."
"Dites-moi, combien de temps souhaitez-vous rester à la cour ?"
"Les coutumes sont-elles tellement différentes, dans le nord ? Eh bien ? Vous avez perdu votre langue ?"
Un muscle bougeait contre la mâchoire de Rekk. Ses yeux s'étrécirent.
"Dans le nord, on ne parle pas quand on mange."
"Mais sûrement que?"
"Et on abat ceux qui protestent. Ca nous fait de la viande fraîche pour passer l'hiver."
 
Il eut un sourire mauvais et sa main se referma sur le couteau de table. Malek leva les yeux au ciel. Shareen gémit intérieurement.
Le reste du repas se passa dans un silence impressionnant. Les plats étaient tous plus extravagants que les autres mais, au final, cette extravagance finissait par lasser. Shareen ne toucha qu'aux trois premiers mets avant d'abandonner et d'écarter son assiette, repue. Malek ne tarda pas à déclarer forfait lui aussi. Rekk mangeait avec l'application et la volonté de quelqu'un qui a déjà connu des privations.
"C'est à se demander où il met tout ça" chuchota Malek.
Shareen ne répondit pas. Elle se demandait encore vaguement si la menace du Boucher était sérieuse ou pas.
 
"Damoiselles, Messeigneurs !" hurla soudain l'Empereur par-dessus le brouhaha des voix et le bruit des couverts. "Je vous offre un peu de divertissement ! Que l'orchestre et la danse commencent ! Et? Baron FroidVal, venez avec moi, j'ai à vous parler !"
Comme pour faire écho aux paroles de l?Empereur, de la musique commença à s?élever dans la salle de bal, amplifiée par le plafond élevé de l?endroit et résonnant contre les murs. Une vingtaine de troubadours jouant de la vielle, du tambourin et du flûtiau tentaient de noyer les conversations sous leur cacophonie. Sans un mot, Rekk se leva pour rejoindre la table impériale. Les regards inquisiteurs glissèrent sur lui sans le toucher. A peine avait-il quitté la table que les nobliaux qui l'occupaient poussèrent un soupir collectif.
"Il est terrible, votre compagnon" murmura l'un d'eux. "Il est tout le temps comme ça ?"
"Seulement lorsqu'il a faim" sourit Malek. "Mais si vous voulez bien nous excuser, nous n'avons pas le c?ur à discuter pour l'instant. Je souhaite danser un peu avec ma cavalière. Tu viens, Shareen ?"
"Je? oui."
Ils se levèrent et se dirigèrent vers le centre de la salle, accompagnés par plusieurs couples.
"La musique est insupportable, n'est-ce pas ?" sourit Malek. "Les bals de l'Empereur sont prisés pour cette raison, justement. Les nobles peuvent retrouver certaines personnes qu?ils ne verraient pas ailleurs, et comploter en toute latitude sans que qui que ce soit puisse entendre ce qu?ils disent. Raffiné, n?est-ce pas ?" Il s?empara du bras de Shareen et la traîna en avant. "Viens, allons danser."
"Mais je n?ai pas envie de?" protesta Shareen, jetant un regard en arrière pour voir ce que faisaient Rekk et l?Empereur. Qu?est-ce que ces deux là sont en train de se dire ?
"Tu verras, je t'apprendrai. Ce n'est pas bien compliqué. Moi-même, sans fausse modestie, je suis un très bon dans?"
"Malek." Le ton était froid, mais la voix forte. Assez pour se faire entendre malgré la musique.
Le jeune homme se retourna brutalement, et Shareen se trouva forcée de tourner avec lui pour ne pas se faire briser le bras.
"Tu m'as fait mal !" gémit-elle, avant de s'immobiliser, sa bouche formant un "o" parfait.
 
Shareen n?avait jamais rencontré le Duc de Carnelan, mais il ne faisait aucun doute que la personne en face d'elle était un homme de pouvoir. Il y avait en lui une certaine prestance, un air de commandement, mais aussi une fatigue bien visible. Une lourde chaîne aux maillons d'or et d'argent, frappés d'une licorne, indiquait son rang et sa fonction.
"Je vais vous laisser, je crois" murmura Shareen, se tortillant pour sortir son bras de la main de Malek. "Il va falloir que je trouve quelqu'un d'autre pour m?apprendre à danser, il semblerait" ajouta-t-elle, mutine.
Le jeune homme ouvrit la bouche comme pour protester, mais il se tourna vers son père avec résignation. Et Shareen se retrouva seule, perdue dans la foule.
Stupide Malek. L?entraîner comme ça, pour danser? qu?est-ce qu?il croyait ? Pourquoi avait-il cela ? Non que ce soit désagréable, mais il fallait bien avouer que c'était quand même déstabilisant. Et puis, elle n'aurait jamais réussi à danser correctement. Elle se serait rendue ridicule au milieu de tous ces gens. Ca aurait été une catastrophe. Elle n'aurait jamais pu le supporter.
 
Shareen fronça les sourcils, cherchant à repérer Rekk et l?Empereur dans la foule. Mais c?était impossible. Elle n?était pas très grande, et la moitié des nobles, hommes comme femmes, semblaient porter de hautes chaussures à hauts talons qui les rendaient plus imposants. Impossible de regarder par-dessus leur tête. Avec espoir, elle se hissa sur la pointe des pieds.
"Voudriez-vous m'accorder cette danse ?"
Surprise, elle laissa échapper un petit cri alors qu?une main se posait sur son épaule. Se retournant, elle se trouva nez à nez avec un garçon de son âge, richement habillé d?or et d?argent. Elle était sûre de ne l?avoir jamais vu, sans quoi elle s?en souviendrait. Il était d?une beauté à couper le souffle, avec un visage fin et délicat, des boucles blondes soigneusement peignées, et des yeux d?un bleu? si bleu? ou bien étaient-ils verts ? Elle se sentit rougir, déplissant machinalement sa robe et tentant de paraître à son avantage.
 
"Eh bien? je ne?" Du coin de l??il, elle crut apercevoir Rekk la regarder, au fond de la pièce. Imaginer son sourire narquois la rendit soudain furieuse. "Je ne suis pas une très bonne danseuse, malheureusement. Je vous prie de bien vouloir m'excuser un moment."
Elle tenta de se dégager, mais la main ne bougea pas.
"J'insiste" fit doucement le garçon, la voix caressante. "J'aimerais tellement apprendre à vous connaître. Vous êtes? éblouissante."
Shareen marqua le pas et faillit trébucher. Elle se sentait tout d'un coup très aérienne. Pourtant, elle n'avait pas touché au vin. Machinalement, elle porta ses mains à son visage et peigna ses cheveux.
Personne ne lui avait jamais dit qu'elle était belle, jamais. Oh, elle savait qu'elle n'était pas particulièrement affreuse. Mais elle n'était pas aussi étourdissante que Deria l'avait été non plus. Et ce n'était pas une robe de soie et quelques pierres précieuses qui allaient changer ça.
"Je... suis désolée" balbutia Shareen, tentant de retrouver une contenance. Elle ne rougissait pas ! Elle avait juste un peu chaud, c'était tout. Déesse Vierge, l'homme était vraiment beau. "Je ne veux pas danser pour l'instant. Peut-être? plus tard ?"
Le garçon s'inclina en une révérence exagérée. Sa cape de brocard s'enroula autour de ses épaules.
 
"Je suis à vos ordres, damoiselle. Un mot, et j'accourrai comme un faucon à l'appel de sa maîtresse. Si jamais vous changez d'avis?"
Shareen était très satisfaite de maintenir sa voix aussi composée.
"Je n'y manquerai pas. Mais je ne connais pas votre nom, Messire? Messire ?"
Le garçon sursauta, visiblement surpris. Ses mains allèrent machinalement se poser sur la fibule qui tenait sa cape. C'était un ouvrage délicat d'or et d'argent, finement ciselé.
"Vous? ne savez pas qui je suis ?" fit-il, incrédule.
"Pas vraiment. Je? je devrais ?"
Il y eut un silence alors que le garçon plongeait ses yeux dans ceux de la fille. Il y avait quelque chose de colérique, là-dedans, et Shareen se prit à reculer d'un pas. Mais la lueur dangereuse disparut aussi vite qu'elle était apparue. Le garçon se détendit, et éclata de rire.
"Je m'appelle Theorocle de Musheim, belle enfant" susurra-t-il. "Je suis le Prince Héritier. Je pensais que tout le monde me connaissait, ici. C'est rafraîchissant de voir que ce n'est pas le cas."
"C'est que?" Shareen baissa les yeux. Elle n'avait jamais menti de sa vie, et n'allait pas commencer maintenant. De toute manière, elle n'aurait jamais été capable de se faire passer pour quelqu'un qu'elle n'était pas. "Je ne suis qu'une servante, Messire Héritier. Je vous prie de m'excuser, je ne vous avais pas reconnu."
L'expression figée du prince était douloureuse à voir. Une bourrasque de vent venait de balayer la courtoisie de son visage, et ses yeux s'étaient durcis. Il n'appréciait visiblement pas d'avoir abordé aussi galamment une simple servante. Un instant, il se détourna, et Shareen respira plus librement. Il allait partir, et la laisser tranquille, maintenant qu'il se rendait compte qu'il s'était trompé.
 
Mais à peine s'était-elle tendue que Theorocle pivotait de nouveau face à elle, le visage tordu en une grimace hideuse.
"Tu es une servante, et tu oses refuser une danse à ton prince ?" Il posa sa main sur son épaule. "Viens. Dansons."
Le ton ne suggérait aucune protestation. Shareen aurait dû accepter l'invitation, elle le savait. Tout se serait terminée paisiblement. Mais la simple pensée de tourner dans les bras de l'héritier de l'Empire la décontenançait totalement. Machinalement, elle fit non de la tête.
"Je suis désolée?" grimaça-t-elle. "Je ne me sens pas bien."
"Tu n'as pas bien compris, je crois. Si je te dis que je veux danser avec toi, alors tu danses avec moi. Pour qui est-ce que tu te prends ? Tu te crois belle ? Attirante ? Qu'est-ce que c'est que ces minauderies ?"
La main se crispait sur son épaule jusqu'à ce que l'étreinte devienne douloureuse. Le prince s'énervait de plus en plus. Il respirait plus fort et ses lèvres s'entrouvraient en une grimace déplaisante. Shareen frissonna. Comment avait-elle pu le trouver beau ? Déesse vierge, il était répugnant ! Il approcha sa bouche de son oreille et lui en mordilla délicatement le lobe. Son souffle était chaud contre sa joue.
 
"Tu ferais bien de ne pas me contrarier si tu veux partir ce soir avec la peau de ton dos en bon état" murmura-t-il. "J'ai toujours rêvé de faire fouetter une fille. Je me demande ce que ça donnerait. Fascinant, tu ne crois pas ?"
Elle croisa son regard. Ses yeux brillaient d'une lueur malsaine.
"Je ne sais pas danser" bredouilla-t-elle, sa dernière excuse, son dernier rempart. "Je ne sais pas danser."
"Je vais te montrer. On avance comme cela, regarde."
Elle ne regardait pas, ne voulait pas regarder. Tout ce qu?elle sentait, c?était cette haleine hideuse contre sa nuque, et cette main qui descendait dans son dos. Elle frissonnait de répulsion. C'était ça, le prince ? Que les dieux lui viennent en aide ? Elle adressa une prière fervente à la Déesse Vierge. C'était son rôle de la sauver dans des situations pareilles. Elle devait l'écouter !
Maladroitement, elle se débattit, mais le garçon était bien plus fort, et personne ne semblait vouloir l?aider. Les courtisans ne pouvaient ignorer ce qu'il se passait devant eux, mais ils se contentaient de bouger au gré des mouvements du couple. La plupart abordaient une expression vaguement amusée. Certains encourageaient même totalement leur prince.
 
Lorsqu?il lui caressa le ventre du bout des doigts, elle prit sa décision. Le visage de Deria flottait dans son esprit. Son rire insouciant, son courage indomptable, sa haine des compromis.  
Shareen serra les dents ? et gifla Theorocle de toutes ses forces.
Stupéfait, le prince tomba sur les fesses. Dans une cacophonie encore plus effroyable qu?au début, les musiciens s?arrêtèrent de jouer. Les conversations cessèrent brutalement. Le silence était total. Shareen porta les mains à sa bouche, horrifiée par ce qu'elle venait de faire.
"Je vais t'étriper !" hurla l'héritier en se remettant debout. Sa bouche était serrée en une ligne furieuse. Ses yeux étincelaient. Il sortit son épée de cérémonie d'un geste nerveux. "Je vais t'empaler lentement sur cette lame, et je laisserai ta dépouille aux corbeaux !"
Il parle comme Rekk, nota-t-elle machinalement. Mais lorsque le Boucher menaçait ainsi, il était terrifiant. Le prince, lui, avait l'air ridicule.
Shareen jeta un regard autour d'elle, quêtant un appui, mais les courtisans reculaient lentement, les yeux rivés sur elle, sans esquisser un seul geste de soutien. Elle avait contrarié le Prince Héritier. Au vu du regard horrifié de certains, elle avait commis une erreur irréparable. D?autres encore la contemplaient comme si elle venait de contracter une maladie contagieuse et risquait de la leur transmettre si elle s?approchait trop près. D?autres enfin semblaient étrangement pris dans quelque conversation passionnante, qui leur permettait de s?éloigner nonchalamment tout en discutant.
 
"Shareen !" cria Malek, se rapprochant en courant. La foule s'ouvrit pour lui. Il avait son père aux trousses, profondément contrarié. "Qu'est-ce qu'il se passe ?"
Il s'immobilisa, les bras ballants, en apercevant le prince.
"Tiens donc, le petit Cormeran" ricana Theorocle, agitant son épée. "C?est ta putain ? Elle est à toi ?"
"Shareen n?est à personne" fit Malek, les sourcils froncés. Il semblait réfléchir furieusement. "Qu?est-ce qu?il s?est passé ?"
"Cette catin m?a frappé !" gronda l?Héritier. "Nul n?a le droit de porter la main sur moi, pas même s?il a du sang noble dans les veines ! Et ce n'est qu'une servante ! Elle ne mérite même pas de mourir de ma lame. Je la ferai empaler ! Non, crucifier !"
Atterrée, Shareen ne répondit pas. Les dents serrées, elle fixait obstinément le sol. Elle se sentait déchirée. Une part d?elle-même se sentait absolument misérable. Elle n?aurait jamais dû se faire remarquer, elle le savait. C?était bien sa maudite chance de tomber sur le prince dans cette soirée. Ou bien c?était la faute de la robe, qui était trop proche du corps. Elle savait bien que le décolleté était trop pigeonnant? Mais une autre part d?elle-même se félicitait de ce qu?elle venait de faire. Pour une fois dans sa vie, elle n?avait pas été la victime. Pour une fois dans sa vie, elle s?était décidée à se défendre, quelles que soient les conséquences. Elle se sentait fière, elle sentait que Deria, quelque part, lui souriait. Et cela lui réchauffait le c?ur.
"Elle n?est pas de noble naissance" confirma sombrement Malek, lui lançant un regard furieux. "Et elle ne connaît pas les usages de la cour. Veuillez l?excuser, Héritier" Il mit un genou en terre. "Ses actes ont dépassé sa pensée. Et si elle vous a offensé, j?en suis le premier responsable"
"Elle m?a offensé, Malek. Elle m?a grandement offensé. Et si tu es le responsable, alors c?est toi qui doit payer." Il eut un sourire méchant. "Il paraît que tu n?es pas mauvais avec ton arme, petit Cormeran. Montre-moi comment tu défends ta femelle"
"Ce n?est pas ma? femelle" protesta Malek, les yeux écarquillés alors que l?Héritier pointait son arme vers son visage.
"Oh ? Tu sembles pourtant prendre sa défense bien rapidement? Mais je comprends. Comme ton père, tu n?es que paroles. Pas d?honneur, pas de courage !"
"Répète ça ?" gronda Malek. Il tira son propre sabre. C?était une arme de cérémonie, et l?équilibre était mauvais, mais il se mit en garde du mieux qu?il put.
"Dois-je comprendre que tu acceptes mon? petit défi ?" sourit le prince.
"Je suis la première lame de l'Académie de Musheim. Je me dois d'accepter tous les défis."
 
Il y eut un silence alors que le prince enregistrait l'information. Sa main se crispa sur son épée de cérémonie.
"Qu?est-ce qu?il se passe ici !"
Le grondement furieux interrompit les deux jeunes gens alors que leurs lames allaient se croiser. Fou de rage, l?Empereur traversait la salle à grandes enjambées, bousculant les courtisans sur son passage. Le fait qu?il ne prît pas la peine de s?excuser témoignait de son bouleversement. A la différence de son fils, Marcus était habituellement poli.
"Je?" bredouilla Malek, baissant les yeux.
"J?attends des explications !" gronda l?Empereur. "Et j?espère que vous avez de bonnes raisons, tous les deux, pour tirer une épée, fût-elle de cérémonie, en plein milieu d'une de mes fêtes !"
Boudeur, Theorocle rengaina son arme et désigna Shareen du doigt.
"Elle m?a frappé !" grinça-t-il.
"Et elle avait sans doute raison, si je me fie à tes manières !" fit Marcus. Avec une rapidité surprenante pour un homme de son âge, il gifla son fils à deux reprises. "Je ne veux pas savoir ce qu?il s?est passé. Mais maintenir l?ambiance et l?atmosphère d?un bal est de la responsabilité de l?Empereur. Que ce soit toi ou non qui soit en faute, tu me déçois beaucoup, Theorocle. Je te prierais de quitter la salle sur le champ. Tu réfléchiras à ta conduite avec Mandonius."
Le prince ouvrit la bouche pour protester, mais choisit finalement de ne rien dire. A voir le visage congestionné de son père, c?était probablement une sage décision. Sans rajouter un mot, il tourna les talons et sortit de la pièce en hâte. Se retournant sur le palier, il lança un regard meurtrier à Malek. Il regarda Shareen, se lécha les lèvres de manière obscène, et sortit.
 
Le brouhaha des courtisans reprit presque aussitôt. L?épisode allait certainement alimenter les discussions au sein du palais pour la semaine. Le roi qui frappait et réprimandait son fils devant toute la cour ! Et prenant le parti de personnages aussi insignifiants que le fils Cormeran? Il y avait des choses à déduire, et des mouvements à faire, là-dedans. Shareen pouvait presque entendre les toiles d?araignées se tisser alors que les gens parlaient.
"Heureusement que je vous avais dit de ne pas vous faire remarquer" fit Rekk, pianotant des doigts sur la garde de son arme.
Shareen ne l?avait pas entendu approcher. Elle se sentait misérable, soudain.
"Je ne voulais pas" murmura-t-elle. "Il voulait? danser?avec moi"
Rekk haussa un sourcil.
"Seulement danser ? Je connais des manières plus polies de refuser." Il continuait de pianoter sur le pommeau de l?épée. "Enfin. Le mal est fait. Nous n?avons plus rien à faire à ce bal ridicule, de toute manière. Personne ne verra d?inconvénients à nous voir partir maintenant, pas après ce qu?il s?est passé"
"Vous avez discuté avec l?Empereur ? Des? services qu?il voulait que vous fassiez ?"
"Demain, nous commencerons à chercher dans le Centre Ville" fit Rekk sans répondre. "Je ne resterai pas dans le palais plus que nécessaire. Nous rendrons aussi visite à Semos. Etonnamment, il n?était pas là ce soir." Il eut un sourire sans humour.
"Est-ce que c?est vraiment une bonne idée de quitter le palais ? Nous ne savons toujours pas si des gens continuent à nous poursuivre, n?est-ce pas ?"
"Qu?ils essaient" fit Rekk, faisant craquer les jointures de ses doigts. "J?ai vraiment besoin d?un bain de sang. Je ne supporte plus de devoir me contrôler pour ne pas froisser la fierté d?un quelconque noble" Il cracha. "Mais, de toute façon, les pires ennemis ne sont certainement pas dans la ville. Si j?étais vous, je me méfierais plus de ceux qui habitent le palais. Vous vous êtes fait un ennemi puissant, ce soir. Et vous avez intrigué plus d?une personne."
"C?est un serpent" gronda Shareen, frissonnante. "Il est complètement fou, complètement incontrôlable. L?Empereur a l?air si gentil, pourtant"
"Voilà ce que donne la gentillesse" maugréa Rekk. "Votre foutue gentillesse. L?Empereur se doit d?être dur. Marcus est une chiffe molle, et voilà le résultat. Son gamin est pourri, et son royaume prend l?eau" Il haussa les épaules. "J?ai été surpris de le voir réagir comme ça, ce soir. Peut-être tout n?est-il pas perdu, après tout ?"
"Je n?aurais pas dû frapper l?Héritier" murmura Shareen.
"Ca, je crois que nous sommes tous d?accord" fit Malek en soupirant. " Tu as choisi un drôle de moment pour faire preuve de caractère?"
Mais Rekk prit doucement le menton de la jeune fille dans la main et lui fit le regarder dans les yeux.
"Tu as bien fait, petite. Il ne faut jamais se laisser faire. Lorsqu?on ne le comprend pas, on n?est qu?une victime"
"Je ne veux pas être une victime" bredouilla Shareen, les larmes lui montant aux yeux.
Rekk la lâcha et recula. Il avait le sourire aux lèvres et, pour la première fois, ce sourire ne sentait pas le sang.
"Je pense que j?ai beaucoup de choses à vous apprendre" murmura-t-il.
 
 
 
 
Theorocle était furieux. Sa joue le brûlait, mais sa fierté le démangeait encore plus. La soirée avait vraiment été une catastrophe. Il avait accumulé hontes après hontes, et il se demandait s'il oserait encore regarder en face certains de ses amis après l'intervention de son père.
Une petite partie de lui était heureuse que l'Empereur soit intervenu. Si ce n'avait pas été le cas, il aurait été obligé d'affronter ce Malek en duel. Une première lame ! Comment était-ce possible ? Theorocle connaissait son niveau avec une épée, et il savait qu'il n'aurait jamais pu gagner.
Mais cette voix fut rapidement noyée sous son ressentiment. Rien ne s'était passé comme prévu. D'abord, elle s'était débattue. C'était la première fois que ça lui arrivait ! D'habitude, les filles de la cour ne faisaient pas de manière, et acceptaient de tourner avec lui sur la piste.
Il n'était pas stupide au point de ne pas réaliser qu'elles recherchaient son appui et sa position autant, sinon plus, que sa présence. Mais il se savait bon danseur. Il aurait ébloui la petite servante.
Mais ce qu'il s'était passé? et surtout, son père qui le frappait ! Lui ! Pour la première fois ! Alors que c'était tout la faute de cette traînée, de cette catin, de cette garce. C'était insupportable. Inacceptable ! De frustration, il serra la garde de son épée d?apparat jusqu?à ce que ses jointures blanchissent.
"Prince? pouvons-nous parler quelques instants ?"
Theorocle releva les yeux, surpris. Il ne se serait jamais attendu à entendre cette voix maintenant, et ici.
"Bien sûr" renifla-t-il. "Entre, Gundron."
 

n°2040849
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 12-02-2004 à 19:31:04  profilanswer
 

Hmmm... y va pas tomber amoureux de la ptite, le Prince, des fois :o ?
 
 
 

Citation :

Ces deux-là n'étaient pas amants, du moins pas encore. La fille ne pouvait donc pas être sa maîtresse. Mais alors, quoi ?  
 
"Ne t'inquiète pas. L'Empereur n'a pas commencé à manger. Ce sont les autres qui sont en avance, c'est tout."  
 
Stupide Malek. L?entraîner comme ça, pour danser? qu?est-ce qu?il croyait ? Pourquoi avait-il fait cela ?


 

n°2041036
Haacheron
For Russ
Posté le 12-02-2004 à 20:17:02  profilanswer
 

Je commence juste la lecture, ça m'a l'air fort bien :jap:


---------------
"Follow me Sons of Russ, this night our enemies shall feel the fangs of the Wolf"
n°2041952
Damrod
Posté le 12-02-2004 à 22:11:37  profilanswer
 

vi je regarde le topic 1 ou deux fois par jour.  
et c'est clair qu'on attend qu'une chose : http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif:bounce: http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif :bounce:  :bounce:  :D

n°2042921
Edyas
Posté le 13-02-2004 à 00:28:38  profilanswer
 

salut tout le monde
 
je furetais sur ce joli et complet forum et j'ai pu lire quelques lignes de ce roman.  
alors je me présente plus profondément.  
je sors d'adminsitration des arts et spectacles et je lance un magazine professionnel de récits fantasy illustrés.  
ayant lu quelque lignes je peux dire que a première vue, ce roman peut rentrer dans la ligne editoriale.  
 
Le lycanthrope (le nom du mag) a pour but de permettre à de jeunes artistes, auteurs et dessinateurs, de proposer leurs oeuvres pour pouvoir se confronter à la vindicte populaire sans pour cela se vendre et perdre la liberté de leur oeuvre.  
ainsi il profite d'une structure professionnelle, une société se créé pour chapoter tout cela,promotion, reconnaissance, protection.  
 
donc si le projet vous dis  
 
edyasthenrevv@hotmail.com  (ca marche pour msn)
 
ou www.yuimen.com/forum
 
tout est expliqué meme si cela est assez jovial comme forum ....


Message édité par Edyas le 13-02-2004 à 07:06:07
n°2043400
taftonf
Posté le 13-02-2004 à 02:31:33  profilanswer
 

ah bien tiens, voilà une bonne nouvelle
ça peut être une bonne opportunité pour toi, grenouille.
Bonne chance, Edyas.


---------------
Méfies-toi des dragons, choisis bien tes ennemis et trouve ta vérité !
n°2043448
Edyas
Posté le 13-02-2004 à 02:44:48  profilanswer
 

merci taftonf  
 
on fait pour.
 
tout ceux qui savent écrire ou dessiner peuvent se faire connaitre il n'ya aucun problème chacun sera reçu avec joie  

n°2043621
Monsieur s​ire
Gentleman barfly.
Posté le 13-02-2004 à 05:09:32  profilanswer
 

Edyas a écrit :

salut tout le monde
 
je furetais sur ce joli et complet forum et j'ai pu lire quelques lignes de ce roman.  
alors je me présente plus profondément.  
je sors d'adminsitration des arts et spectacles et je lance un magazine professionnel de récits fantasy illustrés.  
ayant lu quelque lignes je peux dire que a première vue, ce roman peut rentrer dans la ligne editoriale.  
 
Le lycanthrope (le nom du mag) a pour but de permettre à deux jeunes artistes, auteurs et dessinateurs, de proposer leurs oeuvres pour pouvoir se confronter à la vindicte populaire sans pour cela se vendre et perdre la liberté de leur oeuvre.  
ainsi il profite d'une structure professionnelle, une société se créé pour chapoter tout cela,promotion, reconnaissance, protection.  
 
donc si le projet vous dis  
 
edyasthenrevv@hotmail.com  (ca marche pour msn)
 
ou www.yuimen.com/forum
 
tout est expliqué meme si cela est assez jovial comme forum ....


 
Seulement deux ? Ou alors "de" :whistle:?


---------------
"If Wilt Chamberlain played against that Raptors team he'd have scored 200 points."
n°2043654
Edyas
Posté le 13-02-2004 à 07:05:13  profilanswer
 

oui je viens de me rendre compte que je me suis emmélé les pinceaux  
 
c bien "de"
 

n°2043786
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 13-02-2004 à 08:50:28  profilanswer
 

:hello: Ben alors, où qu'elle est la suite ??? :o  
 
Je crois que ça demande un petit traitement de choc, ça... allez, on en remet un coup :
 
http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif

n°2044072
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 13-02-2004 à 10:06:27  profilanswer
 

Merci pour ta proposition, Edyas ;) C'est clair que ça pourrait être sympa, mais j'ai vraiment envie de l'envoyer d'abord aux maisons d'édition traditionnelles, ne serait-ce que pour avoir l'opinion d'experts.
 
Par contre, je serais ravi de pouvoir lire ce fanzine et peut-être d'y participer d'une autre manière ?
 
Ceci étant dit, voilà la suite  ;)  
 
___________________________________________________________
Le matin se levait à peine lorsque Rekk, Shareen et Malek sortirent du palais. Rekk avait délaissé la soie et le velours pour le cuir bouilli de son armure. Il avait bouclé son ceinturon, attaché sa longue épée, et jeta sa vieille cape de peau de loup sur ses épaules. Le temps n?était pas particulièrement froid, dehors. La matinée était douce, sans un nuage, et l?on pouvait sentir dans l?air les prémices du printemps. Il n?en resserra pas moins son manteau autour de lui.
"Aujourd'hui, je tue" murmura-t-il.
Shareen et Malek n?étaient pas d?humeur aussi belliqueuse. La nuit avait été courte, et Rekk avait insisté pour leur donner son premier cours d?escrime, plusieurs heures de suite. Le résultat n?était pas beau à regarder. Malek avait la lèvre inférieure éclatée, et plusieurs hématomes couvraient son visage. Shareen avait mal aux côtes, et du sang séchait sur sa joue gauche, là où le bambou de l?épée d?entraînement avait ripé. Rekk ne s?était certainement pas retenu.
Mais, malgré sa fatigue et la douleur qu?elle ressentait dans tous ses muscles, la jeune fille était heureuse. Elle ne savait pas si Deria avait rejoint les étendues immaculées et innocentes de la Déesse Vierge ou les champs de bataille du Dieu des Carnages, mais elle était convaincue que, quoi qu'il en soit, son amie la regardait de là-haut. Et qu'elle approuvait les efforts de son ancienne servante.
La souffrance qu'elle ressentait dans tous ses membres alors qu'elle clopinait derrière le Boucher était une souffrance agréable, car elle la ressentait comme une épreuve initiatique, comme quelque chose d?inévitable, qui lui permettrait enfin de contrôler sa vie. C'était la douleur diffuse du serpent qui entame sa mue. On doit s'attendre à des sacrifices, lorsqu'on jette sa vieille peau de côté. Shareen était prête à en payer le prix.
 
Elle était née servante, et il lui semblait parfois que le rôle d'une servante n'était que de suivre et de subir. Subir les quolibets, le travail difficile et parfois les coups au sein de l'Académie. Subir les plaisanteries cruelles des jeunes gens durant son adolescence, et les propositions à peine voilées lorsque ses seins avaient poussé. Suivre Deria dans ses rébellions, accompagner Malek dans ses voyages, obéir à Rekk dans sa vengeance? Avait-elle jamais eu le choix, à un moment de sa vie, de la direction qu'elle souhaitait prendre ? Le choix était une affaire de noblesse.  
Mais les événements de ces derniers mois avaient bouleversé le monde rassurant dans lequelle vivait la jeune fille. Plusieurs semaines passées à côtoyer Malek lui avaient prouvé qu'il n'était finalement pas si différent qu'elle. Plus instruit et plus fort, certainement. Mais il faisait des erreurs, comme tout le monde. Et il se comportait très souvent comme un enfant boudeur. Quant au prince Theorocle?
Oui, voir le prince se comporter aussi vulgairement lui avait ouvert les yeux. Ces gens ne lui étaient pas supérieurs, ils étaient simplement plus puissants. Et la puissance, c'était un bras habile et une lame aiguisée. Rekk le lui avait amplement prouvé ces derniers temps.
Elle toucha doucement l'épée qui se balançait doucement à sa ceinture. Le Boucher la lui avait donnée après la séance d'entraînement, et il avait souri avec approbation en la voyant boucler son baudrier. Même maintenant, Shareen se sentait encore bouleversée par ce sourire.
 
"Où allons-nous, exactement ?" bailla Malek.
Il avait moins bien supporté la leçon qu?elle. Convaincu d?être un bon escrimeur, les commentaires acerbes de Rekk avaient complètement détruit sa confiance en soi. Il avait tenté toutes les astuces qu?il connaissait, toutes les techniques qu?il avait apprises, il s?était lancé contre Rekk de toute sa fougue mais celui-ci, à mains nues, lui avait prouvé qu?il y avait toujours quelqu?un de supérieur. De bien supérieur. Shareen sourit discrètement. Un peu d?humilité ne ferait pas de mal au jeune homme. Voilà quel était le prix de s?en prendre à un Dieu comme Rekk. Le Boucher. Le Démon Cornu. Shareen se répéta les mots dans sa tête. Ils sonnaient bien.
"Beaucoup de choses. Provoquer Semos en duel. Le battre. Enquêter sur la disparition de ma fille. Enquêter sur les rebelles qui cherchent à renverser le roi."
Les jeunes gens ne manifestèrent aucune surprise. Rekk leur avait déjà parlé de sa mission la veille, juste avant l'entraînement. De toute façon, l'histoire n'aurait pu rester longtemps secrète. Jusqu'à hier, toute la cour ne parlait que d'une chose, la manière dont ces mystérieux guerriers semblaient être au courant des moindres mouvements de l'Empereur et des dangers qui pesaient sur la vie de Sa Grâce. Depuis, ils parlaient également de cette étrange jeune fille qui avait osé gifler l'héritier. Et du soutien que l'Empereur lui avait apporté.
"Je? vois. Et vous comptez tout faire aujourd'hui ?"
Rekk haussa les épaules, et ne répondit pas. Sa foulée était longue et élastique. Bientôt, Malek cessa d'essayer de poser des questions. Il avait besoin de tout son souffle pour suivre son rythme.
 
L?Académie des Arts de Combat de Musheim méritait bien ses majuscules et la réputation de prestige qui l?auréolait, ne serait-ce que par la magnificence de ses bâtiments. L?école en elle-même n?était composée que de trois bâtiments, mais si l?on rajoutait les dortoirs, la cuisine, les entrepôts, et la tour des maîtres, l?Académie devenait un véritable petit village au c?ur de la ville, avec ses douze bâtiments et ses cent vingt habitants.
Soixante deux élèvres ? soixante et un, maintenant que Deria était morte, soixante en comptant la désertion de Malek ? quatre cuisiniers, vingt serviteurs ? dix-neuf sans Shareen ? huit maîtres et un certain nombre d?affiliés. Non, ce n?était pas n?importe quelle école.
Shareen sentit son c?ur battre plus fort alors que les bâtiment familiers se profilaient enfin devant elle. C?était un peu comme de rentrer à la maison, même si ce n?était pas une maison qu?elle souhaitait retrouver. Elle avait presque dans les narines l'odeur du savon qui servait à nettoyer les carreaux. Ses mains se crispèrent involontairement sur son baudrier, comme pour s'assurer qu'il était toujours là. Elle secoua la tête. Elle était différente, désormais.
Le sentiment de nostalgie était pourtant bien présent. L?image de Deria hantait ces lieux, l?image d?une jeune fille blonde au sourire tranquille, aux yeux féroces et au tempérament de feu. Shareen serra fermement le pommeau de son arme. Elle avait Deria comme exemple, mais aussi Dani. Elle ne fuirait plus, sous prétexte que les femmes étaient plus faibles, ou plus fragiles, ou toute excuse ridicule que les gens voulaient lui faire avaler. Elle avait une épée et, même si elle ne savait pas bien s?en servir, elle en connaissait assez sur la question pour savoir que le bout pointu pouvait faire mal. Elle releva les yeux pour voir Malek la regarder pensivement, et sursauta en se rendant compte qu?elle avait dégainé son épée.
"Je? suis désolée" marmonna-t-elle en rengainant.
"Tu sais que tu te conduis vraiment bizarrement, Shareen, en ce moment ?"
 
Elle haussa les épaules.
"Je n?ai même pas eu l?occasion de te remercier pour ce que tu as fait pour moi." Elle s'approcha timidement du jeune homme, puis effleura sa joue avec douceur. "Merci. Pour hier soir. C'était très gentil de venir m'aider contre le prince. Et ce que tu as dit, comme quoi je ne? t'appartenais pas."
"Ah, ça?" Malek se racla la gorge, gêné. "Ne vas surtout pas te faire des idées, hein. C'est juste que? la manière dont il agissait?. Ce n'était pas très chevaleresque. N'importe qui aurait fait pareil."
Une bouffée de tendresse s'empara d'elle. Loyal, pur Malek, toujours à cheval sur les questions de protocole, parfois orgueilleux, mais tellement honnête.
"Personne ne bougeait, Malek. Tout le monde avait peur de la réaction du prince. Tu as été le seul à agir. Merci."
Elle se détourna, laissant Malek chercher désespérément ses mots, et suivit Rekk dans l?enceinte de l?Académie. Un demi-sourire éclairait son visage. Le jeune noble n'avait pas l'air très confortable avec les compliments.
Les portes étaient ouvertes, comme toujours en pleine journée. Les quelques gardes qui traînaient devant tentèrent bien de s'interposer, mais Rekk agita le sceau de l'Empereur devant leur visage et ils s'écartèrent. Malek grimaça un sourire. Les choses n'avaient pas tellement changé, par ici.  
"Ah ça, mais on s?entraîne dur par ici" fit le Banni, railleur, alors qu?ils débouchaient dans la cour principale.
 
Le soleil était maintenant tout à fait levé, et les entraînements matinaux avaient commencé. Une vingtaine de jeunes gens en armure de cuir, portant épée et bouclier, travaillent deux par deux avec acharnement quelques mouvements de base que venaient de leur apprendre les instructeurs. Il ne faisait pas très chaud, pourtant l?odeur de transpiration était omniprésente dans l?air. Leur arrivée passa tout à fait inaperçue, occupés qu?ils étaient à réviser leurs formes.
Les maîtres, par contre, froncèrent les sourcils. Ils étaient deux dans la cour, à montrer les mouvements à pratiquer. Ils ne portaient pas d?armure, mais des robes de brocard pourpres, insignes de leur rang, qui leur descendaient jusqu?aux chevilles. Ils n?avaient pas l?air particulièrement content de voir des intrus faire irruption dans leur école. Ils échangèrent quelques mots avec les élèves, probablement pour les inciter à continuer, puis se dirigèrent vers Rekk, la main sur leur épée, dans une attitude courtoise mais méfiante.
"Que faites-vous ici ? L?enceinte de l?Académie n?est pas?" Maître Heilban écarquilla les yeux en reconnaissant les deux jeunes gens. "Shareen ! Malek ! Par les Dieux Pervertis, qu?est-ce que vous faites ici ? Ca fait plus d?un mois que vous avez disparu !" Il fronça les sourcils. "Vous croyez que vous pouvez revenir au sein de l'Académie, juste comme ça ? Seigneur de Comerlan, je suis particulièrement mécontent de vous. Vous connaissez votre rang et les devoirs qui vous incombent. Votre père était fou d'inquiétude. Il est venu cinq fois chez nous pour essayer de savoir où vous aviez bien pu filer. Et je peux vous dire que ces entretiens n'étaient pas particulièrement agréables pour moi. Mais qu'est-ce que vous aviez derrière la tête ? Et toi ?" Il se tourna vers Shareen. "Je n'accepterai aucune excuse de ta part. Tu as déserté l'Académie, et j'attends de toi que tu rembourses l'argent que nous t'avions payé d'avance pour le mois. Tu recevras aussi huit coups de fouet. Estime-toi heureux que je ne me montre pas plus rancunier. Peut-être que nous te reprendrons, si tu y mets assez de bonne volonté." Sans reprendre sa respiration, il s'attaqua cette fois-ci à Rekk. "Et vous ? Qui êtes-vous, et peut-on savoir ce que vous faites ici ? Je veux?"
Rekk le frappa en plein plexus.
 
Il y eut un whooosh alors que tout l'air s'échappait des poumons du Maître. Il pâlit et plia lentement les genoux, avant de tomber à quatre pattes sur le sol. Sa respiration était laborieuse.
"R? Baron FroidVal" hurla Shareen, à deux doigts de trahir le secret de son nom. "Qu'est-ce que vous faites ! Vous êtes complètement fou !"
Rekk retourna l'homme de la pointe de sa botte.
"Tu parles trop. Je veux voir Semos."
Shareen cligna des yeux, trop tétanisée pour réagir. Elle regarda Maître Heilban vomir brutalement dans la poussière de la cour et retomber sur le côté, trop essouflé pour se relever. Elle se souvenait très bien de cet homme et de ses méthodes de travail. Il était terrifiant.
C?était un des maîtres les plus cruels, à superviser le travail des serviteurs comme s'il s'agissait d'esclaves, à se faire mousser comme s?il était lui-même un héros sorti des contes de fées. Il maniait le fouet comme personne, lorsque quelqu?un le contrariait, et la jeune servante avait souvent subi la morsure du cuir contre son dos. Il était dur de s?endormir, la nuit, après.
Et un seul coup de poing l'avait mis à genoux. Shareen déglutit, et se jura pour la centième fois de ne jamais se faire un ennemi du Boucher. A ce moment, elle plaignait Maître Semos de tout son c?ur.
"Qu?est-ce que? Par les mamelles gelées de la grande truie Koushite, qu?est-ce que vous avez fait ?"  
Le second maître était livide. Il recula d?un pas, tira son épée, mais Rekk le saisit à la gorge d?une poigne de fer et le souleva d?une main. Le maître émit un gargouillis alors que ses pieds s'agitaient dans l'air.
"J?aurais préféré être plus subtil, mais je suppose qu?il fallait en passer par là" murmura-t-il . "Qui que tu sois, va me chercher Semos tout de suite. Dis-lui que je l?attends. Et dis lui?" De son autre main, il sortit la lettre scellée de son manteau ". ..que c?est un ordre de l?Empereur. Alors va, cours, vole, bondit. Je veux le voir dans cette cour dans une dizaine de minutes. J?attendrai patiemment"
 
Malek leva les yeux. Rekk replia rapidement le papier, mais il avait déjà eu le temps de lire la moitié ds gros caractères malhabiles, tracés par une main fatiguée et guidée par des yeux usés.
L'homme qui porte ce sceau est autorisé à agir en mon nom et par ma propre autorité dans l'enceinte de l'Académie, afin de déterminer?
Il pouvait imaginer le reste. Rekk disposait d'un véritable sauf-conduit au sein de l'Académie afin de pouvoir interroger, voire affronter Semos. Cette lettre était une gifle au visage de la maison de Semos. Le Boucher avait dû négocier difficilement pour l'obtenir.
Si le message était mal écrit, la signature était elle parfaitement reconnaissable, et le sceau était authentique. Les yeux du maître paraissaient lui sortir de la tête.
Rekk jeta l?homme au sol, et le suivit du regard alors qu?il détalait.
"Voilà ce que j?appelle de la diplomatie" fit Malek, pianotant sur le pommeau de son épée.. "Je croyais que vous ne vouliez pas faire de vagues ? C?était si difficile que ça de montrer cette lettre et de demander poliment à rencontrer Maître Semos ? Comment est-ce que vous avez cette lettre, d?abord ?"
"J?ai mes secrets? et l?Empereur aussi, hélas"
"Ce n?est pas un faux, alors ?"
"Pas du tout. Moi et Marcus avons eu une petite? discussion." Son sourire était carnassier.
Les élèves s?étaient arrêtés les uns après les autres de s?entraîner, observant à distance le trio. La plupart n?avaient probablement pas vu ce qu?il s?était passé, trop occupés à travailler entre eux, mais il avait suffi d?une paire d?yeux indiscrète pour que la rumeur se propage : quelqu?un était ici, et avait rudoyé les Maîtres. Par paires, ils s?approchèrent.
 
"S?ils avancent encore un peu, ils vont finir par nous reconnaître" murmura Shareen, fataliste.
"Ca ne peut pas vraiment faire empirer les choses, n?est-ce pas ?" grogna Malek. "Nous ne sommes pas passés inaperçus, de toute façon". Il jeta un regard écoeuré sur l?homme que Rekk avait frappé. Heilban s?était remis péniblement sur ses pieds, et venait de tirer son épée.
"C?est un outrage !" gronda-t-il.
"C?est pour vous faire payer une année de mauvais traitements" siffla Shareen en retour. Avec Rekk à ses côtés, elle se sentait invulnérable. "Ce n?est pas encore assez, pour tout ce que vous m?avez fait !"
"Je vais te faire fouetter jusqu?à ce que tu n?aies plus de peau, petite ! Tu vas voir ce qu?il en coûte de s?opposer à moi ! Petite effrontée !"
"Je crois que nous n?avons plus besoin de vous. Disparaissez" fit Rekk lentement.
"Que.. quoi ?" balbutia Heilban.
"Vous n?avez pas entendu ce que j?ai dit à votre collègue ? Nous sommes ici par la volonté de l?Empereur. Disparaissez d?ici, et reprenez vos pathétiques leçons."
"Je ne vous permets pas de?" Heilban croisa le regard de Rekk, et il déglutit. Soudain, ça ne paraissait plus une si bonne idée d?agiter ainsi son épée de manière menaçante. Il recula d?un pas, de mauvaise grâce. "D'un autre côté, si c?est un ordre express de l?Empereur?"
"Sage décision"
Shareen le suivit du regard alors que ce maître redouté de tous leur tournait le dos et s?enfuyait avec toute la dignité qu?il lui restait. Heilban, ce n?était que ça ?
"Et maintenant, que fait-on ?"
"On attend que Semos sorte de son trou"
 
Il ne fallut pas patienter longtemps. Surgissant de sa tour, entouré d?une dizaine de gardes, le Maître de l?Académie arrivait vers eux.
Lui qui portait habituellement la même robe que les instructeurs était aujourd?hui habillé pour le combat. Il portait une cotte de mailles fine sous un bliau rouge au blason de l?école, et l?épée qu?il portait au côté n?était pas une arme d?entraînement. Il portait un casque cônique sous le bras, et son regard était déterminé. Arrivé devant le petit groupe, il toucha brièvement son front de son index et de son majeur, en signe de respect.
"L?Empereur m?appelle, et me voici" fit-il rituellement. "Que puis-je pour vous, Baron ?"
Rekk haussa un sourcil appréciateur. Il avait toujours pris l?homme pour une chiffe molle, un intrigant sans réel courage, mais il semblait que Semos avait finalement transcendé sa peur. Pourtant, il devait savoir pourquoi le Banni était chez lui.
"Je souhaiterais m?entretenir avec vous ? en privé" fit Rekk, agitant une main en direction des gardes. "L?Empereur m?a dit que? nous avons beaucoup de choses à voir ensemble. Rien de bien? douloureux, heureusement"
Semos grimaça légèrement, mais se reprit bien vite.
"Certainement, certainement. Montons dans mes appartements, nous pourrons y discuter tout à loisir. Mes gardes resteront ici, à tenir compagnie à vos amis"
Malek s?autorisa un bref sourire. Tenir compagnie, tiens donc. La discussion était claire et sans équivoque : Si Rekk se vengeait dans le sang, Semos ne serait pas la seule victime.
Il lança un coup d??il au Banni pour se rassurer, mais son visage était gravé dans le marbre. Impossible de lire ses émotions. Il se rappela le combat chez Dani, alors, et les paroles cruelles qu?il avait prononcées. Pour lui, la vie des deux jeunes gens ne pesait pas grand-chose devant sa vengeance. S'il avait envie de trucider Semos dans l'intimité de son bureau, la pensée de ses protégés ne le dérangerait pas plus d'une seconde. Malek se raidit visiblement.
Et la porte de la tour se referma sur les deux hommes.
 
 
Theorocle lança un regard prudent à droite et à gauche, mais personne ne le regardait. Il s?était débarassé de la troupe de gros bras avec lesquels il aimait traîner sous un prétexte fallacieux, et les brutes avaient déguerpi. Ils n?étaient hébergé au palais, et ils ne vivaient bien, que par la grâce de l?Héritier. Aucun n?aurait risqué de le contrarier en écoutant aux portes alors que le prince leur avait expressément demander de quitter le palais et de boire à sa santé dans les bouges de la ville. Pourtant, on n?était jamais trop prudent. Pour ce genre d?affaires, on ne pouvait jamais être trop prudent. On ne pouvait pas se permettre d?être insouciant.
Il repoussa les tentures d'un geste sec, puis regarda dans son armoire, les sourcils froncés. Il se sentait plus nerveux qu'il ne l'avait jamais été depuis longtemps.
"Seul Mandonius le sait à part moi, Héritier" fit Gundron, souriant derrière son ?il crevé.
Le Prince hésita un instant. Il avait fait beaucoup de bêtises et d?erreurs, durant sa vie, et il était conscient d?avoir fait de nombreuses choses qui lui feraient mériter l?enfer, si enfer il y avait. Mais cela? c?était aller plus loin, beaucoup plus loin. Cela n?aurait pas uniquement des répercussions dans une hypothétique vie après la mort, mais également maintenant. Il risquait sa peau. Un délicieux frisson d?excitation le parcourut. C?était l?aventure, enfin !
Depuis qu?il était né, il n?avait jamais connu d?excitation comparable. Les jours venaient et se ressemblaient tous. Tous ses désirs étaient satisfaits, tout le monde était à ses ordres. L?Empire était en paix, et il aurait pu s?adonner aux plaisirs des arts, ou de la chasse, ou simplement apprendre comment gérer un royaume. Mais tout cela était si ennuyeux. Le prince était convaincu que sa destinée était d?être un conquérant. Pour que le peuple vous acclame, il faut être un conquérant. Pour que l?or et l?argent affluent, il faut être un conquérant. Pour que tout le monde puisse manger à sa faim dans un royaume, qu?il n?y ait ni disette ni misère, il fallait piller les greniers des ennemis. Pourquoi Marcus, premier du nom, ne pouvait-il pas comprendre cela ? Le borgne était le seul qui acceptait d'entrevoir la vérité.
"Tu dis que le gouverneur est au courant ? Et il n'a encore rien dit à mon père?"
Gundron haussa les épaules.
 
"Je vous avoue que je ne sais pas. L'Empereur est?distant, ces derniers jours. Mais je pense que Mandonius n'hésitera pas à lui en parler, si jamais ça peut assurer sa propre position. Vous savez, bien entendu, qu'il est suivant dans l'ordre de succession, juste après vous"
Les yeux du prince s'étrécirent.
"Tu ne voudrais pas dire que?"
"Je ne veux rien dire, Héritier. Je me permets juste de vous mettre au courant. J'ai pensé que vous aimeriez savoir que nous étions? au courant."
Le prince frissonna. Il se rappelait le sourire de Gundron alors que celui-ci lui annonçait la nouvelle. Theorocle n'avait même pas songé à nier, tellement il avait été paniqué. C'était stupide, bien entendu. Il était le prince, il était intouchable. Mais, tout de même, une corde sensible vibrait en lui, et il ne supportait pas de repenser à cette atroce nuit.
 
Ils avaient tous un peu bu, comme d'habitude. Depuis plus de huit mois, Theorocle faisait souvent la tournée des tavernes avec ses compagnons. La sensation du vin qui envahissait son corps était tellement puissante qu'elle lui faisait oublier tous ses soucis. L'indifférence de son père, l'insolence de certains à la cour, et l'impuissance qu'il ressentait tous les jours. Quelques verres de rouge de Koush, et les soucis le fuyaient. Ceux qui l'accompagnaient étaient des fidèles parmi les fidèles, qui n'oseraient jamais le reprendre et rieraient de bon c?ur à ses plaisanteries. Des fils de duc, de comtes et de marquis, qui espéraient que faire fraterniser les enfants leur permettrait de gagner quelques pièces dans le jeu du pouvoir. Theorocle se moquait de la raison pour laquelle ils lui collaient au basque. L'essentiel, c'était qu'ils lui obéissaient au doigt et à l'?il.
Et puis, il y avait eu cette fille. Un rayon de lune s'était reflété dans ses cheveux lorsqu'elle avait tourné la tête, et quelque chose s'était brisé en lui. Il avait soudain eu la certitude qu'il était amoureux. C'était un désir impérieux qui montait en lui, comme un fleuve dont les digues venaient de se rompre. Il s'était avancé avec les autres, et l'avait apostrophé. Plus tard, un de ses amis lui avait dit qu'il l'avait aussi insultée. Il ne s'en souvenait pas. Ce n'était pas possible. Pas une fille comme ça.
Puis elle avait sorti son épée, et les choses avaient commencé à dégénérer. Cette violence, ces cris, et puis ce sang, ce sang, ce sang?
 
"Tu? tu as bien fait" murmura-t-il. "Je savais que ce poltron qui avait assisté au combat nous causerait des ennuis. Laath, tu as dit ?"
Gundron hocha la tête.
"Il y a une récompense pour sa mort. Nous l'avons accusé de viol. C'est un crime très grave, et personne ne lui offrira d'aide. J'ai bon espoir qu'il meure dans la semaine."
Theorocle sentit un frisson inexplicable lui traverser l'échine. Lui-même déplorait encore cet incident regrettable avec cette jeune fille. Les choses avaient dégénéré, et il n'avait pas eu le choix. Mais Gundron? Gundron ne paraissait accorder aucun prix à la vie humaine. L'héritier avait beau se dire qu'il ne s'agissait que d'un roturier, il se sentit soudain la gorge très sèche.
"Très bien. Je parlerai à Mandonius, et je ferai en sorte que la nouvelle ne s'ébruite pas." Il n'avait pas la moindre idée de la manière dont il s'y prendrait. Le gouverneur avait toujours eu l'air si puissant. "Je te remercie de ton aide, Capitaine. Tu peux me laisser, maintenant."
 
Gundron ne bougea pas. Il toussa légèrement.
"Il y a? un autre petit détail que vous devriez savoir, Héritier."
Sa voix était hésitante. Gundron n'était jamais hésitant. Theorocle sentit sa respiration s'accélérer alors qu'il affichait une expression d'ennui profond.
"Rapidement, alors. J'ai une journée chargée, et on ne devrait pas tarder à aller me chercher pour ma leçon d'équitation. Quoi, encore ?"
"Avez-vous déjà entendu parler de Rekk le Boucher ?"
Theorocole écarquilla les yeux. Il ne s'attendait absolument pas à ça.
"Rekk ? Bien entendu. Tout le monde a entendu parler de lui. C'est même vous qui l'avez tué, voici trente ans de cela. On m'a assez souvent raconté cette histoire. Il paraît que votre combat était.. épique." Il fronçales sourcils. "Mais? pourquoi me parler de lui ?"
"Parce que je ne l'ai pas tué dans ce duel, qu'il vit encore? et qu'il avait une fille."
Un taureau se serait précipité dans la pièce que l'héritier n'aurait pas été plus surpris. Ses yeux menaçaient de sortir de leur orbite alors qu'il reculait d'un pas. Sa respiration était oppressée. Il porta sa main à son col et le dégrafa pour faire rentrer l'air. Il recula encore, mais le mur était derrière lui. Il s'adossa à la cloison.
"Quoi ?" coassa-t-il. Puis "Quoi ?"
 
Gundron se leva et mit ses mains derrière son dos. Son ?il unique semblait soudain plus sinistre.
"Ce que je veux vous dire, Héritier, c'est que vous avez tué, sans le vouloir, la fille du Faiseur de Veuves. Et je crois savoir qu'il n'est pas content."
"Mais? mais?" balbutia le prince. "Mais? Rekk est mort, tout le monde sait ça. Vous essayez de me faire peur, c'est tout. Vous pensez que?"
"Votre grand-père, l'Empereur Bel, semblait avoir d'autres plans pour Rekk. Il nous a demandé de jouer un rôle, durant ce combat. Pour apaiser la foule et leur livrer la victime qu'ils demandaient. Rekk a perdu toute existence visible durant cette période, et j'ai perdu? mon ?il." Gundron soupira et frotta son orbite vide. "Ca, ce n'était pas prévu. Même maintenant, je me demande si Rekk l'a fait exprès, ou n'a pas su arrêter son coup. Ca n'a aucune importance, de toute façon. Mais Rekk est vivant, je suis bien placé pour le savoir."
Theorocle était livide. Sa main se posa machinalement sur son épée, puis il la lâcha comme si elle l'avait brûlé.
"Et j'ai tué sa fille ?"
"Un regrettable manque de chance" opina Gundron. "Il y a probablement plus de cinq cent mille habitants à Musheim, et il a fallu que vous tombiez sur elle. Les dieux ont un curieux sens de l'humour."
 
L'héritier se rattrapa à la table. Il se sentait soudain très faible, et son estomac se nouait. Au prix d'un effort de volonté, il parvint à empêcher son contenu de se déverser sur le sol. Pendant toute son enfance, on l'avait régalé d'histoires sur la vaillance et la cruauté du Boucher, sur ses combats terrifiants et la manière dont il avait vaincu tous ceux qui lui étaient opposés. Rekk, c'était un véritable monstre et, en même temps, une figure d'admiration diffuse pour l'héritier.
"Il vient? il vient me chercher ?"
"Il ne sait probablement pas encore que vous êtes impliqué. Comme je le disais, seul Mandonius est au courant? et peut-être votre père. J'espère qu'aucun d'entre eux n'aura la mauvaise idée de livrer cette information au Boucher. Car si ça arrive, je ne donne pas cher de votre peau."
"Quoi ?" balbutia Theorocole. "Mais je suis le prince ! L'Empire entier assure ma sécurité ! Un seul homme ne peut pas me menacer comme ça !"
"Vous ne connaissez pas Rekk comme je le connais, héritier. Quels que soient les obstacles, il parviendra à ses fins." Gundron serra les lèvres. Maintenant venait l'attaque la plus délicate. "Et ne comptez pas trop sur votre père pour vous protéger. Il a besoin du Boucher pour protéger son empire des barbares du nord. Vous avez bien vu avec quelle amitié ils se parlaient ?"
"J'ai vu Rekk ? Moi ?"
 
Gundron sourit.
"Le Baron FroidVal ? Cela ne vous dit rien ?"
Pour la seconde fois de la soirée, Theorocle resta frappé par la foudre alors qu'il digérait cette information. Le Boucher était ici, il était même dans le palais § Et si jamais il apprenait? oh, Dieu des Massacres, si jamais il apprenait !
"Je vais le faire jeter en prison, ici et tout de suite !" rugit-il. "Avant qu'il ait pu faire quoi que ce soit."
Le borgne secoua la tête.
"Je vous le déconseille. Semos a essayé d'agir directement contre lui, et cela n'a pas marché. Si je ne me trompe pas, je dirais que le seigneur Semos n'a plus que quelques heures à vivre. Non, je vous déconseille d'attaquer directement le Boucher. Pas tout de suite. Pas pendant qu'il dispose des faveurs de l'Empereur." Il sourit. "Vous vous rappelez la dispute lors du bal ? Vous avez vu pour qui il a pris partie ? Est-ce que vous pensez vraiment que l'empereur hésitera une seule seconde à vous sacrifier s'il pense que cela peut l'aider ?"
 
Theorocle baissa les yeux.
"Il ne m'a jamais aimé?" soupira-t-il. "Je fais ce que je peux, pourtant." Il releva la tête, soudain agité. "Et ce Laath ? Vous ne pouvez pas l'accuser de la mort de cette fille ? Après tout, il est déjà recherché ! Ca pourrait contenter Rekk, vous ne croyez pas ?"
"Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, héritier. Si jamais Rekk apprend ça, il cherchera ce Laath lui-même. Imaginez ce qu'il se passera s'il le trouve ! Non, ce n'est pas la bonne solution."
"Alors, quoi ?"
Gundron resta un instant silencieux. Il marcha jusqu'à la fenêtre et se pencha au-dehors, regardant les courtisans qui se pressaient dans la cour. Le cheval du prince était déjà amené, un fier destrier qui dépassait tous les autres de plusieurs paumes. La leçon n'allait pas tarder à commencer, ce qui voulait dire qu'il n'avait pas beaucoup de temps.
"Héritier, il va falloir me faire confiance. Vous ne pouvez vous confier à votre père, pas tout de suite, pas sans savoir sa réaction. Mais je vous propose de vous accompagner partout dans vos déplacements. Je suis le seul qui a pu arrêter Rekk il y a trente ans. Je saurai le faire encore aujourd'hui."
"Accordé" fit le prince, étrangement soulagé. "Quoi d'autre ?"
Gundron se mordit la lèvre pensivement.
"Il y a bien le problème de ce? Mandonius. Si jamais il parle, tout est perdu. Que ce soit à Rekk, ou à votre père, ou à n'importe qui qui le répètera. Pensez-vous, une rumeur comme celle-ci? en quelques heures, toute la cour serait au courant. Il faut que vous fassiez quelque chose, héritier. Il faut que vous l'empêchiez de vous tuer indirectement, comme il a peut-être l'intention de le faire."
 
Theorocle plissa le front alors que ses pensées s'ordonnaient.
"Mandonius ? Me vouloir du mal ? C'est insensé ! Et pourtant? je vois bien qu'il me regarde étrangement, depuis quelques temps. Et puis, tu as raison. Si jamais je disparaissais, il serait le successeur de mon père. Oui, je vois. Je peux comprendre qu'il veuille ma mort. Mandonius, eh ? Mais qu'est-ce que je peux faire contre lui ?"
Gundron réprima un sourire. Le prince était encore jeune et malléable, et son caractère le rendait facilement manipulable. Il produisit de sa manche une petite fiole, et la posa sur la table. Le liquide verdâtre tourbillonna un peu à l'intérieur avant de se stabiliser.
"Qu'est-ce que c'est ? Il n'y a que quelques gouttes ?"
"Il suffit de quelques gouttes" expliqua Gundron. "Le contenu de cette fiole, versée dans un verre à l'occasion d'un banquet? ou d'un bal? ou de tout autre événement, et vous n'aurez plus à vous soucier de la personne en question. C'est absolument radical. Indétectable, inodore et? brutalement effectif au bout d'une journée."
Theorocle regarda la potion comme s'il s'agissait d'un serpent venimeux. Il n'était pas vraiment loin de la vérité. Le poison n'était distillé qu'avec de grandes précautions, à partir du venin d'un crotale des steppes koushites.
"Vous voulez dire que? vous voulez que?"
 
Gundron s'inclina.
"Je ne veux rien que votre prospérité, héritier. Je vous laisse choisir ce que vous souhaitez faire de ce que je vous ai donné. L'utiliser, ou? ne pas l'utiliser. Mais rappelez-vous que le temps tourne contre vous. Peut-être que Rekk est déjà au courant et, dans ce cas, tout est perdu."
"Je pourrais en faire boire à ce Rekk ?" suggéra le prince. "Vous avez dit que n'importe qui en mourrait ? Tous les problèmes seraient résolus."
"N'importe qui sauf Rekk" inventa souplement le borgne. "Il est immunisé contre la plupart des poisons, par peur de ce genre de tentative. Je vous le dis, c'est un véritable démon."
Theorocle hocha la tête comme dans un rêve.
"Laisse-moi, Gundron, je dois réfléchir."
"Vous accompagnerai-je lors de votre leçon ? Pour vous? protéger ?"
"Oui, oui."
Le borgne s'inclina de nouveau avant de s'éclipser. Son travail ici était fait. Le bruit de ses bottes s'estompa progressivement, et Theorocle resta seul.
Sur la table, la fiole le regardait avec ironie.

n°2044077
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 13-02-2004 à 10:07:14  profilanswer
 

Up du matin !
 
edit : ouah y a eu un nouveau chapitre le temps que j'écrive "up" :)


Message édité par PunkRod le 13-02-2004 à 10:08:04

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Assistants SWGOH
n°2044532
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 13-02-2004 à 11:23:48  profilanswer
 

punkrod a écrit :

Up du matin !
 
edit : ouah y a eu un nouveau chapitre le temps que j'écrive "up" :)


 
Eh oui t'as encore du boulot avant d'arriver à écrire aussi vite que Grenouille.  ;)  
 
 

Citation :

Il avait bouclé son ceinturon, attaché sa longue épée, et jeta sa vieille cape de peau de loup sur ses épaules.


 
Y a un problème avec la concordance des temps
 

Citation :

Plusieurs semaines passées à côtoyer Malek lui avaient prouvé qu'il n'était finalement pas si différent d'elle.
 
Theorocle se moquait de la raison pour laquelle ils lui collaient aux basques.
 
C'était un désir impérieux qui montait en lui, comme un fleuve dont les digues venaient de se rompre. Il s'était avancé avec les autres, et l'avait apostrophée.


 
 
Bon maintenant, on veut la suite de la suite... :o

n°2052693
Damrod
Posté le 14-02-2004 à 15:34:23  profilanswer
 

ben alors elle est ou la suite ? http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif

n°2055474
Edyas
Posté le 15-02-2004 à 00:21:55  profilanswer
 

grenouille bleue
je crois que subsiste un quiproco  
ce n'est nullement un fanzine qui se prépare mais bien un mag professionnel conçu dans le cadre d'une société de production  
mais je comprends ta conviction, moi meme ayant déjà tenté la meme chose.  
par contre et surtout en ce moment prends ton mal en patience .... ce n'est pas pour démoralisant mais se tneir au courant de réalités ... 6 mois ce n'est pas long pour un éditeur .....  

n°2058009
Freekill
Electron libre…
Posté le 15-02-2004 à 15:32:14  profilanswer
 


 
Y'en avait pas eu samedi passé non plus?
 
Le samedi, GB se repose :o


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Faux & usage de faux ¤ Machins roses ¤ ASCIImage ¤ HFR Enhance v0.8.6
n°2058083
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 15-02-2004 à 15:49:01  profilanswer
 

Désolé, j'ai passé une Saint-Valentin assez épouvantable, avec rupture et réconciliation dans la même journée. Je vous avouerai que j'ai eu du mal à penser au forum  :sweat:  
 
Mais bon, tout beau, tout chaud, le chapitre XVI est enfin disponible - sur un forum près de chez vous  :bounce:  
 
_____________________________________________________
 
Il n'y avait qu'une seule chaise, et Rekk l'avait prise d'autorité. A moitié renversé sur le dossier, complètement à l'aise, le tueur observait Semos avec un demi-sourire qui ne touchait pas ses yeux.
"Installe-toi donc, cher ami. Mets-toi à l'aise. On dirait que tu as peur de quelque chose?".
La petite pièce était habituellement un havre de paix, avec sa large fenêtre qui offrait une vue plongeante sur la ville, mais les rideaux tirés la plongeaient dans l'obscurité. Semos s'empressa de jusqu'aux tentures et de les ouvrir, laissant la lumière pénétrer à flots. La soudaine clarté fit reculer les ombres jusqu'aux coins de son bureau, jouant contre les plumes d'oies qu'il gardait soigneusement taillées et les rouleaux de parchemin enroulés dans tous les coins.
Avec précaution, Semos s'adossa au mur. Sa pomme d'adam montait et descendait alors qu'il regardait l'homme devant lui. Il ne savait pas s'il devait éprouver de la crainte ou de la fascination. Peut-être les deux.
 
Le maître de l?académie se considérait comme un fin bretteur, mais il y avait quelque chose d?autre dans la personne qui lui faisait face. A le regarder, on pouvait presque sentir des effluves de sang, celui qu?il avait sur les mains et celui qui tachait sa conscience. Ses yeux étaient des puits sans fond, des mares obscures menaçant de l?engloutir. C?était le regard d?un déséqulibré, d'un fou dangereux, d'un tueur ; mais pas seulement. C?était aussi le regard d?un homme qui avait apprivoisé la mort, et qui n?en avait plus peur. Semos enviait ces gens là.
Dissimulant son angoisse derrière une bonne humeur forcée, il entreprit de fouiller le coffre dans lequel il entreposait ses boissons. Il en sortit avec deux verres et une bouteille de liqueur de prune. L?alcool était vieux, et d?une bonne année. Lorsqu?il en versa dans les verres, l?odeur lui monta au nez, âcre et douce à la fois, comme un parfum de femme enveloppé dans du velours. Il poussa un des gobelets vers le Boucher, et garda le second pour lui-même.
"Je ne cherche pas à t?empoisonner" fit-il, arborant un sourire engageant. Il approcha le verre de ses lèvres, et le vida d?un trait. Il avait besoin d?un remontant. "Tu vois ?"
Rekk le regarda sans ciller. Lentement, il porta le gobelet à son nez, et huma le liquide.
"Tu as tort de boire aussi vite" fit-il. "C?est une boisson de choix, une boisson qui se déguste par petites gorgées. De plus, l?alcool va te monter à la tête. J?ai besoin que tu aies les idées claires, Semos, mon ami"
 
Semos se sentait petit, face à ces yeux qui ne clignaient pas. Il se rappelait soudain ses peurs d?enfant, la peur de la mort qui l?avait toujours tenaillé. Il ne se souvenait pas d?un moment, d?un seul moment dans sa vie, où il s?était senti en sécurité. Toujours cette angoisse le tourmentait. Que devenaient les hommes lorsqu?ils mouraient ? Pourquoi était-ce inéluctable ? Pourquoi lui cesserait-il un jour d?exister ? Et qu?y avait-il après ? Ne pas connaître la réponse à ces questions l?avaient rendu fou de terreur, à l?époque.
Il avait gravi tous les échelons, monté jusqu?au faîte du pouvoir pour laisser enfin une trace dans l?histoire. Les légendes ne mouraient pas, elles. Elles ne mouraient jamais. Semos non plus. Un jour, on louerait ses talents à l?épée. Le meilleur épéiste que l?Empire ait jamais connu. Les enfants murmureraient son nom avec respect et crainte, comme il avait autrefois prononcé le nom de Rekk, lorsque celui-ci s?illustrait dans les guerres Koushiennes.
"Je dois t?avouer que c?est vraiment le dernier de mes soucis, Boucher." Il s?assit lourdement sur le fauteuil de cuir en face de son interlocuteur, et se resservit à boire d?une main qui tremblait légèrement. "Je crois qu?il faut que nous parlions comme des adultes"
Et qu'il essaie de sauver sa peau.
"Baron"
Semos cilla.
"Pardon ?"
"Appelle-moi Baron, pas Boucher. Si tu veux discuter, alors mets-y les formes et la politesse d?usage"
 
Oui, Semos avait commis des atrocités pour arriver ici. Il en était conscient. Son talent pour l?épée était grand, mais il n?était pas absolu. Ce qu?il recherchait, c?était quelque chose d?absolu, justement. Une réponse à ses interrogations. Un baume sur son âme déchirée. Les leçons qu?on lui donnait ne suffisaient pas, ne suffiraient jamais. Pour être honnête avec lui-même, il aurait pu progresser encore, s?il l?avait vraiment décidé. Il aurait pu faire comme Landon le vagabond, partir voyager au travers le monde, sortir même des limites de l?Empire, combattre en tant que mercenaire, ou dans l?Arène, combattre pour apprendre, et toujours repousser ses limites. Comme Rekk l?a fait. Ce regard? dans l?arène, déjà, il avait ces mêmes yeux. Parce qu?il avait apprivoisé la mort, déjà ? Semos frissonna, se rappelant l?admiration et la terreur qu?il avait ressenti, à sept ans, en voyant le gladiateur impitoyable trancher la gorge de son adversaire, sur le sol. Et le sable blanc, si blanc, qui devenait rouge, si rouge.
"Une boisson intéressante, la liqueur de prune" fit Rekk sur le ton de la conversation. "Je ne te demanderai pas comment tu as appris que c?était mon alcool préféré. Mais cela n?a pas d?importance" Visiblement satisfait après avoir respiré le gobelet, il but délicatement une gorgée, et fit claquer sa langue. "Démons des Abysses, ça faisait longtemps !"
Le maître de l?académie hocha la tête misérablement.
 
Il avait essayé, pourtant. Il s?était présenté à l?entraînement pour être gladiateur, contre la volonté de son père, contre la volonté de sa famille. Oh, les pleurs et les hurlements que cela avait engendré ! Personne ne le comprenait, personne ne pouvait voir, personne ne pouvait savoir cette terreur qu?il avait en lui, cette sourde inquiétude, cette peur de la mort permanente. S?il la rencontrait, face à face, sur le sable de l?arène, s?il mettait sa vie en jeu, peut-être les choses changeraient-elles ? On appréciait tellement plus la vie, lorsque celle-ci était menacée. Mais il s?était dérobé à la dernière minute, comme il avait su qu?il le ferait. Après s?être opposé à sa famille, avoir menacé sa mère, avoir insulté son père et quitté la maison, il avait finalement fui le premier combat qui lui aurait permis de se battre avec du vrai acier dans les mains.
"Ecoute" fit-il, se resservant à boire d?une main tremblante, "tout cela est ridicule, complètement ridicule."
"Je suis d?accord avec toi, Semos. Tout ceci n?est qu?une farce, mais je ne suis pas le coupable. Pas cette fois-ci. Je suis le bourreau, et je viens exécuter la sentence" Rekk fit passer une gorgée d?alcool d?une joue à l?autre. "Semos, je t?accuse du meurtre de ma fille. Je t?accuse d?avoir envoyé des tueurs à ma poursuite, des tueurs qui ont par ailleurs menacé des personnes auxquelles je tiens ? auxquelles je tenais. Qu?as-tu à répondre à cela ?"
Ces yeux accusateurs, noirs, si noirs. Etouffant un glapissement, Semos entreprit de vider son second verre.
 
Il avait abandonné toute tentative de dompter la mort, sur le sable de l?arène, alors. Toucher une véritable épée le rendait malade. Seules les armes d?entraînement trouvaient grâce à ses yeux. Les faisceaux de bambou ne constituaient pas une menace. Jamais elles ne pourraient causer la mort, sauf manque de chance flagrant. Cette possibilité le dévorait de l?intérieur, mais il parvint à faire taire cette voix. A defaut de maîtriser l?acier, il maîtrisait le bambou. Et il avait commencé à gagner des duels.
"Je ne vois pas ce dont tu veux parler" fit Semos froidement, stupéfait de pouvoir garder sa voix si calme alors que ses intestins se changeaient en eau. "Je t?offre toutes mes condoléances pour ta fille, mais je t?assure que je ne suis pour rien dans sa?"
Rekk posa la lettre de l?Empereur sur la table, furieux. Son regard brûlait de haine.
"Ne joue pas avec moi, Semos. Pas maintenant, et pas sur ce sujet. J?ai ici un mot signé de la main même de l?Empereur qui m?absous d?avance de tout ce que je pourrais faire, y compris te trancher la tête, ici et maintenant, si jamais une seule de tes réponses ne me plaît pas ! Je te conseille d?être beaucoup plus coopératif, et de répondre clairement à ma question. Oui, ou non, as-tu une part dans l?assassinat de ma fille ? Et pose ce verre !"
Semos sursauta, renversant la moitié de l'alcool sur le sol. D?un suprême effort, il se reprit et posa le gobelet sur la table. Quelques perles de transpiration se formaient sur son front alors que le regard du Boucher s?enfonçait en lui, deux lances acérées fouaillant sa chair. Il hésita un instant.
"Non" finit-il par dire. "Non, ce n?est pas moi qui l?ai tuée, et je ne sais pas qui l?a fait. Je te le jure? c?est la vérité, Rekk !"
Le Boucher hocha doucement la tête, acceptant sans discuter les dénégations de son interlocuteur. Un sourire apparut puis disparut sur ses lèvres.
"Deuxième question. Est-ce toi qui a envoyé des hommes me tuer à Bertholdton ? Est-ce toi qui a proposé une récompense pour ma tête ?"
 
Le duel, tel avait été la voie qu?il avait choisi vers la gloire. Dans un duel, on ne versait pas de sang. On utilisait des armes d?entraînement, ou des épées au bout rond. Des armes qui ne pouvaient donner la mort, mais qui pouvaient apporter la gloire. Semos n?avait jamais eu peur, avec ces armes de bambou. Il se sentait en paix avec lui-même, en paix avec son âme. Ses talents d?escimeurs pouvaient enfin se révéler au grand jour. Petit à petit, son nom avait commencé à circuler dans les bals et les discussions mondaines. A la cour, il était devenu la coqueluche de ces dames. Et, toujours, il s?entraînait.
Le bruit de doigts irrités tambourinant sur la table le ramena brutalement à la réalité.
"Oui" fit-il, baissant les yeux. "C?est moi"
Rekk se pencha en avant.
"Tu admets donc que tu as essayé de me tuer ?"
"Oui"
"Pourtant, tu dis que tu n?as rien à voir avec la mort de ma fille"
"Non"
"Alors? pourquoi ?"
Rekk semblait sincèrement surpris. Ses mains avaient cessé de pianoter sur la table, et reposaient maintenant sur la garde de son épée. Ce n'était qu'une position comme une autre, mais Semos ne put s'empêcher de sentir la tension monter en lui.
Ses excuses semblaient tout d'un coup bien pathétiques. Pourquoi avait-il fait ça, exactement ? Comment avait-il pu se laisser embarquer dans cet engrenage ?
Il baissa les yeux, alors que les souvenirs affluaient de nouveau.
 
Petit à petit, il avait enfin conquis la place qu?il désirait. Mais pas totalement. Tout le monde le félicitait, tout le monde s?inclinait? mais tout le monde s?accordait à dire que Gundron était plus fort que lui, bien plus fort, sans commune mesure. Alors il avait organisé ce duel. Et il avait triché.
L'Empire avait besoin de héros. Les jeunes gens voulaient des figures auxquelles ils pouvaient s'identifier, et le borgne ne remplissait pas ce rôle. L'Empereur Marcus avait tranché. Le combat serait truqué, et Gundron ferait semblant de perdre.
La victoire, encore maintenant, lui laissait un goût amer dans la bouche. Mais la peur de la mort avait disparu, pour un temps. Cette fichue peur s?était diluée dans le plaisir d?être enfin acclamé, et de pouvoir briguer les plus hautes fonctions. Son plan avait réussi. Tout le monde l'adulait, dans les rues. Il était Semos l'invincible, Semos l'indomptable. Le duelliste invaincu. Cette fois-ci, il en était certain, sa légende allait pouvoir être bâtie.
Mais Deria avait été assassinée, et avec elle la menace était reparue, bien réelle cette fois, d?une puissance obscure qui réclamait sa vie.
 
Il avait paniqué. Il avait tout simplement paniqué.
"Je? ne sais pas vraiment" murmura Semos après un instant. Il s?appuyait contre le dossier de la chaise pour rester debout, tous les muscles tendus. Son visage était secoué de tics nerveux. "Je pensais que vous vouliez vous venger"
"Ne dis pas n?importe quoi" gronda Rekk. Il frappa du poing sur la table. "Me venger de quoi ? Si tu n?as rien à voir avec la mort de ma fille, alors pourquoi voudrais-je me venger ?"
"Parce que? je n?ai pas su? la protéger ?" hasarda Semos.
Rekk eut un sourire mauvais.
"Personne n?aurait pu protéger Deria contre son gré, Semos. Personne. Shareen et Malek m?ont expliqué ce qui s?est passé. Tu n?avais pas grand chose à te reprocher. Alors, je le répète, pourquoi ?"
"Gundron?" balbutia le Maître de l?Académie, livide.
Depuis que Semos avait pris la place du borgne à la tête de l?Académie, Gundron avait toujours été là pour prodiguer ses conseils, fortement incité par l?Empereur à faciliter la route du nouveau Maître. C?est lui qui avait conseillé d?accepter Deria dans l?Académie, tout en sachant parfaitement ses liens de parenté avec le Banni. Ces conseils étaient bons, toujours bons. Il n?ordonnait jamais rien, se contentait de suggérer. Pourtant?
Lentement, la colère remplaça la peur, sur le visage de Semos.
"Quoi, Gundron ?" s?enquit Rekk calmement. "Gundron un-?il ?"
"Le maudit fils d?oursin ! L?immonde canaille !" Semos tempêtait, maintenant. "Comment est-ce que j?ai pu me faire manipuler aussi facilement ? Comment est-ce que j?ai pu?"
"Gundron a un talent particulier pour faire passer ses idées" fit le Banni, haussant les épaules. "Nous avions eu une? petite altercation à ce sujet la dernière fois que nous nous sommes vus. Il y avait perdu un ?il."
"Si je pouvais, je lui ferai perdre l?autre ! C?est lui !" clama Semos, fou de rage. "C?est lui qui a tout manigancé ! C?est lui qui m?a dit que vous voudriez vous venger, c?est lui qui a affirmé que vous me tueriez sans hésiter. Il a dit qu?il ne fallait pas que vous soyiez prévenu de la mort de votre fille, et ensuite il voulait que vous ne veniez pas ici. C?est lui qui m?a incité à mettre une prime sur votre tête ! Qu?est-ce que j?ai pu être stupide !"
"Il a dit ça comme cela ?" fit Rekk, incrédule.
Semos s'empara du verre sur la table et le vida d'un trait. La chaleur du liquide lui emplit l'estomac comme de l'or en fusion.
"Non, bien sûr que non ! Des mots par ci, des mots par là. Vous savez comme il est, à avancer voilé. Je ne sais pas comment il a fait, mais j?étais convaincu que vous alliez vouloir me tuer"
Rekk hocha la tête.
"Mmh? Tu crois qu?il serait derrière la mort de ma fille, alors ?"
"C?est possible ! Il avait des raisons, en tout cas !"
"Ca se tient" fit le Banni en haussant les épaules. "Il se vengeait de moi, et mettait le tout sur tes épaules. Peut-être avait-il aussi des raisons de t?en vouloir. J?ai entendu parler d?un duel, voici un an"
 
Semos déglutit.
"Quoi qu?il en soit, je suis innocent dans cette affaire. Si vous voulez, je peux vous aider à retrouver ce fils de chienne et à comprendre pourquoi il nous en veut autant ?" Son sang se glaça alors que Rekk secouait l?index en signe de dénégation.
"Non non, mon petit Semos. Je n?en ai pas fini avec toi. Gundron n?était pas censé savoir que Deria était ma fille, tu sais ? Je n?en avais parlé qu?à deux personnes. L?Empereur? et toi, car l?Empereur te faisait confiance et voulait te mettre dans la confidence. C?est donc toi qui en as parlé à Gundron, alors que tu savais pertinemment qu?il avait des raisons de m?en vouloir" Il haussa le ton. "Tu es le pire abruti que l?Empire ait jamais vu, Semos, et si Gundron a tué ma fille, alors tu n?en es pas moins coupable !"
Semos recula jusqu?à avoir le mur dans le dos. Il suait à grosses gouttes.
"Ce n?est pas vrai? Ce n?est pas possible. Ce n?est pas comme ça? je ne savais pas? et ce n?est peut-être pas lui?"
Rekk se leva et ramassa la lettre de l?Empereur, sur la table.
"Tu m?as appris tout ce que je voulais savoir. C?est intéressant, ce que tu m?as dit sur Gundron. Mais il est temps d?en finir."
"En finir ?" glapit Semos, reculant d?un pas.
Rekk garda son épée au fourreau. Il avait un drôle de sourire aux lèvres.
"Rassure-toi, Semos. Je ne suis pas aussi méchant qu'on le dit. Je veux agir selon les règles, pour ne pas mécontenter l'Empereur." Il haussa les épaules. "Il paraît que tu es un bon duelliste. Prouve-le." Il avança sur le maître et le gifla soudainement. "Par mon titre et par mon honneur, je te défie en combat singulier. Un combat au premier sang. Choisis ton arme."
 
Semos tituba sous la violence du coup. Rekk n'y était pas allé de main morte, et il lui fallut quelques temps pour réaliser ce qu'il venait de passer. Lorsqu'il y parvint, sa vision se brouilla alors que le soulagement l'envahissait. Un duel au premier sang ? Voilà qui lui convenait totalement ! Une épée de bambou en main, il était imbattable.
Pour la première fois, son sourire était confiant.
"Je comprends?" murmura-t-il. "Je comprends. Mais, si tu gagnes ce duel ? Ou si tu le perds ?"
"Dans les deux cas, je considérerai mon honneur comme satisfait. Sommes nous d'accord ?"
"Tout à fait d?accord !" balbutia Semos, tout à son soulagement.
"Alors sortons dans la cour. Tu devrais pouvoir me trouver une arme d?entraînement dans ton académie"
"Quoi? maintenant ?"
"Pourquoi attendre ? J?ai beaucoup de choses à faire avant ce soir, autant s?en débarasser tout de suite" Rekk haussa les épaules. "De plus, je n?ai pas beaucoup dormi et je sors d?un combat éprouvant ? avec un des chasseurs de primes que tu avais envoyé à mes trousses. Un certain Comeral. Tu auras beaucoup plus de chance de gagner maintenant. Ou préfères-tu que je me repose ?"
"Non non, ça ira" fit Semos, se mordant la lèvre inférieure.
L'homme en face de lui était une véritable légende. Ses informateurs lui avaient rapporté qu'il était parvenu à tuer huit adversaires à Carnogel. Et Comeral était connu pour ses prouesses avec son énorme espadon.
Semos aurait-il été capable d'en faire autant ? Avait-il ses chances dans ce duel ?
Il sourit froidement. Avec une arme d'entraînement, nul ne l'avait jamais vaincu.
Reprenant confiance, il suivit Rekk au bas des marches.
 
Cela faisait plus d?une demi-heure que Shareen attendait patiemment, sous le regard attentif des gardes. Rekk ne semblait pas vouloir revenir avant longtemps, et elle s?ennuyait. Malek s?était allongé contre un mur, et il somnolait doucement, rattrapant sa nuit. La jeune fille aurait bien aimé l?imiter. Elle se sentait fatiguée, moulue. Elle avait l?impression qu?elle ne parvenait plus à contrôler ses émotions. Lorsqu'elle avait vu Rekk frapper le maître, elle n'avait rien senti d'autre qu'une intense exaltation. Elle avait approuvé son geste brutal.
Rekk? si seulement elle pouvait vivre comme lui, avec cette nonchalante grâce des grands félins. L?homme était cruel, certes, et souvent impitoyable, mais il ne semblait pas connaître la peur, le doute, l?angoisse, l?inquiétude qui minaient systématiquement la jeune fille. Avec lui, tout semblait plus simple. La vie était faite de n?uds à dénouer, et le Banni les tranchait sans se soucier de ce que les autres pouvaient dire. Elle voulait être ainsi, elle aussi. Si seulement il voulait bien lui apprendre? Elle pourrait enfin se défendre. Ce n?est pas en comptant sur les hommes ? elle jeta un coup d??il écoeuré à Malek, tranquillement allongé ? qu?elle pouvait assurer sa protection.
Prenant finalement sa décision, elle s?empara d?une épée de bois, dans le râtelier contre le mur, et s'approcha du jeune noble. De la pointe de la lame, elle lui chatouilla les côtes. Malek se retourna sur le côté.
"Malek ! Hé, Malek !"
"Hmm ?"
Elle le poussa plus fort.
"Malek !"
Le jeune homme ouvrit les yeux, et bondit en position de défense, la main sur son épée. Ses yeux étaient écarquillés.
"Hein, quoi ?"
"Je suis content de voir que tu es réveillé" observa Shareen avec sérieux. "Dis-moi, puisque nous n?avons rien d?autre à faire qu?attendre, est-ce tu accepterais de t?entraîner contre moi ? Je veux essayer d'apprendre"
Le regard qu'il lui lança était incrédule.
"Quoi ? Là ? Maintenant ? Dieu Honorable, j'ai sommeil. Je veux me reposer. Tu peux m'accorder ça, quand même ? On voit bien que ce n'est pas sur toi que Rekk a le plus insisté, hier."
La jeune fille pinça les lèvres. L'ancienne Shareen se serait déjà découragée, mais la nouvelle se contenta de lui lancer un regard incendiaire.
""C?est un service que je te demande" fit-elle, gardant sa voix sous contrôle. "Pour passer le temps ?" Il hésita. "S'il te plaît ?"
"Je ne?"
"S'il te plaît ?"
 
Malek poussa un juron. Les filles, de tout temps, avaient inventé des manières de faire plier les hommes, et c'était de bonne guerre. Mais l'?illade que Shareen venait de lui lancer était une tout bonnement déloyale.
"Nous n'avons pas d'armes d'entraînem?" commença-t-il faiblement, avant de s'interrompre. Ils étaient dans la cour principale de l'Académie, et des dizaines de mannequins trônaient autour d'eux, avec une épée de bois rangée dans leur fourreau en attendant leur prochaine utilisation. "Bon? très bien. De toute façon, je m'ennuyais un peu aussi. Mais je te préviens, même avec une arme en bois, ça peut faire mal. Je ne suis pas responsable si jamais tu as des bleus partout, d'accord ?"
"J'ai déjà des bleus partout" fit doucement Shareen., se mettant en position pour attaquer.
Les deux lames s'entrechoquèrent dans un silence de mort. Les gardes s'étaient adossés au mur et se penchaient en avant pour mieux voir. On les avait chargés de surveiller les jeunes gens, mais toute distraction était la bienvenue.
Malek était sans aucun doute moins habile que le Boucher, mais la différence n'était pas visible alors qu'il faisait face à la jeune fille. Elle n'avait pas un niveau suffisant pour pouvoir vérifier ce fossé. Le noble se battait sans erreur, mais sans imagination, et il montrait une douceur surprenante dans ses mouvements, comme s'il ne voulait pas la blesser. Lorsqu'il lui attirait son attention sur une faille dans sa garde, il la touchait légèrement de la lame, au lieu de la cingler violemment comme le Boucher l'avait fait. C'était une méthode plus douce, mais Shareen se prit à regretter qu'il ne se montre pas plus violent. Elle n'était pas en sucre, et elle n'apprendrait absolument rien comme ça. Machinalement, elle repoussa ses cheveux en arrière et essuya la sueur qui menaçait de lui couler dans les yeux. Elle n'apprendrait sans doute jamais à vraiment savoir se battre, mais elle avait bien l'intention de savoir au moins comment se défendre un minimum. Disons, assez de temps pour que quelqu'un vienne à son aide. Pour que Rekk vienne à son aide.
 
"Tu ne te débrouilles pas si mal que ça" sourit Malek, quelques minutes plus tard. Il baissa son épée et la laissa pantelante, des lumières dansant devant ses yeux. "Tu as des poignets un peu faibles, mais il suffit de les travailler. Je suis sûr qu'on pourrait faire quelque chose de toi."
"C'est vrai ?" balbutia-t-elle, la voix hachée.
"Vrai de vrai. J'avoue que je ne m'attendais pas à ça. Les filles sont généralement plutôt?" Il fit la grimace, enlevant son casque, et elle éclata de rire. "Tu vois ce que je veux dire ?"
"Je vois parfaitement, oui."
Shareen haussa un sourcil. Il n?était vraiment pas mal, maintenant qu?il n?avait plus ce bassinet ridicule sur sa tête. Et son sourire était vraiment chaleureux. Etait-ce comme ça que Deria le voyait tous les jours ? Comment avait-elle pu résister ?
Malek reposa doucement l'épée de bois contre le mannequin d'entraînement. Lorsqu'il se releva, le sourire avait disparu. Son expression était soucieuse.
"Je me demande ce que fait Rekk. J'espère qu'il n'a pas encore provoqué une catastrophe."
"Le Baron FroidVal sait ce qu'il fait" se précipita Shareen. "Ne t'inquiète donc pas comme ça. Je suis sûr qu'il ne va pas tarder à descendre. Après tout, ils ont beaucoup de choses à voir ensemble, tu ne crois pas ? Ah, les hommes, ça parle, ça parle?" Les mots se bousculaient pour tenter de couvrir l'erreur de Malek. "Cet entraînement m'a épuisée, je pense que je vais bien dormir, cette nuit. Pas toi ? J'ai trouvé la chambre très confortable. Si seulement j'avais pu en profiter plus longtemps?"
Malek ouvrit et ferma sa bouche lentement, comme un poisson alors qu'il réalisait ce qu'il venait de dire.
"Je? bien sûr. Bien sûr, Shareen."
Les soldats n'avaient visiblement rien remarqué. Ils baillaient ostensiblement, toujours adossé au mur comme s'ils craignaient que celui-ci s'effondre. Shareen se permit un soupir de soulagement.
"Attention, Malek?"
"Je suis désolé. Je n'ai pas?"
 
La porte de la tour s?ouvrit enfin, laissant passer Rekk et Semos.
Shareen lança un regard surpris au Banni. Ce n?était pas dans ses habitudes de laisser ses ennemis vivants. Que s?était-il passé ? Quand il vit qu?elle le regardait, il lui fit un clin d??il amusé. Ca non plus, ce n?était pas dans ses habitudes.
"Baron FroidVal !" s'exclama-t-elle, insistant sur le nom avec un regard en biais pour Malek. "Tout va bien ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"
Rekk marcha jusqu'à elle, et ses lèvres s'incurvèrent en un demi-sourire.
"Pas grand chose, Shareen. Rien de bien passionnant. Ce gentilhomme et moi-même allons faire un duel à la première touche, pour laver l?affront qu?il m?a fait. Rien de plus." Il haussa la voix, pour se faire entendre des gens massés dans la cour. "Qu?on nous apporte des épées d?entraînement ! Et faites place ! Libérez la cour ! Enlevez ces mannequins ridicules !"
 
La folie et la frénésie s?emparaient de l?Académie alors que la nouvelle se répandait dans les couloirs. Maître Semos allait se battre ! L?événement était de taille, le dernier duel remontait à un an, à ce combat bref contre Gundron, qu?il avait remporté avec tant de panache. Maître Semos allait se battre ! Les cadets, les novices, les maîtres se précipitaient dans la cour dans un joyeux brouhaha pour observer leur idole en action. Contre qui se battait-il ? Nul ne le savait précisément. Un obscur baron, disaient certains. Un guerrier aux yeux mauvais, prétendaient d?autres. Un voyageur arrogant, affirmait encore un groupe. Mais tous s?accordaient sur le même point : il n?aurait aucune chance. Pas contre le terrible Semos, la meilleure lame de l?Empire, peut-être la meilleure du monde.
Ce fut un concert de bousculades, de coups de coudes et de grognements outrés alors que tous prenaient position autour de la cour intérieure, créant effectivement une arène de plusieurs coudées de longueur. Plusieurs maîtres s?étaient rués sur lui à sa sortie de la tour, discutant et protestant avec énergie, mais il les avait rabroués vertement et, désormais, ils en étaient réduits à observer le combat, eux aussi. Shareen marcha sur un grand nombre de pieds avant de pouvoir enfin se glisser au premier rang, étouffant les protestations de "pardon" péremptoires.
C'était facile, finalement, de prendre l'assurance. Une fois qu'on avait décidé de ne pas marcher sur les pieds, on prenait l'habitude d'écraser ceux des autres. La jeune fille grimaça.
Les deux hommes se faisaient face dans l?arène, épée de duel au poing. Ils souriaient. Semos semblait beaucoup plus calme qu?il l?avait été quelques temps auparavant, et il tenait son épée dans une main ferme. Il testa l?équilibre de son arme en effectuant quelques moulinets, puis s?avéra satisfait.
"Commençons" proposa-t-il.
Maître Heilban s?avança de mauvaise grâce.
"Je continue à penser que c?est une folie, Maître" fit-il. "Je peux m?occuper moi-même de?"
"Non, tu ne peux pas" trancha Semos. "Et de toute façon, il est à moi"
Heilban s?inclina.
"Si tel est votre souhait?" Il haussa la voix. "Le duel se fait à l?arme d?entraînement, et se terminera à la première touche. Cela satisfera-t-il votre honneur ?"
 
Les deux hommes hochèrent la tête. Shareen regarda Rekk avec stupéfaction. Elle n?imaginait pas le Démon Cornu se contenter d?une sanction si symbolique.
D?un autre côté? il était vrai qu?avec tout le public qu?ils avaient en ce moment, si jamais Semos perdait, il serait discrédité. Peut-être ce châtiment était-il pire que la mort, pour un homme aussi ambitieux ? Mais, tout de même, Shareen restait dubitative. Se pouvait-il qu'il change d'avis au dernier moment ? Son regard s'attarda un instant sur l'épée, la vraie, qui se balançait à la ceinture du Boucher. Il ne lui faudrait qu'une fraction de seconde pour la tirer. Contre un adversaire surpris, cela ne ferait pas un pli.
Mais, obscurément, elle savait que Rekk ne renierait pas sa parole.
"Combattez !" cria Maître Heilban, baissant la main.
Semos avança d?un pas, le sourire aux lèvres. Tout s?arrange, finalement. Il avait hésité à se laisser toucher, simplement pour que l?homme se déclare satisfait et que tout s?arrête ici, mais la centaine de spectateurs rendait la chose plus difficile. Il allait vraiment combattre, et il allait vaincre. Personne ne pouvait se comparer à lui, lorsqu?il s?agissait d?un duel à la première touche. Personne.
Avec un cri, il se jeta en avant, exécutant avec dextérité la botte qu?il avait mise au point au fil de ses combats. Nul ne pouvait la parer, nul ne pouvait l?esquiver. Le duel serait terminé en une fraction de seconde. L'épée siffla alors qu'il se fendait en un mouvement long et bas.
Rekk bloqua la lame avec le pommeau de son arme, sans même paraître bouger son poignet.
"Un problème, Maître ?" fit le Boucher alors que Semos se remettait en garde, hébété. "A moi, maintenant. Je veux que cette première touche soit mémorable."
 
Le bambou parut prendre vie dans ses mains alors qu?il attaquait, frappant à mille endroits à la fois pour perturber la garde de l?adversaire, se retirant au dernier moment sans jamais qu?il y ait contact, trompant la défense de son ennemi sans jamais pousser son avantage. Et Semos comprit qu?on se jouait de lui.
Il y avait des "ooh" et des "aah" dans la foule, alors que tous réalisaient ce qu?il se passait. Non seulement Semos ne gagnait pas, mais il semblait ne pas pouvoir lancer une seule attaque, ne pas pouvoir se défendre contre l?habileté démoniaque de l?homme qui lui faisait face. Il y eut un brouhaha dans l?assistance alors que tous s?interrogeaient sur l?identité du mystérieux bretteur. Le nom de "Baron FroidVal" fut bientôt sur toutes les lèvres.
"Pourquoi est-ce que tu ne me touches pas ?" gronda Semos, parant brutalement une attaque qui lui frôlait la poitrine. «Pourquoi est-ce que tu ne mets pas fin à cette farce ?"
Il croisa les yeux de son adversaire, et son c?ur fit un bond. Dans ce regard, il n?y avait aucune compassion, aucune mansuétude, aucun pardon. Tout d'un coup, il n'avait plus envie que ça se finisse.
"Tu as raison. Tout cela n?a que trop duré" fit doucement Rekk.
Et il allongea de toute ses forces un coup d?estoc à la gorge de Semos, écrasant la glotte, pulvérisant le larynx, et étouffant les derniers mots en une explosion de bambou. Le maître de l?Académie s?effondra sur le sol, lâchant son épée. Ses mains se posèrent désespérement à son cou, alors qu?il ne pouvait déjà plus respirer, et que le sang coulait abondamment. Ses yeux bougeaient désespérément.
"Je?" coassa-t-il au milieu des bulles de sang.
Lentement, une immense paix descendait sur lui, une douceur et un calme divin qui étanchèrent sa peur. Il se sentait partir, et il n?y avait plus de douleur. Rien que les battements de son c?ur, et cette paix intérieure qu?il n?avait jamais connu. Il avait été stupide, de croire que Rekk lui pardonnerait aussi facilement d?avoir mis sa tête à prix. Il avait été stupide, de penser qu?une épée d?entraînement ne pouvait pas être dangereuse. Mais même ses regrets se fondaient lentement dans le néant qui l?aspirait, et le bonheur qu?il ressentait enfin. Ce n?était que ça, finalement ?
 
Rekk jeta un regard froid au cadavre devant lui, ignorant les hurlements et les cris des spectateurs.
"Première touche, et premier sang. J?ai gagné le duel."

n°2058172
Freekill
Electron libre…
Posté le 15-02-2004 à 16:08:46  profilanswer
 

Une fois qu'on avait décidé de ne pas *se laisser* marcher sur les pieds


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Faux & usage de faux ¤ Machins roses ¤ ASCIImage ¤ HFR Enhance v0.8.6
n°2058183
Freekill
Electron libre…
Posté le 15-02-2004 à 16:10:03  profilanswer
 

Sinon j'espère que ta St Valentin s'est malgré tout bien terminée? ;)


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Faux & usage de faux ¤ Machins roses ¤ ASCIImage ¤ HFR Enhance v0.8.6
n°2061620
Damrod
Posté le 16-02-2004 à 00:30:20  profilanswer
 

pareil que Freekill pour la St Valentin et bon courage ;)

n°2062052
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 16-02-2004 à 12:59:15  profilanswer
 

Idem. J'espère que ça va aller mieux avec ta copine. Quoi qu'il arrive, n'utilise pas les méthodes de ton héros :o  
 
En tous cas c'est toujours un plaisir de lire la suite de ton bouquin, ça égaie mes heures de boulot.
 

Citation :

Semos s'empressa de jusqu'aux tentures et de les ouvrir, laissant la lumière pénétrer à flots.


 
s'empressa de quoi faire ?
 

Citation :

Il aurait pu faire comme Landon le vagabond, partir voyager au travers le monde, sortir même des limites de l?Empire, combattre en tant que mercenaire, ou dans l?Arène, combattre pour apprendre, et toujours repousser ses limites. Comme Rekk l?avait fait.


 
Je trouve que la concordance des temps est mieux respectée comme ça.
 
Voilà
 
 
 
 
Et qu'est ce qu'on veut maintenant ???  
 
 
 
On veut http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif

n°2062610
Invictus
En abysse
Posté le 16-02-2004 à 14:26:51  profilanswer
 

Bien le bonjour à tous,
Grenouille je suis ton histoire avec le plus grand intéret tu pe donc me compter parmis ceux qui "suivent" ton histoire  :)  
 
La suite la suite!!  :bounce:  :bounce:  :bounce:  


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"Mon verre est petit mais je bois dans mon verre, je hais plus que la mort l'état de plagiaire" -- Bossuet le gosu
n°2062656
Gounok
Faux traître
Posté le 16-02-2004 à 14:34:25  profilanswer
 

Ayant pris du retard mais lisant 2 chapitres chaque soir, ce qui devait arriver arriva (hier soir précisément) : mon buffer est vide :sweat:
 
La suite [:youpi]

n°2063552
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 16-02-2004 à 16:22:31  profilanswer
 

Oui oui, ne vous inquiétez pas, tout a fini par s'arranger...  enfin, je crois  :sweat:  
 
Voici le chapitre XVII.
 
PS: ce smiley ([:youpi]) me fait tripper  
 
___________________________
 
La gorge est une des parties du corps humain la plus vulnérable, ce qui explique sans doute qu'on rentre instinctivement la tête dans les épaules lorsqu'un danger survient. Cela explique aussi qu'on puisse y porter un coup fatal.
Shareen tituba en avant. Elle n'avait absolument rien vu. Les deux duellistes étaient en train de se tourner autour, testant leur défense de la pointe de leur épée. L'instant d'après, Rekk reculait et Semos s'effondrait comme un pantin désarticulé. La terre battue entre les pavés de la cour absorbait avidement son sang. L'homme griffa le sol quelques secondes, puis s'immobilisa. Il avait une expression étrangement reposée.
"Il est? mort ?" balbutia Shareen.
 
La question était plus rhétorique qu'autre chose. On ne pouvait survivre avec une ruine ensanglantée à la place de la gorge. Ses yeux vitreux étaient fixés vers le soleil, mais ne cillaient pas.
Rekk n'accorda pas un regard au cadavre. Son sourire découvrait ses longues canines. Jamais le Boucher n'épargnait ses victimes. Aujourd'hui, l'histoire se répétait. Je vais tuer tous vos enfants?
"Par tous les démons, qu'est-ce que le Baron vient de faire ?"murmura un garde à ses côtés, les yeux exorbités.
Rekk jeta son arme au sol. Dans le silence absolu, le claquement du bois contre les dalles parut se réverbérer mille fois contre les murailles de l?Académie. On entendait dans le lointain des bruits de marmites agitées dans les cuisines et, étouffés par les hauts murs de brique, les bruits de la rue et les exclamations des camelots. Dans la cour, cinquante paires d'yeux vinrent se fixer avec une fascination horrifiée sur la lame de bambou tachée de sang.
Souriant paisiblement, Rekk s?inclina devant les maîtres de l?Académie.
"Le duel est terminé. Le premier sang a été versé. Je considère mon honneur satisfait. Je suppose que Semos également."
Maître Heilban eut un sursaut, arrachant avec effort son regard du corps sur le sol.
"Qu?est-ce que? vous avez fait ?"murmura-t-il, incrédule.
"Un accident fâcheux. Je voulais le toucher à l?épaule, mais j?ai glissé"
"Ne vous foutez pas de moi" hurla l?homme. Heilban s?était toujours montré inflexible sur la discipline et la courtoisie qui devaient régner au sein de l?Académie. Jamais on ne l?avait vu élever la voix. Il avait déjà fouetté bien des élèves pour s?être montrés vulgaires ou insolents. Qu?il s?abaisse jusqu?à jurer ainsi montrait bien à quel point il était choqué. " Gardes ! Emparez-vous de cet assassin !"
"Non !"cria Shareen, se jetant en avant. Une main d'acier se posa sur son épaule.
"Arrête !"siffla la voix de Malek à son oreille. "Tu ne peux rien faire. Il s'en sortira, de toute façon. Il s'en sort toujours !"
 
La jeune fille lutta un instant contre la poigne du garçon, mais il ne céda pas. Il était de toute façon trop tard. Les dix gardes de Semos se déployaient autour de Rekk sans que celui-ci fît un seul mouvement pour les en empêcher. Plusieurs autres guerriers de l?Académie, qui s?étaient fondus dans la foule pour observer le duel, avaient tiré leur épée. Certains avaient des arbalètes, et les pointaient maintenant sur le Boucher.
"Eh bien, eh bien" tempéra Rekk, levant une main ouverte vers Heilban. "Qu?est-ce que c?est que cette démonstration de force ?"
Heilban tremblait de fureur.
"Ta place est aux galères, assassin, ou écartelé sur la place publique. L?Empereur jugera de ton sort. Déboucle ton ceinturon !"
"Puisque je vous dis que c?est un accident? Je vous ferais remarquer que c?est votre maître lui-même qui a demandé ce duel"
"Nous verrons bien ce que pensera l?Empereur de cet? accident. Je ne le répéterai pas ! Déboucle ton ceinturon !"
Lentement, Rekk approcha sa main de sa poche, dans laquelle se trouvait la lettre qui cautionnait ses actes. Le cliquetis des arbalètes le fit s?arrêter.
"J?ai ici, dans mon manteau?"
"Ton ceinturon ! Tout de suite !".
Avec un soupir, le Banni déboucla son baudrier et le laissa glisser au sol. L'arme d'entraînement avait fait un bruit mat en heurtant les pavés. Celle-ci eut un tintement métallique.
"Voilà pour les formalités. Maintenant, comme je vous le disais, j?ai une lettre de l?Empereur qui?"
"Tu nous as déjà montré cette lettre. Gloire et Honneur à l?Empereur. Si ce que tu as fait était sa volonté, alors je m?inclinerai. Mais tu vas tout d?abord nous suivre au Palais. Je ne peux pas croire que Son Excellence Marcus Ier approuve une telle mise à mort"
Rekk haussa les épaules.
"Puisque je vous dis que c'était un accident. Vous refusez d?obéir à un message expressivement signé de Sa Grâce ? Il risque d?être de mauvaise humeur, ne croyez-vous pas ? Mais si cela vous fait plaisir?"
"Je pense que l?Empereur comprendra que dans de telles circonstances, j?aie besoin d?une confirmation. Si vraiment vous aviez raison? je vous prierai d?accepter mes excuses. Mais pour l?instant, j?ai bien peur qu?il vous faille nous suivre."
"S?il faut vraiment en passer par là?" Rekk hocha la tête. "Mais dépêchons-nous, je n'ai pas que ça à faire."
 
Maître Heilban lui lança un regard perçant. Neuf arbalètes étaient prêtes à tirer sur un simple geste de sa part, vingt lances pouvaient s?enfoncer dans la poitrine de l?homme qui leur faisait face, pourtant, celui-ci réagissait comme s?il n?éprouvait aucune crainte. C'était? perturbant.
Il s'était déjà entraîné contre maître Semos à l'occasion, et il savait parfaitement le niveau qu'avait le seigneur de l'Académie. Gundron aurait probablement pu le vaincre, certainement ? Heilban était assez intelligent pour comprendre que quelque chose avait dû se passer qui avait truqué le combat d'une manière ou d'une autre. Mais, même s'il n'était pas aussi doué qu'il aimait à le prétendre, Semos restait une très bonne lame. Que quelqu'un puisse le battre aussi facilement, voilà qui donnait à réfléchir. Et, non seulement vaincre, mais porter un coup mortel sans hésitation. Lorsqu'on frappait à la gorge, on savait ce que l'on faisait.
Une habileté angélique et des nerfs démoniaques. Heilban plongea ses yeux dans le regard noir de l?homme en face de lui, et décida qu?il ne prendrait pas de risques. Si jamais le baron FroidVal souhaitait jouer au plus malin, il ordonnerait aux arbalétriers de tirer. Après tout, lui aussi pouvait faire des erreurs?
Mais Rekk n?opposa aucune résistance alors qu?un garde s?approchait pour ramasser son épée, et que les lances se rapprochèrent jusqu?à effleurer sa poitrine. Il se montra totalement doux et coopératif lorsqu'on lui demanda de se tourner, et qu'on lui retira la dague qui dépassait de sa botte. Shareen cligna des yeux. Elle s'était attendue à ce qu'il se fraie un chemin à travers la totalité de l'Académie, tuant et tranchant à droite et à gauche. Quelque part, elle se sentait un peu déçue de son idole. Elle cilla de nouveau, atterrée. Comment pouvait-elle penser des choses pareilles ?
Maître Heilban tourna avec attention autour de Rekk, cherchant visiblement une arme cachée qui pourrait lui avoir échappé. Enfin satisfait, il se redressa de toute sa taille.
"L?Empereur est à la chasse aujourd?hui, avec une grande partie de sa cour. Il ne reviendra pas avant demain, dans la matinée, si le gibier s?est révélé abondant. Pendant ce temps, vous serez sous ma responsabilité. Une pièce vous sera donnée dans la tour des maîtres, et je veillerai à ce que vous ne manquiez de rien"
"Demain ?" Rekk fronça soudain les sourcils. "J'avais complètement oublié qu'il était censé partir dans la campagne aujourd'hui. Mais je ne peux pas me permettre d'attendre demain."
"C'est pourtant ce que vous devrez faire, Baron. Croyez bien que je le regrette si vous êtes celui que vous prétendez être, mais je pense que vous comprenez ma position"
 
Rekk resta un instant silencieux. Son regard se posa sur Shareen et Malek, et il soupira.
"Je souhaitais voir une de mes amies, ce soir. Une grosse femme très bavarde. Mais je suppose que je n'ai pas le choix, et qu'elle devra se passer de moi. Je vous suis, maître. J'espère juste que quelqu'un ira à ma place au rendez-vous en question"
Heilban fronça les sourcils.
"Je peux arranger cela, bien entendu" fit-il lentement. "Qui désirez-vous que nous prévenions ?"
"Cela n'a aucune importance. Je parlais pour ne rien dire." Rekk sourit. "Si jamais vous aviez une bonne bouteille de liqueur de poire, l'attente pourrait même se révéler agréable"
Shareen n'entendit pas la réponse furieuse de maître Heilban, alors que ses oreilles bourdonnaient. Il était évident que Rekk leur avait demandé ? avec une subtilité qui? forçait le respect - de rencontre Dani pour lui, puisqu'il allait se retrouver emprisonné. Mais, à voir les regards soupçonneux des gardes autour d'eux, cela n'allait pas être facile. Malek était arrivé à la même conclusion, et il se baissa pour lui parler à l'oreille.
"Filons d'ici avant qu'on se rappelle notre présence !"
Shareen acquiesça de la tête. Il fallait profiter de la commotion provoquée par le Boucher ? par le Baron FroidVal ? et des spéculations bruyantes des spectateurs pour tenter de s'éclipser. Lentement, d'un air dégagé, ils se dirigèrent vers les lourdes doubles portes de l'Académie. Se retournant furtivement, Shareen pouvait voir Rekk se faire conduire dans la grande tour, toujours encadré d'une haie de gardes. La plupart des yeux étaient tournés vers la scène du duel, mais ils ne pouvaient échapper à l'attention de tous.
"Hey, vous ! Où croyez-vous aller ?"clama un garde, pointant le doigt vers eux.
"Vous êtes venus avec le baron FroidVal non ?"s'exclama un autre. "Attendez un peu !"
"Je les connais !" siffla une voix dans la foule. "Ce sont Malek et Shareen, ce sont des déserteurs !"
"Attrapez-les !"
 
La première exclamation n'avait pas encore résonné à leurs oreilles qu'ils filaient déjà ventre à terre. Les gardes parurent hésiter entre surveiller Rekk et partir à leur poursuite. Trois se lancèrent à leurs trousses, mais la peur et l'excitation donnaient des ailes à Shareen. Malek courait plus vite qu'elle, mais elle serra les dents, tentant d'imiter ses grandes foulées qui avalaient la distance. Ils s'engouffrèrent entre les deux portes de l'Académie, et continuèrent à courir en atteignant les rues encombrées de la ville périphérique.
Les artères grouillaient de monde, et ce fut un jeu d'enfant de semer enfin les gardes. Dans toute autre ville, peut-être les habitants auraient aidé les soldats à rattraper les deux jeunes gens, mais pas à Musheim. Un conducteur de char fit avancer ses b?ufs négligemment pour bloquer la rue que venaient de prendre les fugitifs, alors qu'une vieille femme portant un plateau de pommes vint heurter de plein fouet la patrouille hors d'haleine. Les pommes roulèrent sur le sol, et elle se jeta dessus pour les récupérer, ajoutant au désordre ambiant.
"Elles sont toutes sales, maintenant !"gémit la vieille femme. "Pauvre, pauvre Pedra, ses pommes sont boueuses, qui va manger des pommes boueuses, que va manger Pedra ?"Elle tira sur la manche d'un des gardes, qui ordonnait au conducteur des b?ufs de bouger sa charrette. "Paie, paie les pommes de Pedra ! Tu salis, tu paies !"
"Fous-moi la paix, vieille folle !"gronda le garde, agitant le bras pour se libérer.
Mais le mal était fait. Les deux fuyards n'étaient plus en vue.
 
 
Appuyée contre un mur, Shareen reprenait lentement son souffle.
Malek la regardait, vaguement surpris. Il ne pensait pas qu'elle ait pu suivre son rythme ainsi. Il avait toujours été parmi les meilleurs à la course à pied, à l'académie. Qu'une fille parvienne à le suivre aussi facilement, dans tous les tours et détours qu'il avait pris pour semer les gardes, le surprenait beaucoup. A vrai dire, c'en était même un peu vexant. Il n'avait jamais fait attention à la jeune fille lorsqu'elle était à l'Académie mais, en y regardant de plus près, elle était effectivement assez athlétique. Le mois de privation qu'elle avait subi, sans compter le voyage harassant, avait fait fondre les derniers restes de graisse de son adolescence, et elle était maintenant svelte et mince comme un roseau. Sous l'effet de la transpiration, ses vêtements lui collaient à la peau, révélant une poitrine qui n'était finalement pas si petite que cela, et bien dessinée.
"Qu'est-ce que tu regardes ?"
"Rien, rien" Il détourna les yeux, coupable. "Je crois qu'on les a semés."
"Oui, je n'entends plus aucun signe de poursuite?"
Malek soupira.
"Si seulement Rekk ne se conduisait pas ainsi comme ça en permanence?"
"J'espère qu'ils ne vont pas trop mal le traiter"
"J'espère surtout qu'il ne va pas tous les tuer ! Quelle mouche l'a piqué d'assassiner ainsi Maître Semos ? Et devant tout le monde, en plus ?"
Shareen se tapota la lèvre du doigt, l'expression mutine.
"Je pensais que tu aurais apprécié sa méthode. C'était très noble, après tout. Du grand spectacle, un duel regardé par près de cent personnes? Tu aurais préféré un coup de poignard dans le dos ?"
"Ce n'est pas une histoire de méthode, Shareen, et tu le sais très bien ! C'est simplement trop? brutal"
Shareen renifla.
"Ca ne te gênait pas, pourtant, d'envisager Rekk en train de déchiqueter l'assassin de Deria en petits morceaux. Tu avais même l'air plutôt désireux de participer à la curée, eh ?"
"Ca n'est pas la même chose ! Et, oui, j'ai toujours envie de voir ce monstre souffrir avant de mourir pour payer ses crimes. Mais ce n'est pas pour ça qu'il faut laisser une piste sanglante partout où l'on passe !" Il se passa la main dans les cheveux, frustré de ne pouvoir bien exprimer sa pensée. "On dirait qu'il ne sait réfléchir qu'avec son épée ! Là encore, dans l'Académie, je suis sûr qu'il a envisagé pendant un instant de se frayer un chemin dehors à la pointe de la lame. Bah !"
 
Shareen le regarda, les yeux brillants de colère. La suggestion de Malek était bien trop proche de ce qu'elle avait elle-même imaginé.
"Arrête de dire des bêtises ! Tu oublies peut-être que c'est Semos qui voulait nous tuer ? C'est à cause de lui, justement, qu'on a eu tous ces problèmes. C'est lui qui nous a envoyé des tueurs et des chasseurs de primes aux trousses. Je ne sais pas si tu te souviens vu que tu n'as rien fait du combat, mais moi je sens encore la pointe de la dague contre ma gorge"
"On n'est même pas sûr que ce soit lui ! Je ne sais pas ce que Rekk a découvert en discutant avec lui, mais en tout cas il n'a pas pu nous mettre au courant"
"Je suis sûre que c'est lui. Rekk n'aurait jamais tué un innocent"
"Crois-tu ?"
Shareen rougit, et Malek leva les bras au ciel de frustration. La jeune fille était peut-être plus mignonne que dans son souvenir, mais elle était aussi obstinée qu'une mule. Visiblement, elle continuait à penser que Rekk avait un bon fond. Malek avait depuis longtemps cessé de le croire. Ce n'était qu'une bête, purement et simplement. Sa simple présence semblait corrompre les esprits. Voici quelques mois ? non, quelques jours ! ? jamais Shareen n'aurait osé le reprendre comme elle le faisait maintenant. Et Malek était surpris de la laisser faire. C'était une servante, après tout. Il voulait bien lui accorder certaines libertés, mais tout n'était pas non plus permis.
D'un autre côté, ce changement était plus agréable que sa personnalité geignarde du début.
"Quoi qu'il en soit, c'est maintenant à nous de retrouver Dani et de lui expliquer ce qu'il se passe" dit-elle.
Le jeune homme leva les yeux et mit sa main en visière pour se protéger du soleil. Il resta un instant silencieux.
"Il n'est pas très tard. Nous pourrions aller voir sa maison près du Centre-Ville ? Elle a dû y retourner, depuis le temps."
Shareen frissonna, et cela n'avait rien à voir avec le froid. Elle avait entendu des histoires affreuses sur ce centre-ville. Etrangement, lorsqu'elle était avec Rekk, elle n'avait pas eu peur. Mais maintenant, cette sensation remontait en elle lentement, comme une lèpre qui la laisserait pantelante.
Il n'y avait pas beaucoup d'alternatives. Ils attendirent quelques instants, pour être certains que les gardes n'étaient plus dans les environs, puis ils se mirent en route. Shareen s'arrêta quelques instants pour sortir ses dernières piécettes de sa bourse. Elle acheta un bol de soupe au lard, au fumet délicieux et un peu de pain.
"Tu en veux ?"  
Elle tendit le bol vers Malek. Le jeune homme grimaça.
"Très peu pour moi, non. Je déteste la soupe"
"Tu devrais, ça te rendra grand et fort !" Elle ricana. "Si tu ne bois pas ta soupe, jamais tu ne deviendras comme Rekk"
"Raison de plus pour ne pas manger?"
"Ne fais pas ton timide, vas-y !"
 
Elle avança une cuillère pleine de soupe vers sa bouche et éclata de rire devant ses efforts pour l'éviter. Il finit par sourire aussi, et grimaça lorsqu'elle en profita pour vider le contenu de la cuillère entre ses dents. Une partie du liquide coula sur ses habits alors qu'il s'étouffait.
"C'est malin !" gronda-t-il lorsqu'il eut retrouvé son souffle, mi-amusé, mi-furieux.
Alors qu'elle se confondait en excuses ironiques, il la regarda plus attentivement. Elle avait quelque chose en elle de changé, quelque chose qui tranchait avec son côté introverti et posé à l'Académie. Il haussa un sourcil - pourquoi pas, après tout ? - et l'attira vers lui.
"Nous n'avons pas besoin d'aller trouver Dani tout de suite. Je connais un moyen beaucoup plus agréable de passer le temps" lui murmura-t-il à l'oreille. "Il doit bien y avoir quelques auberges, par ici?"
Sa vision vacilla un instant, alors qu'une vive chaleur irradiait de sa joue gauche. Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre qu'elle venait de le gifler.
"Tu es un porc, Malek ! Un porc !"cracha-t-elle.
A la grande surprise de la jeune fille, il éclata de rire.
"Et toi, tu ressembles de plus en plus à Deria?"
Shareen rougit furieusement.
 
Ils terminèrent le repas en silence, et ce fut en silence qu'ils rejoignirent la caverne. Une sorte de gêne palpable s'installait entre eux, alors qu'ils étaient tous les deux seuls pour la première fois depuis que la jeune fille avait entamé son long voyage pour prévenir Rekk de la mort de sa fille. Cela semblait être si loin, et pourtant cela ne faisait qu'un mois. Entre temps, ils avaient vu une légende prendre corps. Ils avaient été attaqués par des brigands, s'étaient fâchés avec le prince héritier, étaient tombés dans le piège de mercenaires? tout cela était si loin de la vie bien rangée que leur promettait l'académie !
"Tu ne regrettes pas, parfois, d'avoir entrepris ce voyage ?" fit soudain Malek, plus pour briser le silence que pour obtenir une véritable réponse. "Je suis? désolé de t'avoir obligé à m'accompagner, il y a deux mois."
"Le regretter ? Oui et non." La jeune fille sourit. Elle avait décidément un très joli sourire. "C'est vrai que je me demande vraiment de quoi demain sera fait, mais c'est excitant, quelque part. J'ai vraiment l'impression de devenir quelqu'un d'autre, et ça me plaît?"
"Je ne comprendrai jamais les filles" grommela Malek, baissant la tête.
"Personne ne te demande de les comprendre" sourit Shareen. "Bon, on va voir Dani au lieu de continuer à nous regarder en chiens de faïence ?"
Son inquiétude s'était évaporée dans la fumée du bol de soupe, et c'est d'un pas léger qu'elle suivit Malek dans les ruelles étroites du Centre-Ville.
"Il faudrait que je me trouve une épée" murmura-t-elle vaguement. Malek la regarda bizarrement, mais ne répondit pas.
Shareen n'avait jamais eu le moindre sens de l'orientation. Elle s'était plusieurs fois perdue dans le petit périmètre de l'Académie, et les couloirs du palais la glaçaient d'effroi. Ce fut donc un véritable soulagement de pouvoir faire confiance à Malek. Le jeune noble avançait sans hésiter, choisissant sa destination d'un coup d'?il. Il ne leur fallut pas longtemps pour rejoindre la vieille maison de Dani.
Un homme de haute taille, aux avant-bras musculeux était en train de mettre en place une nouvelle porte, et il leur lança un regard scrutateur du fond de ses sourcils broussailleux. Dans d'autres circonstances, il aurait été inquiétant, mais le simple fait de savoir qu'il travaillait pour Dani le rendait tout d'un coup attachant.
"Qu'est-ce que vous faites ici, les mômes, eh ?" prononça-t-il autour de sa pipe, soufflant un nuage de fumée vers le ciel. "Circulez, ya rien à voir !"
 
Malek passa outre l'interdiction, tendant le cou pour avoir un meilleur point de vue.
"Dani est là ?" demanda-t-il.
Les yeux de l'homme s'étrécirent.
"Oh, mais est-ce que tu serais pas Malok, toi, par hasard ? Qu'elle m'a parlé de vous. Le grand arrogant et la petite courageuse. C'est vous, eh ?"
Malek se raidit et ses lèvres se comprimèrent. Celles de Shareen aussi, pour éviter de laisser fuser un rire fort peu diplomatique.
"C'est bien nous, oui" grinça le jeune noble. "Elle est là, oui ou non ?"
"Oui, oui, elle est là, pas la peine de crier ! Elle est en train de tout nettoyer. Passez vite, comme ça je peux finir de faire la porte. Ah, les vandales. Tout casser chez Madame Dani comme ça. Ca ne se fait pas, ah non. Ca ne se fait pas."
L'homme secoua la tête, trop énervé pour continuer à parler. Il avait tout l'air d'un coupe-jarret, prêt à tuer pour récupérer quelques piécettes de cuivre. Mais qu'on manque de respect à une femme semblait le mettre hors de lui. Shareen lui dédia un bref sourire alors qu'ils pénétraient dans la maison.
Dani s'occupait peut-être de nettoyer, mais elle n'avait pas dû commencer depuis longtemps. Les vestiges du combat étaient encore visibles tout autour de la pièce. La table éventrée, les chaises brisées gisaient dans un coin. Le corps n'était plus là, mais il restait une flaque de sang sur le sol. Toutes les éponges du monde ne pourraient rattraper le bois.
Dani contemplait le désastre d'un air morne, ses bras croisés sur son ample poitrine. Elle se retourna à peine en les entendant arriver.
"Si c'est pas malheureux, quand même. De si beaux meubles. J'avais mis tellement de temps à les choisir pour qu'ils aillent bien avec la couleur des murs?"
Malek observa les parois blanchâtres d'un ?il vide.
"Bonjour, Dani" fit-il, se raclant la gorge.
"Ah, vous êtes là, vous. Parfait, vous allez pouvoir m'aider à ranger. Pah, quel capharnaüm ! Mais pourquoi est-ce qu'ils ne se sont pas battus dans la rue, eh, tu peux me dire ? Ca n'était quand même pas si loin. Ca aurait épargné mon plancher !" Elle fronça les sourcils. "Et où est mon Rekk ?"
"Il y a eu? un petit souci."
 
Malek prit une grande inspiration et entreprit de raconter ce qu'il s'était passé à l'Académie. Dani hochait la tête par moments, amusée ou choquée par certains détails. Quand il en vint à la mort de Semos, elle applaudit soudain.
"Je reconnais bien là Rekk. Ah, par les Dieux inférieurs, j'aurais aimé être là !"
"Il a quand même tué quelqu'un de sang froid. Je ne suis pas sûr que se réjouir est approprié" protesta Malek.
"Ca, on ne peut pas dire qu'il pardonne facilement, notre cher Rekk. Un sacré tempérament, c'est sûr. Mais après tout, ce n'est pas non plus sa faute si on lui a envoyé des tueurs aux fesses." Elle baissa la voix. "C'était déjà comme ça il y a vingt ans, vous savez. Si il avait décidé, pour une raison ou pour une autre, que quelqu'un était coupable, il n'hésitait pas à se salir les mains pour sa propre conception de la justice. Le résultat était parfois assez? perturbant. Mais il faut le prendre comme il est, Rekk, avec ses qualités comme avec ses défauts"
Malek la regarda, incrédule. Elle parlait des meurtres qu'il avait commis comme s'il s'agissait d'un détail mineur, qui ne valait pas la peine qu'on s'étende dessus. Et Shareen avait l'air approbatrice, également. Approbatrice ! Etait-il le seul ici à rester sain d'esprit ? Le seul à se rendre compte que tout cela ne menait à rien ?
"On ne peut pas vaincre le mal par le mal" protesta-t-il faiblement.
"Bien sûr que si ! Ce n'est même que comme ça qu'on y arrive" fit Dani, péremptoire. "Et puis, qui te parle de bien et de mal ? C'est une simple histoire de justice. Alors oui, on peut évidemment discuter ses méthodes. Mais nous pourrons discuter de tout ça plus tard, quand tu auras terminé ton histoire. Alors, il a tué ce chacal de Semos, et ensuite, qu'est-ce qu'il s'est passé ?"
Dani n'en avait pas l'air ainsi, mais elle était plus fine qu'on pouvait le croire, et ses questions étaient pertinentes. Shareen la regardait du coin de l'?il pendant que Malek expliquait la capture de Rekk, la lettre de l'Empereur et les différents détails dont il pouvait se souvenir. Quand il eut fini, la grosse femme hocha la tête.
"Bon. Il avait l'air confiant, donc. Ca ne veut pas dire grand chose, remarquez. Il est toujours confiant, cette tête de mule. Mais si l'Empereur lui fait confiance au point de lui donner une lettre pareille, alors il devrait pouvoir s'en sortir sans problèmes. Et même s'il y a quelques soucis, je fais confiance à Rekk pour s'en sortir. La déesse de la chance veille sur celui-là, je vous le dis. Ce n'est pas un petit empereur de rien du tout qui pourra lui faire du mal" Elle disait cela, mais elle avait les sourcils froncés. Son regard était inquiet, même si son ton restait léger. "Quoi qu'il en soit, ça explique pourquoi vous êtes ici ce soir, mes mignons. Je dois vous dire que, quand je vous ai vus pour la première fois, je me demandais ce qu'il faisait avec vous. Mais vous avez du caractère, c'est bien."
Malek haussa les épaules. Il ouvrit la bouche pour répondre, embarrassé, mais des cris aigus l'en empêchèrent.
 
L'homme qui réparait la porte pénétra dans la pièce. Il fumait toujours sa pipe, impassible, mais ses mains enserraient fermement un jeune garçon qui tentait de se débattre avec acharnement.
"Un gamin qui veut vous voir, Madame Dani" fit l'homme, inclinant la tête. "Un petit voleur, on dirait. Mais il connaissait votre nom."
"Tout le monde me connaît, dans le quartier. Ca ne veut rien dire. Mais ce n'est qu'un enfant, pas la peine de le brutaliser comme ça ! Tu peux le reposer. Si jamais il nous veut du mal, je n'ai aucun doute que ces deux jeunes gens me protègeront."
L'homme eut un regard dubitatif en direction de Malek, puis haussa ses larges épaules et desserra son étreinte. Le garçon roula au sol et se rétablit comme un chat. Il haletait.
C'était un jeune homme de leur âge, probablement, mais visiblement sous-alimenté. Surtout, il y avait une beauté stupéfiante en lui, dissimulée sous plusieurs couches de crasse et des vêtements sales et déchirés. Le jeune garçon semblait presque féminin, à tout le moins androgyne, alors qu'il les regardait tour à tour de ses grands yeux, bleus, magnifiques, craintifs. Il avait de longs cils, et ses mains comme sa silhouette étaient fines et bien dessinées. Il ressemblait à un de ces gitons que les nobles de l'Empire aimaient à avoir près d'eux parfois. L'homosexualité était très mal vue à la cour, mais certains n'hésitaient pas à transgresser certains tabous.  
Malek se renfrogna, prenant son rôle de protecteur très à c?ur.
"Qui es-tu ? Que fais-tu ici ?" exigea-t-il, la main sur son épée.
Le garçon avait de grands yeux craintifs. Son regard croisa celui du jeune noble, puis de Shareen, avant de s'arrêter sur la silhouette volumineuse de Dani. Il se lécha nerveusement les lèvres.
"Je? je cherche dame Dani. La contrebandière" précisa-t-il.
Malek haussa un sourcil intéressé, mais Dani réagit avec plus de violence. Propulsant son énorme corps en avant, elle vint se planter devant le garçon, les poings sur les hanches et les yeux étincelants.
"Je ne sais pas qui t'a parlé de moi, mon petit, mais tu ferais mieux de tenir ta langue ! Il y a des choses qu'il ne vaut mieux pas crier sur tous les toits." Elle soupira. Rapide à se mettre en colère, elle était tout aussi rapide à se calmer. "Bon, reprenons depuis le début. Oui, je suis Dani. Et toi ? Qui t'envoie ?"
Le jeune homme baissa les yeux comme s'il ne pouvait pas soutenir son regard.
"Je m'appelle Laath?" balbutia-t-il. "C'est? c'est Sijwoural qui m'envoie. Il m'a dit que vous comprendriez."
 
Dani grimaça.
"Oui, je comprends, en effet. On peut dire qu'il choisit bien son moment pour venir m'ennuyer, celui-là ! Bon ! Je suppose qu'il va falloir faire avec. Tu vas vouloir une armure, et une épée, et des provisions, je me trompe ?" Elle plissa le nez. "Ainsi que quelques habits. Oh, ne proteste pas. De toute façon, ce n'est pas à toi que je les facturerai, mais directement à ton maître. Bon, retourne me voir demain. Avec un peu de chance, j'aurai tout organisé." Elle lança un regard perçant aux deux jeunes gens. "Evidemment, vous, vous n'avez rien vu ni rien entendu. La vieille Dani n'est qu'une grosse femme sans intérêt, c'est bien compris ?"
Malek ouvrit la bouche pour se préparer à acquiescer, mais il n'en eut pas le temps. Un gémissement montait du nouveau venu.
"Je? je? Sijwoural a dit que vous voudriez bien m'héberger ? Pendant quelques temps ? Il m'a parlé de vos caves?"
 
Cette fois, Dani était clairement exaspérée.
"Mais enfin, gamin, il faut te faire un dessin ? Il y a certaines choses qu'on ne dit pas en public ! Surtout quand on ne connaît pas les gens à qui on parle ! Il ne t'a pas dit ça, Sijwoural ?" Elle secoua la tête. "Mais d'où est-ce que tu sors ? Et puis de toute façon, non, non, je ne peux pas t'héberger en ce moment. Je suis occupée, figure-toi. Dis à Sijwoural que je ne suis pas à sa disposition tout le temps. Regarde ma maison, comme ils me l'ont saccagée?"
"Tu as entendu la dame ?" fit Malek froidement. "Sors de là, et laisse-nous en paix."
Il ne savait pas pourquoi, mais une sorte d'antipathie profonde s'était installée en lui alors qu'il regardait Laath. Peut-être étaient-ce ses manières serviles, sa peur permanente, ou la manière dont il révélait ainsi les secrets de leur hôtesse? mais quelque chose en lui lui déplaisait énormément. Ses dents grincèrent.
"Je ne peux pas?" murmura Laath, jetant des regards dans tous les sens comme un animal traqué. "Je ne peux pas. Vous ne comprenez pas. Si jamais je repars dans les rues, je vais me faire tuer. Ma? ma tête est mise à prix."
Dani lança un regard dur au jeune garçon, et sa colère commença à fondre. Ou bien il était stupide, ou bien il était naïf. Mais quelqu'un capable de déclarer avec autant de candeur qu'il y avait une récompense sur sa mort dans l'antre d'une contrebandière méritait qu'on s'y intéresse un peu plus. Et puis, ce garçon avait un côté oiseau blessé qui faisait vibrer sa fibre maternelle. Elle était partagée entre le désir de le réconforter, et celui de lui donner un grand coup de pied aux fesses.
C'était le sentiment habituel de ceux qui croisaient Laath.
"Bon? voilà ce qu'on va faire" murmura-t-elle. Elle s'accroupit, et tendit malhabilement sa grosse main pour toucher son visage. "Tu vas me raconter bien gentiment pourquoi ta tête est mise à prix, et je vais faire ce que je peux pour t'aider. D'accord ?"
"D'accord" renifla Laath.  
 
Malek détourna les yeux, vaguement éc?uré. Ce garçon devait avoir le même âge que lui, à peu de choses près. Mais un tel manque de dignité était absolument atterrant. Ce Laath était une victime-née, et cela lui tapait sur les nerfs. Oh, bien sûr, il avait un beau visage et des traits délicats. Et alors ? Ce n'était pas parce que Shareen lui souriait bêtement que cela voulait dire quelque chose ! Il n'y avait pas que la beauté, dans la vie ! L'assurance comptait aussi pour beaucoup. Aucune fille ne voudrait d'un perdant comme ça.
"En fait, tout remonte au moment où j'ai rencontré cette Deria?" commença Laath

n°2063855
Invictus
En abysse
Posté le 16-02-2004 à 16:57:21  profilanswer
 

A oui une remarque tu utilises des expressions qui ne devraient (je pense) pas se trouver dans ce type de texte :  
Un exemple : L'empereur dit qu'il laisse 'carte blanche' cela me semble trop 'moderne' pour un texte commme celui la  :??:  
 
Il y a d'autres exemples mais j'ai oublié de les noter, je n'y manquerai pas à l'avenir  [:joce]  
 
J'aimerai bien avoir de la lecture pour ce soir c'est possible d'avoir la suite ?  :sweat:  
LA SUITE LA SUITE LA SUITE !!  :bounce:  :bounce:  :bounce:


---------------
"Mon verre est petit mais je bois dans mon verre, je hais plus que la mort l'état de plagiaire" -- Bossuet le gosu
n°2063912
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 16-02-2004 à 17:03:50  profilanswer
 

Oula ça va chauffer  :D jalousie jalousie...  
 
C'est pas mal car on se demande toujours qui a vraiment raison... Shareen a l'air un peu trop fascinée par Rekk et l'usage de la force, mais en même temps il faut bien dire que ceux d'en face sont de sacrées têtes de pioches et méritent bien un petit coup d'épée dans la glotte :o . Malek est plus mesuré, plus mature en quelque sorte, mais en même temps il est aussi beaucoup plus conventionnel et timoré, ce qui le rend moins sympathique.
J'espère juste que Shareen ne deviendra pas un Rekk féminin...  
 
 

Citation :

Shareen n'entendit pas la réponse furieuse de maître Heilban, alors que ses oreilles bourdonnaient. Il était évident que Rekk leur avait demandé ? avec une subtilité qui? forçait le respect - de rencontrer Dani pour lui, puisqu'il allait se retrouver emprisonné. Mais, à voir les regards soupçonneux des gardes autour d'eux, cela n'allait pas être facile. Malek était arrivé à la même conclusion, et il se baissa pour lui parler à l'oreille.


 
mouais moi j'ôterai la parenthèse (en vert)... c'est pas franchement si subtil que ça son truc... enfin AMHA.  

n°2063936
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 16-02-2004 à 17:06:47  profilanswer
 

J'ai oublié un truc dans mon dernier post... mais quoi ???
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ah oui !! http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif
 
 
 :bounce:  :bounce: GNA SUITGNE !!  :bounce:  :bounce:

n°2065279
Damrod
Posté le 16-02-2004 à 20:23:46  profilanswer
 

:bounce: :bounce: encore http://tlecaudey.free.fr/img/icons/lasuite.gif :bounce: :bounce:

mood
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Posté le   profilanswer
 

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