Reprise du message précédent :
A
la porte des MAUDITS
Le bien-commun se heurtera sans doute
Linitié LELIRA peut-être
Locculte la tirera sûrement
Première partie
LE SABRE DE LAIGLE
Traduction de lancien dialecte par un scribe anonyme de lIle dAoz.
Premier rajout au livre dArmoud.
(Chroniques païennes du livre dArmoud).
CHAPITRE 1
Le seigneur dUkbar
En ces temps lointains, un improbable et téméraire marin naviguant dans les eaux interdites de la vaste mer dAnyg eût été enthousiasmé en apercevant devant sa proue la majesté du site dOberayan. La citadelle, noyée de brumes, se dressait sur le sommet dune île ceinturée de vastes plages granulées de sable blanc et fin. Assaillie par des centaines de mouettes argentées qui trouvaient asile dans ses rochers fouettés par l'écume, la cité d'Oberayan flottait sur la mer grise comme un gigantesque navire. Le haut donjon du château dUmesh Nader, sélançant très haut dans le ciel opaque, identique au mât dun vaisseau de légende, renforçait encore cette illusion. Derrière lîle, dans le vaste lointain, un mince ruban sale à peine visible indiquait au regard la présence dun gigantesque continent boisé quon appelait la forêt dObyn : notre hypothétique étranger eut dit que le ciel et la mer se rejoignaient à cet endroit précis pour marquer leur frontière respective de la silhouette déchiquetée des grands cèdres. En abordant lîle-citadelle dOberayan, ce navigateur égaré aurait pu s'imaginer accoster un rêve...
Le chevalier Pheder Ursinis ferma la lourde porte en chêne sculpté de la chambre unique quil louait au pied des remparts. Il plaça soigneusement la clé dans sa cache habituelle, entre deux poutres, puis descendit ensuite sans hâte les degrés de pierres usées qui menaient dans la rue. Une pâle lueur éclairait la première heure du jour et la plupart des échoppes étaient encore fermées, pourtant Phéder croisa quand même quelques rares personnes somnolentes, auxquelles il rendit un bonjour machinal et courtois. La convocation du maître darmes Ushidi quil venait de recevoir la veille le troublait. Mal à laise, il leva la tête pour observer le massif donjon du château surplombant la ruelle qui se libérait avec peine du brouillard matinal, comme en témoignait la vaste écharpe vaporeuse attardée à ses créneaux. Une nuée indisciplinée de pigeons prismatiques bataillait le long des hautes murailles. Ramenant contre lui les larges pans de son épaisse cape tissée de laine orange, Pheder sentit lair frais du petit matin le mordre sous sa tunique de soie rose. Il frissonna, mais ce nétait pas seulement de froid...
Le Livre de Moud fixait le nombre dhabitants dOberayan à soixante-dix mille personnes. Ces dernières appliquaient à la lettre chaque prescription du Livre sacré, conservé religieusement dans la crypte des Saints Ancêtres. Car toutes choses résultent de la loi, immuable et éternelle. Le Livre de Moud constituait la loi et la loi disait ceci:
Du sang passé jaillira le sang futur.
La conséquence pratique de cette maxime était le parrainage sacré dun ancien pour chaque enfant à naître. A la naissance de celui-ci, un vieillard se donnait la mort de façon rituelle, pour que lesprit de lancêtre transmette sa protection au nouveau-né. Mis à part le roi, seul de son cas, le maître darmes Ushidi échappait à la règle. Il devait son grand âge à cette autre maxime de Moud :
La paix naît de lexpérience et lexpérience naît de la guerre de Moud.
De loin lhomme le plus vieux de lîle, Ushidi résumait à lui seul les antiques traditions guerrières dOberayan. Isolée du reste du monde, lîle-citadelle vivait en paix depuis dix siècles, époque oubliée où elle triompha du siège que lui fit subir la légendaire armée dAnamaying. On pouvait lire le récit de cette victoire dans la partie historique du livre de Moud, mais plus personne aujourdhui ne croyait encore à lexistence dAnamaying, et il ne sagissait tout au plus pour les gens que dun lieu mythique à la gloire imaginaire. Quarante chevaliers désignés par le maître des armes entretenaient pourtant encore le savoir désormais inutile des coutumes guerrières venues des ancêtres, et la nomination des chevaliers comme lenseignement donnés par Ushidi ne souffraient aucune contradiction. En vérité nul ny songeait une fois élu, car le destin de chevalier sacralisait pour les gens de ce royaume une position hautement honorifique et très convoitée. Pheder, qui dirigeait ses pas à la rencontre du vieux maître se rappelait lui-même ce jour de son enfance où il avait été lui-même élu... :
La constitution physique de lenfant Pheder ne semblait pas lui promettre un tel honneur. Dans ce monde, privé de toute guerre, la jeunesse mâle du pays développait paradoxalement dans ses jeux dune indéniable agressivité. Peu robuste, Pheder perdait toujours lorsquil luttait avec ses camarades, beaucoup plus robustes et vindicatifs que lui. A cette époque, il maudissait souvent son esprit tutélaire, quil rendait responsable de la fragilité de son corps, ployé de honte sous les sarcasmes et les quolibets de ses jeunes assaillants. Mais il navait jamais refusé le moindre défi. Cette attitude peu commune lui avait valu lintérêt du Maître darmes Ushidi.
Tout en marchant, Pheder revoyait avec une précision aiguë ce jour où le maître déjà blanchi par les ans sétait approché du groupe de gosses braillards et belliqueux qui se défiaient constamment dans la cour extérieure du château. Un des jeunes pages nommé Erkall Led, qui travaillait aux écuries, avait entreprit de rosser Pheder avec plus de fougue que nen avait jamais mis aucun de ses adversaires... Les deux chenapans sétaient affronté sur un tas de paille fraîche entassée contre le mur dune grande bâtisse. Pheder, maintenu au sol par cet Erkall Led, résistait de son mieux à une terrible pression exercée sur ses épaules et ses genoux. Saignant du nez, haletant et suffoquant sous la pression brutale exercée sur sa poitrine, Pheder vit son vainqueur entreprendre de parfaire son triomphe... Un filet de salive séchappait des lèvres du garçon roux en direction du visage de Pheder. Fort heureusement ce geste humiliant fut contraint, car la poigne de fer dUshidi avait saisi lautre par le col, épargnant à Pheder une terrible souillure. Considérant ladulte qui le privait de sa victoire facile, Erkall Led avait pris ses jambes à son cou, suivi des autres garçons éberlués de cette intervention anachronique; car les adultes ne se mêlaient jamais des querelles de leurs fils. Le propre père de Pheder neut pas songé une seconde à secourir celui-ci. On laissait dailleurs tout faire aux enfants dOberayan, sauf désobéir à la loi des ancêtres, la Parole de Moud. A la suite de cet incident, Ushidi fit beaucoup plus pour lenfant, car contre toute logique il adouba chevaliers Pheder ainsi quErkall le jour même. Lobéissance aux coutumes, un fait sacré sur Oberayan, impliquait dobéir au maître des combats, et le trahir eut été une conduite impardonnable, sévèrement sanctionnée. Par conséquent, Pheder dût se soumettre et considérer lapprentissage de la guerre comme lessence de sa future éducation, et dès lors, intronisé par le roi lui-même à la «guilde des quarante», il dut se rendre quotidiennement à la salle darmes du château. Sous les hautes voûtes de celle-ci il se familiarisa avec lépée, symbole de son rang, mais aussi avec la lance, larc et la redoutable hache de jet.
Loin dêtre fier de son sort, comme laurait été nimporte qui, Pheder avait le cur déchiré et détestait cette science, dailleurs teintée de beaucoup désotérisme, car comme par le passé il continuait de rouler dans la poussière à chaque corps à corps. Le maître Ushidi ne lui tenait pas rigueur de ses défaites perpétuelles, parce que Pheder appréhendait son enseignement avec tout le sérieux possible et se montrait aux exercices de tir un brillant élève. Sa flèche atteignait toujours sa cible, le javelot traversait toujours le mannequin de paille, la hache brisait une écuelle à cent pas; mais en présence dun adversaire réel Pheder perdait toute velléité de vaincre et lissue des tournois lui était toujours défavorable... Erkall Led, quand à lui, passait son temps à vaincre.
Les années sécoulèrent ainsi, dans la monotonie des jours dentraînement, sans quil eut remporté une seule joute. Il portait lépée, la cape orange des chevaliers, mais nen tirait aucune gloire et restait un garçon taciturne. Il se plongeait des nuits entières dans la lecture du Livre de Moud, de mémoire dhomme le seul livre jamais écrit et lu dans lîle-citadelle. Pheder se promenait aussi pendant de longues heures, solitaire, sur les remparts du château pour scruter la mer immense qui semblait lappeler par son propre nom. Les crises cycliques damertume profonde quil ressentait dans ces funestes instants navaient rien de commun avec le sentiment de sa faiblesse aux jeux guerriers. Il devenait alors le jouet dun mal profond, indéfinissable par des mots, qui ne tenait en rien à son orgueil blessé. Souvent, assis seul sur la plage, il essayait de comprendre, dendiguer par la raison ce sentiment de frustration qui le tenaillait férocement dun tenace étau épisodique. Dans ces instants maudits, une mélancolie têtue semparait de son être et il naurait pu expliquer cette lourdeur étrange qui envahissait sa poitrine, comme si lOberayan, la merveilleuse terre des ancêtres, tentait sournoisement de létouffer.
Aujourdhui, des années plus tard, Pheder marchait vers son rendez-vous avec le vieux maître en se rappelant, rempli de nostalgie, les heures enfuies de sa jeunesse. Il ralentit lallure en passant devant une taverne aux murs peints très récemment de fresques aux couleurs vives, dont le thème principal représentait une scène de pêche mouvementée. De la porte largement ouverte séchappait une appétissante odeur de sardines grillées, il entra pour sasseoir près de lâtre où deux énormes bûches de chêne achevaient de se consumer. Une servante sapprocha en lui rendant son salut; sessuyant dun geste rapide ses mains mouillées sur son tablier. Le chevalier lui commanda deux poissons et un pichet de ce vin excellent que produisaient les vignobles dUkbar. Par louverture dune seconde pièce enfumée il distinguait la servante retournée à présent cuire des galettes de seigle sur une grande plaque de bronze posée sur les braises. Quand Pheder eut terminé son repas, une bonne chaleur affluait dans ses membres, chassant limpression de froid ressentit tout à lheure. Mais, alors que ses lèvres se posait sur le bord du pichet, les images du passé simposèrent une nouvelle fois à lui :
Il entrait dans sa dix septième année et le maître darmes lavait fait mander, exactement comme aujourdhui... Il lavait alors trouvé assis en tailleur sur le parquet ciré de la chambre austère quil occupait près de la salle darme. La porte ogivale se trouvait grande ouverte, ce qui lui évita de frapper. Le visage acéré dUshidi portait déjà les marques de lâge, lesquelles soulignaient chacune de ses expressions dun masque sévère. En tournant la tête vers Pheder il sétait mis à parler de sa voix encore puissante, habituée à commander :
_ «Voici quelque temps, jai changé ta destinée. Sans mon aide tu serais potier, car tu es fils de potier !, mais tu portes le titre honorable de chevalier, Pheder Ursinis !... »
Le maître avait volontairement appuyé la voix sur le nom du jeune homme. Ce dernier ignorait alors ce quallait signifier pour lui lentretien et se contentait de scruter avec une insistance déplacée les doigts noueux dUshidi, lequel lui lançait en parlant son regard de faucon.
- «On peut dire de toi que tu es léternel perdant, Pheder, et je ne te connais pas damis... »
Accompagnant les paroles du maître, la cloche de la crypte des « Saints Ancêtres » sétait mise à sonner. A cet instant, Ushidi sétait levé en époussetant la longue robe jaune quil portait habituellement, comme linsigne le plus évident de son rang :
-_ « Tout est doué de vie, jeune chevalier! Les chevaux, les djinns, les démons, les arbres, les hommes, évidemment, mais aussi la mer, la forêt dObyn, et même les montagnes, les pierres... Toi, aimes tu la vie, Pheder Ursinis ? »
La question nappelait pas de réponse. Ce nétait quune simple mise en condition de lancêtre vivant. Pourtant lincongruité dune telle phrase dans la bouche du chef de guerre heurtait la sensibilité de Pheder. Impressionné, ses genoux sétaient involontairement mis à trembler. Ushidi avait aussitôt enchaîné :
- « Jai bu aux sources vives de nos ancêtres et jai peut-être trouvé le moyen de me mettre en paix avec ce monde. LOeil de Moud tas désigné à moi, chevalier, pour accomplir sa volonté. Tu seras le prochain seigneur du domaine dUkbar...»
Il avait laissé un temps darrêt pour bien faire pénétrer le sens de ses paroles dans lesprit de Pheder, avant de reprendre :
- « Ou tu mourras ! »
Lorsque le chevalier comprit toutes les implications des paroles quil venait dentendre, il ressenti un profond malaise. Il nexistait quun seul domaine dUkbar, seule possession du grand roi Umesh Nader en dehors de lîle-citadelle. Située à quatre heures de marche du rivage, empiétant sur la forêt dObyn, la forteresse et ses terres traçaient les limites du monde connu dOberayan. Le Livre de Moud expliquait quUkbar avait repoussé avec succès les dernières attaques dAnamaying, dans les temps les plus reculés. La charge royale dOberayan était héréditaire mais la possession du fief dUkbar sobtenait selon un rituel immuable et simple, aussi ancien que le Livre sacré lui-même. Il impliquait un combat mortel entre un champion dUkbar et lun des quarante chevaliers de lîle-citadelle. Le maître darmes choisissait seul les deux adversaires. Au-delà des murs dUkbar, sétendait à perte de vue la véritable forêt dObyn, dont nul nétait jamais revenu vivant à ce jour. Aussi, le fait quUshidi ait choisi Pheder pour remplir le rôle du champion dOberayan remplissait le pauvre garçon de terreur...
Toujours assis sur le banc de bois de la taverne, le chevalier finissait le contenu de son pichet, quand il appela la servante pour quelle le remplisse à nouveau. La jolie jeune fille séloigna ensuite pour remettre une nouvelle bûche dans limmense cheminée où de hautes flammes sen emparèrent; crépitant et projetant sur la pierre noircie de lâtre une pluie détoiles éphémères. Un adolescent aux cheveux blonds pénétra dans la pièce, portant devant lui un panier de légumes. Il rejoignit la serveuse dans lautre pièce, échangeant avec elle quelques plaisanteries qui échappèrent à Phéder. Ce dernier, de nouveau seul, laissa ses pensées reprendre leur cours. Lalcool agissait dans son cerveau et les paroles dUshidi résonnaient dans sa tête avec la même force quautrefois :
- «Seul un des deux champions désignés par moi gagnera la clé du château dUkbar! avait dit Ushidi. Le valeureux Arbam Nok qui la tenait jusquà présent vient de sacrifier à Moud son vieux corps, et je connais déjà celui contre qui tu devras te battre, par la hache et lépée... »
Entendant ces mots, le corps adolescent de Pheder sétait secoué de spasmes invisibles quil sétait efforcé de contenir. Le maître qui semblait navoir rien vu avait repris :
- «Ce jour même jenvoie une délégation pour informer Ukbar de mon choix. En vérité, tu vaincras, cette fois, Pheder Ursinis, où tu perdras ta vie! »
Tout avait été dit. Alors un homme, que Pheder dans son trouble navait pas vu venir, sétait approché sur un signe du maître, qui parlait toujours à Pheder :
- «Tu as trois jours pour connaître la peur, chevalier, cet homme les passera avec toi jours et nuits. »
Pheder occupa le reste de cette funeste journée dautrefois avec ses compagnons, dont aucun ne commenta le choix du maître. Mais tous pensaient que Moud accablait Pheder dun sort cruel, tous unanimement convaincus de sa mort prochaine. Même lenjeu du duel, le trône dUkbar, ne rendait pas jaloux les plus ambitieux. Toutefois, pour une étrange raison, Pheder ne ressentait aucune peur, et lentraînement quil effectua pendant ces trois jours fut un des plus radieux quil eut jamais connu. Cest à peine inquiet quil se rendit au matin du troisième jour chez Ioginos, le forgeron, pour y faire affûter son épée. Il était animé dun étrange sentiment de libération, navait-il pas plusieurs fois appelé la mort sur sa tête au cours de ses funestes crises?
Au moment où ses camarades émus lui sanglèrent sur le corps son armure, une sorte de solide corset de cuir clouté, il remercia Moud davoir fait fuir toute crainte en lui. Le roi Umesh Nader était venu la veille lassister dans ses prières. Il avait remit lui-même ses cadeaux : le grand bouclier de bronze et le casque à ailette que ceignaient les champions. Lécu un peu trop lourd pour le bras de Pheder, sornait de laigle rouge, symbole immémorial dOberayan. Le combat devait se dérouler sur la plus grande plage de lîle où lon avait tracé sur le sable un large cercle à lintérieur duquel les armes allaient parler. Il était interdit aux concurrents de franchir ce périmètre. Au pied du mur denceinte de la cité, des gradins avaient été dressés à la hâte. Disséminés sur ceux-ci une foule houleuse sagitait, hypnotisée par la perspective dassister à une lutte qui exigeait la mort du vaincu. Le roi Umesh Nader, la reine Kalash et ses dames dhonneur, trônaient ensemble sous un dais dhonneur cramoisi situé en face du cercle rituel. Celui-ci se dessinait clairement sur une portion de plage découverte par la marée mais, située en deçà de la zone destran, elle finirait par être inondée. Le combat devait sachever impérativement avant que le cercle ne soit effacé par les eaux. Ainsi décidait Moud. Sur cette grève en habit de fête, apparurent enfin les juges diseurs, les porte-bannières des deux camps, le maréchal, les connétables et les guildes. Le chevalier Pheder sétait avancé au milieu du rond, la hache à la main. Cest au moment précis où son adversaire vint à sa rencontre que Pheder connu un sentiment de panique : une femme savançait vers lui, la hache brandie. Elle faisait partie de la terrible garde damazones du domaine dUkbar. Son allure effrayante annonçait la lutte et une farouche détermination se devinait dans son regard, celle de prendre au plus vite la vie de Pheder. Son armement, le même que celui du jeune chevalier, navait pour seule différence dêtre orné sur lécu dune feuille de trèfle, ralliement du fief dUkbar. La femme, surentraînée et prête à tuer, possédait une musculature qui dépassait presque celle de Pheder. Il prévoyait quelle serait redoutable.
Lintrospection sarrêta là car la hache de lamazone arrivait en sifflant vers son visage. Dinstinct, Pheder releva son bouclier qui résonna violemment et se plia sous le tranchant de la lame. Sous le coup, le bord de lécu avait heurté violemment son front, en le faisant saigner abondamment. Sonné, aveuglé par son propre sang, Pheder se releva sans contre-attaquer pour reculer vers le bord du cercle, décontenancé par une attaque aussi soudaine. Sans le quitter un seul instant des yeux, lamazone alla reprendre sa hache, ébréchée par le choc. Un instant muettes, les crécelles dOberayan répondirent au vacarme des partisans dUkbar. Alors Pheder saisit sa chance en bondissant sur la femme, dont la souplesse savérait incroyable malgré le poids du fer quelle portait. Celle-ci esquiva en parant le coup facilement; sa hache rencontra celle de Pheder en lui faisant lâcher prise. Le jeune homme recula prestement, échappant à la mort, puis il tira vivement son épée du fourreau. Le contact de la longue lame le rassura un instant, pendant quun étrange phénomène prenait naissance dans son esprit. Il voulait vivre. Quelquun, très loin, semblait le vouloir. Moud était la force et Moud était en lui. lénergie multipliée par cette transcendance, il sélança sur la championne dUkbar lépée en avant. Le cri qui séchappa de la gorge du chevalier navait rien dhumain; cela semblait la propre voix de Moud, quand il avait, dans les temps révolus de lhistoire du monde, vaincu sa puissante rivale, Ar dAnamaying. La vigueur inimaginable de ce cri pourtant bref eut sur lamazone leffet dun fouet. Paralysée par la vibration surnaturelle elle ne put réagir et la lame de Pheder pénétra sa gorge en la traversant de part en part. Elle mourut avant de toucher le sol.
« Le silence qui suivit put sentendre ». Ainsi déclara Ushidi à Phéder le lendemain de sa victoire qui privait le domaine dUkbar dune amazone sur son trône. Mais Pheder neut pas le souvenir des heures qui suivirent. Il avait perdu trop de sang de sa blessure et sétait écroulé, épuisé, sur sa victime presque aussi mort quelle.
Moud ne vous donne pas sa force sans prendre la vôtre
Nétait-ce pas écrit dans le livre ?