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Auteur Sujet :

Ecriture d'un roman d'heroic fantasy

n°1981256
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 04-02-2004 à 12:05:19  profilanswer
 

Reprise du message précédent :

Grenouille Bleue a écrit :


 
Sur la protection du texte: il est déposé dans une enveloppe Soleau à l'INPI depuis mai 2003 dans sa version brouillon. Entre-temps, j'ai effectué de nombreuses corrections, mais je pense que ce que j'ai protégé suffit pour prouver ma paternité ;)
 


 
Bon ! la prudence est la mère de toutes les vertus.
 
Vivement la publication chez l'Atalante avec une belle couverture...  [:huit] attends toi à une séance de dédicaces frénétique. [:aline2003]

mood
Publicité
Posté le 04-02-2004 à 12:05:19  profilanswer
 

n°1981284
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 04-02-2004 à 12:08:09  profilanswer
 

Panem a écrit :


 
Bon ! la prudence est la mère de toutes les vertus.
 
Vivement la publication chez l'Atalante avec une belle couverture...  [:huit] attends toi à une séance de dédicaces frénétique. [:aline2003]  


 
Tellement frénétique que tu n'as pas encore commencé à lire  :D


Message édité par Grenouille Bleue le 04-02-2004 à 12:08:38
n°1981346
Profil sup​primé
Posté le 04-02-2004 à 12:16:34  answer
 

Bon courage a toi :hello:
 
J'ai commencer un peu a lire et c'est vrai qu'il manque quelques descriptions. J'adore me plonger dans un livre qui me fasse rêver je veux être depaysé :)
Sinon c'est pas mal (le début) je lirai la suite plus tard :)

n°1981485
Skopos
Titilleur de nombrils...
Posté le 04-02-2004 à 12:38:02  profilanswer
 

je lirai plus tard (drapal)

n°1981568
neko ga
Posté le 04-02-2004 à 12:52:50  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :

Hop, je réponds sur les deux derniers messages  
 
Sur le caractère de Deria: D'une part, ce n'est pas l'héroine (:p) et d'autre part, la raison pour laquelle elle déteste les robes est une raison d'ordre pratique. Elle se promène toujours avec une épée au côté et raisonne avec un esprit guerrier. Je ne veux pas m'avancer, mais j'ai quelques doutes sur les capacités d'une fille en robe à se battre. Niveau liberté de mouvement, ça n'est pas toujours ça...


 
Je pensais juste au passage où elle refuse de porter une robe lors d'une cérémonie-réception (ce qui n'a rien de guerrier) :/
Pour le reste du temps, oui, je suis entièrement d'accord avec toi.  :)  
 
Faudra que je lise la suite plus tard
Bonne chance.

n°1981825
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 04-02-2004 à 13:33:51  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :


 
Tellement frénétique que tu n'as pas encore commencé à lire  :D  


 
J'suis un homme pressé-hé, un homme presséhéhéééé  :p  
 
Bon je m'y mets puisque c'est ça  :o

n°1982205
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 04-02-2004 à 14:23:15  profilanswer
 

Ayé je l'ai lu. c'est bien :o et maintenant,  :bounce: LA SUITE !!!  :bounce:  
 
Le style est fluide, avec de l'humour et de bonnes trouvailles, je trouve les personnages convaincants et j'accroche bien à l'histoire.  
 
C'est dommage de créer une superbe blonde à forte poitrine, au caractère trempé dans le même acier que son épée qu'elle manie passablement bien pour la faire assassiner tout de suite après. Mais bon, je ne croirai à sa mort que quand on m'aura montré son cadavre ou quand je lirai le mot "FIN" :D Sinon Shareen semble très prometteuse :) et Malek est un bon petit gars.
 
Quelques corrections à faire que j'ai trouvées par-ci par-là :
 
Que diraient les gens si jamais elle titubait pour venir chercher son prix ? Ce serait horrible !  
 
Il faisait froid, il faisait sombre, et une petite pluie fine tombait depuis près de deux heures,.  
 
Tout son talent politique, toute son habileté diplomatique semblaient avoir disparu.
 
Et je ne suis pas là pour surveiller les allées et venues de tous mes élèves. Si elle a déserté l'académie et s'est fait tuer dans une ruelle sombre, je n'y suis pour rien."  
 
(edit : règle d'accord : - Si l'objet direct est l'être qui fait l'action exprimée par l'infinitif, il faut accorder le participe. Comparer: Les hommes que j'ai vus déménager et Les meubles que j'ai vu déménager.)
 
 [:p-chan]


Message édité par Panem le 04-02-2004 à 14:26:19
n°1984632
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 04-02-2004 à 19:24:33  profilanswer
 

Palsambleu et cornegigouille !
J'ai beau faire attention, les fautes de syntaxe et de grammaire viennent quand même se loger dans les phrases les plus fourbes :p
 
Bon, je vous mets le chapitre III
 
________________________________________________________
 
 
La pomme avait un goût acide sous la dent. Elle avait surtout le goût des dizaines d'autres pommes qui avaient parsemé ce voyage. Autrefois, dans une autre vie, Shareen avait aimé ce fruit. Maintenant, elle était obligée de se forcer pour terminer la sienne, fourrant les quartiers dans sa bouche et mâchant avec application. Le quignon de pain subit le même sort, bien qu'il fût déjà dur et rassis depuis deux jours.
"Malek?" commença-t-elle lorsqu'elle eut fini.
"Si c'est pour me demander si on arrive bientôt, je ne peux pas te répondre"
 
Shareen referma la bouche et retomba dans un silence boudeur. C'était bien ce qu'elle avait eu l'intention de dire, mais ce n'était pas une raison pour le lui faire remarquer aussi grossièrement ! Après quelques minutes passées à lancer des regards furibonds dans le dos du jeune homme sans qu'il la remarque le moins du monde, elle se décida à se détendre de nouveau sur sa selle. Le voyage était déjà assez douloureux pour elle sans qu'elle en rajoute en se tenant aussi droite et inflexible sur la selle.
 
Cela faisait quatre jours, bientôt cinq, qu'ils voyageaient dans ces plaines gelées, sans apercevoir âme qui vive. Les fermes s'étaient raréfiées au fil du temps, jusqu'à disparaître complètement. Où qu'elle porte son regard, elle ne pouvait voir la moindre colonne de fumée qui annoncerait une cheminée, donc une habitation. Au point où elle en était, elle aurait poussé des cris de joie en apercevant la moindre masure ! Mais il n'y avait rien, rien que la neige, et le vent, et le froid. Le ciel arborait en permanence des teintes grisâtres extrêmement déplaisante, et la neige ne voulait pas cesser de tomber depuis cette fameuse première nuit. Machinalement, Shareen vérifia que son capuchon était bien en place. Son manteau ne la protégeait pas contre le vent de face, mais il offrait une maigre protection à ses oreilles, et c'était déjà une bonne chose.
 
"Tu ne crois pas qu'on devrait faire demi-tour ?" balbutia-t-elle, se raidissant pour le reproche qui n'allait pas manquer de suivre.
Malek se retourna lentement. Il avait l'air un peu perdu, ainsi. Le givre rendait ses sourcils blancs, et ça lui donnait un visage comique alors qu'il les fronçait de réflexion.
"Je commence à me le demander. Il n'y a rien, par ici, en dehors de cette stupide route. Personne ne vit par ici. Ce Château Bertholdton m'a l'air d'être une foutue invention de Deria. Ha ! C'est vraiment ridicule !"
Shareen se recroquevilla sur sa selle. Il n'avait pas l'air particulièrement en colère, mais il ne jurait jamais, d'habitude. Ca devait vouloir dire qu'il était très perturbé.
"Alors? on oublie tout ça, et on rentre ?" murmura-t-elle timidement.
"Je ne sais pas. Peut-être." Il esquissa un sourire fatigué. "On continue jusqu'à la nuit, et nous ferons demi-tour demain ? Ca te va ?"
La jeune fille lui rendit son sourire. Elle savait depuis longtemps que Malek était quelqu'un de généreux et de compréhensif, mais elle venait d'en avoir la preuve.
"Bien sûr ! Nous?"
 
La plainte d'un cor de chasse dans le lointain la fit sursauter. Sa jument fit quelques pas de côté, nerveuse, et elle manqua lâcher les rênes dans sa surprise.
"Qu'est-ce que c'est que ça ?"
Malek avait déjà tiré son épée, et son expression était sombre. Plus trace du sourire qui l'avait illuminé quelques secondes auparavant.
"Je ne sais pas, mais je n'aime pas ça. Nous devrions essayer de nous abriter quelque part, pour savoir de qui il s'agit ?"
Shareen frissonna.
"Tu penses que ça peut être des ennemis ?"
"Des ennemis, je ne sais pas. Mais sur la carte, il y avait marqué Barbares, tu te rappelles ? Je ne veux pas prendre de risque. Pas avec toi"
En temps normal; Shareen aurait été reconnaissante de cette attention, mais la terreur la paralysait entièrement. Elle déglutit avec peine. Sur la carte, ce n'était qu'un mot écrit négligemment à l'encre. Ici, ce mot prenait tout son sens.
"Tu? tu crois qu'ils sont plusieurs ?"
"Je suppose, sinon ils n'utiliseraient pas un cor." Ses yeux bondissaient d'un arbuste à l'autre, comme si une armée entière avait pu se cacher derrière les maigres feuilles. Soudain, il se tendit. "Là !"
Shareen plissa les yeux dans la direction qu'il indiquait, et son c?ur bondit dans sa poitrine. Juste en haut d'une colline neigeuse, une dizaine de cavaliers venaient de faire irruption. Le cor sonna à nouveau, et les nouveaux venus trottèrent vers les deux jeunes gens.
"Qu'est-ce qu'on fait ? On fuit ?"
Shareen était particulièrement fière de sa voix qui ne tremblait pas. Mais lorsque Malek répondit, le chevrotement dans la sienne acheva de saper son courage.
"C'est trop tard. Nos montures sont déjà fatiguées, nous ne pourrons pas les distancer. Autant voir ce qu'ils nous veulent"
Comme s'il réalisait pour la première fois qu'il tenait son épée à la main, il la fit glisser avec réticence dans son fourreau. Shareen acquiesca mentalement. L'arme ne lui servirait à rien contre autant de monde, et c'était faire montre de bien peu de diplomatie que d'accueillir des inconnus avec de l'acier à la main. D'un autre côté, elle se serait sentie plus rassurée si elle tenait sa propre épée. C'était un véritable effort de volonté que de la laisser au fourreau.
Lentement, les cavaliers se rapprochèrent. Huit hommes en tout, qui vinrent se déployer en cercle autour d'eux. Pour la seconde fois, Shareen déglutit. Ces hommes formaient un spectacle effrayant.
Tous portaient de vieilles armures de maille de mauvaise qualité, maintes fois déchirées, maintes fois recousues. Leurs surcots étaient salis par la chevauchée, et leurs capes couleur d'urine méritaient à peine le nom tant elles étaient effilochées. Pourtant, dans la main de chacun d'eux se trouvait une lance, et un bouclier dans l'autre, et un arc sur le dos, et une épée à leur flanc, et une dague à leur ceinture. Leurs yeux étaient aussi froids que le climat qui les entourait. Il y avait en eux une dureté, une violence contenue réellement effrayante. Lorsque Shareen s'imaginait des meurtriers, c'était à ce genre d'hommes qu'elle pensait.
"Bonjour !" fit Malek lorsqu'ils arrivèrent à portée de voix. Il tendit ses mains vides pour montrer ses bonnes attentions, et arbora un sourire engageant. "Nous venons en paix"
Seul le silence lui répondit. Un cheval s'ébroua, un autre éternua. Dans une immobilité de statue, les guerriers regardaient les deux jeunes gens.
"Nous cherchons Château Bertholdton" tenta-t-il de nouveau. "Est-ce que nous sommes dans la bonne direction?"
Cela, au moins, leur arracha une réaction. Un des hommes fit avancer sa monture d'une douce pression sur les flancs, et s'approcha de Malek.
C'était probablement le chef de la petite troupe, même si aucun insigne ni blason ne venait le distinguer des autres. Il avait le même équipement fatigué, mais le même regard alerte, et l'air de commandement de quelqu'un qui savait se faire obéir. Plusieurs cicatrices zébraient son visage, mais il avait l'air assez jeune. Sans un mot, il leva son bouclier. La peinture s'était écaillée, de nombreux coups de masse l'avaient cabossée, mais l'image était toujours là: l'aigle de feu de l'Empire. Shareen relâcha sa respiration. Elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle l'avait retenu jusqu'à maintenant  
"Vous êtes des soldats de l'Empire ?" demanda-t-elle, la voix soudain pleine d'espoir. "Vous venez de Bertholdton ? Vous pouvez nous aider ?"
"Que recherchez-vous, à Bertholdton ?"
L'homme avait une voix grave et profonde, empreinte de certitude et de confiance en soi. Il n'avait pas répondu à la question, mais Shareen n'en avait cure. Le silence était rompu, et c'était le principal. Elle se préparait à expliquer leur mission lorsque Malek avança sa monture de quelques pas.
"Nous sommes à la recherche du seigneur du château, le Seigneur?" Malek marqua une pause en réalisant qu'il ne connaissait même pas son nom. "?de Bertholdton" finit-il misérablement.
Les yeux de l'homme s'étrécirent jusqu'à ne plus être que des fentes. Derrière lui, quelqu'un toussa mais, en dehors de cela, les guerriers conservaient une immobilité totale.
"Et que viennent faire deux jeunes poussins, vêtus comme des guerriers, dans les steppes du Nord ? Nous ne sommes pas une garderie, ici !"
D'un mouvement de lance, il désigna avec mépris la cotte de mailles flambant neuve qui recouvrait le corps des deux jeunes gens. Elles offraient un contraste saisissant avec la sienne, tailladée en maints endroits, qui semblait presque faire partie de son corps.
"Nous avons à faire avec le seigneur des lieux !" répéta Malek, un peu plus fort. Shareen le regarda avec admiration. Il récupérait rapidement son assurance. Plus vite qu'elle.
"Beaucoup de gens ont à faire avec le seigneur" murmura l'homme. "Mais a-t-il à faire avec eux ?"
Brusquement, il se pencha en avant, et sa main s'abattit sur l'épaule de Malek. Avant que celui-ci n'ait pu faire quoi que ce soit, une violente poussée le fit vider les étriers et mordre la poussière. Il roula sur lui-même pour amortir la chute, chercha à se relever, mais une lance se posa délicatement contre sa gorge.
"Il y a une semaine, notre seigneur s'est fait attaquer par des assassins qui se sont introduits dans le château avec la relève mensuelle. Et nous, on trouve que ça n'est pas bien." Les guerriers hochèrent gravement la tête. "Alors, lorsque je vois deux jeunes chiots comme vous perdus dans la steppe, demandant à le voir, je me pose des questions. Oh, des petites questions."
Malek resta muet. Il regardait la pointe de la lance avec des yeux terrorisés. Un millimètre de plus,et le sang giclerait. Shareen prit sa décision.
"Je sais qu'il nous entendra. Nous devons lui dire quelque chose de très important. Comprenez-nous, il faut?"
L'homme haussa les épaules.
"Je suis un de ses capitaines, Bohl. C'est moi qui jugerai si ce que vous avez à dire est important ou non." Il eut un rire rauque. "Tu as intérêt à être éloquente, petite. Sinon, ton ami risque d'avoir quelques soucis. Je ne suis pas aussi habile avec ma lance qu'on pourrait le croire. Parfois, je glisse"
Malek laissa échapper un gémissement, et Shareen sentit quelque chose se briser en elle. Qu'aurait fait Deria dans la même situation ? Elle aurait probablement ri avec bonne humeur, tapé sur l'épaule du guerrier, et suggéré à mots choisis l'endroit où il pouvait se mettre sa lance. Mais Shareen n'avait pas ce genre de courage.
"Ca? concerne sa fille" bredouilla-t-elle. "Nous ét? sommes des amis de sa fille. C'est vraiment important".
Le capitaine fronça les sourcils, soudain incertain.
"Son nom ?"
"Deria. Deria FroidVal"
Il y eut un instant de silence. Puis, d'un seul coup, comme si on retirait un manteau, la tension parut quitter les hommes devant elles, et les lances s'abaissèrent. Visiblement, la réponse leur avait plu. Malek se prit la gorge à deux mains comme pour vérifier qu'elle était encore là. Une goutte de sang perlait à son cou.
"Voilà qui est intéressant" murmura Bohl, regardant les deux jeunes gens d'un air nouveau. "FroidVal, eh ?" Il rit, soudain beaucoup plus détendu. Lorsqu'il riait, la lueur meurtrière disparaissait de ses yeux et ses fossettes se creusaient, lui donnant l'air beaucoup plus jeune. Au début, Shareen lui avait donné plus de trente ans. Maintenant, elle n'en était plus aussi sûre. "Et vous venez de Musheim, alors ? Ha ! Vous avez fait tout ce chemin depuis la capitale pour apporter des nouvelles, eh ? Ca doit être des nouvelles importantes, moi je dis. Sacrément importantes ! Des bonnes nouvelles, j'espère ?" Son ton impliquait qu'il espérait des explications, mais il n'était plus menaçant, presque amical. "Parfait. Ma Damoiselle, mon Seigneur, nous allons vous conduire à notre Seigneur? FroidVal"
Ses hommes rirent avec lui alors qu'il faisait tourner bride à sa monture. Les soldats attendirent patiemment que Malek remonte à cheval, puis se déployèrent en formation lâche autour d'eux, pour qu'il y ait toujours une paire d'yeux pour les observer, tandis que les autres étudiaient l'horizon sans relâche. Visiblement, même si la tension s'était relâchée, on n'allait tout de même pas jusqu'à leur faire une totale confiance.
Quelques minutes passèrent en silence. Malek était perdu dans ses pensées, probablement honteux de ce qu'il s'était passé. Shareen tenta d'engager la conversation, mais il la repoussa, l'air morne.
Le capitaine ralentit un peu, la laissant la rejoindre.
"Votre nom, Damoiselle ?" demanda-t-il, cherchant visiblement à faire preuve de politesse. A la manière dont il grimaçait, il n'y était visiblement pas habitué.
"Shareen, Seigneur Capitaine" fit-elle, heureuse de cette occasion de parler. Après tout, les gens étaient moins enclins à vous menacer avec une lance quand vous aviez discuté avec eux. Du moins l'espérait-elle. "Je? suis une amie de Deria. Nous nous entraînons toujours ensemble"
"J'imagine, j'imagine" murmura le capitaine, avant de retomber dans un silence malheureux. Il n'avait décidément pas le verbe facile.
"Pourquoi vos hommes sont-ils si prudents ?" s'enquit-elle, tentant de relancer la discussion. "On dirait qu'ils ont peur d'une embuscade, ou de quelque chose comme ça ?"
Le capitaine la regarda avec des yeux incrédules, avant d'esquisser un demi-sourire.
"Je vais finir par me poser des questions, si Deria ne vous a pas prévenus avant de vous envoyer tous les deux par ici." Il lança un regard perçant à la jeune fille, mais elle ne réagit pas. "Ces terres sont dangereuses, damoiselle. Elles sont parcourues jour et nuit par des bandes de barbares venues des Terres Inconnues, qui cherchent à rejoindre les fermes plus au sud pour les piller. Vous avez eu beaucoup de chance de nous rencontrer avant eux" Il ricana. "Ce n'est pas avec les épées que vous portez au côté que vous auriez pu vous battre, et ils ne font jamais de prisonnier"
"Je suis première lame de l'académie" marmonna Malek, la voix toujours éteinte. Ses doigts fouillèrent dans son manteau, pour en ressortir avec la petite statuette qui indiquait son rang.
"Oh ?" fit Bohl, montrant un intérêt poli. "Très joli. Mais vous devriez éviter de montrer des objets en argent lorsqu'on vous regarde. Certains d'entre nous vous tueraient pour moins que ça."
Malek essuya une sueur inexistante sur son front, et rangea hâtivement la décoration avant de retomber dans son mutisme.
"Vous ditez que la région est dangereuse, mais? là, avec vous, nous sommes en sécurité, n'est-ce pas ?"
Bohl retourna son attention vers la jeune fille.
"Autant que faire se peut. Les barbares se déplacent rarement à plus de dix, pour passer plus facilement inaperçus. Nous pourrions aisément nous débarasser d'aussi peu d'ennemis." Il annonçait cela avec une confiance absolue. Ce n'était pas vantardise de sa part, simplement un élément objectif de comparaison. "S'ils sont plus, cela risque de poser problème. Mais je ne pense pas que ça arrive."
"J'espère bien que non" murmura Shareen. Déesse Vierge, qu'était-elle allée faire dans cet endroit sauvage ?
"Normalement, tout devrait bien se passer. Nous ne sommes pas loin de la forteresse. A mon avis, nous l'apercevrons avant la nuit."
 
Le capitaine se trompait. La nuit était déjà tombée, et le ciel commençait à se remplir d'étoiles, lorsque le château se découpa enfin dans le lointain. Shareen poussa un soupir de soulagement en l'apercevant. Ils avaient eu de la chance, finalement, de tomber sur ces hommes. Non seulement le voyage se révélait plus sûr, mais encore, s'ils s'étaient fiés à la carte qu'avait prise Malek, ils seraient probablement passés beaucoup trop à l'ouest du bâtiment.
 
Pourtant, il était très difficile de le manquer, maintenant qu'on savait où elle était, à flanc de montagne. Plus Shareen se rapprochait, plus elle se rendait compte du travail titanesque qu'il avait fallu abattre pour construire une telle forteresse. Lorsqu'ils arrivèrent enfin au pied des douves, elle entendit Malek siffler d'admiration.
"Quatre murs d'enceintes" murmura-t-il.
Shareen se frotta les yeux, mais il avait raison. Il y avait bien quatre enceintes, de plus en plus hautes, imbriquées les unes dans les autres. C'était au-delà de toute logique ! Cela avait dû demander des années de travail à des centaines, non, des milliers d'esclaves, pour réaliser un tel ouvrage !
 
Elle se  
 
Elle se préparait à poser la question au capitaine, ne serait-ce que pour relancer la conversation, mais celui-ci lui intima le silence, et produisit un cor des fontes de son cheval. Il prit une grande inspiration, et souffla.
« Qui va là ? » appela une voix, du haut de la première muraille.
« Bohl et sa patrouille » cria le capitaine en réponse. Il fit un geste à l?un de ses hommes, qui leva sa lanterne bien haut pour qu?ils soient en pleine lumière.
Le pont-levis s?abaissa sur les douves gelées avec un grondement sourd et un cliquetis de chaîne. Comme tout le château, il s?agissait d?une porte énorme, épaisse comme trois hommes. Lorsqu?il fut en place, il fallut encore ouvrir deux herses successives pour enfin parvenir au sein de la première enceinte.
 
« Ca a l?air hospitalier, par ici » grinça Shareen, se demandant de plus en plus où elle se retrouvait. « On sent que vous cherchez tout de suite à mettre le voyageur à l?aise »
Le capitaine se retourna vers elle et faillit sourire, mais il se reprit bien vite. Montrer de l'amusement ne correspondait visiblement pas à l'image impitoyable qu'il souhaitait donner.  
« Cette forteresse a déjà fait l?objet de nombreux combats. Mieux vaut un peu d?inconfort plutôt que de retrouver nos familles abattues »
Shareen croisa le regard de Malek, qui haussa les épaules, aussi hébété qu'elle. Ni l'un ni l'autre n'avaient rien à dire devant cela, et ils se laissèrent conduire au travers des différents murs comme des moutons, jusqu'à atteindre le c?ur de la citadelle.
 
Ils croisèrent plusieurs hommes d?armes, qui vaquaient à leurs occupations, fourbissaient leurs armes, discutaient dans un coin, parfois jouaient au dé ou aux cartes. Mais aucun ne se séparait de son épée ni de sa lance, et ils avaient tous l?air de loups au repos. Jamais Shareen n?avait senti une telle violence contenue dans les soldats qu?elle avait pu croiser au sein de l?Empire. Mais il fallait dire que l?Empire, depuis plus de vingt ans, connaissait la paix. C?était sans doute le danger et l?inquiétude qui donnait à ces hommes un regard si dangereux, des yeux si meurtriers. Sans doute.
"Le Seigneur FroidVal n'est pas encore là, mais il ne devrait pas tarder" observa Bohl en mettant pied à terre."C'est habituellement l'heure du retour des patrouilles, et?" La plainte d'un cor de chasse se réverbéra le long des murs couverts de moisissure, et le bruit d'une herse que l'on relevait parvint jusqu'à eux. "Ah. Lorsqu'on parle du loup?"
Shareen tendit l'oreille. Elle pouvait maintenant entendre des sabots claquer sur le sol pavé.
"C'est lui qui rentre ?"
Il ne faisait aucun doute qui était ce lui, et Bohl ne s'y trompa pas.
"Oui, je crois que tu n'auras plus très longtemps à attendre, petite. C'est la patrouille du nord qui revient"  
Malek fronça les sourcils, montrant pour la première fois un intérêt à la discussion.
"La patrouille du nord ?"
"Oui. Aujourd'hui, j'étais de la patrouille du sud, celle qui surveille les terres gelées en dessous du château, et qui reçoit les émissaires de l'Empire. Parfois, nous avons à affronter quelques pillards barbares qui ont réussi à se faufiler dans l'Empire. Mais le vrai danger, il vient des contrées du nord. La patrouille sort tous les jours pour essayer de détecter des signes d'activité inhabituelle, et je peux te dire que ce n'est pas une partie de plaisir !" Bohl frissonna, et resserra les pans de son manteau contre son armure. "Je ne sais pas si c'est mon imagination, mais j'ai toujours l'impression qu'il fait beaucoup plus froid dès qu'on s'aventure dans ces terres. Le vent vous mord la peau et vous brûle le visage, et la neige dissimule les ennemis jusqu'à ce qu'ils vous tombent dessus. Foutus barbares ! J'espère que vous n'y mettrez jamais les pieds, les gamins. C'est vraiment un coin désagréable?"
"Je veux bien vous croire" marmonna Shareen. Elle aussi remonta le col de sa capuche, comme si elle avait pu sentir le vent dont parlait le capitaine. Il faisait froid, elle avait faim, elle était nerveuse, et elle n'avait qu'une seule envie, ne jamais avoir entrepris ce stupide voyage ! Déesse Vierge, si un homme comme Bohl trouvait les terres du nord inhospitalières, alors il devait s'agir d'un véritable enfer !
 
Le roulement de sabots se fit plus insistant. Shareen leva les yeux à temps pour voir une vingtaine d'hommes arriver dans la cour au petit trot. Ils étaient tous vêtus pour la guerre. Un arc et un carquois reposaient d'un côté de leur selle, une lance de l'autre, et une épée se balançait à leur côté. Comme Bohl et sa patrouille, ils portaient tous un lourd manteau blanc au-dessus de leur cotte de mailles, qui devait leur permettre de se dissimuler dans un paysage neigeux. Shareen déglutit en voyant leurs mines patibulaires. Voleurs, brigands, hors-la-loi, il se dégageait d'eux comme une aura de violence presque palpable. L'un d'entre eux paraissait particulièrement mauvais. A la différence des autres, son visage ne portait aucune cicatrice, mais ses yeux étaient froids, le pli de ses lèvres cruel. Et Shareen sut qu'elle regardait le baron Harrel.
Il mit pied à terre souplement, puis se dirigea vers elle d'un pas tranquille. Il prit le temps d'ôter ses gants blancs et de les glisser soigneusement à sa ceinture avant de les détailler des pieds à la tête.
"Bohl, qui sont ces gens ?" fit-il doucement.
Shareen déglutit. Il avait des yeux terrifiants, des yeux de meurtrier, des yeux de tueur. Ce n?étaient que deux épingles remplies de nuit qui restaient fixées sur les deux jeunes gens, les laissant les jambes flageolantes. Dex yeux noirs que le sourire qu?il arborait pour les mettre à l?aise ne touchaient pas. Des yeux qui les jaugeaient, les jugeaient, les pesaient, les appréciaient, les mettaient à nu, comme pour déceler si ils représentaient un danger ou non, et s?il convenait de les tuer ou non.
Bohl lui-même déglutit devant ce regard, et recula d'un pas avant de reprendre.
"Ce sont des amis de votre fille. De Deria? FroidVal. Ils viennent de Musheim pour vous voir"
Le baron haussa un sourcil ironique.
"Tiens donc ? Des amis de ma fille qui viendraient me visiter ?"
Faisant appel à toute sa volonté, Shareen parvint enfin à baisser les yeux et rompre le contact visuel. Elle se sentait épuisée, comme si, par un simple regard, l'homme avait absorbé toutes ses forces, la laissant pantelante. Enfin, elle put détailler plus en détail le père de son amie.
Il n?était pas particulièrement grand, ni particulièrement petit. Maintenant qu'il s'était débarassé de son manteau, il portait un pourpoint de velours noir sans manche, qui laissaient apparaître des bras noueux et musclés, desquels la graisse semblait totalement absente. Le froid ne paraissait pas l'affecter alors que le vent balayait la cour. Son visage était également mince, en lame de couteau, les traits durs et profondément marqués. Peut-être avait-il été beau, autrefois, mais le temps semblait avoir martelé son visage comme le marteau d'un forgeron, façonnant ses traits dans l'acier jusqu'à obtenir un visage tout en angles, sans la moindre douceur. Il avait des cheveux blonds, comme sa fille, mais ceux-ci tournaient au gris à certains endroits, seul signe de son âge. Il était mal rasé, et les poils qui lui mangeaient la bouche étaient gris, eux aussi. Il était effrayant.
 
"Oui, je? Malek, je suis Malek?" balbutia Malek en réponse à la question. Shareen lui lança un regard. Il avait l'air d'avoir autant de mal qu'elle à soutenir ce regard. "Je?"
"Vérifie qu'on s'occupe bien de mon cheval, Bohl. Je monte dans mes appartements. Les gamins viennent avec moi"
Sans attendre la réponse du capitaine, ni regarder si les jeunes gens suivait, le baron se détourna et se dirigea à grands pas vers le donjon. Ils n'eurent d'autre choix que de courir pour le rattraper. Il avançait rapidement, le pas élastique, en équilibre constant, comme s'il se préparait à bondir.
Ils montèrent un escalier, puis un autre. Les couloirs étaient sombres et froids, dépourvus de la moindre ornementation. C'était un château lugubre, et ce fut presque un soulagement que d'arriver dans une chambre meublée, même si elle l'était aussi pauvrement que celle-ci.
 
Des tentures ocres frappées de l?aigle de l?Empire recouvraient la fenêtre ouverte, flottant doucement dans le vent de la nuit. Il y avait un lit dans un coin de la pièce, plusieurs coffres sobrement ouvragés, un tapis sur le sol, et une table sur le tapis. Un râtelier d'armes sur le mur ouest offrait un assortimenth hétéroclite de haches, d'épées, de lances et de masses d'armes. Trois chaises étaient dispersées dans la salle, de simples chaises en bois et en paille tressée, qui auraient plus été à leur place dans la demeure d?un paysan que dans celle d?un seigneur. Le lit était soigneusement fait, les papiers sur la table classés en petits tas nets, les armes soigneusement entreposées. Tout ici dénotait d'un soin maniaque. Sans savoir pourquoi, Shareen frissonna.
"Prenez un siège" fit l'homme en s'asseyant lui-même. "Et parlez-moi de ma fille."
Il croisa les jambes et attendit. Le sourire qu'il arborait ne touchait pas ses yeux..
 
 
Malek gémit intérieurement. Il ne s'attendait certainement pas à ce que le père de Deria ressemble à? à ça ! S'il avait su, jamais il n'aurait entrepris ce voyage stupide, jamais il n'aurait emmené Shareen avec lui dans ces contrées désolées. Le froid, la neige, l'épuisement? tout ça pour ça ?
"C'est.. difficile à dire?" murmura-t-il finalement, reportant son regard sur la cheminée au fond de la pièce.
L'homme haussa les épaules comme si cela ne le concernait pas.
"Ca, c'est votre problème. Vous avez voyagé longtemps, tous les deux, pour venir ici. Vous n'êtes pas arrivés là par hasard. Personne n'arrive à Château Bertholdton par hasard."
Malek commençait à se le demander, justement. Les dents serrées, il restait raide sur sa chaise. Les mots ne parvenaient pas à sortir tant que l'homme le contemplait. Encore une fois, ce fut Shareen qui prit la parole.
"Je? J'étais la servante de votre fille. Et Malek était? un ami. Nous venons de l'Académie de Musheim"
Un tic nerveux agita la joue du seigneur.
"Etais ?"
"Elle est morte" Shareen déglutit, les yeux baissés. "Elle a été assassinée. Je suis? désolée"
Elle resta ainsi prostrée, attendant une réponse qui ne venait pas. Malek ne prononçait pas un mot, et le seigneur ne réagissait pas. Hésitante, elle finit par lever la tête pour observer sa réaction.
"Laissez-moi" fit-il simplement, lorsqu'elle croisa son regard.
Ses yeux étaient humides. Une larme coulait doucement le long de sa joue, comme si elle ne savait pas ce qu'elle faisait là, comme si cet homme n'avait jamais appris à pleurer. C'était étrange, cette larme unique sur ce visage ravagé, qui roulait le long des cicatrices comme s'il s'était agi du lit d'anciennes rivières. D'un revers de main, il la sécha, et l'enchantement se brisa.
 
"Laissez-moi !" hurla-t-il de nouveau. Sa main alla chercher l'épée sur la table, et elle sortit de son fourreau avec un sifflement menaçant. "Sortez d'ici tout de suite !"
Il abattit son arme à deux mains sur la table, et la lame acérée s'enfonça de plusieurs pouces dans le bois. Un craquement sourd se fit entendre alors que la table cédait.
Epouvantée, Shareen recula sur sa chaise et tomba sur le sol. Malek, pâle comme un linceul, l'aida à se relever, puis à reculer de quelques pas, jusqu'à être dos à la porte. Il ouvrit la bouche, cherchant à trouver les mots pour calmer le père de Deria, mais les yeux du possédé se posèrent sur lui et le vidèrent de nouveau de tout son courage.
"Laissez-moi !" cria pour la troisième fois l'homme, tendant son épée vers eux. D'un bond, il enjamba les ruines de sa table. "Laissez-moi !"
Malek obéit rapidement et s'enfuit de la pièce, Shareen sur ses talons. Grinçant des dents, il ferma la porte derrière eux, et s'adossa de tout son poids dessus. La sueur perlait à son front. Des spasmes incontrôlables agitaient ses mains.
"M? Malek" balbutia Shareen.
"Tout? tout va bien. Tout se passe bien" Le jeune homme respira profondément, puis remit de l'ordre dans sa coiffure d'une main tremblante. Ses joues étaient rouges, mais de honte ou de colère, Shareen n'aurait su le dire. "Nous ne nous sommes pas enfuis. Il ne nous a pas fait peur. Nous sommes partis de notre plein gré, pour laisser pleurer un père en paix. N'est-ce pas ?"
"Mais?"
"N'est-ce pas ?"
Shareen baissa les yeux.
"Oui, oui. Bien sûr"
"Non !" rugit Malek. "Non ! Nous avons fui comme des lâches, voilà ce qu'il s'est passé ! Le père de Deria est un fou furieux au regard meurtrier, voilà ce qu'il s'est passé ! Et je ne resterai pas une seconde de plus dans cet endroit. Viens, Shareen. Nous avons fait ce que nous avions à faire, et beaucoup plus."
La jeune servante hésita un instant alors que Malek commençait à descendre l'escalier d'un pas décidé.
"Tu es? sûr qu'ils vont nous laisser partir ?"
"Qu'ils essaient !" rugit Malek. "Je vais les?"
 
La porte s'ouvrit de nouveau, renfonçant les mots dans sa gorge. Shareen leva les yeux, et gémit doucement. Il n'y avait plus traces de larme ni de tristesse sur le visage de l'homme. La violence le recouvrait comme un manteau. Pourtant, sa voix était étonnamment calme.
"Lorsqu'on me traite de fou furieux, il vaut mieux éviter de le faire en criant, et devant la porte de ma chambre" fit-il tranquillement. "Remonte. Et venez tous les deux, j'ai à vous parler"
Il tourna les talons, sans même vérifier que son ordre était obéi. Pour sa part, Shareen n'avait pas l'intention de défier cet homme. Elle rassembla son courage et pénétra de nouveau dans la petite pièce. Malek se mordit la lèvre un instant, étouffa un juron, puis revint sur ses pas et suivit le même chemin. L'homme resta à les regarder, assis calmement sur son fauteuil, comme s'il n'y avait pas une table dévastée devant lui.
"Quand et comment est-ce arrivé ?" fit-il doucement. "Racontez-moi tout"
"Vous n'auriez rien à boire ?" murmura faiblement le jeune noble. "Je crois que? j'en aurais besoin"
"De l'eau ?"
"Je? préférerais quelque chose de plus fort"
"Je n'ai que de l'eau"
Malek grimaça.
"Alors je suppose que ça ira" Il s'empara de la flasque que lui tendait l'homme et but avidement. Il n'avait pas vraiment soif, mais le répit était bienvenu. Il prit son temps pour reboucher l'outre et la reposer. "Que vouliez-vous savoir ?"
"Quand, et comment, est-ce arrivé ?" répéta l'homme, comme si aucune interruption n'avait eu lieu.
"Il... y a un mois et demi, environ" fit Shareen. Elle raconta rapidement le banquet, puis la découverte du corps. Au fur et à mesure de son récit, l'homme se tendait comme une corde d'arc. Au moins avait-il reposé son épée. "Mais je n'en sais pas plus. Elle est partie en ville se dégourdir les jambes, comme elle le faisait souvent. Et le soir, elle n'est pas rentrée"
"Le soir même ?"
Shareen baissa les yeux.
"Le soir même"
"Et aucun de vous n'a songé à la suivre ? A la protéger ? Vous faites de beaux amis !" L'homme cracha sur le sol. Shareen n'aurait pas cru possible qu'il prenne un air plus menaçant, mais il y parvint en se penchant vers elle. "Et pourquoi l'Académie ne m'a pas envoyé de message ? Pourquoi est-ce qu'ils m'envoient des gamins comme vous ? Ils devaient le faire, ils en étaient tenus. Je les avais prévenus ! Prévenus ! Je leur confie ma fille, je leur confie ma vie, et voilà ce que?" Il s'interrompit, blême de fureur, et commença à faire les cent pas dans la pièce. "Alors ? J'attends une explication ! Pourquoi l'académie m'envoie-t-elle des messagers comme vous ? Un simple coursier aurait suffi !"
 
Malek et Shareen se regardèrent. Ils ne s'étaient pas attendus à une rencontre aussi houleuse, et parler contre leur Académie paraissait une hérésie. Shareen secoua la tête, et Malek resta silencieux.
"Je compte jusqu'à trois" siffla l'homme en avançant d'un pas. "Si à trois, vous ne m'avez pas fourni une explication valable, je vous brise le crâne ! Est-ce que c'est bien clair ?"
"Très? clair" déglutit Malek.
Il avait toujours été fier de ses talents d'escrimeur mais, étrangement, l'idée ne lui était même pas venue de se déféndre, ou de protester devant les menaces de l'homme. Car l'homme ne menaçait pas, il promettait. La différence était importante. Ces yeux, noirs et profonds comme la tombe, sentaient la mort et la violence.
"Nous? ne savons pas" finit par avouer le jeune noble. L'homme fit un nouveau pas, et il se rencogna dans sa chaise. "Je vous assure ! La vérité, c'est que tout le monde semble cacher cette mort, à l'Académie, comme s'ils ne voulaient pas que les gens l'apprennent. Il n'y a pas eu de couleurs de deuil, pas de cérémonie ni même d'enterrement. Et je suis certain qu'il n'y a eu aucun message d'envoyé." Il baissa les yeux. "C'est pour ça que nous sommes allés vous voir. Parce que nous trouvions que ce n'était pas normal"
 
Dehors, le vent se mit à souffler de plus belle. Les rideaux s'agitèrent, mais l'homme restait étrangement immobile.
"Je vois?" finit-il par murmurer. "Je vois?" Lentement, sa main se porta à son flanc, et il remonta son pourpoint de quelques pouces. Shareen alla pour détourner les yeux, mais elle ne termina pas son mouvement.
Sous le vêtement, une méchante cicatrice zébrait le ventre, les séquelles d'un coup d'épée. La blessure était encore agressive et rouge. Elle n'était certainement pas vieille.
"Qu'est-ce qu?qu'est-ce qu'il vous est arrivé ?"
L'homme soupira.
"Six hommes me sont tombés dessus dans ma chambre, il y a une semaine. Je les ai tués, mais ils ont réussi à me blesser. Je ne savais pas qui les avais envoyé. Maintenant, je commence à avoir des soupçons"
"Des soupçons ?" murmura Shareen alors que Malek répétait: "Six hommes ?"
"Peu importe. Je vous remercie de m'avoir averti. La suite me regarde" L'homme prit une grande inspiration. Lorsqu'il parla, sa voix était plus douce, mais tout aussi dangereuse, comme s'il maîtrisait à grand'peine une violence qui ne demandait qu'à s'exprimer.
"Vous deviez être proches, puisqu'elle vous a parlé de moi" Il hésita, puis ajouta: "Elle n'a jamais été très fière de son père. Je suppose qu'on peut la comprendre."
"Ce n'est pas vrai !" protesta Shareen. "Elle m'a souvent parlé de vous avec fierté ! Elle disait que? que vous étiez le meilleur escrimeur qu'il soit !"
L'homme eut un sourire sans joie. Son visage s'adoucit un instant, rien qu'un instant, avant de redevenir impénétrable.
"Elle a dit ça ? Vraiment ?" Puis l'étincelle de vie disparut de ses yeux. "Bien. Je vais là-bas. Je pars pour Musheim dès ce soir. » Le rictus de l?homme était épouvantable à voir. "J'ai bien l'impression que certains ont oublié qui j'étais, là-bas. Comment osent-ils me prendre pour un imbécile ? Comment ont-ils osé tuer ma fille ainsi ?" Il retourna dans la pièce, marchant lourdement, et s?empara de son épée. « Je vais aller à Musheim, et je vais mener l'enquête à ma façon. Je vais tuer tous ceux qui me tomberont sous la main, jusqu?à ce que je sois sûr que j?ai eu l?assassin de ma fille. Et lorsque j'aurai trouvé celui-là, j?abattrai sa famille, ses amis, ses relations sous ses yeux. Puis je m?occuperai de lui, et il maudira le jour où sa mère a pour la première fois écarté les jambes pour son père. Mais je les aurai tués, eux aussi. » Il cracha sur le sol, puis sortit une petite fiole de sous sa tunique, qu?il renversa sur son épée. Un liquide translucide s?en échappa, recouvrant la lame.
 
Shareen le regarda, épouvantée, les yeux écarquillés. Malek se passa la main dans les cheveux, cherchant à garder une contenance.
"Vous avez vraiment l?intention de faire ça ?" Il déglutit. "Je ne veux pas vous vexer, mais je ne suis pas sûr qu'un homme seul fasse vraiment la différence?"
 
L?homme avança son épée dans la cheminée, et le liquide dessus s?embrasa soudainement, auréolant la lame de flammes rouges dansantes. Puis il pivota pour regarder la jeune fille. Son regard était tranquille, sa voix calme. Il n?y avait plus trace de la colère qui l?habitait.
"Autrefois, on m?appellait le Faiseur de Veuves. Le Démon Cornu. L'Epée de Feu. On m'appelait Rekk le Boucher. Et je fais toujours la différence".

n°1985060
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 04-02-2004 à 20:45:13  profilanswer
 

WALLAYE ! c'est bon !  
 
 :bounce: LA SUITE !!! :bounce:  
 
C'est dommage que les blondes à forte poitrine etc. aient toujours des pères du genre Rekk le Boucher... comme j'ai pas un DESS maniement de hache à deux mains, ça limite un peu mes choix aux brunettes à petit gabarit.
 
[:daria]  
Bon maintenant l'épisode suivant de Daria dans "Daria vous corrige gracieusement parce qu'elle aime mettre le doigt là où ça fait mal :
 
Où qu'elle portât son regard, elle ne pouvait voir la moindre colonne de fumée qui annoncerait une cheminée, donc une habitation.  
 
Le ciel arborait en permanence des teintes grisâtres extrêmement déplaisantes, et la neige ne voulait pas cesser de tomber depuis cette fameuse première nuit.
 
Malek se retourna lentement. Il avait l'air un peu perdu, ainsi. Le givre rendait ses sourcils blancs, et ça lui donnait un visage comique alors qu'il les fronçait de réflexion.  :??:  
 
Nous devrions essayer de nous abriter quelque part, pour savoir de qui il s'agit.  pas de point d'interrogation, ou alors tu peux mettre "nous devrions peut-être essayer ... ?"
 
D'un autre côté, elle se serait sentie plus rassurée si elle avait tenu sa propre épée.  
 
Ce n'était pas vantardise de sa part, simplement un élément objectif de comparaison. "S'ils sont plus, cela risque de poser problème. Mais je ne pense pas que ça arrivera."  
 
Pourtant, il était très difficile de le manquer, maintenant qu'on savait où il était, à flanc de montagne
 
y a un "Elle se  " qui traîne...  
 
Comme tout le château, il s?agissait d?une porte énorme, épaisse comme trois hommes. tu veux dire "à l'image du reste du château", ou qqch comme ça ?
 
Et Shareen sut qu'elle regardait le baron Harrel. Comment elle sait son nom rien qu'en le regardant  :heink:  :??:
 
Il avait toujours été fier de ses talents d'escrimeur mais, étrangement, l'idée ne lui était même pas venue de se défendre,  
 
Merci Daria. Tu peux sortir maintenant.

n°1986680
Gounok
Faux traître
Posté le 05-02-2004 à 00:11:47  profilanswer
 

J'ai lu les 3 chapitres avec intérêt, et 3 questions me viennent à l'esprit :
- de combien de chapitres est composée cette aventure ?
- quel titre comptes-tu donner à ce roman ?
- ne pourrais-tu pas poster les quelques chapitres suivants ? :whistle:  
Parce que là c'est un peu de la torture sinon quand même :sweat:

mood
Publicité
Posté le 05-02-2004 à 00:11:47  profilanswer
 

n°1986880
Tang
Plug'n'Troll
Posté le 05-02-2004 à 00:52:36  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :

Alors, pour vous répondre  :D  
 
4. Que signifie exactement "in medias res" ? D'après mes vagues notions de latin, ça devrait vouloir dire "dans la chose du centre" donc "au coeur des choses". Tu parles de mon début sauvage en plein dialogue ? Mmh... A voir. Mais je n'ai rien contre bousculer les conventions de la fantasy, tant que c'est aussi minime.
 
Ca ne vous lasse pas, vous, de voir chaque livre que vous prenez commencer par une description de l'endroit ? Oui, je peux faire ça... mais franchement...
 
L'Académie se dressait sur les hauteurs de Musheim, haute et flamboyante, comme un gigantesque scarabée accroché à la montagne. Ses murs de brique rouge reflétaient les rayons du soleil, et empêchaient l'oeil inquisiteur d'observer les cadets à l'entraînement. Pour ceux qui tentaient d'en savoir plus, des gardes étaient postés devant les lourdes portes d'acier du bâtiment, et leur expression était sévère.
 
Pourquoi pas, remarquez.


Désolé je voulais pas faire mon singe savant avec "in medias res"... Bien que d'origine latine c'ets un terme usuel en littérature pour désigner un incipit/une intro débutant en pleine action...
 
Dans ton cas c'est encore plus violent pasque c'est carrément un dialogue...
Note que ca se fait (cf Le voyage au bout de la nuit de Celine par exemple)
Mais la fantasy est assez codifiée et ton intro bouscule donc un peu... Ceci dit ce n'est pas interdit... Simplement ca peut déstabiliser le lecteur....
 
A toi de voir, c'est toi l'auteur ;)
A+


---------------
• • • "La démocratie c'est bien mais il faudrait que les gens soient pas cons..." © Alpacou aux Nouilles • • •
n°1987620
taftonf
Posté le 05-02-2004 à 09:41:39  profilanswer
 

chapitre 3 terminé.
on est bien pris au coeur de l'action maintenant, la scène dans la chambre du baron est bien mise en scène et tient en haleine ,on connait relativement bien les différents persos, donc on est prêt à continuer "le fabuleux voyage de Rekk le boucher" [:alldream]


Message édité par taftonf le 05-02-2004 à 09:42:47

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Méfies-toi des dragons, choisis bien tes ennemis et trouve ta vérité !
n°1987708
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 05-02-2004 à 10:07:55  profilanswer
 

Nouvelles réponses en vrac ;)
Déjà, je note les fautes d'orthographe et de grammaire. Lorsqu'on a la tête dans le guidon, c'est vrai qu'on ne remarque même plus ce genre de choses...
 

Panem a écrit :


Et Shareen sut qu'elle regardait le baron Harrel. Comment elle sait son nom rien qu'en le regardant  :heink:  :??:


 
Les joies d'un copier/coller malencontreux ;) La vraie phrase serait: Et Shareen sut qu'elle regardait le baron FroidVal.
 
[citation]
Merci Daria. Tu peux sortir maintenant.
[/citation]
 
Nanana nana.
 
 

gounok a écrit :

J'ai lu les 3 chapitres avec intérêt, et 3 questions me viennent à l'esprit :
- de combien de chapitres est composée cette aventure ?
- quel titre comptes-tu donner à ce roman ?
- ne pourrais-tu pas poster les quelques chapitres suivants ? :whistle:  
Parce que là c'est un peu de la torture sinon quand même :sweat:  


 
- Je ne voulais pas vous faire peur en le disant, mais... 38 chapitres  :ange:  
- C'est le plus gros problème qu'il me reste à traiter. Je veux avoir un titre cohérent, percutant, court, précis, et qui donne envie de connaître l'histoire. Bref, je veux apporter au moins autant de soin au titre qu'au reste... et je n'ai pas d'idée. J'avais fait un sondage auprès d'amis lecteurs, qui s'étaient finalement prononcés pour un titre sobre: Son père. Pourquoi pas, après tout ? Mais j'attends vos idées ! :D
- Ce serait un plaisir de poster tout de suite les chapitres suivants, mais j'ai peur de décourager tout le monde en les mettant trop rapidement. Si je poste au rythme d'un par jour, ça vous convient ?
 

Tang a écrit :


 
A toi de voir, c'est toi l'auteur ;)


 
Si seulement les choses étaient aussi simples...  :D  
Mais le fait est qu'après quelques retouches, j'ai bien l'intention d'essayer de publier ce roman (j'ai toujours eu l'optimisme chevillé au corps :D). Et pour parvenir à être retenu sans avoir jamais rien écrit, j'ai intérêt à savoir capter l'attention. Si tu me dis que l'introduction pourrait être plus descriptive, alors je vais explorer cette piste. Ce serait quand même ridicule de vous demander des conseils sans même les appliquer !  
 
Hmpff, qu'est-ce que je parle...  ;)

n°1988406
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 05-02-2004 à 11:58:17  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :


 
Ce serait un plaisir de poster tout de suite les chapitres suivants, mais j'ai peur de décourager tout le monde en les mettant trop rapidement. Si je poste au rythme d'un par jour, ça vous convient ?
 


 
 :bounce: Nickel  :bounce:

n°1989362
Gounok
Faux traître
Posté le 05-02-2004 à 14:22:23  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :

- Je ne voulais pas vous faire peur en le disant, mais... 38 chapitres  :ange:


Ah ouais quand même :ouch:
 
J'adore les longs romans où il y a bien le temps qu'il faut pour se passer pleins de choses :love:
 

Grenouille Bleue a écrit :


- C'est le plus gros problème qu'il me reste à traiter. Je veux avoir un titre cohérent, percutant, court, précis, et qui donne envie de connaître l'histoire. Bref, je veux apporter au moins autant de soin au titre qu'au reste... et je n'ai pas d'idée. J'avais fait un sondage auprès d'amis lecteurs, qui s'étaient finalement prononcés pour un titre sobre: Son père. Pourquoi pas, après tout ? Mais j'attends vos idées ! :D


C'est un peu tôt pour faire des propositions, je pense que seul quelqu'un ayant lu ton oeuvre en entier pourrait t'aider ;)  
 

Grenouille Bleue a écrit :

-  
- Ce serait un plaisir de poster tout de suite les chapitres suivants, mais j'ai peur de décourager tout le monde en les mettant trop rapidement. Si je poste au rythme d'un par jour, ça vous convient ?


J'ai remarqué que depuis le départ, tu as "peur" de faire fuir du monde avec des posts trop longs. :sweat:
Même si c'est un forum d'informatique à la base (je dis à la base car dans cette section il y a pas mal d'autres corps de métier), je dirais qu'il ne faut pas que tu hésites à faire ce que t'as envie : si ça parait trop long à certaines personnes, elles fragmenteront d'elles-même, et si elles n'en sont pas capables, elles auraient de toute façon passé leur chemin sur un tel topic.
Bref, moi je préfèrerais encore avoir tout d'un coup, mais un chapitre par jour ça me convient aussi :)

n°1989414
sstarshoot
With blood on my hands
Posté le 05-02-2004 à 14:29:49  profilanswer
 

j'ai commencé à lire l'intro, ça m'a l'air pas mal du tout je continuerai dès que j'aurais un peu plus de temps ;)


---------------
BetaSeries
n°1989427
Marnie
Posté le 05-02-2004 à 14:32:16  profilanswer
 

Pour ce qui est de l'intro "in medias res", j'aime particulièrement. J'adore aussi le coup de la vraie-fausse héroine. C'est agréable d'être surpris dans une histoire. Si on peut tout deviner, ce n'est plus la peine de lire. Donc tant pis pour les conventions du genre, il vaut mieux faire du neuf à mon avis.

n°1991347
Damrod
Posté le 05-02-2004 à 18:45:21  profilanswer
 

Chapitre 3 fini : toujours aussi bon, le père fait bien peur et  promet pour la suite.  
Pour le rythme de publication je prefererais aussi avoir tout d'un coup mais un par jour c'est très bien aussi (même si c'est un peu de la torture)
pour l'intro elle ne m'a pas choqué et au contraire fais tout de suite rentrer dans l'univers. Les descriptions j'adore mais une fois que j'ai accroché au récit

n°1991745
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 05-02-2004 à 19:44:27  profilanswer
 

Bon, eh bien voici venu le temps du chapitre IV ;)
 
Car, pendant ce temps, à Musheim...
 
____________________________________________________
 
A Musheim, il ne neigeait plus. Depuis deux jours, le soleil avait enfin accepté de se montrer, et le printemps s'installait sur la capitale. Les arbres commençaient à reverdir, les pavés n'étaient plus verglacés au petit matin, et tout cela constituait un progrès notable.
Mandonius grogna sourdement, resserrant les pans de son épais manteau autour de lui. Les températures restaient tout de même fraîches, et il avait toujours été particulièrement frileux. Le petit vent qui s'insinuait sous sa capuche ne contribuait pas à améliorer son humeur, alors qu'il regardait le Prince-Héritier tirer à l'arc.
"Regardez ça !" clamait Theorocle, enchanté. "Dans le mille ! J'ai mis dans le mille ! Mando, tu as vu ça ?"
 
Theorocle serait un jour connu sous le nom de Theorocle II; Empereur du Ponant, Seigneur des Nations sous le Soleil, Gardien des Trois Mers et Commandeur des Peuples. Mais tant que son père régnait, il n'était qu'un enfant de seize ans, les joues rougies par le froid, les yeux brillants devant son exploit.
"Oui, Héritier, j'ai vu" fit patiemment Mandonius.
 
Le prince se tourna vers lui. Il souriait jusqu'aux oreilles. C'avait toujours été un enfant difficile, mais dans ses rares moments de bonne humeur, ses traits s'adoucissaient comme ceux d'un véritable ange.
"C'est vraiment un très bel arc, Mando." Lentement, ses mains caressèrent le riche bois d'if délicatement incurvé, rehaussé d'ivoire et incrusté de pierreries. Une opale scintillait à chaque extrémité, à l'endroit où la corde rejoignait le bois. "Digne de moi. D'où vient-il, encore ?"
"Des forêts de Koush. Je vous l'ai déjà dit il y a cinq minutes" soupira Mandonius, inclinant brièvement la tête en signe de respect.
 
L'étiquette de la cour était très stricte. Tout le monde s?inclinait devant l?Héritier avant de lui parler. Les femmes de chambre, les souillons et les garçons d?écurie se jetaient à genoux et pressaient le sol de leur front. Les soldats baissaient les yeux et frappaient leur bouclier de leur lance en signe de respect. Les courtisans faisaient leurs courbettes, les courtisanes leurs révérences. Les nobles des différentes maisons, les Griffons, les Licornes, les Dragons, les Basiliks, les Lutins, les Serpents, les Lions et les Phoenix, se contentaient d?une inclinaison du buste soigneusement calculée, qui témoignait de leur soumission, mais également de leur puissance.
 
Mais seul Mandonius, gouverneur de l?Empire, bras droit de l'Empereur et Haut Dignitaire de la Cour, pouvait se permettre de ne se fendre que d?un hochement de la tête. Cela pouvait être pris pour un geste d?égal à égal. Cela avait été pris pour un geste d?égal à égal par certains, qui avaient feint de s?en offusquer. Mais ils n?étaient plus vivants pour s?étonner de quoi que ce soit désormais.
 
"Tiens, oui, j'avais oublié" fit Théorocle, sans se départir de son sourire lumineux. Il était décidément de bonne humeur, aujourd'hui. "Reculez la cible ! A cent pas ! Je vais transpercer la catin de mon dard !"
 
Il agita négligemment la main, et quelques serviteurs accoururent pour reculer la cible sur laquelle il allait s?entraîner. Mandonius grimaça. Le prince n'était plus un enfant, pas encore un homme, et ses exigences étaient de plus en plus étranges, ces derniers temps. Il avait exigé que la cible soit peinte en forme d?une femme plantureuse et nue, avachie dans une position obscène. Il affirmait que cela l?inspirait, et lui permettait de tirer ses flèches avec plus de précision. Il soutenait que ses flèches étaient celles de l?amour, et qu?il allait percer de ses traits vibrants l?espèce féminine dans son ensemble. Mandonius avait eu bien du mal à ne pas lui rire au nez.
 
Le gouverneur n?avait jamais eu d?enfant, n?en avait jamais désiré. Maintenant, à cinquante ans révolus, la vieillesse le rattrapait plus que jamais, et il comprenait enfin pourquoi il n?avait jamais souhaité fonder une famille. Il y avait trop de risque, beaucoup trop de risque que son enfant, s?il s?était agi d?un fils, tourne de la même manière que ce prince de pacotille. Arrogant, stupide, trop gâté, et particulièrement vicieux. Rancunier, aussi. Plusieurs personnes qui lui avaient manqué de respect, d'une manière ou d'une autre, s'étaient faites mystérieusement agresser par des bandes de coupe-jarrets qui leur avait brisé les membres à coups de gourdin.
 
De cela, au moins, Mandonius pensait être prémuni. Il entretenait de très bonnes relations avec l?Empereur Marcus, si tant est que quiconque pût entretenir de l?amitié avec un dieu vivant. D?un point de vue strictement courtisan, c?était un honneur sans limites que d?être le précepteur du Prince - même si la tâche était insupportable. Marcus était parfois trop faible, en particulier lorsqu?il s?agissait de son fils, mais jamais il ne laisserait Mandonius se faire tuer simplement pour satisfaire le plaisir de son fils.
 
Regardant de nouveau la cible, il fronça les sourcils. Cette comédie allait vraiment trop loin.
"Héritier, êtes-vous certain que vous ne préféreriez pas une cible plus conventionnelle ? "
" Laisse-moi tranquille, Mando. Je suis occupé, et tu vas me déconcentrer. Si je rate ma cible, ce sera à cause de toi"
"Je me nomme Mandonius, Héritier, pas Mando"
 
Cette manie de raccourcir les prénoms ! Il leva les yeux au ciel avec exaspération, et ce fut ainsi qu?il ne vit pas le tir du Prince. Mais le cri de joie de ce dernier ne laissait aucun doute. Il avait touché. Et, si le gouverneur avait besoin de précision, alors les glapissements de son protégé l?auraient amplement satisfait.
"En plein dans le sein ! En plein dans sa mamelle pendante ! Regarde-ca ! Regardez-ca, Mando ! Je l?ai percée, cette truie !"
 
Mandonius regarda la cible avec lassitude. Parfois, il se sentait fatigué, si fatigué. Il avait l?impression d?être le seul homme sain d?esprit, ici, alors que tous les courtisans présents s?empressaient d?applaudir. "Magnifique !" entendit-il. "Quel splendide tir, Héritier !"
 
Tous des sycophantes de la pire espèce, des nobles mineurs que la tentation du pouvoir attirait comme le feu attirait la phalène. Des gamins à l'image du prince, stupides et bas de fronts, de grosses brutes prêtes à faire ses quatre volontés pour la moindre parcelle de reconnaissance. Mandonius se sentit pris d'une légère sensation d"écoeurement en les voyant complimenter ce tir. Magnifique, disaient-ils. Pah !
 
La flèche avait effectivement touché la cible, et c'était un progrès manifeste face aux premières tentatives du Prince-Héritier. Mais le coup était bien trop à gauche pour occasionner de véritables dégâts. S?il s?était agi d?une véritable personne, en relief, et revêtu d?une armure, la flèche aurait ripé sur la maille sans provoquer autre chose qu'une légère contusion. Mais le Prince n?avait jamais encore vu la mort de près. Mandonius, oui.
 
"C?est un superbe arc, et qui fait honneur à mes talents d?archer" sourit l?adolescent, très content de lui. "Tu remercieras la personne qui m?en a fait cadeau, et lui accordera une entrevue avec moi. Je lui dirai que j?ai été amusé." Son sourire disparut soudain derrière une expression soucieuse. "Tu crois qu'il faut que je lui offre quelque chose en retour ?"
Mandonius inclina de nouveau la tête.
"Héritier, l?arc est un présent du Seigneur G'kaa, l'ambassadeur de Koush. Il vous en fait présent en tant que loyal vassal. Je vais sur le champ lui faire part de votre plaisir."
Theodocle fronça les sourcils.
"Koush ? Qu?est-ce que c?est encore que ça ?"
"Une de vos provinces du sud, Héritier" expliqua Mandonius, cachant son exaspération derrière un sourire onctueux. Le prince ne cherchait pas même à se souvenir des dix provinces qui composaient son futur royaume. Tant d?inconscience était stupéfiant. "Un royaume de guerriers, qui a capitulé devant nous et s'est joint à l?Empire, voici près de trente ans de cela, après une guerre sans merci"
 
Quelle guerre cela avait été ! A l?époque, Mandonius était encore loin du pouvoir, mais il avait été heureux. C'était une époque dont il se souvenait avec émotion et nostalgie. Oh, il avait déjà de nombreuses responsabilités. En tant que Duc de Griffon, c'était lui qui avait pris la tête de l'armée, à vingt-cinq ans à peine.. C?était de lui que dépendait la survie de ses hommes, et le succès de la campagne et, d?une certaine manière, le développement de l?Empire.
Mais, le plus souvent, dans cette jungle hostile, il s?était retrouvé aussi couvert de boue que ses hommes, à protéger son voisin de son bouclier comme un soldat ordinaire. Il s?était acquitté de ces tâches avec fierté, et il avait combattu dans cette steppe immonde, combattu ces vaillants ennemis avec flèche et lance et épée, et le feu, et les moustiques, et la maladie. Et il avait gagné. C?était une belle campagne.
 
Machinalement, ses doigts se glissèrent dans sa poche pour serrer le morceau de papier qui y reposait.
Il avait rencontré un homme formidable, là-bas, et appris à le connaître. Un homme qui ne craignait pas la mort, cruel au-delà du raisonnable, et qui avait probablement plus contribué à la victoire que tous les efforts de l?Empire réunis . Rekk n'avait pas encore sa réputation de boucher qui lui collait à la peau, mais il était bien parti pour l'acquérir. C'était alors un jeune capitaine au regard brûlant, dont les hommes appréciaient les méthodes sans pitié. Chaque mort de son armée, il la vengeait en brûlant un village. Il passait par l?épée femmes et enfants, et ne faisait jamais de prisonniers. C'avaient été ses massacres, plus que toute la stratégie déployée par Mandonius, qui avait fini briser les Koushites.
"Rekk, Rekk, Rekk?" murmura Mandonius, les yeux mis-clos.
"Quoi ?"
Le Gouverneur revint brutalement dans le présent.
"Je vous prie de m'excuser, Héritier. Je? rêvassais"
"Je ne t'excuse pas, Mando. Et je ne veux pas aller remercier pour l'arc, finalement. Ce sont des sauvages. Ils sont sales et ils sentent mauvais. Tu les remercieras toi-même."
L'héritier arborait cet air boudeur qu'il affectionnait, et qui affirmait qu'il ne se laisserait pas convaincre. Fatigué d'avance, Mandonius se devait de faire une tentative. Sa maîtrise de soi glissa légèrement, et sa voix était plus agressive qu'il ne l'aurait souhaité. Garder une expression polie devant tant de stupidité devenait difficile.
"Vous devriez y réfléchir un peu plus. Koush est un de nos plus grands partenaires commerciaux. Et l'arc est magnifique. Vous lui devez bien ça"
 
Mais rien ne pouvait convaincre le Prince. Il lâcha l?arc avec révulsion, et donna un coup de pied dedans pour faire bonne mesure.
"Je n?en veux plus. Je ne leur dois rien" Il cracha par terre. "Dis à ce sauvage de reprendre son cadeau et de rentrer dans sa steppe"
"Votre Grâce?"
"Tu as vraiment décidé de me contrarier, aujourd?hui, Mandonius" gronda le Prince, pianotant des doigts sur la garde de son épée. C?était le tic d?un de ses gardes du corps, et Theorocle l?avait fidèlement recopié. Il prétendait que cela le rendait menaçant. Pour Mandonius, cela le rendait surtout ridicule.
"Pas du tout, Votre Grâce? cependant?"
Le gouverneur fut sauvé d?une longue explication par l?arrivée d?un serviteur en livrée impériale, qui vint lui chuchoter quelques mots à l?oreille.
 
"Je vois?" murmura Mandonius. Il se tourna vers le Prince. Son sourire n'était plus aussi forcé qu'avant. "C'aurait été un plaisir que d'aller voir l'ambassadeur Koushite à votre place, Héritier. G'kaa est un homme très serviable, et je suis même convaincu qu'il prend parfois des douches. Mais hélas, je dois vous laisser. Ce sera donc à vous d'y aller."
"Je ne t?ai pas donné la permission de partir !" glapit Theorocle, furieux. "Je ne veux plus tirer à l?arc, et je m?ennuie. Et je ne veux pas voir ce sauvage. Je devrais te faire fouetter !"
Mandonius se contenta de sourire de plus belle.
"Rien ne m?aurait fait plus plaisir que de vous divertir, Héritier, cependant l?Empereur votre père me convoque. Je ne peux tarder."
Theorocle ouvrit la bouche, puis la referma, sans qu'aucun son n'en sorte. Une expression d'intense frustration se peignit sur son visage, alors qu'il comprenait qu'il avait perdu la partie. Sans perdre contenance, il tourna le dos au Gouverneur, comme pour signifier la fin d'une entrevue.
"Quelle petite peste" chuchota Mandonius, trop bas pour que quiconque entende.
Qu'il prononce ces mots, même sous cape, montrait bien dans quel état de nervosité il se trouvait. Ce fut un véritable soulagement de pouvoir enfin quitter le prince, même si une entrevue avec l?Empereur ne présageait rien de bon.
 
Mandonius s?engagea dans les longs couloirs du palais, ses bottes s?enfonçant profondément dans l?épais tapis rouge qui recouvrait ça et là le magnifique parquet en chêne. Il croisa plusieurs gardes portant la traditionnelle livrée impériale, qui le laissèrent passer en s?inclinant profondément.
"Alors, pas trop ennuyé ? Pas trop d?ennemis à repousser, Kewdrun ?"
"C?est calme, Seigneur. Aucune insurrection cette année. Nos armes vont rouiller" sourit le garde, bombant le torse de fierté.
Le Gouverneur avait une mémoire stupéfiante, et il avait mis un point d?honneur à apprendre par c?ur le nom de la totalité des gardes du palais. Peut-être un jour cela lui servirait-il. Pour l?instant, du moins, il cultivait ses amitiés.
 
Ses pensées vagabondaient alors qu?il avançait, cherchant dans ses dernières activités une raison sensible pour l?Empereur de vouloir le convoquer. Son fils s?était-il plaint ? Les progrès du Prince en matière de lecture et d?écriture n'étaient pas vraiment convaincants. Pourtant, l'enfant avait un esprit vif, lorsqu'il condescendait à s'intéresser à ce qu'on voulait lui apprendre. Le problème, c'est qu'il condescendait rarement. Mandonius avait parfois l?impression de ne pas être le meilleur précepteur que l?enfant ait pu avoir. Si seulement il n?était pas autant gâté?
 
Lorsqu?il arriva enfin dans l?antichambre, et poussa d?une main ferme les grandes portes à battants de la salle du trône, il n?était toujours pas fixé sur les raisons de sa convocation. Cela le perturbait. Comment préparer son discours, s?il ne savait pas de quoi il allait être question ? Peut-être?
Toutes ses hypothèses volèrent en éclats alors qu'il remarquait une autre personne assise sur une chaise, dans l'antichambre, une jambe croisée sur l'autre. A l'aide de sa dague, l'intrus grattait nonchalamment la semelle de sa botte pour en enlever la boue. A voir le tas nauséabond qui gisait sur le sol, cela devait faire quelques minutes qu'il s'y employait. Et une seule autre personne au palais pouvait se permettre de prendre de telles aises avec le protocole.
"Gundron?" grinça Mandonius. "Voilà une surprise intéressante. Quel bon vent t'amène par ici ?"
 
L'homme releva la tête doucement, sans manifester la moindre surprise d'entendre la voix du gouverneur. Absorbé dans sa tâche, il n'avait pu le voir venir, et les épais tapis étouffaient tous les bruits de pas. Pourtant, le borgne s'était rendu compte de son arrivée. Un homme dangereux. Ainsi appuyé sur le dossier de sa chaise, il ressemblait à un léopard indolent: paresseux, mais prêt à bondir.
"Moi aussi, je suis content de te voir, Mandonius. Assieds-toi, l'empereur ne va pas tarder à nous faire appeler."
Le gouverneur hésita un instant avant d'accepter l'invitation et de prendre un siège. Les pensées tourbillonnaient follement dans sa tête. Avaient-ils pu apprendre?? Non, c'était impossible. Mais alors, pourquoi était-il ainsi convoqué en même temps que le Capitaine de la Garde ? Oh, cela ne présageait rien de bon.
"Tu sais? tu sais pourquoi nous sommes ici ?"
Gundron sourit paresseusement, ce qui eut pour effet de tendre sa balafre de manière hideuse.
"Eh bien, pas vraiment, mais je pense que j'ai quelques petites idées? comme toi, à mon avis."
"Comme moi ?"
Le borgne se pencha en avant.
"Allons, ne fais pas l'innocent. Toi aussi, tu dois être au courant. Tu es le Gouverneur, après tout. C'est à toi que les espions rapportent. Tu es le Maître des Rumeurs."
"Et ?" fit Mandonius, la voix glaciale.
"Fais un effort. Une fille ? Retrouvée morte ?"
"Des dizaines de filles sont retrouvées mortes chaque mois, Gundron. C'est ta responsabilité de maintenir l'ordre en ville. C'est pour ça que tu es payé."
Si la pique avait perturbé Gundron, il le cachait bien. Son sourire s'élargit en un rictus amusé.
"Et si je te dis Deria, tu me réponds?."
"Oh, cesse tes insinuations !" cracha Mandonius. "Oui, je suis au courant. Mais je ne vois toujours pas le rapport avec notre présence ici. Tu crois vraiment que? ?"
"L'empereur va vous recevoir tout de suite"
Un serviteur en livrée impeccable venait de faire irruption dans la pièce, avant de s'incliner en une parfaite révérence. Ses yeux devinrent réprobateurs devant le petit tas de boue qui maculait le tapis aux pieds de Gundron, mais il eut le bon sens de tenir sa langue.
"L'aventure commence !" gouilla le borgne en se levant.
A deux de front, ils pénétrèrent dans la grande salle du trône.
 
La première fois qu'il avait pénétré dans ce saint des saints, Mandonius en avait eu le souffle coupé. La salle était si grande, et si belle ! Elle devait bien faire trente pieds de long sur vingt de large, ce qui était une véritable prouesse architecturale. De riches tentures étaient accrochés à chaque mur, et des vitraux travaillés avec élégance laissaient entrer juste assez de lumière pour justifier la présence de chandeliers d'argent tous les cinq pieds. Un bon feu brûlait dans la grande cheminée, près de l'entrée de la pièce, et une vague de chaleur l'envahit alors qu'il avançait jusqu'au trône.
"Votre majesté?" murmura-t-il.
"Tu me délaisses, Mandonius. Je ne te vois plus, depuis quelques semaines" fit une voix douce et tranquille, à l'accent cultivé.
"Votre fils me prend du temps, Sire. Il est? plein de vitalité"
Mandonius leva la tête à temps pour voir un éclair d?amusement passer sur le visage de l?Empereur. C?était un vieil homme, qui avait accédé au trône tard, s?était marié tard, avait fait un enfant tard. Tout était tardif, chez lui. C'était un homme usé par les soucis de l?Empire, par les ennuis que lui causaient son fils, par la mort de sa femme, l?Impératrice, emportée par une maladie étrange quelques années auparavant.
"Il l?est, n?est-ce pas ? Plein de vitalité, je veux dire. Il fera un bon empereur, un véritable conquérant. C?est une bonne chose. Il étendra l?Empire. Je n?ai pas su, pas voulu le faire"
Mandonius ignora le rictus sarcastique de Gundron. Le borgne cachait à peine son mépris pour les accomplissements du souverain. C'était un miracle qu'il n'ait pas déjà été exécuté pour toutes les remarques acerbes qu'il avait pu faire. Le gouverneur était beaucoup plus diplomate.
"Vous avez fait bien mieux, Sire. Vous l?avez consolidé"
"Tu trouves, eh ?"
"Vous avez construit des ponts, des routes, des acqueducs, des égouts. Vous avez ouvert des académies et des écoles. Vous avez apporté la paix"
"Balivernes. Ce n?est pas grand chose, et tu le sais bien" fit l?Empereur. Toutefois, il n?avait pas l?air entièrement mécontent. "Je suis même incapable de maintenir la sécurité dans les villes, même dans ma propre capitale. Ce n?était pas ainsi, du temps de mon père"
"Les méthodes de votre père n?étaient pas appréciées. Vous, vous l?êtes"
"Oh, pour ça, je suis apprécié" grimaça Marcus. "Sais-tu combien de temps j'ai dû garder le lit après la tentative d'assassinat du mois dernier ? Je ne peux plus sortir dans la rue sans être la cible d'un arbalétrier quelconque. Bah !" Il cracha sur le sol. Le tapis absorba l'humidité inattendue avec impassibilité. "Mais tu le sais déjà. Toi aussi, Gundron. Hein ? Depuis le temps que je te demande de me trouver ces conspirateurs, est-ce que tu as avancé ?"
Le borgne pâlit légèrement, ce qui correspondait chez lui à une intense agitation.
"Non, votre majesté. Rien pour l'instant. Ces maudits conspirateurs sont partout et nulle part à la fois. Ils doivent bénéficier d'appuis importants, et?"
"Parle plutôt d'incompétence" sourit Mandonius, pas mécontent de voir Gundron ainsi rabaissé.
"Silence !" gronda le roi. Les deux hommes se turent, ce qui ne les empêcha pas de se lancer des regards meurtriers. "Je ne vous ai pas fait venir pour que vous vous teniez ainsi tête. Pour une fois, j'ai besoin de votre collaboration. Et je l'aurai, que ça vous plaise ou non !"
Les derniers mots grondèrent dans la pièce, amplifiés par l'écho de ces murs de pierre taillée. Mandonius se jeta à genoux, rapidement imité par Gundron. Il y avait une différence entre être provocateur et suicidaire, et c'aurait été suicidaire que de provoquer le courroux du monarque. Ses colères étaient très rares, mais toujours sanglantes.
"Que voulez-vous que nous fassions ?" s'enquit Gundron, la voix égale.
Il y eut un léger silence, comme si l'empereur Marcus rassemblait ses forces pour continuer. Mandonius plissa les yeux. Le monarque était un lâche par bien des aspects, mais il craignait rarement d'exprimer ses pensées devant les autres. Alors, pourquoi cette pause ?
"Je crois me souvenir que vous connaissez tous les deux plutôt bien le baron Rekk, n'est-ce pas ?"
Mandonius ne laissa rien paraître de sa surprise, mais ce fut un effort de volonté. Derrière son visage impénétrable, ses pensées tourbillonnaient follement. Gundron, pour sa part, se lécha les lèvres avant de suivre doucement, presque machinalement, la cicatrice qui lui dévorait la figure.
"On peut dire que je le connaissais, oui" murmura-t-il. "Je le connaissais même bien"
"C'était un ami, autrefois" fit Mandonius. Ce n'était pas exactement la vérité, mais il ne pouvait résister au plaisir de voir le visage de Gundron se crisper. "Quel dommage qu'il soit mort dans ce duel funeste?"
Si l'empereur Marcus avait paru agité auparavant, il l'était encore plus maintenant.
"Ca suffit, Mandonius. Tu devrais te douter que Gundron est aussi bien au courant que toi de l'histoire. Rekk n'est pas mort, ce n'était qu'une mascarade pour apaiser la populace. Il était en exil, et il va probablement revenir à Musheim depuis que sa fille est morte" Marcus eut un regard furieux pour Gundron. "Je commence à me demander si c'est vraiment une bonne idée de te laisser à ton poste, Gundron. Non seulement tu ne parviens même pas à assurer ma sécurité, mais les rues de notre capitale sont tellement peu sûres qu'une jeune fille peut se faire tuer ainsi sans que personne ne voie rien ou ne dise rien"
"Je?" commença Gundron.
"Peu importe. Rekk revient, et son arrivée tombe finalement à pic. Je risque d'avoir besoin de lui pour autre chose que garder une stupide frontière. Mais nous verrons cela quand il arrivera. En attendant, je compte sur vous"
"Pour ?" s'enquit le borgne.
"Pour ?" demanda Mandonius presque en même temps. Mais il savait déjà ce qu'on allait leur demander.
"Gundron, c'est toi qui dirige la garde de la ville. A ce titre, tu dois avoir des informateurs un peu partout. Mandonius, tes espions sont déployés dans tout l'Empire. Vous êtes les deux plus à même de découvrir qui a tué la fille de Rekk. Alors mettez-vous au travail, et trouvez un coupable !"
Le gouverneur resta un instant agenouillé, perdu dans ses pensées. Le crime avait eu lieu plus de quinze jours auparavant ! Ce serait vraiment trouver une aiguille dans une botte de foins.
"Je? et en supposant qu'on ne le trouve pas ?'
L'empereur sourit froidement et, pour la première fois depuis qu'il le servait, Mandonius sentit un frisson lui traverser l'échine.
"Oh, mais vous y arriverez. Après tout, je ne vous ai pas demandé de trouver le coupable, mais un coupable".


Message édité par Grenouille Bleue le 05-02-2004 à 19:48:47
n°1991859
ahe
Posté le 05-02-2004 à 19:57:33  profilanswer
 

Je viens de lire les 3 premiers chapitres et j'ai vraiment envie de connaitre la suite. L'histoire m'a accrochée.
 
Juste une petite erreur relevée pendant ma lecture. A un moment, le jeune héro a 17 ans, puis 18 le paragraphe suivant.
Il ne supportait pas de se faire appeler "petit", comme lorsqu'il avait dix ans. Il en avait dix-sept, maintenant !  
"J'ai dix-huit ans" protesta Malek, furieux

n°1992878
Damrod
Posté le 05-02-2004 à 21:32:26  profilanswer
 

chapitre 4 fini, la suite  :bounce: la suite  :bounce:


Message édité par Damrod le 05-02-2004 à 21:33:12
n°1993733
Telchar
Posté le 05-02-2004 à 23:05:36  profilanswer
 

J'ai lu l'intro et le premier chapitre, et j'ai une ou deux remarques (constructives j'espere..)
 
Je trouve que ca manque de descriptions : sans qu'il faille mettre partout des passages à la Balzac, j'aimerais en savoir plus sur l'apparence des personnages par exemple. De plus, ca permet d'instaurer des atmosphères efficaces, ce qui est important dans le "genre".
Au niveau des détails "Musheim" c'est assez pourri comme nom je trouve  :ange: , en plus comme je suis alsacien c'est pas très depaysant  :D  
 
Pour l'instant ca ressemble pourrait presque se produire dans notre moyen age(difficile à situer vu que tu decris très peu), mais il est vrai que je n'en suis qu'au tout début, les elements de fantasy vont sans doute arriver  :)  
 
En tout cas bravo, c'est bien écrit et j'ai envie de lire la suite  :hello:  
 
 
 
 

n°1994834
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 06-02-2004 à 09:10:53  profilanswer
 

:bounce: Hop !  :bounce:  
 
encore une chtite coquille : "C'avaient été ses massacres, plus que toute la stratégie déployée par Mandonius, qui avaient fini par briser les Koushites.  
 
 

Citation :


Juste une petite erreur relevée pendant ma lecture. A un moment, le jeune héro a 17 ans, puis 18 le paragraphe suivant.  
Il ne supportait pas de se faire appeler "petit", comme lorsqu'il avait dix ans. Il en avait dix-sept, maintenant !  
"J'ai dix-huit ans" protesta Malek, furieux


 
A mon avis ça correspond à la psychologie du personnage, non ? :whistle:  
 

Citation :

Je trouve que ca manque de descriptions : sans qu'il faille mettre partout des passages à la Balzac, j'aimerais en savoir plus sur l'apparence des personnages par exemple. De plus, ca permet d'instaurer des atmosphères efficaces, ce qui est important dans le "genre".


 
je plussoie, j'aimerais bien de temps en temps un peu plus "d'ambiance".  
 
J'aime bien la scène entre le Prince et Mandonius.

n°1994934
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 06-02-2004 à 09:42:20  profilanswer
 

Atmosphère, atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ?  :D  
 
C'est intéressant, comme critique. J'avais volontairement réduit les descriptions à la portion congrue pour éviter de lasser le lecteur. Mon histoire est beaucoup plus axée autour des dialogues que des descriptions. Mais je me rends compte que les coupes à la hache ont peut-être été trop brutales... Je ne veux pas non plus que chaque chapitre s'apparente à un gigantesque dialogue.
 
Je le note, et je vais voir ce que je peux faire. Sinon, pour l'intérêt de l'histoire, ça vous convient quand même ? Ca reste lisible malgré l'absence de descriptions ?

n°1995030
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 06-02-2004 à 10:07:15  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :


 
Je le note, et je vais voir ce que je peux faire. Sinon, pour l'intérêt de l'histoire, ça vous convient quand même ? Ca reste lisible malgré l'absence de descriptions ?


 
Mais oui :) plus que lisible même

n°1997195
Gounok
Faux traître
Posté le 06-02-2004 à 15:24:52  profilanswer
 

Le fait que les descriptions soient minimalistes ne me dérange pas, sauf pour les personnages ; étant donné que tu bases beaucoup de choses sur les dialogues, les héros prennent donc d'autant plus d'importance, et ne pas trop savoir comment on doit les imaginer est un poil gênant. Maintenant je dis ça, ça vaut surtout pour le début, car Rekk le Boucher, le Capitaine de la Garde et sa cicatrice etc... étaient bien détaillés. :)  
Pour ma part, je considère que c'est un style différent, et son avantage c'est qu'il permet, en très peu de place et de temps, de mettre beaucoup d'"action".

n°1997491
Tang
Plug'n'Troll
Posté le 06-02-2004 à 15:59:09  profilanswer
 

Puis y a des maso (j'en suis) qui crachent pas sur les disgressions dexcriptives Tolkienistes...
Faut eviter de faire du Melville voila tt (en lisant Moby Dick j'ai sauté des chapitres entiers de description des especes de baleine ou encore des procédés 'exploitatiion de l'ambre... :zzz: )


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• • • "La démocratie c'est bien mais il faudrait que les gens soient pas cons..." © Alpacou aux Nouilles • • •
n°1997584
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 06-02-2004 à 16:10:28  profilanswer
 

A noter que, dans deux chapitres, vous aurez droit à un maaaaagnifique descriptif de Musheim, assez long pour contenter les plus avides (j'espère  :sweat: ).
 
Mais c'est vrai que par exemple, je n'ai pas beaucoup décrit le voyage aller de Shareen/Malek vers Bertholdton, parce que je ne trouvais pas que ça rajoutait énormément à l'histoire.
 
PS: Est-ce que la description du port de Guisarm (fin du 2e chapitre) correspond à ce que vous attendez à ce niveau ? Ou bien est-ce que c'est trop long, trop court, pas assez étoffé ?

n°1997622
Panem
Cave Canem et Carpe Diem
Posté le 06-02-2004 à 16:15:10  profilanswer
 

Tang a écrit :

Puis y a des maso (j'en suis) qui crachent pas sur les disgressions dexcriptives Tolkienistes...
Faut eviter de faire du Melville voila tt (en lisant Moby Dick j'ai sauté des chapitres entiers de description des especes de baleine ou encore des procédés 'exploitatiion de l'ambre... :zzz: )


 
Euuuh, ben je suis peut-être encore plus maso que toi, alors, mais moi j'adore Moby Dick, y compris les passages à caractère "encyclopédique" sur la baleine et les milles façons de l'accomoder [:huit] ... c'est même en partie pour ça que c'est un aussi bon livre (pas seulement, c'est sûr, où irait-on sans Achab et sa mystico-mythique chasse au cachalot blanc... :o )
 
[/HS]

n°1998626
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 06-02-2004 à 18:29:28  profilanswer
 

Bon, à la demande générale des fans hystériques ( :sweat: ), je vous mets le chapitre 5 !  :bounce:  
 
Merci pour les commentaires jusqu'à présent. Les retouches sont faites au fur et à mesure de vos remarques, et ça commence à prendre forme  :D  
 
_______________________________________________
 
La steppe gelée laissait lentement l'aube l'envahir, secouant avec énergie les derniers restes de brume à l'horizon, mais le soleil tremblotant n'apportait aucune chaleur avec lui. Quelque part, un corbeau croassa.
Les murs du château avaient été froids, glacés, et antipathiques, toisant les intrus avec un mépris palpable. Le vent s'engouffrait, sarcastique, dans les corridors de l'édifice torturé et étouffait la chaleur qui s'échappait des grandes cheminées. L'air sentait le purin et l'urine, et toutes les odeurs qu'apportait la civilisation. Bertholdton, à l'extrême nord de l'Empire, n'était pas une place où il faisait bon vivre. Ses tours crénelées, autrefois grandioses, n'abritaient plus que des corbeaux. La citadelle n'était qu'un tombeau de glace et de briques, un bien maigre rempart contre les barbares.
Pourtant, Shareen aurait bien aimé pouvoir s'y attarder un peu avant d'entamer le voyage du retour. Juste un peu, pas longtemps. Assez pour manger un véritable repas chaud, et pour pouvoir dormir dans un vrai lit. Assez pour oublier une seconde la neige, et faire sécher ses vêtements. Assez pour pouvoir prendre un bain et se débarrasser dans un même mouvement de la fatigue et de la crasse du voyage. Entre l'hostilité de la toundra et l'austérité du château, le choix était facile.
 
Mais on ne le lui avait pas laissé, ce choix. Elle s'était sentie poussée, manipulée, dirigée vers son cheval pour repartir dans l'heure. Elle avait dû abandonner tous ses espoirs de repos pour boucler son ceinturon, enfiler sa cotte de mailles et seller sa monture. Elle avait l'habitude qu'on la commande, mais ce n'était pas pareil, cette fois-ci. Pour la première fois, elle avait l'impression qu'on la regardait comme du bétail, et non comme un être humain. Elle avait complètement perdu le contrôle de la situation, et elle savait précisément à quel moment elle l'avait perdu.
Lorsqu'elle avait plongé ses yeux dans ceux, brûlants et glacés, du Faiseur de Veuves.
"Je n'arrive toujours pas à y croire" murmura la jeune fille, comme pour elle-même.
Les mots ne risquaient pas d'être entendus par qui que ce soit, malgré la proximité des deux autres cavaliers. Le col de son manteau, qu'elle avait remonté jusqu'à son nez, étouffait ses paroles. Et, même si elle avait tenté de s'exprimer clairement, le vent froid qui soufflait dans leur visage aurait emporté ses paroles.
C'était pour le mieux, bien sûr. La dernière chose qu'elle pouvait désirer pour le moment, c'était que Malek vienne se soucier d'elle et tente de la rassurer. Il était gentil, et tellement mignon. Mais elle n'avait pas le courage d'affronter son regard maintenant. Pas après qu'elle se soit évanouie de terreur en apprenant qui était le père de Deria. Elle ne pourrait surmonter cette humiliation. Elle voulait apparaître forte. Elle voulait qu'il soit fier d'elle; que Deria soit fière d'elle. Mais elle n'avait pas pu s'en empêcher. La surprise était trop forte.
 
Lorsqu'elle s'était réveillée, Malek était penché sur elle, l'air inquiet. Il lui faisait respirer des sels pour la ranimer, et elle avait mis du temps à se débarrasser de l'odeur âcre qui lui piquait les narines. Pendant un instant, elle avait pu croire que tout ça n'avait été qu'un rêve, un cauchemar surgi des tréfonds de son enfance. Mais ses espoirs avaient été rapidement brisés.
Le plus discrètement possible, Shareen coula un regard vers l'homme qui chevauchait juste devant elle. D'ici, elle ne pouvait apercevoir que son large dos, et l'épée qui y était accrochée. Ce n'était pas plus mal. Elle n'avait pas la moindre intention de croiser son regard. Déesse Vierge, le simple fait de le regarder lui donnait envie de se pencher sur sa selle et de se vider l'estomac. Lentement, elle porta ses mains à son visage et se massa doucement les tempes. Elle ne se sentait pas bien.
Lorsque les jeunes gens avaient discuté des meilleurs épéistes, quelques semaines auparavant ? cela semblait faire un an ! ? Rekk était apparu dans la conversation comme un quelconque épouvantail, un croque-mitaine destiné à faire peur aux enfants. Shareen avait de vagues souvenirs, enfant, des menaces que proférait sa mère à son encontre, lorsqu?elle ne voulait pas manger le gruau de blé qui constituait leur ordinaire. Elle détestait le gruau de blé. C'était trop épais, et très salé. Sa mère était douce, mais ferme, et lorsque Shareen faisait plus de difficultés qu?à l?accoutumée, elle lui parlait des Démons Faucheurs qui viendraient la chercher dans son lit, des Glavorins errants qui la plongeraient dans des marmites brûlantes? et de Rekk le Boucher, qui viendrait mettre le feu à sa maison. Elle avait toujours mangé sa soupe, alors. Plusieurs nuits, après qu'elle ait fait une bêtise, elle était restée éveillée, incapable de s'endormir, tremblante au fond de son lit. Les petits bruits nocturnes la faisaient sursauter, alors qu'elle tendait l'oreille de peur d'entendre soudain le pas lourd du Banni sur les marches de l'escalier.
Une fois, lorsqu'elle avait neuf ans, celles-ci avaient grincé sous le poids d'une personne qui montait. La langue collée au palais par la terreur, incapable de crier, Shareen s'était emparée de son lourd polochon et s'était mise en embuscade derrière la commode. Si jamais le Boucher rentrait, elle était prête à le recevoir ! Mais ce n'était que sa mère, qui venait voir si tout allait bien, et avait soudain dû faire face à un assaut sauvage de sa petite fille.
 
Shareen sourit tendrement en se rappelant cette scène, mais ce relâchement ne dura qu'un instant. Aujourd'hui, le Boucher était enfin venu la chercher. Et elle n'avait pas de polochon.
On racontait des choses affreuses, sur lui. Oh, elle pouvait bien imaginer que les bardes exagéraient. Pour une piécette ou deux, ces piètres chanteurs inventaient toujours les pires horreurs, pour effrayer les enfants et faire frissonner les parents. D'ailleurs, ne disait-on pas: histoire de barde, rumeur bâtarde ?
Mais, même si seule la moitié ? même si le quart ! ? se révélait vraie, cela laissait toujours le pire meurtrier que Musheim ait jamais connu. Déesse Vierge, que l'Empire tout entier ait jamais connu !
"Pourquoi est-ce que tu ne m'as rien dit, Deria ?" souffla-t-elle misérablement. "Tu ne me faisais pas confiance ?"
Beaucoup de choses qu'elle ne comprenait pas au sujet de son amie s'éclaircissaient tout d'un coup d'un jour nouveau. Pourquoi elle était si secrète et réservée. Pourquoi elle détournait toujours le sujet lorsqu'on parlait famille. Pourquoi elle était si habile à l'épée. Avec une paternité comme ça, la vie ne devait pas être facile tous les jours ! Comment affronter le regard des autres, lorsqu'on était la fille d'un meurtrier, pillard, assassin, violeur, traître, incendiaire, destructeur?
 
Une main se posa sur son épaule, et un cri de terreur involontaire s'échappa de ses lèvres. Ses doigts se refermèrent sur le manche de sa dague avant qu'elle ait pu s'en empêcher. Le pommeau était rond et rassurant sous ses doigts.
"Malek !" cria-t-elle, cherchant à contrôler le tremblement dans sa voix. "Tu m'as fait peur."
Le jeune homme lui adressa un pauvre sourire. Ses habits de noble facture avaient été mis à rude épreuve par le froid et la neige, et se déchiraient par endroit. Le Malek qu'elle connaissait n'aurait pas supporté une seconde d'avoir eu l'air négligé. Mais il n'était que l'ombre de lui-même. Ses yeux étaient hantés, et ses muscles étaient tendus comme une corde d'arc. Il approcha sa tête assez près pour pouvoir parler doucement et se faire entendre, malgré le vent.
"Tu vas bien ?"
Ses premiers mots, et ils étaient pour s'assurer de sa santé. Le c?ur de Shareen bondit, à la fois heureuse qu'il se préoccupe ainsi d'elle, mais écoeurée d'avoir montré sa faiblesse d'une manière aussi flagrante. Elle serra les dents.
"Je? vais mieux. Merci, Malek"
Il haussa les épaules, gêné par la gratitude qu'il sentait dans sa voix. Ses yeux évitèrent son regard un instant, avant de revenir les fixer avec une intensité fiévreuse.
"Deria ne t'avait vraiment parlé de rien ?"
"Rien? rien du tout" La bouche de Shareen prit un pli amer. "Je la comprends. Ca devait être difficile à assumer"
Malek se battit nerveusement avec sa capuche pour la remonter sur son visage. Le vent ne cessait de la rabattre sur ses épaules. Exaspéré, il la laissa retomber.
"Et pour nous, tu crois que ce sera facile ? Combien de temps, jusqu'à Musheim ? Nous ne trouverons pas de bateau à Guisam. Il va falloir que nous traversions l'Empire à cheval, et ça veut dire un mois, au moins. Peut-être plus, selon le temps. Je te le dis tout de suite, je n'ai pas la moindre intention de rester avec ce boucher plus longtemps que nécessaire. Nous continuons avec lui tant que le chemin est dangereux, mais nous l'abandonnons dès que nous retrouvons la civilisation, qu'il le veuille ou non. C'est bien d'accord ?"
La voix de Malek s'était chargée d'autorité alors qu'il parlait, comme pour compenser l'obéissance qu'il avait manifestée devant les ordres de Rekk, au château. Il était monté en selle sans dire un mot lorsque le Banni le lui avait ordonné, s'était rangé complaisamment derrière lui quand le pont-levis s'était abaissé, et suivait religieusement ses traces dans la neige depuis les trois heures qu'ils chevauchaient.
"Bien sûr. Mais tu crois qu'il nous laissera partir ? Je veux dire, il n'a pas l'air particulièrement content de notre compagnie, mais c'est quand même lui qui nous a demandé de le suivre."
"Je te l'ai dit, nous partirons qu'il le veuille ou non. Au pire, nous ferons partir nos chevaux dans deux directions opposées. Il ne nous donnera pas la chasse, j'en suis sûr"
 
Shareen déglutit, et tenta de retrouver une contenance en agitant les rênes. Elle ne se sentait toujours pas très à l'aise sur une selle. Si jamais le pire arrivait et qu'elle doive fuir, elle n'était pas sûre de pouvoir terminer la folle course en un seul morceau.
"Tu? tu es sûr que c'est lui ?" chuchota-t-elle, autant pour changer de sujet que parce que le doute continuait à la tenailler. "Que c'est vraiment Rekk, revenu des morts ?"
Malek eut une grimace de dérision.
"Revenu des morts, certainement pas. Je ne crois pas dans ces stupidités. Soit ce n'est pas lui, soit c'est lui. Et si c'est lui, alors il n'est pas vraiment mort comme l'Empereur l'avait annoncé, lors du duel avec Gundron" Sa grimace s'accentua. "Ca ne me surprend pas tant que ça, finalement. J'ai toujours trouvé surprenant que le compte-rendu du duel soit aussi succint, dans les manuels d'histoire. C'est pourtant un moment important de la fondation de l'Empire"
Shareen se sentit soudain très calme. Maintenant que toutes ses craintes étaient confirmées, elle savait qu'elle ne pouvait pas tomber plus bas. En un sens, c'était rassurant. Une position confortable. Sa voix ne chevrota pas, alors qu'elle demandait:
"Mais si c'est vraiment le Boucher, alors il va nous tuer à un moment ou à un autre, non ? C'est un fou furieux, assoiffé de sang. Malek, est-ce qu'on ne peut pas fuir tout de suite ? Je préfère affronter la toundra que de le voir se tourner contre nous. Il me fait peur, Malek?"
"S'il essaie de te faire du mal, il me trouvera sur son passage. Ca, je peux te l'assurer" Malgré la voix ferme du jeune garçon, Shareen pouvait voir qu'il tremblait, et ses yeux étaient hantés. Si jamais ils en venaient là, le jeune Licornéen n'hésiterait pas une seconde à se mettre en travers du chemin de Rekk. Mais il savait déjà, au fond de lui-même, qu'il y perdrait la vie.
Il n'y avait plus grand chose à dire, après cela. Shareen aurait aimé pouvoir discuter librement de ce qu'ils allaient faire, mais la présence omniprésente du Banni, devant eux, rendait toute conversation périlleuse. Dodelinant sur sa selle, Shareen se sentit somnoler doucement. Ca n'était pas si difficile que ça de monter à cheval, finalement. Une fois qu'on avait surmonté sa peur, le mouvement vous berçait presque. Lentement, ses yeux se fermèrent. Elle avait eu son compte d'émotions pour la journée, et cela faisait plus de vingt heures qu'elle n'avait pas dormi. Que Rekk soit maudit, lui et sa précipitation ! Elle doutait de l'utilité d'une telle malédiction sur quelqu'un de déjà maudit, mais le juron lui fit du bien.
 
Le soleil monta à l'horizon jusqu'à devenir une pâle orbe de flammes au-dessus de leurs têtes, mais l'air ne se réchauffait pas. Le froid rendait la tentation du sommeil encore plus irrésistible. Shareen se sentit partir.
Une voix grave et profonde la réveilla en sursaut.
"Parle-moi d'elle" disait Rekk.
Clignant des yeux avec difficulté, il lui fallut quelques instants pour revenir à la réalité. Son brusque sursaut avait surpris sa monture, et Shareen prit son temps pour récupérer les rênes et la remettre au pas. Elle ne dormait pas, mais elle faisait déjà un cauchemar !
"Quoi ?" finit-elle par murmurer.
"Ma fille. Parle-moi de ma fille. Je ne l'ai pas vue depuis treize mois, depuis qu'elle est allée dans cette foutue académie. Alors ? Comment était-elle ?"
Shareen leva des yeux craintifs vers l'homme, mais celui-ci ne la regardait pas. Il parlait sans se retourner, dirigeant son cheval avec aisance entre les congères traîtresses.
"Vous? devriez demander à Malek. Je n'étais qu'une servante. Lui la connaissait comme une véritable amie"
"C'est à toi que je demande"
La jeune fille hésita un instant, cherchant du soutien du côté de Malek, mais le jeune homme détournait ostensiblement les yeux. Au temps pour son aide. Désespérée, elle tenta de former une réponse que l'homme apprécierait.
"Elle était étrange. Courageuse, et forte, mais ce n'est pas ce que les hommes attendent des femmes, en général. Je pense qu'elle les déroutait tous, par son indépendance et sa joie de vivre. L'académie modèle les gens. Elle ne voulait pas se laisser modeler."
Rekk hocha la tête, comme s'il comprenait. Ses épaules s'affaissèrent un peu et, tout d'un coup, il avait l'air presque redoutable. Pour la première fois, elle remarqua les nombreuses rides qui parsemaient ses joues, et la fatigue qui couvait derrière la menace de ses yeux.
"Elle? avait des amis ? Beaucoup d'amis ?"
De nouveau, Shareen fit une pause, le temps de trouver ses mots.
"Je pense qu'elle n'était pas au bon endroit pour se faire des amis. Les gens qui viennent à l'académie sont des gens fiers et orgueilleux, qui se sentent en compétition les uns avec les autres. Et puis, cela fait des années qu'ils se connaissent entre eux, alors qu'elle arrivait comme un cheveu sur la soupe. Il est difficile de s'intégrer à la noblesse lorsqu'on n'est pas noble soi-m?"
Elle se tut brutalement. Si ses souvenirs étaient exacts, Rekk avait été anobli pour services rendus, voici longtemps. Il était baron, lui semblait-il, ou comte, ou?
"Je suis baron, petite. Baron" Il eut un sourire déplaisant. "Tu sais ce que j'ai dû faire, pour cet honneur ? Tu sais les crimes que j'ai dû commettre ?" Il cracha. " Bien sûr, que tu le sais. Les chansons sont pleines de mes exploits. Eh bien, laisse-moi te dire que la noblesse, ça n'est pas tout ce qu'on en dit. C'est du vent. De la pisse de sanglier"
Sa voix restait égale et son visage impassible, mais ses yeux trahissaient sa colère alors qu'il parlait.
"La noblesse, ça n'est pas que ça !" protesta Malek, s'insinuant soudain dans la conversation. Il était pâle, mais ses mâchoires étaient serrées et son expression déterminée. Il avait toujours été fier de ses origines. "C'est aussi des devoirs et des responsabilités. Lorsque vous faites partie d'une des Maisons, le peuple se tourne vers vous pour?"
"?pour rien du tout. Gamin, ce n'est pas à toi que je parle. Respecte tes aînés, et tais-toi". Rekk retourna son attention sur Shareen, comme s'il n'y avait pas eu d'interruption. "Est-ce que? est-ce qu'elle était heureuse ?"
 
Malek s'empourpra, mais il tira néanmoins sur les rênes et ralentit l'allure de sa monture pour laisser un peu de distance aux autres. Shareen déglutit, mais répondit comme si de rien n'était.
"Elle ne le montrait pas, et elle se mettait souvent en colère, mais? oui, je pense qu'elle l'était. Je pense que, d'une certaine façon, elle aurait été heureuse en toutes circonstances. Elle avait un optimisme inébranlable, et elle était certaine que tout s'arrangerait toujours de la meilleure manière possible. Mais?" Shareen haussa les épaules. "Elle était frustrée, aussi. L?Académie ne correspondait pas à ses attentes. Elle était très excitée par les cours d'escrime, au début. Mais après deux ou trois leçons, elle a commencé à se rendre compte que cela ne lui apprendrait rien. Je ne pense pas qu'elle ai découvert quoi que ce soit à l'épée durant cette année."
Rekk pianotait des doigts sur le pommeau de sa selle. Il avait un sourire étrange aux lèvres.
"Je ne l'ai pas envoyée là-bas pour qu'elle apprenne l'escrime. C'est moi qui l'ai entraînée. Elle a mon sang. Je suis sûr qu'elle aurait pu battre facilement n'importe lequel de ces stupides fils de nobles."
Shareen coula un discret regard en arrière, mais Malek n'écoutait plus, ostensiblement boudeur. Elle soupira doucement. Si jamais il avait entendu ça, il se serait certainement encore plus renfrogné, lui qui voulait tellement battre Deria.
"Si vous ne l'avez pas envoyée là-bas pour l'escrime, alors pourquoi ? Pour sa culture générale ?"
Rekk talonna sa monture sans répondre, et le destrier se mit au petit trot, creusant l'écart avec la jeune fille. Le moment d'intimité était passé.
 
Malek suivit du regard le cavalier qui s'éloignait. La colère et l'humiliation le faisaient à moitié suffoquer. Mais ce qui prédominait, c'était la perplexité.
Pourquoi avait-il voulu s'entretenir avec Shareen, et pas avec lui ? Elle était gentille, et plus courageuse qu'il ne l'aurait pensé, mais enfin, elle n'était pas noble. Et puis, c'était lui qui avait décidé de partir dans le nord et d'aller l'avertir, après tout. Ce n'est pas comme s'il avait espéré une quelconque forme de reconnaissance, mais? si, en fait. Il s'attendait à un minimum de reconnaissance. Ils avaient bravé le froid et les dangers pour prévenir le père de Deria de ce que sa fille avait enduré.
Mais à quoi pouvait-on s'attendre de la part du Boucher ?
Oui, Malek était perplexe. Au château, lorsqu'il avait appris la mort de sa fille, l'homme avait agi comme une bête sauvage, comme la bête sauvage dont parlaient ses légendes. Pourtant, en parlant de sa fille avec Shareen, il s'était montré? différent. Il y avait eu quelque chose dans ses yeux, quelque chose d?indéfinissable. L?amour d?un père pour sa fille. Cela correspondait difficilement à toutes les légendes qui couraient sur son compte.
 
Comme il l?avait dit lui-même, nombreuses étaient les chansons qui contaient ses exactions. Malek se rappelait particulièrement de l?une d?entre elles, qui l?avait fortement marqué lorsqu?on la lui avait racontée. L?histoire remontait à près de vingt ans. Cette année, la crue du Verdoyant avait été particulièrement forte, et il avait débordé de son lit en plusieurs endroits. Les libellules avaient envahi les champs, et une grande partie des récoltes avait été perdu pour de nombreux villages. L?un d?eux n?avait pas pu, ou pas voulu, fournir l?impôt qui était dû à l?Empereur.
 

Il était un village heureux
Tout perdu au milieu des champs.
Un village de briques bleues
Où résonnaient les cris d'enfants.
 
Mais le village mourait de faim
Le village manquait d?argent.
Pas de récoltes, pas de pain
Et rien pour nourrir les enfant
 
Et l?impôt ne fut pas payé
Ils n?avaient pas assez d?argent.
Ce qu?ils avaient, ils le gardaient
Pour laisser vivre leurs enfants.
 
Rekk se contenta de sourire
Mais ses yeux respiraient le sang
"Si vous ne pouvez les nourrir
Je vais tuer tous vos enfants."
 
Plus personne n?emprunte ces rues
Elles sont remplacées par des champs.
Ce village n?existe plus
Il est mort avec ses enfants.

 
Cela faisait plus de dix ans que Malek n'avait plus pensé à cette chanson, mais elle ressurgissait maintenant, avec sa mélodie lancinante et ses notes plaintives sur les cordes râpeuses de la vielle. Il se rappelait le visage du barde, mouillé de larmes alors qu?il faisait gronder sa voix pour imiter celle de Rekk, et sa mère qui la serrait très fort contre elle, et son père qui caressait le pommeau de son épée d'apparat d'un air terrible. Malek se rappelait de ce qu'avait dit son père, lissant sa moustache avec bravade.
"Boucher ou pas boucher, un seul homme ne peut venir à bout d'un village entier. Ou bien tout ça n'est qu'une invention, ou bien les villageois n'ont pas résisté. Dans tous les cas, je ne viendrai pas les plaindre"
"Mais, Thomal, tuer des enfants !"
"Oui, j'admets que c'est dommageable" avait-il reconnu.
 
Le vent froid qui s'insinuait dans les replis de son col ramena Malek à la réalité. Rekk le Boucher, le tueur d'enfants. Il était là, devant lui, chevauchant tranquillement. Malek tremblait de dégoût. La chanson lui remettait les idées en place. Rekk pleurait peut-être sa fille, mais il avait lui-même égorgé des dizaines d'enfants sans pensée ni remords. Si Malek n'avait pas autant connu et aimé Deria, il aurait pu dire, avec un brin de provocation, que sa mort n'était qu'un juste retour des choses.
Et si seulement ce n'était qu'une seule chanson ! Mais il y en avait d'autres, des dizaines, des centaines, toutes sur des thèmes différents, et pourtant étrangement similaires. Il y avait La Corde va lâcher, qui parlait de la manière dont il avait étranglé de ses mains un contrebandier qui lui tenait tête. Ou encore Les yourtes désertes, cette fameuse ballade lancinante qui racontait ses exploits sanglants lors de la guerre koushite.
"Nous allons nous arrêter pour manger un morceau"
Malek sursauta. Il s'était de nouveau laissé perdre dans ses pensées. Le soleil redescendait déjà dans le ciel. Il était midi largement passé. S'il ne se trompait pas, cela voulait dire qu'ils avaient voyagé près de sept heures d'affilée ! Il n'avait absolument pas vu le temps passer. Pourtant, maintenant qu'il y pensait, son estomac se rappelait à son bon souvenir.
Rekk démonta d'un mouvement fluide, puis tendit la main à Shareen pour qu'elle descende. La jeune servante le regarda, l'expression indéchiffrable, avant d'accepter l'aide pour descendre. Malek sauta lui-même de selle.
 
Ils attachèrent les chevaux auprès d'un arbre proche, et Rekk passa quelques temps à étriller sa monture pour éviter l'engourdissement. Malek promena son regard aux alentours. Il était bien obligé d'admettre que le coin était bien choisi pour s'arrêter. S'il n'y avait pas eu ce damné froid, l'endroit aurait pu passer pour idyllique.
C?était un endroit protégé, caché de la route par une haie d?épineux, qui donnait directement sur un ruisseau d?eau claire. Quelques restes de glace prouvaient que le cours d'eau avait été gelé voici quelques temps, mais il courait désormais librement. Malek frissonna. Cela voulait dire que les températures étaient encore plus basses l'hiver ? Il ne pourrait pas survivre. Il voulait des couvertures, et un feu bien chaud.
Il se pencha pour ramasser quelques branches désespérément humides, mais Rekk se dressa devant lui avant qu'il ait pu mettre son projet à exécution.
"Pas de feu. Pas ici"
Comme chaque fois que le Boucher lui jetait un regard, Malek sentit son estomac se nouer. Pourtant, cette fois-ci, il ne recula pas.
"J'ai froid, et il est hors de question que je mange de la viande crue. Je veux faire un feu"
"Tu n'en feras pas"
Rekk se détourna, comme si la discussion était terminée. Exaspéré, Malek lui courut après.
"Hey, une petite minute. Vous n'avez pas à me dire ce que je dois faire, ou non. C'est vous qui avez souhaité notre compagnie, pas le contraire." Il grinça des dents en se rappelant cet épisode déplaisant. "Et vous n'êtes que baron, alors que je suis duc. Par le droit du sang, vous devez me déférer"
 
Il y eut comme une explosion de douleur, et un bruit assourdissant. Lorsque Malek rouvrit les yeux, il était sur le sol. Sa lèvre était fendue en deux, et il avait un goût de sang dans la bouche. Sa langue courut sur ses dents pour vérifier qu'aucune n'était déchaussée par la violence du coup.
"Malek ! Oh, Déesse Vierge, Malek !"
Shareen se jeta à ses côtés, extirpant un mouchoir propre de ses poches pour venir lui tapoter le visage avec. Rapidement, le tissu vira au rouge.
Rekk se tenait debout, toujours aussi impassible après l'avoir frappé. Une goutte de sang tachait le gantelet de mailles qui protégeait sa main droite.
"Tu es fatigant, gamin. Tais-toi, maintenant."
"Comment? comment avez-vous osé ?"
Fou de rage, Malek porta sa main à son épée, mais il n'avait pas terminé son geste que le gantelet de mailles venait lui attraper la gorge. Impuissant, il se fit soulever. Ses pieds ne touchaient plus le sol. IL devenait difficile de respirer. Son visage s'empourpra.
"On ne fait pas de feu, parce que le bois est mouillé et que la fumée se verrait de loin. La région n'est pas sûre. Je n'ai pas envie de me battre à cause des caprices d'un gamin orgueilleux." Il fit une pause dans son discours et secoua Malek comme un prunier. "Tu me comprends ? Bouge ta main doucement, si tu me comprends"
Au bord de l'apoplexie, le jeune homme parvint à lever faiblement le bras. Rekk soupira.
"Je prendrai ça pour un oui." Avec un rictus mauvais, il le projeta à terre comme un sac de légumes. Malek heurta violemment le sol, et l?air s?échappa de ses poumons avec un grand whoof. "Nous ne reparlerons plus de ça"
Comme s'il ne s'était rien passé, Rekk se dirigea vers son cheval, et extirpa de ses fontes plusieurs paquets de nourriture et une gourde d'eau. Il n'accorda pas un regard au jeune garçon qui se tordait de douleur sur le sol, ni à la fille qui essayait futilement d'essuyer le sang de son visage. Mais ses yeux s'étrécirent en deux fentes meurtrières lorsque Malek se releva et tira son épée.
"Tu n'en as pas eu assez, gamin ?"
Malek tenait à peine sur ses jambes, mais il avança quand même de quelques pas.
"Je n'aime pas vos méthodes" siffla-t-il.
"Personne ne les aime" observa Rekk, mâchant tranquillement un morceau de fromage séché.
"Je vais vous tuer !"
"J'en doute fort" Tout aussi tranquillement, Rekk se leva et ôta l'épée des mains sans force du jeune homme. "J'apprécie le courage, mais ça devient ridicule. Assieds-toi, et mange" Il se tourna vers Shareen. "Toi aussi, petite !"
 
Malek resta un instant debout, un air de défi sur le visage. Mais le masque se fissura, et il se laissa tomber, hagard. Ce fut presque machinalement qu'il s'empara de la viande séchée pour la porter à sa bouche. Il avait faim, et son estomac grondait, mais les bouchées avaient un goût d'amertume.
Une nouvelle fois, Shareen tenta d'aborder un autre sujet pour dissiper la tension.
"On n'a vu personne lorsque nous sommes allés vous trouver, et personne depuis que nous chevauchons au retour. Vous êtes sûr qu'il y a des barbares, dans la région ? Comment est-ce qu'ils pourraient passer Bertholdton sans être vus ?"
"Tu aimerais en voir, gamine ?" Le rictus de Rekk était tout sauf plaisant. "Tu en auras peut-être l'occasion, un jour. Peut-être plus tôt que tu ne le penses. Peut-être demain ? Ou après-demain ?"
Malgré elle, Shareen frissonna.
"Lorsque nous sommes venus, vos hommes nous gardaient et auraient pu se battre. Mais maintenant, nous sommes seuls. S'ils nous tombent dessus, nous? nous allons mourir, n'est-ce pas ?"
Rekk la regarda comme si elle était complètement stupide.
"Si on en rencontre, je les tuerai, bien sûr"
"Même s'ils sont nombreux ?"
Un sourire apparut et disparut sur les lèvres de l?homme. Si vous ne pouvez les nourrir?
"Je suis plutôt bon, à ce jeu". ...je vais tuer tous vos enfants? "De toute façon, nous n?avons pas le choix. Je ne vais pas prendre la responsabilité de dégarnir mes remparts pour assurer ma sécurité". Il cracha sur le sol. "Nous sommes déjà trop peu nombreux, que l?Empereur soit maudit"
Malgré lui, Malek se pencha en avant. Il se sentait meurtri dans sa dignité et dans son honneur, mais il ne pouvait rester silencieux plus longtemps.
"Vous deviez combattre souvent ?"
"Tout le temps, gamin. Tout le temps. Quand ils n?essaient pas de nous contourner, ils lancent un assaut frontal. Lorsqu?ils ne tentent pas de faire passer des éclaireurs, ils incendient les fermes du sud. C?est un massacre perpétuel, et j?ai de moins en moins d?hommes, et l?Empereur ne m?envoie plus grand monde. A croire qu?il n?envoie plus personne en prison, de nos jours." Il siffla entre ses dents, exaspéré
"En prison ? Comment ça ?"
 
Rekk éclata de rire.
"Tu crois que les hommes qui sont sous mes ordres viennent de leur plein gré ? Que veux-tu qu'ils gagnent, ici ? La gloire ? L'or ? Les femmes ? L'or, je n'en ai pas. J'ai à peine de quoi nourrir mes troupes. Les femmes, il n'y en a pas. Ou alors, de petites barbares qui ne survivent pas longtemps. Et la gloire?" Son visage s'assombrit. "La gloire ne mène à rien dans ce monde. Et de toute façon, la gloire dépend du chant des bardes. A Bertholdton, il n'y a pas de bardes. Personne ne se soucie de ce qu'il se passe dans le nord. Personne !"
Ses mains serrèrent convulsivement le manche de son épée. Mais ses yeux respiraient le sang.
Malek secoua la tête pour essayer de se débarrasser de cette stupide chanson. Le regard de Rekk était effrayant, mais sa colère n?était pas dirigée contre eux. Certaines rancoeurs, viennent de dix, de vingt ans, remontaient à la surface.
"Alors? Bohl et les autres? ce sont des prisonniers ?" fit Shareen d'une petite voix.
"Des voleurs, des violeurs, des pillards, des traîtres, des agitateurs, des prophètes? tous ceux qui encombrent les prisons et qu'il faut bien nourrir. Plutôt que de les laisser à ne rien faire, l'Empereur préfère me les envoyer, pour qu'ils meurent bravement en gardant ses frontières. Et ils meurent, je peux te le dire."
"Et ils ne cherchent pas à s'enfuir ? A s'échapper ?"
"Pour aller où ? Le sort des déserteurs est la mort par pendaison. Et je rattrape toujours les déserteurs. Tôt ou tard." Il sourit doucement. "Ma réputation se révèle utile, parfois. Et puis? " Son regard s'éteignit. " ?certains prennent goût au travail que l?on fait. Je parlais de gloire tout à l?heure. On ne gagne pas de gloire, à Château Bertholdton, mais on y regagne peut-être un peu d?estime de soi. Lorsqu?on a commis beaucoup d?erreur, il faut bien trouver un moyen de les expier? d?une manière ou d?une autre
 
Shareen regarda un instant le visage hanté de l?homme devant elle. Peut-être n?était-il pas si mauvais que cela, après tout ? Mais l?étincelle cruelle retourna dans les yeux noirs alors que Rekk secouait la tête.
"Beaucoup d'hommes sont morts pour protéger ces crétins habillés de soie qui osent se prétendre nobles, alors qu?ils n?ont rien fait d?autre d?exceptionnel que de naître à un bon endroit, du père ou de la mère qu?il fallait. Je crache sur eux et sur leur descendance. Si cela ne tenait qu?à moi, je les égorgerais tous?" Il se lécha les lèvres avec gourmandise. "Sauf toi, Malek, bien entendu"
Au loin, un corbeau croassa. Malek se redressa, les yeux brûlants de fièvre. Shareen sentit son c?ur s'arrêter de battre. Si jamais il provoquait de nouveau la colère de Rekk, il ne s'en sortirait certainement pas vivant.
Mais tout ce que Malek dit fut:
"Vous aimiez votre fille, n'est-ce pas ?"
"Elle était ma vie" répondit Rekk, doucement.
"Et vous souhaitez la venger ?"
"Oui."
"Vous ne reculerez devant rien pour parvenir à votre but ?"
"Rien."
"Qui que soit le meurtrier, vous le tuerez ?"
"Oui. Pourquoi ces questions ?"
Malek porta la main à sa gorge, là où le gantelet de Rekk l'avait meurtri.  
"Parce que je veux voir ce fils de catin souffrir, moi aussi. Et que je viens avec vous."


Message édité par Grenouille Bleue le 06-02-2004 à 18:30:24
n°2001917
Tang
Plug'n'Troll
Posté le 07-02-2004 à 01:54:32  profilanswer
 

Panem a écrit :


 
Euuuh, ben je suis peut-être encore plus maso que toi, alors, mais moi j'adore Moby Dick, y compris les passages à caractère "encyclopédique" sur la baleine et les milles façons de l'accomoder [:huit] ... c'est même en partie pour ça que c'est un aussi bon livre (pas seulement, c'est sûr, où irait-on sans Achab et sa mystico-mythique chasse au cachalot blanc... :o )
 
[/HS]  


:ouch:
Là tu as droit àmon respect!!!:jap:
Je suispas du genre flemmard (enfin si mais pas qd je lis) mais j'avoue avoir été imperméable à l'essentiel des chapitres encyclopédiques... Du reste sauter des pages n'ets pas dans mes habitudes et j'ai mis du temps à oser sauter leschapitre barbant de type zzolistes ou industriels...
Je pensais pas que ça puisse intéresser des lecteurs si ce n'est les passionnés de baleine (je "pardonnerai" très volontier le double de ce qu'a fait Melville si c'était sur les dinosaures ;))
 
Mais sinon j'ai bcp aimé Moby Dick... Du pur roman d'aventure tragique et réaliste (ce ne sont pas là les moindre de ses qualités):love:
 
mais bon on est un peu HS en effet...
A+


---------------
• • • "La démocratie c'est bien mais il faudrait que les gens soient pas cons..." © Alpacou aux Nouilles • • •
n°2002087
Oulak
Posté le 07-02-2004 à 02:46:20  profilanswer
 

Pitit drap, je lirai ça plus tard, mais ça m'a l'air très intéressant  :hello:

n°2002150
Freekill
Electron libre…
Posté le 07-02-2004 à 03:47:14  profilanswer
 

Juste une petite remarque sur l'histoire du village qui ne peut payer ses impôts :
 
Les libellules sont des insectes carnivores, il est donc assez improbable qu'une invasion de ces bestioles détruise les récoltes ;) (elles détruisent plutôt les nuisibles)


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Faux & usage de faux ¤ Machins roses ¤ ASCIImage ¤ HFR Enhance v0.8.6
n°2002198
taftonf
Posté le 07-02-2004 à 07:50:57  profilanswer
 

pour ma part, je continue tranquillement ma lecture et il y a 2 points(des détails :) ) qui m'ont "interpellés" au chapitre 5 :

Citation :

Comment affronter le regard des autres, lorsqu'on était la fille d'un meurtrier, pillard, assassin, violeur, traître, incendiaire, destructeur?


pourquoi traitre ?
 

Citation :

Mais tout ce que Malek dit fut:  
"Vous aimiez votre fille, n'est-ce pas ?"  
"Elle était ma vie" répondit Rekk, doucement.  
"Et vous souhaitez la venger ?"  
"Oui."  
"Vous ne reculerez devant rien pour parvenir à votre but ?"  
"Rien."  
"Qui que soit le meurtrier, vous le tuerez ?"  
"Oui. Pourquoi ces questions ?"  
Malek porta la main à sa gorge, là où le gantelet de Rekk l'avait meurtri.  
"Parce que je veux voir ce fils de catin souffrir, moi aussi. Et que je viens avec vous."


je trouve que ça sonne bizarre après la discussion qu'il viennent d'avoir. soit rekk parle "trop" si on peut dire :D soit trop facilement.
C'était tout, sinon ça me plaît toujours autant et comme tu l'as dis avant je suis un des hystériques qui attend fébrilement la suite [:alarmclock114]


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Méfies-toi des dragons, choisis bien tes ennemis et trouve ta vérité !
n°2008240
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 08-02-2004 à 14:02:50  profilanswer
 

Bleh, on dirait que plus grand monde ne suit ;) Je savais que ça deviendrait difficile lorsque les chapitres s'accumuleraient... ça détruit les yeux de lire comme ça sur un écran  :D  
 
Enfin, voilà le chapitre 6
 
____________________________________________
L'Empire Brehalite s'étendait sur la plus grande partie des terres connues, et ses frontières étaient gigantesques. Des plaines gelées de Carnogel jusqu'aux confins méridionaux de Selenir, de l'Océan Illyarque jusqu'aux steppes de Koush, les victoires militaires des empereurs au travers des âges avaient pacifié et assimilé la plupart des peuplades connues. On racontait qu'il fallait à un cavalier plus d'un an pour en faire le tour, en changeant régulièrement de monture. Il y avait une dizaine de grandes cités-états, de provinces et de duchés, mais il n'y avait qu'une seule capitale.
 
Pour un empire puissant, il fallait une capitale à sa mesure. Une ville qui dicterait les goûts et la mode qui formaient la civilisation,, qui attirerait les érudits et les chercheurs des quatre points cardinaux, et dont l'architecture fascinerait les visiteurs. Musheim était tout ça, et bien davantage encore.
 
Ce qui n'avait été à l'origine qu'un camp retranché aux pieds du Verdoyant n'avait cessé de grandir durant les deux cent dernières années, depuis que le premier Empereur, Leonon Ier, avait choisi d'y établir son palais. Les anciens tableaux de cette époque montraient de vieilles cahutes au toit de chaume, construites à la hâte et empilées les unes sur les autres sur la berge sud du fleuve.
 
Le Grand Incendie de 45 avait tout changé. La ville avait ressurgi de ses cendres dans une frénésie de construction. Plus de cinq mille travailleurs, esclaves ou affranchis, avaient travaillé à cette réhabilitation, nettoyant les décombres pour poser les premières pierres de ce qui serait le Joyau de l'Empire. Les conquêtes extérieures se multipliaient, l'or coulait à flot, et les esclaves n'étaient pas cher. Plusieurs étaient morts à la tâche, sans que personne ne les pleure ni ne les regrette. Les vaillants Huneroniens, les puissants Combrorins, les terribles Meloniens, tous avaient plié le genou devant les armées impériales. Mais le pardon n'était jamais accordé gratuitement. Tandis que leurs femmes remplissaient les maisons closes, les hommes travaillaient sur les chantiers, contribuant par leurs mains barbares à la construction de la plus grande ode à la civilisation.
 
Mandonius hocha la tête, satisfait, et tira doucement sur les rênes pour que sa monture s'arrête. Il se sentait euphorique, comme toujours lorsqu'il voyait le soleil se lever sur Musheim. Les toits de tuile rouge paraissaient onduler dans la lumière féerique, et les multiples tours qui parsemaient la ville semblaient accrocher la lumière du soleil dans une écharpe de brume. Au nord de la ville, le dôme qui recouvrait la bibliothèque impériale se mariait parfaitement avec les spires qui se dessinaient au-dessus de l'hôpital de Musheim. A perte de vue, dans toutes les directions, ce n'était qu'un vaste labyrinthe de briques chatoyantes. C'était un spectacle féerique, qui faisait ressortir les émotions les plus primaires.
 
Le Gouverneur mit une main en visière pour se protéger du soleil, et son regard s'attarda quelques temps encore sur la ville. Une sensation d'humilité presque mystique grandissait en lui devant cette fourmilière débordant d'activité. Près d'un demi-million d'hommes et de femmes se pressaient dans la gigantesque métropole, grouillant, suant, soufflant, vivant leurs petites vies dans leurs petits coins. Un débordement d'humanité qui se levait à l'aube pour ouvrir les échoppes, installer les étals et parcourir les marchés. Tellement de personnes avec leurs préoccupations, leurs rêves et leurs angoisses propres. Tellement de paysans qui courberaient toujours le dos sous le joug des puissants.
 
"Eh bien, Mandonius, tu rêves ?"
Le Gouverneur sursauta, ses pensées brutalement interrompues. Lentement, il fit faire volte-face à son cheval. L'Empereur se tenait derrière lui, tendu sur sa selle, l'air vaguement agacé.
"Je regardais Musheim, Votre Grâce. La ville a une beauté farouche, le matin." Il grimaça. "Vous vous rendez compte ? Cinq cent mille habitants qui vivent ensemble ? Le monde n'a jamais connu ça jusqu'à maintenant ! C'est absolument fascinant !"
 
Marcus lui rendit son sourire, soudain détendu. Il avait l'air plus jeune, ainsi, comme si les rides qui parsemaient son visage s'étaient d'une manière ou d'une autre fondus dans ses fossettes. Il adorait parler de la ville, parce qu'au travers elle, il parvenait toujours à parler de lui.
"Oui, je ne suis pas mécontent de moi. Le nombre d'habitants a presque triplé, depuis que je suis sur le trône. J'ai créé les aqueducs, et la bibliothèque, et l'hôpital, et les deux théâtres. Et, regarde, le parc que j'ai aménagé. Même d'ici, on peut voir les gens qui se pressent à l'intérieur, pour profiter des premières lueurs de l'aube. Je peux comprendre que tu aimes Musheim, Mandonius. Moi-même, je l'adore de toute mon âme"
 
Le gouverneur inclina la tête en signe de respect. Ces derniers temps, Marcus aimait à ressasser ses accomplissements, comme pour se rassurer de quelque chose.
"Vous êtes un excellent empereur, Votre Grâce, et le peuple vous en sait gré. S'ils viennent à Musheim, c'est qu'ils savent tous y trouver un endroit où travailler, où dormir et où manger"
"Et où se cultiver, Mandonius. Tu oublies la culture. C'est très important"
"Et où se cultiver" répéta le gouverneur avec obéissance.
Il n'était pas convaincu. La culture était une affaire d'oisiveté. On ne se cultivait que lorsqu'on était déchargé de tous les tracas du quotidien. Les colporteurs, et les boulangers, et les paysans qui se pressaient dans les marchés matinaux n'avaient pas de temps pour tout cela. La construction de la Grande Bibliothèque ne leur avait fait ni chaud ni froid, et Mandonius était convaincu qu'ils auraient préféré un colisée, comme il l'avait lui-même suggéré.
 
Mais l'Empereur avait ses lubies, et il était vain d'espérer le faire changer d'avis sur des sujets qui l'intéressaient d'aussi près. Il avait pris un intérêt tout particulier dans la construction de l'édifice, venant chaque semaine vérifier l'avancement des travaux et félicitant chaudement le contremaître à chaque progrès constaté. Aujourd'hui encore, s'ils étaient debout à une heure aussi matinale, c'était pour aller inspecter les longs couloirs policés de la bibliothèque et regarder sa fréquentation. N'importe qui aurait pu faire ça, mais le monarque tenait à y aller en personne. C'était les seuls déplacements qu'il s'autorisait en dehors du palais, depuis quelques temps. La rue était devenue dangereuse, pour lui.
 
"Si les gens sont si convaincus que je suis un bon empereur, Mandonius, alors pourquoi est-ce qu'ils tiennent tant que ça à me voir mort ?"
Le Gouverneur haussa un sourcil devant l'âpreté de ton. Bien qu'il ne soit pas encore dans les rues de la ville, Marcus jetait déjà quelques regards nerveux à la cantonade, comme s'il espérait débusquer un assassin caché derrière les statues qui ornaient la route.
"Il y a toujours des insatisfaits, Votre Grâce"
L'empereur grinça des dents.
"Moi aussi, je suis parfois insatisfait. Lorsque je soupe tard le soir, il m'est arrivé de manger un repas froid, et j'étais très insatisfait. Je ne me rappelle pas avoir cherché à tuer le chef cuisinier pour autant. Lorsque les gens sont simplement insatisfaits, ils cherchent la discussion. Non, j'ai l'impression que des gens me haïssent. Assez pour risquer leur vie en cherchant à me prendre la mienne"
 
Mandonius ne répondit pas, évitant le regard de son Empereur. L'homme était d'une humeur bien morbide, aujourd'hui ! Cherchant rapidement une diversion, il poussa un soupir de soulagement en apercevant la silhouette qui se dirigeait vers eux d'une démarche martiale. Elle portait un pourpoint sable et or sur une cotte de mailles, et une large cape noire reposait sur ses épaules. Elle était borgne.
"Voilà Gundron, Votre Grâce. Vous devriez aller lui demander son avis. Après tout, c'est bien lui qui est en charge de votre sécurité?" Le gouverneur fit une pause calculée, avant de rajouter, presque nonchalamment: "Espérons qu'il sera plus compétent aujourd"hui que la semaine dernière, et qu'aucun incident ne viendra vous déranger dans votre visite"
"J'y compte bien, Mandonius. J'y compte bien" L'Empereur talonna sa monture et s'avança vers le borgne. Son visage était un masque de sévérité, sans aucune trace des inquiétudes qui le rongeaient tout à l'heure. "Hola, Gundron. Sommes-nous enfin prêts à partir ?"
Le Capitaine s'inclina dans une courte révérence, à la limite de l'insolence. Il souriait froidement.
"J'attends votre ordre, Votre Grâce. Mes vingt hommes sont prêts à repousser les pires assauts. Il ne peut rien vous arriver tant que je serai là"
"Tu m'as déjà dit ça la semaine dernière, Gundron. J'ai été miséricordieux et tu as gardé ton poste. Mais si jamais cela venait à se reproduire, ce n'est pas seulement ta charge que tu perdrais, mais ta tête. Suis-je bien clair ?"
Un tic nerveux agita la joue du borgne alors qu'il s'inclinait de nouveau, plus bas que nécessaire. Sa main s'était instinctivement portée à son épée.
"Parfaitement clair, Votre Grâce. Il n'y aura aucun incident."
"Très bien. Allons-y, dans ce cas"
L'Empereur se détourna, et Mandonius resta seul face au Capitaine. Leurs regards se croisèrent, deux lames prêtes à s'entrechoquer. Ils restèrent ainsi l'espace de quelques battements de c?ur, puis Gundron se détourna dans un grand mouvement de cape, et se dirigea vers sa monture. Il était temps de partir.
 
Ils formaient une étrange procession, vingt-trois cavaliers chevauchant dans les rues animées de la ville. Il était encore tôt, et l'air était glacial des odeurs de l'hiver, mais il y avait déjà du monde partout. Les hommes se prosternaient sur le sol sans souci pour la boue qui maculait les rues, et les femmes s'inclinaient en de larges révérences. Il y avait des gamins un peu partout qui tentaient maladroitement de reproduire les courbettes de leurs aînés, mais la plupart restaient debout à regarder les chevaux, les yeux écarquillés comme seuls les enfants peuvent les avoir. L'Empereur se surprit à leur sourire, son humeur morbide s'évaporant dans les murmures de vénération.
"Regarde-moi tous ces gens, Mandonius. Voilà le véritable c?ur de Musheim. Voilà les gens pour lesquels nous édictons des lois. Tu vois ? Ils n'ont pas l'air mal nourris, n'est-ce pas ? Ils ont l'air heureux."
"Bien sûr, Votre Grâce"
 
Le gouverneur soupira. Ils étaient en train de traverser les parties les plus prospères de la ville, les larges allées dallées qui menaient jusqu'à la bibliothèque. Mais il était impossible de faire comprendre à l'Empereur qu'il y avait un autre Musheim qui cohabitait avec ces rues impeccables. Un Musheim de sentiers à peine dessinés et de ruelles délaissées, d'échoppes vides et de mendiants débraillés, qui accueillait en son sein les voleurs et les assassins. Mandonius réprima un sourire, se demandant ce que Marcus dirait en voyant ces familles pâles et hagardes, entassées dans des maisons délabrées, qui ne pouvaient même plus se raccrocher à l'espoir de s'en sortir. Ce n'était pas à lui de raconter tout cela. Si l'Empereur préférait croire que sa capitale était un joyau sans défaut, il pourrait être dangereux de le contredire.
 
Marcus se rapprocha une nouvelle fois de son gouverneur, les yeux brillants comme ceux d'un enfant qui s'attendait à recevoir un cadeau. Il n'y avait plus trace de l'inquiétude qui l'avait habité au sortir du palais.
"Je me demande dans quel état je vais trouver la bibliothèque, et où en sont les travaux d'agrandissement. J'ai dans l'idée de demander à l'architecte de rajouter plusieurs tentures sur le mur du fond, au rez-de-chaussée, entre les rayonnages. Ca m'avait paru tellement vide, la dernière fois. Qu'en penses-tu ?"
Mandonius hocha vaguement la tête. Quelque chose, comme une ombre, venait de passer sur un de ces toits. Il aurait pu en jurer. Une certaine nervosité s'installait en lui maintenant qu'ils approchaient du bâtiment, et ses yeux cherchèrent machinalement la haute silhouette de Gundron.
 
Le capitaine paraissait nerveux. Pour qu'il le laisse ainsi transpirer, il fallait qu'il soit réellement agité, car il ne trahissait pas facilement ses sentiments. Ses yeux bougeaient constamment, comme s'il cherchait à surveiller toutes les directions à la fois. De temps en temps, sa main se posait sur la garde de son épée, et il en serrait le pommeau jusqu'à ce que ses jointures blanchissent.
Les soldats ressentaient instinctivement la nervosité de leur capitaine, et leur attitude en était profondément affectée. C'était un honneur que de faire partie de la garde impériale, et ces hommes auraient dû chevaucher fièrement, mais ils étaient tous ramassés sur leur selle, comme s'ils se préparaient à bondir. Comme Gundron, leurs mains venaient parfois errer sur le fourreau de leur arme, et l'un d'entre eux alla jusqu'à tirer son épée lorsque des éclats de voix de marchands lui parvinrent. Il rengaina aussitôt, mais une goutte de sueur perlait à sa tempe.
 
"Ce voyage n'est peut-être pas la meilleure chose à faire, Votre Grâce" hasarda Mandonius. "Nous pourrons vérifier les progrès de la bibliothèque une fois que les rebelles auront été découverts et chassés, vous ne croyez pas ?"
"Ridicule, Mandonius. Devrais-je me terrer dans mon palais par crainte de quelques agitateurs ? Il ne sera pas dit que j'aurai reculé face au danger, surtout quand le danger vient de quelques paysans qui ont l'outrecuidance de se rebeller. Je pense d'ailleurs que?"
"A terre !" hurla Gundron, heurtant soudain la monture de l'Empereur de côté. Paniqué, le cheval d'apparat que montait Marcus trébucha et glissa avant de se relever, et l'Empereur roula dans la poussière.
 
Avec un sifflement strident, une dizaine de carreaux d'arbalète vinrent s'abattre autour d'eux et heurtèrent les pavés comme une pluie de printemps. L'un d'eux se planta dans le flanc du cheval de Gundron, et se fut au tour du capitaine de se retrouver au sol. Son destrier se cabra et galopa sur trois jambes, disparaissant au détour d'une rue. Gundron poussa un juron.
"Mellor, prends trois hommes et protège l'Empereur ! Hoelbal, débrouille-toi pour bloquer la rue ! Les autres, avec moi, retrouvez ces fils de chienne !"
Dans un fracas d'armure, les soldats se ruèrent pour obéir. Ils s'étaient tous emparés du bouclier qui reposait sur leur dos et l'avaient dressé contre une éventuelle seconde salve, mais la rue était silencieuse. Plus rien ne bougeait. Une demi-douzaine de carreaux oscillaient doucement, la tête plantée dans les jointures des pavés.
"Votre Grâce, vous n'avez rien ?"
 
Mandonius siffla entre ses dents en voyant la flèche plantée dans le ventre de l'Empereur, mais Marcus ouvrit les yeux et grimaça un sourire.
"Ca aurait pu être pire, Mandonius. Ca aurait pu être pire" Sa grimace s'accentua alors qu'il se redressait, et le carreau tomba de lui-même au sol. Mandonius le ramassa. La pointe en était complètement tordue. "Heureusement que Gundron avait réussi à me persuader de mettre une cotte de mailles sous ma robe impériale. Si je ne l'avais pas portée, je serais mort à l'heure qu'il est. Même comme ça, je pense que je vais avoir un bleu pendant un bon moment"
Mandonius sourit froidement.
"Une excellente initiative. Il semblerait que Gundron ne soit pas si incompétent. Vous n'avez rien de cassé ?"
"Non, un bleu, je t'ai dit." Le plaisir de se retrouver en vie s'effaça lentement du visage de l'Empereur alors qu'il regardait le désordre autour de lui. Ses sourcils se froncèrent. "Aide-moi à remonter en selle, si tu retrouves mon cheval. Nous rentrons au palais. Je n'ai plus envie de voir cette bibliothèque pour le moment."
 
Mandonius s'inclina.
"Je vois que Gundron n'a pas été capable d'empêcher ce nouvel attentat. Allez-vous mettre vos menaces à exécution ?"
Marcus Ier resta un instant silencieux. Il prit le temps de remettre ses étriers, de nettoyer la poussière qui maculait ses habits et de reprendre les rênes en main avant de répondre.
"Non. Les conjurés étaient bien organisés. Ils savaient par où j'allais passer. Gundron ne pouvait rien faire contre ça. Et il m'a sauvé la vie. Il s'est montré digne de la confiance que je lui témoigne."
Mandonius talonna sa monture sans rien dire.
 
 
Eleon ChaudeLame aimait la taverne du Couteau Tranquille. A la différence des autres dans le centre-ville, celle-ci était presque fréquentable. Il y avait peu de bagarres, et les nombreux videurs mettaient rapidement les contrevenants au pas. Au sous-sol, une salle de jeux attirait tout l?or de la racaille de Musheim, et les tenanciers de l?établissement ne tenaient pas à ce que des troubles quelconques puisse empêcher leurs clients de dépenser.
Eleon n?aimait pas jouer, ce qui était pour le mieux, car il n'avait plus beaucoup d'argent. Avec un soupir, il tâta la bourse à son côté, qui s?était rapidement aplatie au fur et à mesure des jours. S?il se souvenait bien, il ne lui restait plus qu?une seule pièce d?argent, et quelques pièces de cuivre qui se battaient en duel. Une véritable misère.
 
Le métier de chasseur de primes était difficile, mais il rapportait souvent beaucoup, pour peu que l?on fût le premier sur l?affaire. Certains brigands pouvaient ramener jusqu?à une ou deux pièces d?or. Il en avait même vu un monter à six. Mais les affaires étaient calmes en ce moment. Il fallait croire que personne ne souhaitait de mission complexe. Plus aucun brigand ne faisait parler de lui, plus aucun rebelle ne menaçait de terres seigneuriales, plus aucun noble ne s'était fait voler ses économies. Cela faisait bien un mois qu?il n?avait reçu aucune demande. Si cela continuait, Comeral et lui allaient devoir finir par accepter des missions de garde du corps pour gagner leur vie. Il y avait une forte demande, en ce moment. Beaucoup de riches marchands, et même beaucoup de simples négociants, semblaient être de plus en plus inquiets pour leurs commerces. Ils recrutaient à tour de bras, mais la paye était médiocre, et le métier ennuyeux.
Non, Eleon préférait de loin le plaisir de la chasse.
"Désolé d'avoir tardé"
 
Comeral s?assit à sa gauche, pour pouvoir comme lui avoir le dos au mur. Il posa contre la cloison l?épée gigantesque, presque grande comme lui, qui faisait sa réputation, et se fendit d?un sourire roublard. "Une fille de taverne peu farouche, et qui pour une fois ne demandait pas d?argent. C?est rare."
Eleon s?autorisa un petit rire.
"Et tu t'es réveillé avec ta bourse vide, je suppose ? C'est une de leurs astuces les plus évidentes !"
"Pour qui tu me prends ? Bien sûr que non, elle a simplement fondu devant mon regard ténébreux et mon visage d'ange. Tu ne peux pas comprendre, Eleon. Tu es né avec une face de rat et des yeux niaiseux."
"Ha ! C'est toi qui ose me dire ça, tête de chameau ?" Son sourire s'évapora abruptement alors qu'il changeait de sujet. "Alors, quoi de neuf ?"
"Les broutilles habituelles. Un cocu veut abattre l'amant de sa femme. Il offre une misère. Une pièce d'argent et douze de cuivre. L?amant en question cherche à lui retourner la politesse, et il offre un peu plus. Deux pièces d?argent, et un verre à la santé du défunt."
"C'est l'amant qui vivra vieux, et qui épousera la veuve" prophétisa Eleon. "Mais quelqu'un d'autre se chargera de ça. Trop mal payé, trop commun. Rien d'autre ?"
"Rien de vraiment intéressant. Un gamin du quartier maudit offre une récompense de trois pièces d'argent pour retrouver l'assassin d'une jeune fille."
"Trois pièces d'argent, eh ? Ca pourrait presque en valoir la peine. Mais c'est un travail d'enquête, ça risque d'être long. Ca m'ennuie d'avance." Il soupira. "Nous sommes des chasseurs de primes, Comeral. Les meilleurs du pays. Ca ne devrait pas se passer comme ça. On ne devrait pas être en train de collecter des rumeurs stupides dans les tavernes. C'est lassant, et ça ne mène à rien."
"Tu as combien d'argent sur toi ?" s'enquit Comeral avec le sourire.
"Quelques pièces de cuivre. De quoi tenir une nuit, deux peut-être?"
"Eh bien tu as ta réponse. On reste dans les tavernes à écouter les rumeurs, comme tu dis, parce que même deux pièces d'argent nous feraient du bien."
 
Eleon se renfrogna. Il posa son doigt sur la table et dessina un pendu dans la bière qui la maculait.
"Voilà où ça nous mène, de travailler honnêtement. Je te le dis, on devrait se mettre à détrousser les gens au détour des ruelles. Ca paierait mieux"
"Hors de question."
"Comeral, je sais que tu as ton honneur de gladiateur, et toutes ces stupidités, mais?"
Le grand gaillard se pencha en avant, une lueur dangereuse dans les yeux.
"J'ai dit non. J'ai ma fierté. Nous sommes des chasseurs de primes, et nous le resterons jusqu'à ce que?"
 
Il s?interrompit alors que la porte de la taverne s?ouvrait violemment. Elle heurta le mur avec un bruit sourd.
Personne n?agissait ainsi au Couteau Tranquille, s?il tenait à la vie. Avant même que le bruit ait fini de résonner dans les oreilles d?Eleon, six videurs aux massues imposantes sortaient des alcôves dans lesquelles ils patientaient, pour intercepter le ou les perturbateurs. Mais le sifflement d?un carreau d?arbalète se fit entendre, et ils s?immobilisèrent, indécis.
"Faites place !" hurla une voix, alors qu'une dizaine de gardes s'introduisaient dans l'établissement sans le moindre égard, renversant les tables sur leur passage. "Faites places et écoutez, vermines lubriques et purulentes !"
Le personnage qui progressait dans la haie de gardes n?était pourtant pas très impressionnant. Vêtu d?un lourd manteau à capuche qui dissimulait à moitié son visage, il avançait d?un pas emprunt de vanité jusqu?au centre de la salle. Les gardes se déployèrent autour de lui, épée au poing.
 
"Qui est-ce ?" chuchota Eleon. "Tu le connais ?"
"Un homme de main quelconque qui cherche à se rendre important, je dirais" fit Comeral en souriant. "Je crois même que j'ai déjà vu sa sale bobine quelque part, même si je ne peux pas en être sûr, pas tant qu'il continue à se cacher la moitié du visage comme ça.
La taverne bruissait de murmures, mais les bruits habituels s?étaient tus, les chants s?étaient taris et les verres s?étaient reposés. Tous à présent tendaient l?oreille pour comprendre ce qui se passait et entendre ce que le nouveau venu avait à dire. La pièce sentait la violence alors que les mains se déplaçaient doucement vers les dagues et les gourdins, au cas où ces hommes étaient venus leur chercher des noises.
 
"Ecoutez-moi tous !" hurla l'homme, sans que ce fût nécessaire tant l'attention de la taverne était palpable. "Nous recherchons deux dangereux criminels qui ont causé beaucoup de tort à mon maître ! Nous recherchons deux voleurs aux multiples forfaits !"
Quelques cris et huées firent échos aux paroles de l'homme ? beaucoup de clients de la taverne avaient déjà volé ou tué eux-même ? et certains se reculèrent dans l'ombre, comme inquiets qu'il s'agisse d'eux. Mais d'autres se rapprochaient avidement pour écouter. Eleon était de ceux là. Toute cette introduction sentait bon l'argent. Non, l'or.
"Qu'est-ce que tu recherches, Balorn ? Ne nous fais pas languir !" lança Comeral, les yeux rieurs, s'appuyant sur sa gigantesque épée comme s'il s'agissait d'un dossier de chaise. "Contre quels petits rats est-ce que tu as un différent aujourd'hui ?"
 
Celui qu'il avait appelé Balorn leva des yeux haineux de sous l'intérieur de son capuchon, furieux qu'on ait interrompu sa tirade. D'un geste, il aurait pu ordonner aux gardes de saisir le perturbateur, mais deux choses le retinrent. D?une part, un combat ici ne pouvait que dégénérer en émeute. D?autre part, Comeral aurait parfaitement été capable de tailler en pièces sa petite escorte par lui seul. Avec un rictus de colère, Balorn abandonna cette idée.
"Je vois que tes affaires vont bien, Comeral. Autrefois, tu mangeais à la table des ducs, et les femmes de la cour te voulaient dans leur lit. Maintenant, regarde-toi ! Je suis sûr que tu vas faire tout ce qui est en tout pouvoir pour remplir ce contrat avant les autres chasseurs de primes de la salle, alors ne fais pas semblant de ne pas être intéressé !"
 
Les mains du géant se crispèrent sur son épée, mais il ne bougea pas. Il avait toujours été lent à la colère, et la curiosité était trop forte.
"Bien sûr, que je suis intéressé, face de truie. Intéressé par savoir si tu vas quitter cet endroit vivant ! Alors dépêche-toi, et dis-nous qui est-ce que tu veux voir mort"
"Et surtout, combien vous payez" rajouta Eleon avec un sourire cauteleux. "Messire."
Balorn serra les dents. Son visage était agité de tics nerveux alors qu'il avançait dans la pièce, les gardes se déplaçant autour de lui comme un bouclier vivant.
"Je vais vous distribuer les portraits de vos cibles. Un homme, et une femme. L'homme s'appelle Malek, et la femme Shareen. La prime sera versée contre une preuve de leur mort"
Les grossiers dessins passèrent de main en main alors que Balorn les distribuait. Au fur et à mesure, les murmures de conversation s?intensifièrent dans la pièce. L'incrédulité se peignait sur la plupart des visages. Encore une fois, ce fut Comeral qui résuma le sentiment général.
"Ce sont des gamins !"
"Finement observé, Comeral. Ce sont effectivement des enfants. Et comme nous savons à quel point vous tous ici avez de la tendresse pour les enfants, nous avons décidé d'adapter la récompense en conséquence.
Balorn plongea la main dans sa poche. Lorsqu'il la ressortit, une pièce d'or brillait entre ses doigts. Dans le Centre-Ville, c?était un véritable appel au meurtre que de se promener avec une telle somme sur soi. Cela eut au moins le mérite de faire taire les conversations et d?étouffer les rires.
"En plus des deux personnes que vous voyez ici, une troisième voyagera probablement avec le groupe. Un adulte, cette fois. J'espère que ça te rassure, Comeral." Son sourire se fit déplaisant. "La récompense est la suivante: une pièce d'or par enfant, huit pièces d'or pour l'adulte."
 
Cette fois, la salle rentra en ébullition. Une pièce d'or représentait déjà une somme phénoménale, capable de nourrir une famille entière pendant près de six mois. Mais dix pièces d'or ! On n'avait jamais vu ça ! Comeral balaya la foule du regard et soupira. Les derniers scrupules des assassins avaient fondu sous l'importance de la somme. Personne ici n'aurait de remords.
"Qui est l'adulte ?" demanda brutalement un des hommes attablés près du comptoir. "Pourquoi autant pour sa tête ? Pourquoi tu n'as pas de portrait de lui ? Qu'est-ce que tu nous caches ?"
"Une question à la fois, messieurs" fit l'émissaire souplement. "Nous ne sommes même pas sûr que les enfants auront quelqu'un avec eux. Mais si c'est le cas, ce sera leur garde du corps. La récompense est importante, parce que cet homme sait se battre. N'essayez pas de l'attaquer seul et de front, vous perdriez"
"Je sais me battre, petit noble" cracha l'homme qui avait parlé.
"Lui aussi. Lui aussi. Mais fais ce que tu veux, après tout. Les méthodes importent peu, tant que vous me ramenez sa? leur tête"
 
Eleon se renfonça dans sa chaise, pensif.
"C'est qui, ce gars ? Tu as l'air de le connaître ?" siffla-t-il à l'oreille du géant.
"Un homme de main de Semos, le maître de l?Académie. J?ai joué aux cartes quelques soirs avec lui. Un mauvais joueur, par ailleurs, incapable de bluffer. Mais j?ai bien l?impression qu?il joue trop gros, aujourd?hui. Regarde." Plus fort, pour que la salle l?entende, il ajouta : "Hey, Balorn, qu?est-ce qui nous empêche de venir piétiner tes misérables gardes et de nous emparer de l?or que tu nous as montré ? Une pièce d?or dans la poche valent mieux que dix dans la nature !"
Quelques gros bras, dans la foule, manifestèrent leur approbation, et les gardes levèrent nerveusement leur lance. Ils portaient tous une solide cuirasse, et c'étaient des combattants entraînés, mais ils savaient qu'ils n'auraient aucune chance si toute la salle se levait contre eux. L'un d'eux se lécha machinalement les lèvres, avant de réajuster un casque qui n'avait pas besoin de l'être.
" Je suis ici par la volonté de Maître Semos" couina Balorn, manifestement terrorisé. "Si jamais vous osez me toucher, il fera appel à la totalité de la garde pour raser cette taverne, et vous traquera tous jusqu'au dernier ! Vous savez qu'il est rancunier !"
"Et voilà" fit Comeral en se rasseyant, un demi-sourire aux lèvres. "Je t'avais dit que c'était un mauvais joueur. Il dévoile tout de suite ses cartes?"
Eleon resta un instant perdu dans ses pensées. Sa main suivait le contour de la seule pièce d?argent qu?il lui restait.
"Quelque chose n'est vraiment pas clair, dans son histoire, mais il n'a pas l'air de vouloir en dire plus. J'ai l'impression que ce fameux garde du corps risque de poser de gros problèmes. Semos n'est pas quelqu'un de généreux. S'il offre une telle récompense, c'est qu'il a vraiment l'intention que tous les chasseurs de primes de Musheim et d'ailleurs soient sur le coup. Je me demande ce que cet homme lui a fait?"
"Et les enfants ?"
"Probablement accessoires. Je ne sais pas." Eleon haussa les épaules. "Pour dix pièces d'or, je suis prêt à assassiner qui il veut. Qui que soit ce garde du corps, il est déjà mort"
Comeral haussa un sourcil.
"A ce prix là, l'homme doit être très bon. Ce ne sera peut-être pas facile de le battre. Tu en es conscient ?"
Eleon eut un sourire carnassier. Il referma son poing, l?ouvrit et, soudain, deux dagues se balançaient sur ses doigts, en équilibre sur la pointe.
"Qui a parlé de le combattre ? Il s'agit simplement de le tuer."

n°2008265
lennelei
Posté le 08-02-2004 à 14:10:30  profilanswer
 

bon, alors c sur que g pas tout lu :) mais le début avait l'air prometteur...
 
par contre, si tu veux le publier, c ptet pas très bon de tt mettre en ligne ?
 
(c'est pas que je m'en plaigne, c pour toi ;))

n°2008416
Freekill
Electron libre…
Posté le 08-02-2004 à 14:42:06  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :

Bleh, on dirait que plus grand monde ne suit ;) Je savais que ça deviendrait difficile lorsque les chapitres s'accumuleraient... ça détruit les yeux de lire comme ça sur un écran  :D  


 
Ce n'est pas vrai qu'on ne suit plus, d'ailleurs on n'a pas eu notre chapitre hier ! :o
 
;)


---------------
Faux & usage de faux ¤ Machins roses ¤ ASCIImage ¤ HFR Enhance v0.8.6
n°2009536
Damrod
Posté le 08-02-2004 à 18:48:28  profilanswer
 

vi on était en manque : faudrait deux chapitres pour compenser.
 
sinon plus que jamais present et fidèle lecteur.  

n°2010661
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 08-02-2004 à 21:15:03  profilanswer
 

Oui, désolé pour l'absence de chapitre hier, mais c'est vrai que je n'étais pas vraiment disponible. Dans la semaine, le rythme devrait être plus soutenu  :D  
 
Par contre, j'ai un vieux coup de stress en ce moment. La semaine prochaine, j'enverrai le premier tome aux différentes maisons d'éditions, avec l'espoir fou d'être publié. Ca me noue vraiment l'estomac, parce que les probabilités sont vraiment faibles...
 
Je pensais le faire parvenir à:

  • Bragelonne
  • Atalante
  • Mnemos
  • Nestiveqnen (si ça existe encore ?)


Je voudrais donc vous poser déjà la question qui me brûle les lèvres: à votre avis, est-ce que vous pensez que ce que vous avez lu jusqu'à maintenant (correction faite des erreurs déjà signalées) a une chance d'être publié, ou bien est-ce que je me monte complètement la tête ?

n°2012041
Profil sup​primé
Posté le 09-02-2004 à 00:47:20  answer
 

Oh my god, mais il est partout :D.
 
Je n'ai pas pu éviter de lire quelques passages, et j'étais pété de  rire. A mon humble avis, oublie de suite l'Atalante. Les autres, je pense que tu peux oublier aussi, mais sait on jamais :D
 
Ce que j'ai lu n'a (toujours à mon avis) aucune chance d'être édité. Ceci dit, il y a probablement des choses bien pires qui l'ont été. Bonne chance, donc.
 
Ciao,
LoneCat

n°2012053
jeunejedi
Posté le 09-02-2004 à 00:50:26  profilanswer
 

LoneCat a écrit :

Oh my god, mais il est partout :D.


 
ah bon ou ca aussi? [:ddr555]
 
sinon tu as été membre d'un comité de lecture, qqchose comme ca?

mood
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