Palsambleu et cornegigouille !
J'ai beau faire attention, les fautes de syntaxe et de grammaire viennent quand même se loger dans les phrases les plus fourbes
Bon, je vous mets le chapitre III
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La pomme avait un goût acide sous la dent. Elle avait surtout le goût des dizaines d'autres pommes qui avaient parsemé ce voyage. Autrefois, dans une autre vie, Shareen avait aimé ce fruit. Maintenant, elle était obligée de se forcer pour terminer la sienne, fourrant les quartiers dans sa bouche et mâchant avec application. Le quignon de pain subit le même sort, bien qu'il fût déjà dur et rassis depuis deux jours.
"Malek?" commença-t-elle lorsqu'elle eut fini.
"Si c'est pour me demander si on arrive bientôt, je ne peux pas te répondre"
Shareen referma la bouche et retomba dans un silence boudeur. C'était bien ce qu'elle avait eu l'intention de dire, mais ce n'était pas une raison pour le lui faire remarquer aussi grossièrement ! Après quelques minutes passées à lancer des regards furibonds dans le dos du jeune homme sans qu'il la remarque le moins du monde, elle se décida à se détendre de nouveau sur sa selle. Le voyage était déjà assez douloureux pour elle sans qu'elle en rajoute en se tenant aussi droite et inflexible sur la selle.
Cela faisait quatre jours, bientôt cinq, qu'ils voyageaient dans ces plaines gelées, sans apercevoir âme qui vive. Les fermes s'étaient raréfiées au fil du temps, jusqu'à disparaître complètement. Où qu'elle porte son regard, elle ne pouvait voir la moindre colonne de fumée qui annoncerait une cheminée, donc une habitation. Au point où elle en était, elle aurait poussé des cris de joie en apercevant la moindre masure ! Mais il n'y avait rien, rien que la neige, et le vent, et le froid. Le ciel arborait en permanence des teintes grisâtres extrêmement déplaisante, et la neige ne voulait pas cesser de tomber depuis cette fameuse première nuit. Machinalement, Shareen vérifia que son capuchon était bien en place. Son manteau ne la protégeait pas contre le vent de face, mais il offrait une maigre protection à ses oreilles, et c'était déjà une bonne chose.
"Tu ne crois pas qu'on devrait faire demi-tour ?" balbutia-t-elle, se raidissant pour le reproche qui n'allait pas manquer de suivre.
Malek se retourna lentement. Il avait l'air un peu perdu, ainsi. Le givre rendait ses sourcils blancs, et ça lui donnait un visage comique alors qu'il les fronçait de réflexion.
"Je commence à me le demander. Il n'y a rien, par ici, en dehors de cette stupide route. Personne ne vit par ici. Ce Château Bertholdton m'a l'air d'être une foutue invention de Deria. Ha ! C'est vraiment ridicule !"
Shareen se recroquevilla sur sa selle. Il n'avait pas l'air particulièrement en colère, mais il ne jurait jamais, d'habitude. Ca devait vouloir dire qu'il était très perturbé.
"Alors? on oublie tout ça, et on rentre ?" murmura-t-elle timidement.
"Je ne sais pas. Peut-être." Il esquissa un sourire fatigué. "On continue jusqu'à la nuit, et nous ferons demi-tour demain ? Ca te va ?"
La jeune fille lui rendit son sourire. Elle savait depuis longtemps que Malek était quelqu'un de généreux et de compréhensif, mais elle venait d'en avoir la preuve.
"Bien sûr ! Nous?"
La plainte d'un cor de chasse dans le lointain la fit sursauter. Sa jument fit quelques pas de côté, nerveuse, et elle manqua lâcher les rênes dans sa surprise.
"Qu'est-ce que c'est que ça ?"
Malek avait déjà tiré son épée, et son expression était sombre. Plus trace du sourire qui l'avait illuminé quelques secondes auparavant.
"Je ne sais pas, mais je n'aime pas ça. Nous devrions essayer de nous abriter quelque part, pour savoir de qui il s'agit ?"
Shareen frissonna.
"Tu penses que ça peut être des ennemis ?"
"Des ennemis, je ne sais pas. Mais sur la carte, il y avait marqué Barbares, tu te rappelles ? Je ne veux pas prendre de risque. Pas avec toi"
En temps normal; Shareen aurait été reconnaissante de cette attention, mais la terreur la paralysait entièrement. Elle déglutit avec peine. Sur la carte, ce n'était qu'un mot écrit négligemment à l'encre. Ici, ce mot prenait tout son sens.
"Tu? tu crois qu'ils sont plusieurs ?"
"Je suppose, sinon ils n'utiliseraient pas un cor." Ses yeux bondissaient d'un arbuste à l'autre, comme si une armée entière avait pu se cacher derrière les maigres feuilles. Soudain, il se tendit. "Là !"
Shareen plissa les yeux dans la direction qu'il indiquait, et son c?ur bondit dans sa poitrine. Juste en haut d'une colline neigeuse, une dizaine de cavaliers venaient de faire irruption. Le cor sonna à nouveau, et les nouveaux venus trottèrent vers les deux jeunes gens.
"Qu'est-ce qu'on fait ? On fuit ?"
Shareen était particulièrement fière de sa voix qui ne tremblait pas. Mais lorsque Malek répondit, le chevrotement dans la sienne acheva de saper son courage.
"C'est trop tard. Nos montures sont déjà fatiguées, nous ne pourrons pas les distancer. Autant voir ce qu'ils nous veulent"
Comme s'il réalisait pour la première fois qu'il tenait son épée à la main, il la fit glisser avec réticence dans son fourreau. Shareen acquiesca mentalement. L'arme ne lui servirait à rien contre autant de monde, et c'était faire montre de bien peu de diplomatie que d'accueillir des inconnus avec de l'acier à la main. D'un autre côté, elle se serait sentie plus rassurée si elle tenait sa propre épée. C'était un véritable effort de volonté que de la laisser au fourreau.
Lentement, les cavaliers se rapprochèrent. Huit hommes en tout, qui vinrent se déployer en cercle autour d'eux. Pour la seconde fois, Shareen déglutit. Ces hommes formaient un spectacle effrayant.
Tous portaient de vieilles armures de maille de mauvaise qualité, maintes fois déchirées, maintes fois recousues. Leurs surcots étaient salis par la chevauchée, et leurs capes couleur d'urine méritaient à peine le nom tant elles étaient effilochées. Pourtant, dans la main de chacun d'eux se trouvait une lance, et un bouclier dans l'autre, et un arc sur le dos, et une épée à leur flanc, et une dague à leur ceinture. Leurs yeux étaient aussi froids que le climat qui les entourait. Il y avait en eux une dureté, une violence contenue réellement effrayante. Lorsque Shareen s'imaginait des meurtriers, c'était à ce genre d'hommes qu'elle pensait.
"Bonjour !" fit Malek lorsqu'ils arrivèrent à portée de voix. Il tendit ses mains vides pour montrer ses bonnes attentions, et arbora un sourire engageant. "Nous venons en paix"
Seul le silence lui répondit. Un cheval s'ébroua, un autre éternua. Dans une immobilité de statue, les guerriers regardaient les deux jeunes gens.
"Nous cherchons Château Bertholdton" tenta-t-il de nouveau. "Est-ce que nous sommes dans la bonne direction?"
Cela, au moins, leur arracha une réaction. Un des hommes fit avancer sa monture d'une douce pression sur les flancs, et s'approcha de Malek.
C'était probablement le chef de la petite troupe, même si aucun insigne ni blason ne venait le distinguer des autres. Il avait le même équipement fatigué, mais le même regard alerte, et l'air de commandement de quelqu'un qui savait se faire obéir. Plusieurs cicatrices zébraient son visage, mais il avait l'air assez jeune. Sans un mot, il leva son bouclier. La peinture s'était écaillée, de nombreux coups de masse l'avaient cabossée, mais l'image était toujours là: l'aigle de feu de l'Empire. Shareen relâcha sa respiration. Elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle l'avait retenu jusqu'à maintenant
"Vous êtes des soldats de l'Empire ?" demanda-t-elle, la voix soudain pleine d'espoir. "Vous venez de Bertholdton ? Vous pouvez nous aider ?"
"Que recherchez-vous, à Bertholdton ?"
L'homme avait une voix grave et profonde, empreinte de certitude et de confiance en soi. Il n'avait pas répondu à la question, mais Shareen n'en avait cure. Le silence était rompu, et c'était le principal. Elle se préparait à expliquer leur mission lorsque Malek avança sa monture de quelques pas.
"Nous sommes à la recherche du seigneur du château, le Seigneur?" Malek marqua une pause en réalisant qu'il ne connaissait même pas son nom. "?de Bertholdton" finit-il misérablement.
Les yeux de l'homme s'étrécirent jusqu'à ne plus être que des fentes. Derrière lui, quelqu'un toussa mais, en dehors de cela, les guerriers conservaient une immobilité totale.
"Et que viennent faire deux jeunes poussins, vêtus comme des guerriers, dans les steppes du Nord ? Nous ne sommes pas une garderie, ici !"
D'un mouvement de lance, il désigna avec mépris la cotte de mailles flambant neuve qui recouvrait le corps des deux jeunes gens. Elles offraient un contraste saisissant avec la sienne, tailladée en maints endroits, qui semblait presque faire partie de son corps.
"Nous avons à faire avec le seigneur des lieux !" répéta Malek, un peu plus fort. Shareen le regarda avec admiration. Il récupérait rapidement son assurance. Plus vite qu'elle.
"Beaucoup de gens ont à faire avec le seigneur" murmura l'homme. "Mais a-t-il à faire avec eux ?"
Brusquement, il se pencha en avant, et sa main s'abattit sur l'épaule de Malek. Avant que celui-ci n'ait pu faire quoi que ce soit, une violente poussée le fit vider les étriers et mordre la poussière. Il roula sur lui-même pour amortir la chute, chercha à se relever, mais une lance se posa délicatement contre sa gorge.
"Il y a une semaine, notre seigneur s'est fait attaquer par des assassins qui se sont introduits dans le château avec la relève mensuelle. Et nous, on trouve que ça n'est pas bien." Les guerriers hochèrent gravement la tête. "Alors, lorsque je vois deux jeunes chiots comme vous perdus dans la steppe, demandant à le voir, je me pose des questions. Oh, des petites questions."
Malek resta muet. Il regardait la pointe de la lance avec des yeux terrorisés. Un millimètre de plus,et le sang giclerait. Shareen prit sa décision.
"Je sais qu'il nous entendra. Nous devons lui dire quelque chose de très important. Comprenez-nous, il faut?"
L'homme haussa les épaules.
"Je suis un de ses capitaines, Bohl. C'est moi qui jugerai si ce que vous avez à dire est important ou non." Il eut un rire rauque. "Tu as intérêt à être éloquente, petite. Sinon, ton ami risque d'avoir quelques soucis. Je ne suis pas aussi habile avec ma lance qu'on pourrait le croire. Parfois, je glisse"
Malek laissa échapper un gémissement, et Shareen sentit quelque chose se briser en elle. Qu'aurait fait Deria dans la même situation ? Elle aurait probablement ri avec bonne humeur, tapé sur l'épaule du guerrier, et suggéré à mots choisis l'endroit où il pouvait se mettre sa lance. Mais Shareen n'avait pas ce genre de courage.
"Ca? concerne sa fille" bredouilla-t-elle. "Nous ét? sommes des amis de sa fille. C'est vraiment important".
Le capitaine fronça les sourcils, soudain incertain.
"Son nom ?"
"Deria. Deria FroidVal"
Il y eut un instant de silence. Puis, d'un seul coup, comme si on retirait un manteau, la tension parut quitter les hommes devant elles, et les lances s'abaissèrent. Visiblement, la réponse leur avait plu. Malek se prit la gorge à deux mains comme pour vérifier qu'elle était encore là. Une goutte de sang perlait à son cou.
"Voilà qui est intéressant" murmura Bohl, regardant les deux jeunes gens d'un air nouveau. "FroidVal, eh ?" Il rit, soudain beaucoup plus détendu. Lorsqu'il riait, la lueur meurtrière disparaissait de ses yeux et ses fossettes se creusaient, lui donnant l'air beaucoup plus jeune. Au début, Shareen lui avait donné plus de trente ans. Maintenant, elle n'en était plus aussi sûre. "Et vous venez de Musheim, alors ? Ha ! Vous avez fait tout ce chemin depuis la capitale pour apporter des nouvelles, eh ? Ca doit être des nouvelles importantes, moi je dis. Sacrément importantes ! Des bonnes nouvelles, j'espère ?" Son ton impliquait qu'il espérait des explications, mais il n'était plus menaçant, presque amical. "Parfait. Ma Damoiselle, mon Seigneur, nous allons vous conduire à notre Seigneur? FroidVal"
Ses hommes rirent avec lui alors qu'il faisait tourner bride à sa monture. Les soldats attendirent patiemment que Malek remonte à cheval, puis se déployèrent en formation lâche autour d'eux, pour qu'il y ait toujours une paire d'yeux pour les observer, tandis que les autres étudiaient l'horizon sans relâche. Visiblement, même si la tension s'était relâchée, on n'allait tout de même pas jusqu'à leur faire une totale confiance.
Quelques minutes passèrent en silence. Malek était perdu dans ses pensées, probablement honteux de ce qu'il s'était passé. Shareen tenta d'engager la conversation, mais il la repoussa, l'air morne.
Le capitaine ralentit un peu, la laissant la rejoindre.
"Votre nom, Damoiselle ?" demanda-t-il, cherchant visiblement à faire preuve de politesse. A la manière dont il grimaçait, il n'y était visiblement pas habitué.
"Shareen, Seigneur Capitaine" fit-elle, heureuse de cette occasion de parler. Après tout, les gens étaient moins enclins à vous menacer avec une lance quand vous aviez discuté avec eux. Du moins l'espérait-elle. "Je? suis une amie de Deria. Nous nous entraînons toujours ensemble"
"J'imagine, j'imagine" murmura le capitaine, avant de retomber dans un silence malheureux. Il n'avait décidément pas le verbe facile.
"Pourquoi vos hommes sont-ils si prudents ?" s'enquit-elle, tentant de relancer la discussion. "On dirait qu'ils ont peur d'une embuscade, ou de quelque chose comme ça ?"
Le capitaine la regarda avec des yeux incrédules, avant d'esquisser un demi-sourire.
"Je vais finir par me poser des questions, si Deria ne vous a pas prévenus avant de vous envoyer tous les deux par ici." Il lança un regard perçant à la jeune fille, mais elle ne réagit pas. "Ces terres sont dangereuses, damoiselle. Elles sont parcourues jour et nuit par des bandes de barbares venues des Terres Inconnues, qui cherchent à rejoindre les fermes plus au sud pour les piller. Vous avez eu beaucoup de chance de nous rencontrer avant eux" Il ricana. "Ce n'est pas avec les épées que vous portez au côté que vous auriez pu vous battre, et ils ne font jamais de prisonnier"
"Je suis première lame de l'académie" marmonna Malek, la voix toujours éteinte. Ses doigts fouillèrent dans son manteau, pour en ressortir avec la petite statuette qui indiquait son rang.
"Oh ?" fit Bohl, montrant un intérêt poli. "Très joli. Mais vous devriez éviter de montrer des objets en argent lorsqu'on vous regarde. Certains d'entre nous vous tueraient pour moins que ça."
Malek essuya une sueur inexistante sur son front, et rangea hâtivement la décoration avant de retomber dans son mutisme.
"Vous ditez que la région est dangereuse, mais? là, avec vous, nous sommes en sécurité, n'est-ce pas ?"
Bohl retourna son attention vers la jeune fille.
"Autant que faire se peut. Les barbares se déplacent rarement à plus de dix, pour passer plus facilement inaperçus. Nous pourrions aisément nous débarasser d'aussi peu d'ennemis." Il annonçait cela avec une confiance absolue. Ce n'était pas vantardise de sa part, simplement un élément objectif de comparaison. "S'ils sont plus, cela risque de poser problème. Mais je ne pense pas que ça arrive."
"J'espère bien que non" murmura Shareen. Déesse Vierge, qu'était-elle allée faire dans cet endroit sauvage ?
"Normalement, tout devrait bien se passer. Nous ne sommes pas loin de la forteresse. A mon avis, nous l'apercevrons avant la nuit."
Le capitaine se trompait. La nuit était déjà tombée, et le ciel commençait à se remplir d'étoiles, lorsque le château se découpa enfin dans le lointain. Shareen poussa un soupir de soulagement en l'apercevant. Ils avaient eu de la chance, finalement, de tomber sur ces hommes. Non seulement le voyage se révélait plus sûr, mais encore, s'ils s'étaient fiés à la carte qu'avait prise Malek, ils seraient probablement passés beaucoup trop à l'ouest du bâtiment.
Pourtant, il était très difficile de le manquer, maintenant qu'on savait où elle était, à flanc de montagne. Plus Shareen se rapprochait, plus elle se rendait compte du travail titanesque qu'il avait fallu abattre pour construire une telle forteresse. Lorsqu'ils arrivèrent enfin au pied des douves, elle entendit Malek siffler d'admiration.
"Quatre murs d'enceintes" murmura-t-il.
Shareen se frotta les yeux, mais il avait raison. Il y avait bien quatre enceintes, de plus en plus hautes, imbriquées les unes dans les autres. C'était au-delà de toute logique ! Cela avait dû demander des années de travail à des centaines, non, des milliers d'esclaves, pour réaliser un tel ouvrage !
Elle se
Elle se préparait à poser la question au capitaine, ne serait-ce que pour relancer la conversation, mais celui-ci lui intima le silence, et produisit un cor des fontes de son cheval. Il prit une grande inspiration, et souffla.
« Qui va là ? » appela une voix, du haut de la première muraille.
« Bohl et sa patrouille » cria le capitaine en réponse. Il fit un geste à l?un de ses hommes, qui leva sa lanterne bien haut pour qu?ils soient en pleine lumière.
Le pont-levis s?abaissa sur les douves gelées avec un grondement sourd et un cliquetis de chaîne. Comme tout le château, il s?agissait d?une porte énorme, épaisse comme trois hommes. Lorsqu?il fut en place, il fallut encore ouvrir deux herses successives pour enfin parvenir au sein de la première enceinte.
« Ca a l?air hospitalier, par ici » grinça Shareen, se demandant de plus en plus où elle se retrouvait. « On sent que vous cherchez tout de suite à mettre le voyageur à l?aise »
Le capitaine se retourna vers elle et faillit sourire, mais il se reprit bien vite. Montrer de l'amusement ne correspondait visiblement pas à l'image impitoyable qu'il souhaitait donner.
« Cette forteresse a déjà fait l?objet de nombreux combats. Mieux vaut un peu d?inconfort plutôt que de retrouver nos familles abattues »
Shareen croisa le regard de Malek, qui haussa les épaules, aussi hébété qu'elle. Ni l'un ni l'autre n'avaient rien à dire devant cela, et ils se laissèrent conduire au travers des différents murs comme des moutons, jusqu'à atteindre le c?ur de la citadelle.
Ils croisèrent plusieurs hommes d?armes, qui vaquaient à leurs occupations, fourbissaient leurs armes, discutaient dans un coin, parfois jouaient au dé ou aux cartes. Mais aucun ne se séparait de son épée ni de sa lance, et ils avaient tous l?air de loups au repos. Jamais Shareen n?avait senti une telle violence contenue dans les soldats qu?elle avait pu croiser au sein de l?Empire. Mais il fallait dire que l?Empire, depuis plus de vingt ans, connaissait la paix. C?était sans doute le danger et l?inquiétude qui donnait à ces hommes un regard si dangereux, des yeux si meurtriers. Sans doute.
"Le Seigneur FroidVal n'est pas encore là, mais il ne devrait pas tarder" observa Bohl en mettant pied à terre."C'est habituellement l'heure du retour des patrouilles, et?" La plainte d'un cor de chasse se réverbéra le long des murs couverts de moisissure, et le bruit d'une herse que l'on relevait parvint jusqu'à eux. "Ah. Lorsqu'on parle du loup?"
Shareen tendit l'oreille. Elle pouvait maintenant entendre des sabots claquer sur le sol pavé.
"C'est lui qui rentre ?"
Il ne faisait aucun doute qui était ce lui, et Bohl ne s'y trompa pas.
"Oui, je crois que tu n'auras plus très longtemps à attendre, petite. C'est la patrouille du nord qui revient"
Malek fronça les sourcils, montrant pour la première fois un intérêt à la discussion.
"La patrouille du nord ?"
"Oui. Aujourd'hui, j'étais de la patrouille du sud, celle qui surveille les terres gelées en dessous du château, et qui reçoit les émissaires de l'Empire. Parfois, nous avons à affronter quelques pillards barbares qui ont réussi à se faufiler dans l'Empire. Mais le vrai danger, il vient des contrées du nord. La patrouille sort tous les jours pour essayer de détecter des signes d'activité inhabituelle, et je peux te dire que ce n'est pas une partie de plaisir !" Bohl frissonna, et resserra les pans de son manteau contre son armure. "Je ne sais pas si c'est mon imagination, mais j'ai toujours l'impression qu'il fait beaucoup plus froid dès qu'on s'aventure dans ces terres. Le vent vous mord la peau et vous brûle le visage, et la neige dissimule les ennemis jusqu'à ce qu'ils vous tombent dessus. Foutus barbares ! J'espère que vous n'y mettrez jamais les pieds, les gamins. C'est vraiment un coin désagréable?"
"Je veux bien vous croire" marmonna Shareen. Elle aussi remonta le col de sa capuche, comme si elle avait pu sentir le vent dont parlait le capitaine. Il faisait froid, elle avait faim, elle était nerveuse, et elle n'avait qu'une seule envie, ne jamais avoir entrepris ce stupide voyage ! Déesse Vierge, si un homme comme Bohl trouvait les terres du nord inhospitalières, alors il devait s'agir d'un véritable enfer !
Le roulement de sabots se fit plus insistant. Shareen leva les yeux à temps pour voir une vingtaine d'hommes arriver dans la cour au petit trot. Ils étaient tous vêtus pour la guerre. Un arc et un carquois reposaient d'un côté de leur selle, une lance de l'autre, et une épée se balançait à leur côté. Comme Bohl et sa patrouille, ils portaient tous un lourd manteau blanc au-dessus de leur cotte de mailles, qui devait leur permettre de se dissimuler dans un paysage neigeux. Shareen déglutit en voyant leurs mines patibulaires. Voleurs, brigands, hors-la-loi, il se dégageait d'eux comme une aura de violence presque palpable. L'un d'entre eux paraissait particulièrement mauvais. A la différence des autres, son visage ne portait aucune cicatrice, mais ses yeux étaient froids, le pli de ses lèvres cruel. Et Shareen sut qu'elle regardait le baron Harrel.
Il mit pied à terre souplement, puis se dirigea vers elle d'un pas tranquille. Il prit le temps d'ôter ses gants blancs et de les glisser soigneusement à sa ceinture avant de les détailler des pieds à la tête.
"Bohl, qui sont ces gens ?" fit-il doucement.
Shareen déglutit. Il avait des yeux terrifiants, des yeux de meurtrier, des yeux de tueur. Ce n?étaient que deux épingles remplies de nuit qui restaient fixées sur les deux jeunes gens, les laissant les jambes flageolantes. Dex yeux noirs que le sourire qu?il arborait pour les mettre à l?aise ne touchaient pas. Des yeux qui les jaugeaient, les jugeaient, les pesaient, les appréciaient, les mettaient à nu, comme pour déceler si ils représentaient un danger ou non, et s?il convenait de les tuer ou non.
Bohl lui-même déglutit devant ce regard, et recula d'un pas avant de reprendre.
"Ce sont des amis de votre fille. De Deria? FroidVal. Ils viennent de Musheim pour vous voir"
Le baron haussa un sourcil ironique.
"Tiens donc ? Des amis de ma fille qui viendraient me visiter ?"
Faisant appel à toute sa volonté, Shareen parvint enfin à baisser les yeux et rompre le contact visuel. Elle se sentait épuisée, comme si, par un simple regard, l'homme avait absorbé toutes ses forces, la laissant pantelante. Enfin, elle put détailler plus en détail le père de son amie.
Il n?était pas particulièrement grand, ni particulièrement petit. Maintenant qu'il s'était débarassé de son manteau, il portait un pourpoint de velours noir sans manche, qui laissaient apparaître des bras noueux et musclés, desquels la graisse semblait totalement absente. Le froid ne paraissait pas l'affecter alors que le vent balayait la cour. Son visage était également mince, en lame de couteau, les traits durs et profondément marqués. Peut-être avait-il été beau, autrefois, mais le temps semblait avoir martelé son visage comme le marteau d'un forgeron, façonnant ses traits dans l'acier jusqu'à obtenir un visage tout en angles, sans la moindre douceur. Il avait des cheveux blonds, comme sa fille, mais ceux-ci tournaient au gris à certains endroits, seul signe de son âge. Il était mal rasé, et les poils qui lui mangeaient la bouche étaient gris, eux aussi. Il était effrayant.
"Oui, je? Malek, je suis Malek?" balbutia Malek en réponse à la question. Shareen lui lança un regard. Il avait l'air d'avoir autant de mal qu'elle à soutenir ce regard. "Je?"
"Vérifie qu'on s'occupe bien de mon cheval, Bohl. Je monte dans mes appartements. Les gamins viennent avec moi"
Sans attendre la réponse du capitaine, ni regarder si les jeunes gens suivait, le baron se détourna et se dirigea à grands pas vers le donjon. Ils n'eurent d'autre choix que de courir pour le rattraper. Il avançait rapidement, le pas élastique, en équilibre constant, comme s'il se préparait à bondir.
Ils montèrent un escalier, puis un autre. Les couloirs étaient sombres et froids, dépourvus de la moindre ornementation. C'était un château lugubre, et ce fut presque un soulagement que d'arriver dans une chambre meublée, même si elle l'était aussi pauvrement que celle-ci.
Des tentures ocres frappées de l?aigle de l?Empire recouvraient la fenêtre ouverte, flottant doucement dans le vent de la nuit. Il y avait un lit dans un coin de la pièce, plusieurs coffres sobrement ouvragés, un tapis sur le sol, et une table sur le tapis. Un râtelier d'armes sur le mur ouest offrait un assortimenth hétéroclite de haches, d'épées, de lances et de masses d'armes. Trois chaises étaient dispersées dans la salle, de simples chaises en bois et en paille tressée, qui auraient plus été à leur place dans la demeure d?un paysan que dans celle d?un seigneur. Le lit était soigneusement fait, les papiers sur la table classés en petits tas nets, les armes soigneusement entreposées. Tout ici dénotait d'un soin maniaque. Sans savoir pourquoi, Shareen frissonna.
"Prenez un siège" fit l'homme en s'asseyant lui-même. "Et parlez-moi de ma fille."
Il croisa les jambes et attendit. Le sourire qu'il arborait ne touchait pas ses yeux..
Malek gémit intérieurement. Il ne s'attendait certainement pas à ce que le père de Deria ressemble à? à ça ! S'il avait su, jamais il n'aurait entrepris ce voyage stupide, jamais il n'aurait emmené Shareen avec lui dans ces contrées désolées. Le froid, la neige, l'épuisement? tout ça pour ça ?
"C'est.. difficile à dire?" murmura-t-il finalement, reportant son regard sur la cheminée au fond de la pièce.
L'homme haussa les épaules comme si cela ne le concernait pas.
"Ca, c'est votre problème. Vous avez voyagé longtemps, tous les deux, pour venir ici. Vous n'êtes pas arrivés là par hasard. Personne n'arrive à Château Bertholdton par hasard."
Malek commençait à se le demander, justement. Les dents serrées, il restait raide sur sa chaise. Les mots ne parvenaient pas à sortir tant que l'homme le contemplait. Encore une fois, ce fut Shareen qui prit la parole.
"Je? J'étais la servante de votre fille. Et Malek était? un ami. Nous venons de l'Académie de Musheim"
Un tic nerveux agita la joue du seigneur.
"Etais ?"
"Elle est morte" Shareen déglutit, les yeux baissés. "Elle a été assassinée. Je suis? désolée"
Elle resta ainsi prostrée, attendant une réponse qui ne venait pas. Malek ne prononçait pas un mot, et le seigneur ne réagissait pas. Hésitante, elle finit par lever la tête pour observer sa réaction.
"Laissez-moi" fit-il simplement, lorsqu'elle croisa son regard.
Ses yeux étaient humides. Une larme coulait doucement le long de sa joue, comme si elle ne savait pas ce qu'elle faisait là, comme si cet homme n'avait jamais appris à pleurer. C'était étrange, cette larme unique sur ce visage ravagé, qui roulait le long des cicatrices comme s'il s'était agi du lit d'anciennes rivières. D'un revers de main, il la sécha, et l'enchantement se brisa.
"Laissez-moi !" hurla-t-il de nouveau. Sa main alla chercher l'épée sur la table, et elle sortit de son fourreau avec un sifflement menaçant. "Sortez d'ici tout de suite !"
Il abattit son arme à deux mains sur la table, et la lame acérée s'enfonça de plusieurs pouces dans le bois. Un craquement sourd se fit entendre alors que la table cédait.
Epouvantée, Shareen recula sur sa chaise et tomba sur le sol. Malek, pâle comme un linceul, l'aida à se relever, puis à reculer de quelques pas, jusqu'à être dos à la porte. Il ouvrit la bouche, cherchant à trouver les mots pour calmer le père de Deria, mais les yeux du possédé se posèrent sur lui et le vidèrent de nouveau de tout son courage.
"Laissez-moi !" cria pour la troisième fois l'homme, tendant son épée vers eux. D'un bond, il enjamba les ruines de sa table. "Laissez-moi !"
Malek obéit rapidement et s'enfuit de la pièce, Shareen sur ses talons. Grinçant des dents, il ferma la porte derrière eux, et s'adossa de tout son poids dessus. La sueur perlait à son front. Des spasmes incontrôlables agitaient ses mains.
"M? Malek" balbutia Shareen.
"Tout? tout va bien. Tout se passe bien" Le jeune homme respira profondément, puis remit de l'ordre dans sa coiffure d'une main tremblante. Ses joues étaient rouges, mais de honte ou de colère, Shareen n'aurait su le dire. "Nous ne nous sommes pas enfuis. Il ne nous a pas fait peur. Nous sommes partis de notre plein gré, pour laisser pleurer un père en paix. N'est-ce pas ?"
"Mais?"
"N'est-ce pas ?"
Shareen baissa les yeux.
"Oui, oui. Bien sûr"
"Non !" rugit Malek. "Non ! Nous avons fui comme des lâches, voilà ce qu'il s'est passé ! Le père de Deria est un fou furieux au regard meurtrier, voilà ce qu'il s'est passé ! Et je ne resterai pas une seconde de plus dans cet endroit. Viens, Shareen. Nous avons fait ce que nous avions à faire, et beaucoup plus."
La jeune servante hésita un instant alors que Malek commençait à descendre l'escalier d'un pas décidé.
"Tu es? sûr qu'ils vont nous laisser partir ?"
"Qu'ils essaient !" rugit Malek. "Je vais les?"
La porte s'ouvrit de nouveau, renfonçant les mots dans sa gorge. Shareen leva les yeux, et gémit doucement. Il n'y avait plus traces de larme ni de tristesse sur le visage de l'homme. La violence le recouvrait comme un manteau. Pourtant, sa voix était étonnamment calme.
"Lorsqu'on me traite de fou furieux, il vaut mieux éviter de le faire en criant, et devant la porte de ma chambre" fit-il tranquillement. "Remonte. Et venez tous les deux, j'ai à vous parler"
Il tourna les talons, sans même vérifier que son ordre était obéi. Pour sa part, Shareen n'avait pas l'intention de défier cet homme. Elle rassembla son courage et pénétra de nouveau dans la petite pièce. Malek se mordit la lèvre un instant, étouffa un juron, puis revint sur ses pas et suivit le même chemin. L'homme resta à les regarder, assis calmement sur son fauteuil, comme s'il n'y avait pas une table dévastée devant lui.
"Quand et comment est-ce arrivé ?" fit-il doucement. "Racontez-moi tout"
"Vous n'auriez rien à boire ?" murmura faiblement le jeune noble. "Je crois que? j'en aurais besoin"
"De l'eau ?"
"Je? préférerais quelque chose de plus fort"
"Je n'ai que de l'eau"
Malek grimaça.
"Alors je suppose que ça ira" Il s'empara de la flasque que lui tendait l'homme et but avidement. Il n'avait pas vraiment soif, mais le répit était bienvenu. Il prit son temps pour reboucher l'outre et la reposer. "Que vouliez-vous savoir ?"
"Quand, et comment, est-ce arrivé ?" répéta l'homme, comme si aucune interruption n'avait eu lieu.
"Il... y a un mois et demi, environ" fit Shareen. Elle raconta rapidement le banquet, puis la découverte du corps. Au fur et à mesure de son récit, l'homme se tendait comme une corde d'arc. Au moins avait-il reposé son épée. "Mais je n'en sais pas plus. Elle est partie en ville se dégourdir les jambes, comme elle le faisait souvent. Et le soir, elle n'est pas rentrée"
"Le soir même ?"
Shareen baissa les yeux.
"Le soir même"
"Et aucun de vous n'a songé à la suivre ? A la protéger ? Vous faites de beaux amis !" L'homme cracha sur le sol. Shareen n'aurait pas cru possible qu'il prenne un air plus menaçant, mais il y parvint en se penchant vers elle. "Et pourquoi l'Académie ne m'a pas envoyé de message ? Pourquoi est-ce qu'ils m'envoient des gamins comme vous ? Ils devaient le faire, ils en étaient tenus. Je les avais prévenus ! Prévenus ! Je leur confie ma fille, je leur confie ma vie, et voilà ce que?" Il s'interrompit, blême de fureur, et commença à faire les cent pas dans la pièce. "Alors ? J'attends une explication ! Pourquoi l'académie m'envoie-t-elle des messagers comme vous ? Un simple coursier aurait suffi !"
Malek et Shareen se regardèrent. Ils ne s'étaient pas attendus à une rencontre aussi houleuse, et parler contre leur Académie paraissait une hérésie. Shareen secoua la tête, et Malek resta silencieux.
"Je compte jusqu'à trois" siffla l'homme en avançant d'un pas. "Si à trois, vous ne m'avez pas fourni une explication valable, je vous brise le crâne ! Est-ce que c'est bien clair ?"
"Très? clair" déglutit Malek.
Il avait toujours été fier de ses talents d'escrimeur mais, étrangement, l'idée ne lui était même pas venue de se déféndre, ou de protester devant les menaces de l'homme. Car l'homme ne menaçait pas, il promettait. La différence était importante. Ces yeux, noirs et profonds comme la tombe, sentaient la mort et la violence.
"Nous? ne savons pas" finit par avouer le jeune noble. L'homme fit un nouveau pas, et il se rencogna dans sa chaise. "Je vous assure ! La vérité, c'est que tout le monde semble cacher cette mort, à l'Académie, comme s'ils ne voulaient pas que les gens l'apprennent. Il n'y a pas eu de couleurs de deuil, pas de cérémonie ni même d'enterrement. Et je suis certain qu'il n'y a eu aucun message d'envoyé." Il baissa les yeux. "C'est pour ça que nous sommes allés vous voir. Parce que nous trouvions que ce n'était pas normal"
Dehors, le vent se mit à souffler de plus belle. Les rideaux s'agitèrent, mais l'homme restait étrangement immobile.
"Je vois?" finit-il par murmurer. "Je vois?" Lentement, sa main se porta à son flanc, et il remonta son pourpoint de quelques pouces. Shareen alla pour détourner les yeux, mais elle ne termina pas son mouvement.
Sous le vêtement, une méchante cicatrice zébrait le ventre, les séquelles d'un coup d'épée. La blessure était encore agressive et rouge. Elle n'était certainement pas vieille.
"Qu'est-ce qu?qu'est-ce qu'il vous est arrivé ?"
L'homme soupira.
"Six hommes me sont tombés dessus dans ma chambre, il y a une semaine. Je les ai tués, mais ils ont réussi à me blesser. Je ne savais pas qui les avais envoyé. Maintenant, je commence à avoir des soupçons"
"Des soupçons ?" murmura Shareen alors que Malek répétait: "Six hommes ?"
"Peu importe. Je vous remercie de m'avoir averti. La suite me regarde" L'homme prit une grande inspiration. Lorsqu'il parla, sa voix était plus douce, mais tout aussi dangereuse, comme s'il maîtrisait à grand'peine une violence qui ne demandait qu'à s'exprimer.
"Vous deviez être proches, puisqu'elle vous a parlé de moi" Il hésita, puis ajouta: "Elle n'a jamais été très fière de son père. Je suppose qu'on peut la comprendre."
"Ce n'est pas vrai !" protesta Shareen. "Elle m'a souvent parlé de vous avec fierté ! Elle disait que? que vous étiez le meilleur escrimeur qu'il soit !"
L'homme eut un sourire sans joie. Son visage s'adoucit un instant, rien qu'un instant, avant de redevenir impénétrable.
"Elle a dit ça ? Vraiment ?" Puis l'étincelle de vie disparut de ses yeux. "Bien. Je vais là-bas. Je pars pour Musheim dès ce soir. » Le rictus de l?homme était épouvantable à voir. "J'ai bien l'impression que certains ont oublié qui j'étais, là-bas. Comment osent-ils me prendre pour un imbécile ? Comment ont-ils osé tuer ma fille ainsi ?" Il retourna dans la pièce, marchant lourdement, et s?empara de son épée. « Je vais aller à Musheim, et je vais mener l'enquête à ma façon. Je vais tuer tous ceux qui me tomberont sous la main, jusqu?à ce que je sois sûr que j?ai eu l?assassin de ma fille. Et lorsque j'aurai trouvé celui-là, j?abattrai sa famille, ses amis, ses relations sous ses yeux. Puis je m?occuperai de lui, et il maudira le jour où sa mère a pour la première fois écarté les jambes pour son père. Mais je les aurai tués, eux aussi. » Il cracha sur le sol, puis sortit une petite fiole de sous sa tunique, qu?il renversa sur son épée. Un liquide translucide s?en échappa, recouvrant la lame.
Shareen le regarda, épouvantée, les yeux écarquillés. Malek se passa la main dans les cheveux, cherchant à garder une contenance.
"Vous avez vraiment l?intention de faire ça ?" Il déglutit. "Je ne veux pas vous vexer, mais je ne suis pas sûr qu'un homme seul fasse vraiment la différence?"
L?homme avança son épée dans la cheminée, et le liquide dessus s?embrasa soudainement, auréolant la lame de flammes rouges dansantes. Puis il pivota pour regarder la jeune fille. Son regard était tranquille, sa voix calme. Il n?y avait plus trace de la colère qui l?habitait.
"Autrefois, on m?appellait le Faiseur de Veuves. Le Démon Cornu. L'Epée de Feu. On m'appelait Rekk le Boucher. Et je fais toujours la différence".