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Auteur Sujet :

Ecriture d'un roman d'heroic fantasy

n°2849453
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 01-06-2004 à 18:45:22  profilanswer
 

Reprise du message précédent :
Je trouve que le style s'est amélioré au fil des chapitres !

mood
Publicité
Posté le 01-06-2004 à 18:45:22  profilanswer
 

n°2852507
docwario
Alea jacta est
Posté le 02-06-2004 à 00:11:15  profilanswer
 

"une simple incartade avait dégénéré alors que les armes sortaient de leur fourreau." je trouve la phrase mal dite, on comprend ce que tu veux dire mais je pense qu'il doit y avoir une facon plus elegante de le dire.
 
"Vous savez bien que c'est lui qui m'a marqué le visage lors de notre premeir combat". on dira que c'est le recopiage ;)
 
"Lui, Mandonius, ne compterait désormais que sur lui-mêm.". idem.
 
very good, et vivement la suite

n°2852799
taftonf
Posté le 02-06-2004 à 01:14:32  profilanswer
 

tout d'abord, je voudrais dire : ...
excelleeeennnnnnnnnnnttttttttttttttttt, enfin il est arrivé.
Comme le dit Punkrod, je trouve aussi que le style s'est amélioré bien que je l'appréciait déjà avant. J'ai eu un peu de mal à remettre immédiatement des visages sur les noms (si on peut dire) mais le prologue, ainsi que le premier chapitre, comble parfaitement ce deficit de ma mémoire et nous replonge bien dans l'ambience.
A noter qu'à un moment la présentation du texte m'a parut bizarre (lors de la description sur le fleuve dont j'ai d'ailleurs adoré les 2 premières phrases). En effet, le passage descriptif est coupé en 2 et les sacrifices humains à cette époque m'ont troublé, enfin c'est peut-être moi hein :na:
Très bon boulot donc pour moi et je vais donc de suite m'atteler à la lecture du second chapitre :)

n°2853353
HumanRAGE
Rage d'être un Humain...LIBRE!
Posté le 02-06-2004 à 03:54:19  profilanswer
 

et les différents responsables qui auraient pu accorder les autorisations nécessaires se trouvaient elles-mêmes engluées dans leurs propres devoirs.      <=== 4eme paragraphe, "differents responsables" est masculin donc faute d'accord


---------------
When I give food to the poor, they call me a saint. When I ask why the poor have no food, they call me a communist. Helder Camara | Telling your employees they're "family" is the corporate equivalent of saying "I love you" to a sex worker.
n°2853366
darkmaniac
Scienta Vincere Tenebras !!!
Posté le 02-06-2004 à 04:07:13  profilanswer
 

Dit Gb tu as pas pensé a donné les noms de tes vieux potes dans ton bouquin ? :p
 
ca me ferais bien triper de m'amuser a les rechercher dans le texte :D

n°2853368
HumanRAGE
Rage d'être un Humain...LIBRE!
Posté le 02-06-2004 à 04:09:26  profilanswer
 

darkmaniac a écrit :

Dit Gb tu as pas pensé a donné les noms de tes vieux potes dans ton bouquin ? :p
 
ca me ferais bien triper de m'amuser a les rechercher dans le texte :D


tu peux guetter tout ce qui peut decrire quelque chose de couleur rose [:dawa]


---------------
When I give food to the poor, they call me a saint. When I ask why the poor have no food, they call me a communist. Helder Camara | Telling your employees they're "family" is the corporate equivalent of saying "I love you" to a sex worker.
n°2853744
Turk182
Strike Again !!!
Posté le 02-06-2004 à 09:38:00  profilanswer
 

c'est sur qu'apres ca, j'ai pas envie de publier la suite du mien  :(
 
Tres bon boulot....excellent....


---------------
Mes mémoires de Retrogamer - Le Retroblog de Turk182! en livres - Suivez le blog sur Facebook
n°2853934
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 02-06-2004 à 10:17:45  profilanswer
 

Turk182 a écrit :

c'est sur qu'apres ca, j'ai pas envie de publier la suite du mien  :(
 
Tres bon boulot....excellent....


Faut pas décourager, au contraire. C'est en écrivant toujours plus qu'on acquiert les bonnes méthodes, pas en baissant les bras ;)

n°2859496
nimrod
barbare papa
Posté le 02-06-2004 à 19:20:21  profilanswer
 

snif ... c'est beau ça ^^ ... ça m'encourage à écrire. Merci.
 
Sinon j'ai lu le premier chapître et ...  :wahoo:  ... ça fais plais ^^ continue comme ça, ton style est vraiment très bien, et l'on ressent beaucoup de petites sensations qui nous sont déjà arrivé à nous tous au moin une fois... et c'est tellement bien décrit qu'on s'y croirait vraiment ... je n'ai qu'une chose à dire ... clap clap ^^


---------------
...Une lame de mer ère telle l'âme amère d'une mère en larme...
n°2860260
Atropos
Peace Love Death Metal
Posté le 02-06-2004 à 21:12:45  profilanswer
 

Drapal  :)  
 
Superbe roman, je suis en train de finir le tome 1 et je dois dire que je suis bluffé  :jap:

mood
Publicité
Posté le 02-06-2004 à 21:12:45  profilanswer
 

n°2860398
Gounok
Faux traître
Posté le 02-06-2004 à 21:27:28  profilanswer
 

atropos a écrit :

Drapal  :)  
 
Superbe roman, je suis en train de finir le tome 1 et je dois dire que je suis bluffé  :jap:


... au point de prendre le même avatar que Grenouille Bleue ? :whistle:

n°2862713
darkmaniac
Scienta Vincere Tenebras !!!
Posté le 03-06-2004 à 02:38:08  profilanswer
 

HumanRage a écrit :

tu peux guetter tout ce qui peut decrire quelque chose de couleur rose [:dawa]


 
 
heu ??? :??:  explique la

n°2863246
Xavier_OM
Monarchiste régicide (fr quoi)
Posté le 03-06-2004 à 09:39:29  profilanswer
 

La suiteeeeeeeeee  :love:  :D  :bounce:


---------------
Il y a autant d'atomes d'oxygène dans une molécule d'eau que d'étoiles dans le système solaire.
n°2863387
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 03-06-2004 à 10:13:36  profilanswer
 

Xavier_OM a écrit :

La suiteeeeeeeeee  :love:  :D  :bounce:


 
J'ai lamentablement foiré mon chapitre 3, va falloir que je le réécrive complètement  :cry:


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Ma chaîne YouTube d'écrivain qui déchire son père en pointillés - Ma page d'écrivain qui déchire sa mère en diagonale
n°2863404
Xavier_OM
Monarchiste régicide (fr quoi)
Posté le 03-06-2004 à 10:18:33  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :

J'ai lamentablement foiré mon chapitre 3, va falloir que je le réécrive complètement  :cry:


 
 [:ruisseau de larmes]  [:ruisseau de larmes]  [:ruisseau de larmes] ...................bon ben fait de ton mieux  :hello:


---------------
Il y a autant d'atomes d'oxygène dans une molécule d'eau que d'étoiles dans le système solaire.
n°2867216
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 03-06-2004 à 17:18:02  profilanswer
 

Voilà le chapitre 3.
Dites-moi sincèrement ce que vous en pensez, car il a été difficile à écrire pour devenir crédible, donc j'aimerais savoir si j'y suis parvenu ou non....
 
 
__________________________________________________
CHAPITRE III
 
 
 La jeune fille était fardée à outrance et sa robe légère ne cachait pas grand chose alors qu'elle tourbillonnait dans le vent. Ses jambes étaient minces et magnifiquement galbées. On pouvait voir ses petits seins pointer sous la fabrique du tissu alors qu'elle reprenait sa respiration. Visiblement, elle avait couru.
 
En temps normal, Malek aurait pu à peine parler tant l'excitation l'aurait gagné, mais savoir qu'il s'agissait d'une prostituée l'avait tout de suite refroidi. Comme tous les nobles de bonne famille, il avait bien entendu fréquenté de nombreux bordels pour faire son éducation, mais le côté artificiel de la chose ne le séduisait pas particulièrement. L'idée que d'autres mains avaient pu effleurer ces cuisses dans la demi-heure qui précédait lui donnait des frissons. Et puis, il y avait Shareen. Depuis qu'il avait serré son corps nu contre le sien, les choses avaient changé entre eux. Jusque là, il n'avait vu en elle qu'une petite servante un peu brouillonne, pas très dégourdie et presque asexuée. Mais maintenant, il prenait conscience avec une acuité perturbante qu'il y avait peut-être un peu plus que cela. Elle dormait comme un bébé pour l'instant, peletonnée contre un coussin dans la chambre du haut. Parfois, Malek aurait aimé être un coussin.
 
"Je peux faire quelque chose pour toi ?" s'enquit-il poliment. "Dame Dani est occupée, mais je serai ravi de lui donner ton message."
La jeune fille secoua la tête, butée.
"Ma maîtresse m'a dit en mains propres, et ce sera en mains propres ! Va appeler Dani, et dépêche-toi s'il te plaît. Je n'ai pas toute la journée, il faut que je rentre rapidement si je ne veux pas rater un client."
Malek ouvrit et ferma la bouche comme un poisson. Jamais personne ne lui avait parlé ainsi jusqu'à maintenant ! Sauf son père, lorsqu'il était de mauvaise humeur. Et Dani quand elle voulait quelque chose. Et Rekk, évidemment. Mais en dehors de ça, personne. Ce ne serait pas une catin qui allait commencer !
 "Sais-tu bien qui je suis ?" grinça-t-il.
 "Un abruti qui me bloque le passage, et qui n'a visiblement pas l'argent pour se payer mes services. Maintenant, est-ce que tu veux bien appeler Dani ou faut-il que je hurle pour la faire descendre ?"  
Elle prit une grande inspiration comme pour crier. Malek grimaça.
 "Je vais voir ce que je peux faire. Attends là."
 
 Il lui claqua rageusement la porte au nez et entreprit de s'engager dans l'escalier de la cave.  
La grosse femme avait demandé qu'on ne la dérange pas, mais il se doutait qu'elle n'avait probablement pas la moindre envie de voir du monde crier et attirer l'attention juste devant sa maison. Il n'avait pas réellement le choix.
Laath était parti reconnaître les alentours du palais, Shareen dormait, et c'était lui qui était obligé de répondre à la porte, comme un vulgaire serviteur. Comment cette fille avait-elle osé lui parler ainsi ? Certes, il ne portait que des vêtements d'emprunt, solides mais sans fioritures. Pourtant sa noblesse devait certainement rester visible. Cela ne tenait tout de même pas qu'aux vêtements ?  
 
 Profondément perturbé, il tambourina à la porte de la cave. Une voix étouffée lui répondit, puis le bruit d'objets que l'on déplaçait hâtivement. La poignée tourna et la tête de la contrebandière s'insinua dans l'embrasure de la porte.
 "Par les mamelles gelées des neuf truies nordiques, Malek, je t'avais dit de ne pas me déranger ! Je suis en train de faire affaire, si ça ne te dérange pas !"
 "Mais il y a une…" Le jeune homme hésita sur le mot à utiliser. Il se décida pour le plus poli. "…courtisane qui souhaite vous voir. Elle dit qu'elle a un message pour vous, très important. Que ça ne peut pas attendre."
 "Eh bien prends-le, ce message, tu me le donneras plus tard !"
 "Elle ne veut pas" grommella Malek. "Elle menace de crier pour vous faire venir."
 Un soupçon d'amusement vint atténuer l'irritation dans les yeux de Dani. Elle se retourna avec lourdeur.
 "Eh bien, visiblement le devoir m'appelle. Mon ami, je vais devoir vous demander de remonter avec moi. Je me sentirais gêné de vous laisser seul dans une cave plus obscure." Il y eut une réponse étouffée, puis: "Si, si, j'insiste. Nous reprendrons notre marchandage dès que j'aurai vu si ce foutu message est urgent ou non."
 
 Malek s'effaça et la porte s'ouvrit complètement. Le client qui se coula à la suite de Dani était un homme profondément antipathique. Son visage était couturé de cicatrices et ses lèvres minces se contractaient en un sourire déplaisant. Autrefois, Malek aurait pu le trouver dangereux et frissonner devant son regard meurtrier mais, maintenant qu'il connaissait Rekk, la comparaison était plutôt amusante. Face à l'aura de violence que le Boucher exsudait en permanence, cet homme-là n'était qu'un enfant innocent.
 Ils remontèrent les escaliers les uns derrière les autres. Dani ouvrait la marche, ahanant plus que nécessaire sous l'effort de gravir les marches branlantes. Elle traversa la maison comme une tempête et mit les poings sur les hanches en toisant la jeune prostituée du regard.
 "Toi, ma fille, tu as intérêt à ce que ça en vaille la peine !"
 Malek attendait avec impatience une réplique acerbe de la fille de joie, mais celle-ci ne vint jamais. La messagère baissait les yeux avec une expression honteuse. Pour se donner une contenance, elle sortit rapidement le message d'une poche de sa robe et la tendit à la contrebandière.
 "Ce n'est pas moi, Dame Dani. C'est ma maîtresse qui a insisté pour que ça vous soit remis. Elle a dit que c'était probablement important."
 "Probablement ? Je n'aime pas me faire déranger pour des probablement, petite !"
 
 De nouveau, la prostituée flancha. Malek n'en croyait pas ses yeux. Quoi ? Cette fille montrait plus de respect à Dani qu'à lui-même ? C'était tout bonnement incompréhensible. Les valeurs se perdaient, dans cette ville. Il se promit de remettre ses habits frappés au sceau de la maison Camerlan, puis il chassa cette pensée en se rappelant qu'il était recherché, et que ce ne serait pas une bonne idée d'attirer l'attention sur lui. Mais tout de même, c'était irritant !
 Le papier changea de main et Dani se pencha avec attention dessus. Ses lèvres remuaient doucement alors qu'elle lisait les quelques lignes griffonnées à la hâte. Lentement, une expression d'incompréhension envahit son visage, puis elle eut un léger frémissement à la commissure des lèvres. Ce frémissement devint un tremblement et brusquement elle éclata d'un rire sonore. La jeune fille bondit en arrière, stupéfaite de cette réaction. Ah, il fallait voir Dani en train de rire. Toute sa graisse se soulevait d'un coup avant de se remettre en place avec une violence coupable et ses bajoues s'écartaient en une rangée de dents d'une blancheur impeccable.
 Lorsqu'elle reprint enfin son sérieux, des larmes d'amusement coulaient sur son visage. Elle les essuya machinalement de la main et sourit à la prostituée.
 "Je vois ce que c'est. Ne t'inquiète pas, ma fille. Tu as eu raison de me déranger. Et maintenant va, tu remercieras ta maîtresse pour moi. Elle m'en voudrait beaucoup si je te retenais plus que nécessaire !"
 La jeune fille hocha la tête avec gratitude et s'en fut d'un pas rapide. Malek la regarda partir d'un air rêveur. Cette robe n'était pas mal du tout, finalement. La voix de Dani le ramena à la réalité.
 "Bon, bon, bon. Je suis désolé mais je crois que nous ne concluerons pas cette vente tout de suite, cher ami. J'espère que vous saurez me pardonner."
 "Même si je voulais t'en vouloir, tu es la seule qui as la marchandise dont j'ai besoin" grommela le coupe-jarret. "Je passerai demain."
 Les ombres le happèrent alors qu'il quittait la maison. Dani et Malek restèrent seuls.
 
 "Alors, qu'est-ce qu'il y avait d'écrit sur le mot ?"
 La contrebandière gloussa.
 "Une lettre d'amour, évidemment."
 "Non, sérieusement ?"
 Dani se tourna vers lui avec une feinte colère.
 "Tu ne me crois plus capable de déchaîner les passions ? Je vais te dire, petit, quand j'étais plus jeune, j'avais la totalité de la ville à mes pieds ! Ha, tu le crois, ça ? Et pourtant c'est la vérité." Elle haussa ses épaules massives. "Quoi qu'il en soit, lis ça si tu ne me crois pas."
 Elle lui tendit le papier roulé en boule. Malek le déplia avec un soin maniaque.
 
 Ma chérie, était-il écrit, je ne pourrai hélas te voir pendant quelques temps. Ce n'est pas l'envie qui m'en manque, tu le sais bien. Mais les contraintes de la cour se font pesantes. Si tu te présentais au palais, tu serais certainement éconduite. Mais si tu venais avec des amies, peut-être t'emmenerait-on jusqu'à mes appartements ? Ce serait merveilleux. Je t'aime. M. Malek fronça les sourcils, perplexe.
 "C'est bien une lettre d'amour. C'était peut-être personnel, non ?"
 "Bien sûr que non. C'est juste un signe qu'un ancien ami m'adresse pour me demander de l'aide." Elle hésita un instant. "Je reconnais l'écriture, et le M ne trompe pas. Ce mot vient de Mandonius."
 "Le gouverneur ?" Malek baissa la voix devant l'expression peinée de Dani. "Le gouverneur ? Mais… je ne comprends pas… alors il y aurait un code ? Ce serait un message secret, comme dans les légendes ?"
 Dani renifla bruyamment pour montrer ce qu'elle pensait de ce genre de choses.
 "Un code ? Si ça, c'est un code, alors je suis une maîtresse cryptographe. Non, il essaie juste de me faire savoir en termes choisis quelle est sa position. Regarde" Elle suivit les phrases du doigt. "Je ne pourrai te voir, bla bla. Ca veut bien dire qu'il ne peut plus sortir du palais. D'après ce que vous m'avez raconté, ça ne m'étonne pas vraiment. Il doit être surveillé avec attention. Ca explique pourquoi il y a tant d'agitation entre les maisons en ce moment."
 "Il y a de l'agitation entre les maisons ?"
 "Chtt, chut, laisse-moi réfléchir… Bon, la suite aussi est plutôt évidente. Il nous demande de l'aider. Et il nous donne une information importante: il est retenu dans ses appartements."
 Malek resta un instant silencieux. Il digérait toutes ces informations.
 "Dans ce cas, que fait-on ? On va l'aider ? On va le sortir de là ?" Il soupira. "J'ai du mal à comprendre si Mandonius est de notre côté ou non. Et puis, Laath semble avoir une dent contre lui."
 "On l'aurait à moins ! Mandonius a essayé de le tuer, je te rappelle. Mais savoir s'il est tout blanc ou tout noir… Ah, cet homme est probablement la personne la plus grise que j'aie jamais vu. A part Rekk, peut-être."
 Malek haussa un sourcil désapprobateur.
 "Rekk est indiscutablement noir, non ?"
 "Apprends à mieux regarder, dans ce cas. Pourquoi crois-tu que tu es en vie aujourd'hui, sinon grâce à lui ?" Il y eut un silence gêné. "Quoi qu'il en soit, la fin de la lettre est assez claire aussi. Il me demande de contacter les hommes de sa stupide résistance, pour essayer de le sortir de là. Pah !"
 "Pourquoi ne pas plutôt contacter sa maison ?"
 Dani froissa le papier et le fourra dans une de ses larges poches.
 "Ca me paraît évident, non ? Parce que ses soldats doivent être sous haute surveillance, et qu'il ne doit pas avoir envie d'un véritable bain de sang sur le parvis du palais. Du moins pas tout de suite. Non, je suppose qu'il a envie qu'on essaie de le sortir de sa captivité de la même manière qu'on espérait le faire pour Rekk… en rentrant clandestinement dans les locaux."
 
 Malek secoua la tête. Il n'aimait pas ça. Il se sentait encore vaguement hésitant sur l'idée de tenter de récupérer le Boucher d'un palais rempli de gardes et n'avait pas la moindre idée de comment ils allaient bien pouvoir faire. Alors s'encombrer de quelqu'un de plus…
 "Ca représente beaucoup de risques, non ?"
 Dani hocha la tête.
 "Ca représente surtout une opportunité formidable de faire diversion pendant que vous délivrerez Rekk. De la chair à canon de parfaite qualité qui ira attirer tous les gardes auprès de Mandonius."
 Malek déglutit. La grosse contrebandière n'avait plus l'air débonnaire, soudain, à parler sans sourciller d'envoyer des hommes à la mort.
 "Mais.. ce serait trahir Mandonius, et ses hommes ?"
 "Ses hommes, je n'en ai rien à faire. Ils font marcher mon commerce en m'achetant des armes et des armures, mais je n'aime pas leur idéologie militaire. S'ils disparaissaient tous, Musheim ne s'en porterait que mieux. Quant à Mandonius…" Elle hésita un instant, puis prit une grande inspiration. "On ne peut pas délivrer les deux. Si j'ai à choisir entre Rekk et Mandonius, c'est Rekk que je choisirai."
 
 
 
 Sisjwoural n'avait jamais été un homme romantique. La poésie n'était pas son fort et les mots lui manquaient souvent pour exprimer ce qu'il ressentait. L'art, la beauté n'étaient que des idées vides de sens pour lui, tellement moins excitants que la frénésie qui le prenait parfois aux tripes sur les champs de bataille. Si seulement il avait été assez obtus pour ne pas s'en soucier, peut-être son existence en aurait-elle été facilitée. Mais il avait juste assez de sensibilité pour se rendre compte que, parfois, son esprit pragmatique de soldat ne lui permettait pas d'appréhender totalement le monde.
 Il leva les yeux au ciel, vers cette lune qui brillait dans son premier quartier. Il aurait dû se sentir triste, ou en colère. Ses amis réagissaient certainement bruyamment, à s'interpeller et se quereller pour déterminer la suite des événements. Mais Sisjwoural ne prenait pas part à leurs discussions. Adossé à un mur sur la petite terrasse, son épée sur les genoux, il se sentait simplement plus fatigué qu'il ne l'avait jamais été de sa vie. Il sortit une pierre à aiguiser de sa besace et entreprit d'affûter lentement le tranchant de sa lame. Le zwing, zwing de la patine et les étincelles qui jaillissaient par moment avaient quelque chose d'hypnotique.
 
 Cela faisait plus d'un an qu'il partageait la vie du petit groupe rebelle, et ces mois avaient probablement été les meilleurs de sa vie. Il était à peine né lors des guerres Koushites et, depuis, aucune bataille de grande ampleur n'avait été menée. Il avait servi sous divers ducs, pour diverses maisons, sans éclat. Petit à petit, on l'avait mis à la retraite. Il n'avait toujours été qu'un simple soldat – sa solde s'en était ressentie. On lui riait au nez dans les tavernes lorsqu'il promettait de payer la prochaine fois. Les putains se détournaient de lui. Les cicatrices qui ornaient son dos, souvenir d'une embuscade dans la jungle, attirait l'œil appréciateur des filles de bordel lorsqu'il revenait de campagne. Maintenant, ces zébrures boursouflées n'inspiraient plus que le dégoût, et l'élançaient dans tout le corps lorsqu'il pleuvait.
 Lorsqu'une main gantée de fer s'était abattue sur son épaule, un soir de déprime encore plus terrible que les autres, il avait maladroitement porté sa main à son épée et s'était levé en renversant son verre. Même aujourd'hui, il se souvenait de son désespoir d'ivrogne à voir le vin ainsi renversé sur le sol. Il avait levé son épée de ses mains tremblantes. L'autre la lui avait doucement ôtée des mains, presque tendrement.  
 
 "C'est bon de te revoir, mon ami" avait-il dit. "Tu as toujours été moche comme une guenon, mais ces quinze ans t'ont rendu encore plus affreux. Je ne pensais pas que ce serait possible !"
 L'homme en face de lui était grand et large d'épaules. Son expression était bourrue, sa voix rauque de la fumée des tavernes. Tout d'un coup, Sisjwoural se sentit entraîné vingt ans en arrière.
 "Sergent… Sergent Lodwool…"
 Deux pièces d'argent avaient tinté sur la table, assez pour effacer son ardoise dans l'établissement.
 "Viens avec moi. Il faut que nous parlions, tous les deux."
 Et ils avaient parlé, cette nuit-là. La mémoire embellissait tout, les volutes du temps transformaient les pires traquenards en sujets de plaisanterie. Les marécages saumâtres qui avaient englouti sa botte et certains de ses compagnons se révélaient soudain la cause d'anecdotes savoureuses. Sisjwoural avait ri de bon cœur. Il ne se souvenait plus à quel moment le rire s'était étranglé dans sa gorge, et les larmes avaient commencé à couler. Lodwool l'avait laissé pleurer sans intervenir, comme on respecte une douleur, entre hommes. Puis il s'était penché, et avait commencé à lui raconter une merveilleuse histoire. L'histoire d'un Empire puissant, qui laisserait tomber toutes ces chimères architecturales et culturelles pour se concentrer sur ce qui importait vraiment. Un Empire qui aurait besoin de guerriers vaillants et leur offrirait l'opportunité de se couvrir de gloire. S'ils vivaient, ils vivraient riches. S'ils mouraient, ils mourraient l'épée à la main. Sisjwoural avait accepté sans même réfléchir. De toute manière, il n'avait jamais été bon pour penser et faire les plans. C'était ainsi qu'il avait rejoint les rebelles. La Résistance, comme ils se nommaient, même s'il n'y avait rien contre quoi résister.
 
 Oui, ces derniers mois avaient été très agréables. Mais maintenant tout semblait fini.
 L'homme qui leur avait insufflé un rêve et qui leur avait fourni les moyens de le mettre en œuvre, l'homme qui avait été le moteur de Lodwool comme des autres s'était fait capturer et mettre aux fers. Le gouverneur Mandonius n'était plus là pour les guider, pour fournir son or et son appui. Sans lui, la résistance n'était plus qu'une bande de mercenaires sans attaches, de vétérans des dernières guerres au matériel usé et à la motivation chancelante. Leur raison d'être avait toujours été d'ébranler l'Empereur, d'attenter à sa vie, de faire monter un climat de tension dans la ville pour permettre au gouverneur de pousser ses pions dans la lutte du pouvoir et finalement monter sur le trône.
 Désormais il n'y avait plus de gouverneur, l'Empereur était déjà mort et le trône occupé. Ca limitait fortement l'intérêt d'une quelconque rébellion. Avec un soupir, Sisjwoural reporta son attention sur la conversation qui se déroulait devant ses yeux. Après tout, c'était de son avenir dont il s'agissait ici.
 
 "Il va parler ! Il va forcément parler !" était en train de s'exclamer le plus véhément, un garde de la ville aux larges épaules qui répondait au nom de Thilg. "Ils vont le torturer jusqu'à ce qu'il parle"
 Lodwool secoua la tête. Il tenait toujours dans ses mains le morceau de papier que Dani la contrebandière leur avait fait passer. La nouvelle de la capture de Mandonius l'avait tout d'abord fortement affectée, mais c'était lui qui avait repris le plus rapidement ses esprits. C'était sur sa demande que tous s'étaient réunis là.
 "Personne ne torturera personne. Le Gouverneur Mandonius est un pair de l'Empire, et sa maison est puissante. L'Empereur n'est qu'un enfant qui n'osera pas le toucher. De toute façon, il n'a aucune raison de se méfier. Personne ne sait qu'il y a un lien entre lui et nous.
 "Oui, mais… s'il parle quand même ?"
 Un troisième homme se joignit à la conversation. Dominant les autres d'une bonne tête, les épaules larges, il portait une barbe d'un roux flamboyant qui jurait avec les cheveux et les mines sombres des conspirateurs. Sisjwoural chercha un instant son nom, avant de renoncer. Ce n'était pas important, de toute façon.
 "Il n'y a pas que la parole qui peut être dangereuse. Le gouverneur gardait probablement des documents compromettants chez lui. Si l'Empereur les trouve, nous sommes perdus. Il connaîtra nos noms et il saura certainement de quoi nous sommes coupables. Ca veut dire la mort, à plus ou moins brève échéance."
 Sisjwoural tendit l'oreille. L'homme était certainement convaincant. Il commençait à sentir une boule dans sa poitrine, qu'il n'avait pas eu jusqu'alors. Mourir, cela ne le dérangeait pas tant que ça. Mais périr comme un traître, crucifié pour le bon plaisir de l'Empereur… sans compter la torture.
 Lodwool haussa ostensiblement les épaules.
 "Que veux-tu que je te dise ? Oui, le risque existe. Mais je ne vois pas ce qu'on peut y faire, de toute façon. Quitter Musheim ? Ma vie est ici. Je ne partirai pas."
 Quelques hochements de tête appuyés lui répondirent de la part des spectateurs présents. Mais le barbu ne se laissa pas démonter aussi facilement.
 "Tu gémis et tu te lamentes, sans même penser à agir. C'est pourtant ce qu'on reprochait à l'ancien Empereur, non ? Il parlait, mais il n'agissait jamais. Ca fait des heures que vous discutez et que vous vous effrayez comme des femmelettes. On pourrait peut-être enfin se décider !"
 
 Lodwool blêmit. Personne ne l'avait jamais accusé de lâcheté jusqu'alors. Sa main se posa sur la garde de son épée et y pianota quelques notes impatientes.
 "Se décider à quoi ? Qu'est-ce que tu veux faire, tourner les talons et fuir ? Personne ne te retient !"
 Le barbu éclata de rire. Il riait avec sincérité, un rire communicatif et enthousiaste.
 "Qui parle de fuir ? Nous sommes combien, une quarantaine ? Non, ne me réponds pas, je ne veux pas savoir le chiffre exact. Je dis que c'est largement suffisant pour tenter quelque chose et pour sauver le Gouverneur." Il renifla bruyamment. "Si on n'arrive pas à le sauver, on pourra peut-être au moins saccager son bureau et être sûrs que l'empereur ne retrouvera jamais trace de nous. Enfin, je ne sais pas ce que nous pourrons faire, mais c'est tout de même plus intéressant qu'attendre notre mort les bras croisés."
 
 Il y eut un silence. Sisjwoural retint sa respiration. La boule avait fondu dans sa poitrine, à un moment où à un autre. Il tourna son regard vers Lodwool, attendant la réponse. Une bourrasque de vent venue des bas-fonds de la ville vint balayer la terrasse, soufflant à leurs oreilles des promesses de combat, de sang et de gloire perdue.
 "Continue…" admit enfin Lodwool.
 Le géant hocha la tête. Ses yeux brillaient de satisfaction.
 "Essayons d'abord de savoir où notre maître est retenu captif. Probablement dans ses appartements, sous bonne garde. Il faudra agir rapidement. Nous nous introduirons au palais au cours de la nuit. Un de nos hommes est dans la place, il nous aidera à passer les premiers barrages. Ensuite, ce ne sera qu'une question de vitesse. Il faudra courir jusqu'à l'endroit où il est retenu sans nous faire remarquer. Si jamais nous croisons qui que ce soit, nous serons assez nombreux pour nous frayer un chemin à la pointe de l'épée. Une fois arrivés jusqu'à Mandonius, il suffira de refaire la même chose en sens inverse."
 Sisjwoural ne put se retenir plus longtemps. Il éclata de rire. Le barbu se tourna vers lui, sourcils froncés.
 "Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?"
 "Vous voulez prendre d'assaut le palais impérial avec trente hommes, et vous voulez que je reste sérieux ?" Il leva la main pour empêcher le barbu de reprendre la parole. "Non, je ne dis pas qu'il faut laisser tomber cette idée, au contraire. Moi aussi, je pense qu'il y a une chance de le libérer et quitte à mourir, je préfère que ce soit dans une tentative aussi désespérée. Par les Enfers Gelés, notre nom s'inscrira dans la légende !"
 Les hommes levèrent les yeux. Tous se savaient condamnés. Tous étaient des guerriers vétérans dans un monde qui n'avait pas besoin d'eux. Ils hochèrent la tête les uns après les autres. Lodwool fut le dernier à acquiescer. Sa voix était sèche.
 "Il faudra que nous agissions rapidement dans ce cas. Dès demain soir, nous tenterons de nous introduire dans le palais. Il va falloir que nous mettions au point un plan et que nous reconnaissons les lieux. Le plus important, ce sera de parvenir jusqu'à Mandonius. Une fois qu'il sera avec nous, sa Maison nous soutiendra certainement."
 "Mais est-ce que ça ne risque pas de violer la loi du secret ?" objecta Sisjwoural, vaguement ennuyé.
 Lodwool se tourna vers lui, l'expression indéchiffrable.
 "Nous allons probablement tous mourir demain. Je pense qu'en cette occasion, il est possible de faire une entorse au protocole."


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Ma chaîne YouTube d'écrivain qui déchire son père en pointillés - Ma page d'écrivain qui déchire sa mère en diagonale
n°2867414
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 03-06-2004 à 17:40:27  profilanswer
 

rien à reprocher pour moi
 
(m'enfin je lis vite aussi... j'assimile pas tout)

n°2868037
docwario
Alea jacta est
Posté le 03-06-2004 à 18:58:35  profilanswer
 

moi je dis : ca se tient.
 
very good !

n°2868139
tetsuo6661
Posté le 03-06-2004 à 19:07:59  profilanswer
 

drapeau


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save the world kill yourself - collection BD
n°2868481
Atropos
Peace Love Death Metal
Posté le 03-06-2004 à 19:47:08  profilanswer
 

gounok a écrit :

... au point de prendre le même avatar que Grenouille Bleue ? :whistle:


 :lol:  
Je l'avais avant cet avatar, il vient d'ici si ma mémoire est bonne
 
Sinon grenouille bleue tu ne serais pas aussi sur la couronne de cuivre ?  :??:

n°2868828
Xavier_OM
Monarchiste régicide (fr quoi)
Posté le 03-06-2004 à 20:33:51  profilanswer
 

ce chapitre est aussi cohérent que les autres selon moi  :jap:


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Il y a autant d'atomes d'oxygène dans une molécule d'eau que d'étoiles dans le système solaire.
n°2869912
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 03-06-2004 à 22:55:25  profilanswer
 

atropos a écrit :

:lol:  
Je l'avais avant cet avatar, il vient d'ici si ma mémoire est bonne
 
Sinon grenouille bleue tu ne serais pas aussi sur la couronne de cuivre ?  :??:


 
Sisi, je suis sur la couronne de cuivre... et avec cet avatar  :sol:

n°2875554
DarkPunky
J'ignore de le savoir
Posté le 04-06-2004 à 15:50:08  profilanswer
 

Et sur Bragelonne ? ;) Je déconne, je connais la réponse.
 
ps: je suis curunir


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Tar | Librarything
n°2896797
Gounok
Faux traître
Posté le 07-06-2004 à 23:31:13  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :


Et on va essayer de suivre le rythme d'un chapitre par jour que je vous avais promis à l'époque.


 :whistle:

n°2896896
HumanRAGE
Rage d'être un Humain...LIBRE!
Posté le 07-06-2004 à 23:41:59  profilanswer
 


:jap:
je voulais pas faire le lourd a insister mais ... [:ass_kicker57]
 
surtout nous laisser dans cet etat de frustration c pas chevaleresque pour un sol :o


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When I give food to the poor, they call me a saint. When I ask why the poor have no food, they call me a communist. Helder Camara | Telling your employees they're "family" is the corporate equivalent of saying "I love you" to a sex worker.
n°2898856
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 08-06-2004 à 10:08:35  profilanswer
 

Ben en même temps j'ai pas mal de corrections à faire sur le premier tome en suivant les conseils des éditeurs donc ça me prend du temps - sans compter que je bosse aussi (un peu) à la base :D
 
Mais heureusement les quelques chapitres suivants ne demandent pas trop de retouches donc voici le chapitre IV spécialement pour vous !
 
_____________________________________________
 
 
Il faisait maintenant complètement nuit. Le temps s'était lentement couvert durant la soirée. Par deux fois, le tonnerre gronda dans le lointain. Désormais, les nuages obscurcissaient complètement le ciel, étouffant les étoiles et réduisant la lueur de la lune à une pâle nuisance. Une brise légère soufflait dans les rues désertes, jouant avec les panneaux des échoppes, faisant tintinabuler les clochettes des perrons, et caressant sensuellement la joue de Malek. Des écharpes de brume descendaient vers la capitale, effleurant les toits des maisons avec délicatesse.
Laath leva les yeux, puis renifla doucement le vent. Il eut un sourire satisfait.
"On ne pouvait pas rêver mieux. Je sens la pluie, et le brouillard. Ca ne devrait pas tarder, maintenant, une véritable averse. Je commence à croire que nous pourrions avoir une chance, après tout"
"Une chance de nous écraser sur le sol comme une limace atrophiée, plutôt que de nous faire prendre et empaler, c'est ça que tu veux dire ?" grimaça Malek. Ses doigts caressaient lentement son fourreau, comme s'il le voyait pour la première fois. Il allait devoir laisser son épée ici, et ça lui plaisait modérément.
"C'est moi qui escaladerai. Vous n'avez pas à vous en faire pour la montée. C'est une fois à l'intérieur que les choses se compliqueront"
"Doux euphémisme" murmura Malek.
 
Il avait du mal à se rappeler comment il s'était laissé entraîner dans cette aventure. Des histoires d'honneur, de courage, de dette à repayer. Shareen l'avait regardé avec ses grands yeux plein de reproche, et Laath s'était contenté d'arborer son stupide demi-sourire, comme s'il trouvait tout cela très amusant.
Il ne serait pas dit qu'un licornéen ne montrerait pas autant de courage – Deesse du Destin, ce n'est plus du courage, c'est de la stupidité ! – que les autres. S'ils voulaient tous risquer leur vie dans cette entreprise stupide, alors il n'avait qu'à les accompagner. Ainsi, il pourrait au moins veiller sur Shareen, et vérifier qu'elle se sorte de là vivant. Qu'elle s'en sorte vivant ? Je pourrais m'estimer heureux si je m'en sortais, moi !
Il eut un regard en coin pour la jeune fille qui marchait à ses côtés. Comme lui, elle s'était habillée suivant les conseils de Laath. Elle portait maintenant des habits d'un gris neutre, amples et pratiques, qui ne risqueraient pas de l'handicaper lorsqu'elle monterait. Elle arborait un rictus crispé. Le vent jouait dans ses cheveux, les agitant en tous les sens. Elle était belle, ainsi, réalisa soudain Malek. Lentement, son expression s'adoucit. S'il devait mourir, ce n'était pas la peine d'y penser pour l'instant. Il y avait des choses bien plus agréables auxquelles rêver.
 
Machinalement, il tâta le rouleau de corde qui était enroulé autour de sa taille. Quarante pieds de corde, pas moins ! C'est ce qu'avait exigé Laath, et la vieille contrebandière était parvenu à le trouver en moins d'une heure. C'était un épais cordage de près d'un pouce d'épaisseur. Cela devrait pouvoir soutenir leur poids; normalement.
"Une patrouille" murmura soudain Laath, calme et composé.
Malek sursauta. Le cambrioleur avait de bons yeux. Ce ne fut que quelques secondes après qu'il aperçut les gardes qui se dirigeaient tranquillement vers eux, lanterne tendue pour percer l'obscurité. Ils étaient une demi-douzaine, et leurs regards étaient féroces. Aucun d'entre eux ne devait apprécier de devoir patrouiller par une nuit pareille, alors que la pluie n'allait pas tarder à tomber.
 
"La paix sur vous, citoyens" grommela l'un d'entre eux alors qu'ils passaient à côté des trois jeunes gens. "Que les dieux vous gardent du mal et des brigands"
"La paix sur vous, sergent" répondit tranquillement Laath, s'inclinant à demi.
Les gardes passèrent sans leur accorder un second regard, et Malek put se permettre de respirer de nouveau. La sueur perlait à son front.
 
"Et s'ils nous avaient arrêté ?" murmura-t-il. "S'ils nous avaient reconnus ?"
"Je trouve que je n'ai pas trop raté mon maquillage" sourit Laath. "Tu n'as plus tellement l'air d'un fils de duc maintenant, mais d'un mignon des bas quartiers. Je ne pense pas que les gardes fassent le rapprochement"
Shareen éclata de rire, plus par relâchement de tension nerveuse que parce qu'elle trouvait sa drôle. Malek lui lança néanmoins un regard vexé entre ses cils allongés.
"Il n'y a rien d'amusant là-dedans. Continuons ! Je ne voudrais pas rencontrer une autre patrouille avant que nous arrivions aux murs du palais.
 
La ville était réellement sinistre, la nuit. Ils avaient beau traverser les quartiers traditionnellement bourgeois, avec leurs riches maisons et leurs larges allées, l'obscurité rendait tout recoin suspect. Malek avait l'impression que des milliers d'yeux l'observaient, sachant pertinemment ce qu'ils allaient faire, ce qu'ils allaient tenter, et se moquant de lui par avance. A vrai dire, il ne pouvait les en blâmer. Lui aussi aurait ri, s'il n'avait pas été partie prenante de cette aventure.  
 
Trois rouleaux de corde. Deux torches, et un briquet à silex. Des sortes de crampons, que Laath prétendait pouvoir utiliser dans ses escalades. Et c'était tout. Un peu maigre, pour attaquer un palais impérial. D'autant plus qu'avec la cérémonie du couronnement, la plupart des nobles étaient présents avec leurs escortes, et que l'enceinte devait grouiller de centaines de gardes.
Il leur faillait un miracle. Il leur fallait une intervention divine quelconque. Ou une armée; l'un ou l'autre feraient l'affaire. Et qu'avaient-ils ? Un briquet à silex ! Ha !
Il ressentait douloureusement l'absence de son épée au côté, alors qu'il cherchait par deux fois à en caresser nerveusement le fourreau pour évacuer la tension. Le geste l'avait toujours rassuré mais, maintenant, il n'avait plus ni fourreau ni épée. Laath prétendait qu'une telle arme empêcherait totalement l'escalade. Malek avait dû se contenter de deux poignards, pendant négligemment à sa ceinture. Les poignards étaient rassurants, bien sûr. Mais cela n'empêchait pas ses doigts de chercher désespérément un fourreau sur lequel ils auraient pu pianoter.
 
"Voici la pluie" murmura Laath, satisfait. "Tout se passe comme prévu"
Malek sentit une goutte lui frapper la main, puis la joue. Puis les gouttes se muèrent en crachin, en averse. En quelques minutes, c'était un véritable rideau d'eau qui s'abattait sur la ville endormie. La pluie crépitait sur les toits de tuile rouge, coulait le long des murs et s'insinuait dans les fissures. Son bruit monotone emplit bien vite les oreilles des jeunes gens alors qu'ils continuaient d'avancer, remontant leurs manteaux gris pour se protéger des intempéries. Le tonnerre gronda.
"Je ne vois pas vraiment en quoi c'est un avantage" grommela Malek, alors que l'eau lui dégoulinait dans le cou. "Pour la baignade, j'ai déjà donné, merci. C'est froid, et les pavés sont glissants. On n'y voit pas à dix pas. Déjà que je ne m'imagine pas escalader les murs du palais, là, ce sera encore plus difficile."
"C'est vrai que l'escalade n'en sera pas facilitée" fit doucement Laath, "mais ce n'est pas cette partie qui m'inquiétait, de toute façon. Par contre, maintenant, on pourra beaucoup plus facilement justifier d'avoir nos visages cachés sous nos manteaux"
"Ca n'est pas faux" acquiesca Malek avec réticence. Il avait lui-même remonté sa capuche, mais cela n'offrait qu'une maigre protection contre les gouttes. Il se sentait déjà frigorifié.
"Et puis, ce n'est pas tout. Tu dis qu'on ne voit pas très loin, et c'est vrai, mais ça joue aussi en notre faveur. Les gardes ne seront pas très attentifs, par ce temps et, même s'ils le sont, il faudrait qu'on passe juste sous leur nez pour qu'ils nous aperçoivent. Non, je te le dis, cette pluie est une bénédiction des dieux"
"Eh bien, c'est déjà ça !" soupira Malek. "Par le Sang, je ne sais même plus où nous sommes, avec tout ça. Est-ce qu'on n'a pas tourné en rond ? On devrait déjà apercevoir les murailles, non ?"
 
A peine avait-il dit ses mots que Laath s'arrêtait brutalement et tendait le bras pour leur enjoindre de faire de même.
"Les voici" murmura-t-il.
Il y eut une lumière aveuglante, suivi d'un coup de tonnerre. La foudre n'était pas tombée loin d'ici. A la lueur éblouissante de l'éclair, tous purent voir qu'ils étaient arrivés.
 
Le mur se dressait devant eux, à une centaine de pieds, à peine. Le brouillard et la pluie se refermèrent sur lui alors que la lumière de la foudre s'évanouissait, mais quelques pas en avant suffirent pour qu'il ressurgisse.
Malek se souvenait des cours d'histoire qu'il avait suivis à l'Académie. Il n'avait jamais été très attentif à ses leçons, mais certains détails l'avaient particulièrement impressionnés.
On disait que cette enceinte remontait à plus de cinq cent ans, sous le règne de Dherlot le Bâtisseur, alors que l'Empire n'était encore qu'un rassemblement de quelques tribus, et que les barbares menaçaient chaque année d'envahir Musheim. C'était un temps de guerre, de conquêtes et de gloire. C'étaient des années sanglantes, remplies d'espoir comme de découragement. Certains noms avaient survécu à cette période. Melankol l'archer et ses flèches magiques, Baalbus et Beelbus les deux inséparables guerriers, Morlohar le colosse à la Hache Double, et tant d'autres dont les bardes chantaient les exploits, le soir à la veillée.
A cette époque, l'enceinte n'était qu"un clos de bois vaguement arrangé, qui permettait de repousser les envahisseurs à la pointe de la lance. Au fur et à mesure que les guerres faisaient rage, l'idée de construire des défenses plus solides s'était imposée comme la meilleure, malgré son coût en hommes et en temps. Lentement, les murailles s'étaient élevées, nourries par le travail de milliers de guerriers désireux de mettre leur famille en sécurité. C'avait dabord été une double palissade de rondins équarris, puis la pierre avait remplacé le bois, et le mur s'était élevé de plus en plus haut. A l'origine, ce n'était pas le palais qu'on trouvait à l'intérieur, mais un large bâtiment dans lequel les familles pouvaient se réfugier lorsque les barbares arrivaient.
Les historiens s'accordaient tous sur le fait que ces enceintes avaient réellement changé le cours de la guerre et permis, à terme, la création de l'empire tel qu'il était aujourd'hui. Les fiers bâtisseurs avaient saigné leurs adversaires dans une défense sauvage, puis avaient commencé à contre-attaquer, tout en sachant que leurs femmes et enfants seraient en sécurité de toute représailles. Plus tard, lorsque Musheim n'avait plus été directement menacée, c'est là qu'on avait construit le palais.
Et c'était ces murailles qu'ils devaient désormais franchir ?
"C'est de la folie" murmura Malek, touchant du bout des doigts les pierres ruisselantes. "On va se rompre le cou"'
"Allons, que serait la vie sans un peu de risques" fit Laath avec bonne humeur. Il tira fermement sur la corde qu'il portait autour de la taille, et parut satisfait. "A partir de maintenant, plus un bruit. Attendez-moi en bas, pendant que j'escalade. Personne ne devrait passer par ici, mais si c'est le cas, éloignez-vous du mur ou faites diversion d'une manière ou d'une autre"
"Si tu le dis" fit Malek, haussant les épaules.
 
Et Laath commença à monter. Malek leva les yeux vers lui, malgré la pluie battante, observant sa progression.
Le jeune homme était un grimpeur-né, ou peut-être était-ce l'expérience qui lui donnait cette habileté. Il montait rapidement, sûrement, sans jamais sembler hésiter. Ses doigts trouvaient avec sûreté les fissures et les craquelures dans le mur. Il assurait ses prises, se hissait, calait ses pieds et recommençait. De là où il était, Malek avait des difficultés à voir la taille des trous dont se servait le jeune cambrioleur, mais ils n'avaient pas l'air terriblement grands. A sa place, le licornéen ne se serait certainement pas senti rassuré. Pourtant, Laath avançait sans même sembler prendre le temps de juger de la solidité de ses appuis. En deux minutes, il avait déjà grimpé une quinzaine de pieds, et ne semblait pas vouloir ralentir le rythme. Puis, le brouillard l'engloutit.
"Il n'est pas si timoré, finalement" observa Shareen, plissant elle aussi les yeux contre la pluie. "Je n'aurais jamais le courage de faire ce qu'il fait là"
"Il m'impressionne aussi" admit Malek à contrecoeur. "Il a l'air chétif, comme ça, pourtant il est capable de se hisser sans effort. Il est beaucoup plus fort que ce que je pensais. Et plus résolu, également. Je pensais vraiment qu'il n'avait aucune volonté. Pourtant, il n'a pas hésité une seule seconde à se lancer dans cette aventure avec nous. Il ne connaît pas Rekk, il n'avait aucune raison de lui venir en aide"
"C'est peut-être parce qu'il ne le connaît pas bien qu'il veut l'aider"
Shareen sourit.
"Tu es odieux, Malek ! Mais ça n'est probablement pas faux"
"Bah. Je suppose qu'il a ses propres raisons, comme tout le monde. A mon avis, si Deria et lui étaient aussi proches, peut-être a-t-il envie de connaître le fin mot de l'histoire"
"Quoi qu'il en soit, c'est un bon grimpeur !"
 
Ils levèrent tous les deux les yeux vers le ciel, tentant d'apercevoir le cambrioleur au milieu du brouillard. Avec un effort d'imagination, certaines parties un peu plus sombres pouvaient peut-être refléter sa silhouette – mais rien n'était moins sûr.
"Quelle purée de pois…"
"Attention ! La corde !" chuchota Shareen en réponse.
Avec un bruit sourd, les quarante pieds de l'épais cordage se déroulaient sur le mur, descendant rapidement jusqu'à ce que l'extrémité se trouve à portée de mains des deux jeunes gens.
"Qui commence ?"
"Vas-y, vite !" fit Malek, poussant la jeune fille en avant. Je monterai en dernier, pour être sûr que personne ne nous voit"
"Mais…" Shareen se préparait à objecter, mais elle se ravisa en voyant l'air soucieux du jeune homme. Elle hocha la tête et s'empara fermement de la corde. "Il ne reste plus qu'à espérer que Laath l'a arrimée convenablement, sinon c'est le grand plongeon"
"Je serai toujours là pour te rattraper" sourit Malek.
"Me voilà totalement rassurée" fit-elle, entamant sa montée.
 
Le jeune homme suivit sa progression avec des yeux soucieux. Maintenant qu'elle se hissait à la force des jambes, la corde était tendue à se rompre. Elle devait probablement râcler sur les aspérités et les morceaux de pierre coupants qui constellaient le mur. Laath avait paru satisfait de la solidité du cordage, et Malek supposait que c'était lui qui s'y connaissait le mieux, mais cela ne l'empêchait pas de surveiller avec appréhension la montée de la jeune fille. Vue ainsi, de dessous, elle avait des fesses magnifiques, qui tendaient la toile de son pantalon d'une manière tout à fait charmante. Il y avait donc une telle beauté dans la nature ?
Malek se sentit rougir, et détourna le regard avec colère. Il avait bien d'autres choses à avoir à l'esprit maintenant, et la courtoisie la plus élémentaire l'incitait à baisser les yeux. De plus, ce n'était certainement pas la première fille qu'il regardait ainsi ni, pour être tout à fait honnête, la plus belle. Mais, si leur entreprise était vouée à l'échec, comme elle le serait certainement, il aurait au moins la consolation d'avoir vu un charmant spectacle avant de mourir. Tous les hommes avaient-ils réellement cette chance ?
Une minute après qu'elle ait elle aussi disparu dans le brouillard, la corde s'agita, puis devint brutalement lâche. Cela ne pouvait signifier qu'une chose: elle était arrivée là-haut sans encombre, et Laath l'avait aidée à prendre pied sur le petit parapet. Parfait. C'était donc à son tour.
Malek prit une grande inspiration en agrippant la corde. L'aventure jusque là avait paru complètement irréelle, mais le contact rugueux du chanvre dans ses mains moites ne lui laissait désormais plus aucun doute. Contrairement au sens commun le plus élémentaire, il était bien en train de se préparer à escalader les murs du palais d'un empereur qui l'avait condamné à mort ! Il eut un rire sans joie, puis entama lentement l'escalade.
C'était plutôt facile de monter ainsi. La majeure partie de l'effort était fournie par ses jambes, et il ne se hissait avec les bras que lorsqu'il avait un appui solide. il ne mit que deux minutes pour atteindre le sommet, à peine essouflé.
 
"Prends ma main !" chuchota Laath, sa silhouette se découpant soudain dans la brume omniprésente.
Il se fit hisser sur la dernière coudée, et s'installa lui aussi à califourchon sur le parapet, comme Shareen.
"Tout s'est bien passé, pour l'instant" murmura-t-il, presque incrédule.
"C'était vraiment le plus facile" répondit Laath de la même manière. "Mais nous avons de la chance qu'ils n'aient pas protége le haut de leur mur d'une autre manière. J'ai déjà escaladé la maison d'un marchand qui avait installé des lames d'acier pour trancher les cordes et empêcher les gens de prendre pied sur le parapet"
"Et alors ?"
"Alors, je suis passé par l'entrée principale" sourit Laath. "Mais je vous raconterai ça une autre fois. Maintenant, il s'agit de descendre."
Avec habileté, il remonta la corde qu'ils venaient d'utiliser et la laissa se dérouler de l'autre côté.
"Mais… si jamais un garde était en train de passer dans l'enceinte du palais au moment où tu as lâché la corde, il va la voir, non ?" protesta soudain Shareen.
"Alors, prie les dieux auxquels tu crois que ce ne soit pas le cas. Mais ce serait vraiment un manque de chance flagrant" Laath vérifia une nouvelle fois la solidité de la corde. "Passez en premier. Je détacherai ensuite la corde, et je descendrai par mes propres moyens. Sinon, quelqu'un va forcément passer à un moment ou à un autre et se rendre compte que quelqu'un a pénétré dans le palais."
 
Shareen s'engagea sans hésiter dans la descente. Quelques secondes plus tard, la corde pendait de nouveau, inutilisée. Malek s'en empara à son tour.
Descendre se révélait plus facile que monter. Il foula bientôt l'herbe de la cour impériale. Quelques instants à attendre, puis la corde remonta silencieusement dans la brume, comme happée par une main invisible. Encore deux minutes, et Laath atterissait à côté d'eux, sautant de près de dix pieds pour rouler à leurs pieds.
"Jusque là, tout va bien" murmura-t-il, reprenant son souffle. "Mais c'est maintenant que les choses sérieuses commencent"
"Tu as déjà dit ça quand on était en haut du muret" protesta Malek, souriant nerveusement. "Je suppose que, lorsqu'on se sera introduits dans la cellule de Rekk et qu'on l'aura libéré, tu nous répéteras encore que le plus dur est à venir ?"
"Tu ne crois pas si bien dire" murmura Laath avec sérieux. "Maintenant, il faut rentrer dans le palais. Le brouillard est un énorme avantage, mais ça risque de nous faire rentrer nez à nez avec une patrouille, également. Il vous faudra tendre l'oreille. Vous savez tendre l'oreille ?"
"Shareen a de très grandes oreilles, elle écoutera pour deux" persifla Malek.
La jeune fille lui donna une bourrade dans les côtes, et il étouffa un sourire. Tant qu'il pouvait se permettre de plaisanter, il parvenait à oublier l'importance de la situation et le danger dans lequel ils se trouvaient tous. Machinalement, il baissa la main pour toucher son fourreau, et se rabattit avec amertume sur ses dagues en se rendant compte qu'il n'était pas là.
"Allons-y" souffla Laath. "Suivez-moi de près. Il ne faut surtout pas se perdre"
Malek hocha la tête en signe d'acquiescement, mais Laath ne regardait déjà plus. Avec précaution, il avançait vers le palais.
 
On ne voyait décidément rien dans un tel brouillard. Par deux fois, Malek manqua perdre le jeune cambrioleur de vue. Shareen lui avait pris la main, à un moment. Il ne se souvenait pas quand, mais le contact de la main était chaud, et agréable. Il n'avait pas l'intention de la lâcher.
"Tout est calme dans la nuit ! Rien à signaler !" clama soudain une voix forte vers sa gauche. Le halo d'une torche se rapprochait dangeureusement. Instinctivement, et sachant parfaitement que c'était bien trop tard, il se jeta au sol.
 
Tout est calme dans la nuit ! Rien à signaler !" répondit une autre voix sur la droite, alors qu'une autre torche transperçait le brouillard. "C'est toi, Brobass ? Je reconnaîtrais ta sale voix de fouine n'importe où !" ajouta l'autre sur un ton plus bas.
"Ne sois pas si mauvais joueur, Kron" ricana le premier. "Tu auras l'occasion de regagner ta solde la prochaine fois qu'on jouera aux dés !"
"Bientôt, j'espère ! Que fait la relève ? J'ai froid, j'ai faim, et j'ai envie de pisser !"
"Ca ! Foutu temps, foutue nuit !" Les deux torches se rapprochèrent, pour ne plus former qu'un seul halo, à quelques pieds des jeunes gens. "Je te dis, c'est pas naturel, ce brouillard. C'est un signe. De quoi, je ne sais pas, mais c'est un signe !"
"Ne sois pas ridicule, Brobass. Si tes hémorroïdes te dérangeaient, ce serait encore un signe, pour toi. Tu es pire qu'une grand-mère !"
"Oui, eh bien moque-toi de moi, mais je n'aime pas cette nuit. Je n'aime pas son odeur…"
"Voilà qu'il parle d'odeur, maintenant ! Tiens, ça me répugne d'en gaspiller pour un porc comme toi, mais il me reste un peu d'alcool dans ma gourde. Tu en veux une lampée ? Attention, c'est pas pour les fragiles, mais ça tue toutes les odeurs !"
"Aaah, je ne dis pas non. Je ne dis pas oui non plus, note bien. Faut voir, c'est quoi ton truc ?"
 
Les voix diminuèrent progressivement alors que les torches s'éloignaient. Malek, le nez dans la boue, trempé par la pluie, se permit enfin de reprendre sa respiration. Il entendit Shareen siffler doucement à côté de lui, et il la serra doucement dans ses bras.
"Ils sont partis, je crois" murmura-t-il finalement.
"Laath aussi, j'ai bien l'impression"
"Non, je suis là" Le cambrioleur surgit brusquement devant eux, comme enfanté par la brume. Il ne les regardait pas, tournant la tête en tous sens comme s'il observait toutes les directions. "Vous avez bien réagi, à ne pas paniquer. Si on continue comme ça, on va arriver à l'intérieur sans problèmes. Les murs du palais ne sont pas loin, dans cette direction" Il eut un geste vague.
"Alors allons-y, qu'est-ce qu'on attend ? Qu'ils reviennent ?" fit Shareen, se relevant rapidement et époussetant ses vêtements.
 
Prudemment, ils repartirent à la queu leu leu, suivant Laath et imitant ses moindres gestes. Malek était plutôt surpris de ne pas rencontrer d'autre patrouille. Si jamais il avait été à la place de l'empereur, il se serait méfié de ce brouillard, et il aurait encore plus renforcé la garde. Mais il se souvint alors que le nouvel empereur était un gamin stupide, braillard et immature. Peut-être n'y avait-il pas pensé. Et peut-être pas. Malek se résolut à rester sur ses gardes. Tout cela, cette chance insolente dont ils avaient bénéficié jusqu'à maintenant, cela pouvait être un piège. Marmonnant pour lui-même, il baisa doucement le pendentif que Deria lui avait donné.
"Qu'est-ce que tu fais" chuchota Shareen, lui rentrant dans le dos
"Rien, rien" murmura-t-il en réponse, avant de heurter lui-même Laath de plein fouet. Le jeune cambrioleur venait de s'arrêter. Ils étaient arrivés devant le palais proprement dit.
"C'est maintenant…"
"… Que les choses sérieuses commencent" compléta Malek avec un demi-sourire. "Alors ? Comment est-ce qu'on rentre ? On frappe à la porte d'entrée ? On passe par une fenêtre ? On escalade ?"
Laath lui retourna son sourire.
"Un peu de tout ça. On escalade, et on passe ensuite par une fenêtre"
Shareen lui pressa le bras.
"J'espère que tu sais ce que tu fais, Laath. Tu ne connais pas le palais, après tout. Tu ne veux pas demander de conseils à Malek ?"
"J'ai visité le palais lorsque vous étiez au chevet de l'empereur, et je l'ai encore plus exploré après m'être fait poursuivi. Je me suis caché dans l'aile gauche du bâtiment. Je suis sorti par la fenêtre, je suis convaincu que personne ne l'utilise, il y avait de la poussière partout. Un vieux débarras avec des trésors de chasse d'un autre temps"
"Une minute" fit Malek, incrédule. "Qu'est-ce que tu viens de dire, sur cette histoire de poursuivants ? Tu as eu des ennuis ?"
Laath hocha la tête doucement.
"C'est vrai que je ne vous ai pas raconté tout ça. J'avais complètement oublié, avec votre noyade, et la capture de Rekk" Il haussa les épaules. "Ca n'a aucune importance. On en discutera plus tard. Venez !"
 
Pour quelqu'un qui avait escaladé les murs d'enceinte, le mur du palais ne présentait aucune difficulté. Sans même prévenir ses compagnons, Laath bondit en avant, et grimpa comme un chat le long de la pierre, profitant des appuis de fenêtre pour accélérer le rythme. Arrivé au second étage, il s'accrocha au rebord d'une lucarne, et laissa filer la corde.
Se penchant en avant, il cligna des yeux pour vérifier que le débarras n'avait pas changé depuis sa dernière visite. Non. Rien ne bougeait. Les lumières des chambres environnantes ne filtraient pas à travers les persiennes. C'était presque trop facile.
Lorsqu'il était sorti, le jeune homme avait soigneusement refermé la fenêtre, mais n'avait pas tourné le loquet. Maintenant, ce n'était qu'un jeu d'enfant que de glisser son poignard dans la rainure et de l'ouvrir de nouveau.
Une minute plus tard, tous étaient à l'intérieur.
 
Laath les avait prévenus, pourtant les jeunes gens ne purent retenir un moment de surprise devant l'amoncellement d'ossements de gibier et de têtes d'animaux naturalisés. On pouvait y voir plusieurs cerfs aux bois impressionnants, une hure de sanglier en parfait état, et la tête d'une biche tellement bien empaillée que ses yeux semblaient encore pleurer des larmes de sang. Shareen recula d'un pas, frissonnante.
"Cet endroit me donne la chair de poule" murmura-t-elle.
"Ce n'est pas des animaux morts dont j'ai le plus peur, mais des humains vivants" rétorqua sèchement Malek, assurant sa prise sur sa dague. "Je suppose que les choses sérieuses commencent, maintenant qu'on est à l'intérieur ?"
"On peut dire ça" sourit Laath. "Si jamais quelqu'un nous découvre maintenant, ça va devenir difficile d'expliquer notre présence."
"Si on rencontre un garde, maintenant, on tue" grimaça Shareen, éprouvant le tranchant de sa dague. Une goutte de sang perla sur son doigt. "On a trop avancé pour pouvoir reculer"
"C'était profond, ça" fit Laath, amusé. "Maintenant, plus un bruit. Je n'ai aucune idée d'où sont les geôles, mais je suppose qu'elles doivent être au sous-sol. Il va falloir qu'on descende discrètement"
"Et les gardes qui seront là-bas ?"
"On avisera"
 
Doucement, Laath tourna la poignée. La porte ne grinça pas en s'ouvrant, ce qui était une bonne chose. Il se retrouva face à une lance pointée sur sa poitrine, ce qui était une mauvaise chose.


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n°2898893
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 08-06-2004 à 10:12:55  profilanswer
 

MWHAHAHAHAHAHAHAH ! Le post ci-dessus était le 666 ! Le démon est parmi vous ! Bwhahahah...hahah..hah...*ahem*
 
*tousse*
 
Bon, je vais prendre mes p'tites pilules moi... :D


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n°2899071
swobz
Posté le 08-06-2004 à 10:32:05  profilanswer
 

Ca m'intresse aussi, mais y'a pas moyenne de le téléchargé pour le lire offline avec un format un peu plus utilisable que l'html avec des commentaires partout?


Message édité par swobz le 08-06-2004 à 10:33:14
n°2899158
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 08-06-2004 à 10:40:30  profilanswer
 

Non, je suis désolé mais je n'ai jamais pris la peine de le faire. Sans compter que, déjà que des abrutis piquent mon histoire pour la mettre sur leur site, je ne veux pas imaginer ce qu'ils feraient avec une version papier.
 
Et puis bon, comme ça je sais ceux qui sont motivés et ceux qui ne le sont pas :D


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n°2899316
docwario
Alea jacta est
Posté le 08-06-2004 à 10:58:37  profilanswer
 

Ainsi, il pourrait au moins veiller sur Shareen, et vérifier qu'elle se sorte de là vivante. Qu'elle s'en sorte vivante ?
 
hummm, ca s'annonce bien !

n°2900252
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 08-06-2004 à 12:24:01  profilanswer
 

Grenouille Bleue a écrit :

Non, je suis désolé mais je n'ai jamais pris la peine de le faire. Sans compter que, déjà que des abrutis piquent mon histoire pour la mettre sur leur site, je ne veux pas imaginer ce qu'ils feraient avec une version papier.
 
Et puis bon, comme ça je sais ceux qui sont motivés et ceux qui ne le sont pas :D


c'est clair...
 
beaucoup trop court le précédent chapitre :o

n°2900280
Orkin Maru​s
Arvi pâ !
Posté le 08-06-2004 à 12:28:33  profilanswer
 


beaucoup trop court le précédent chapitre :o
 [:carbonim]


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écrire, y'a que ça de vrai !
n°2917546
foularou
Posté le 10-06-2004 à 08:54:07  profilanswer
 

Thx Grenouille Bleue, pour cette suite. On attend le Chapitre V avec impatience :)

n°2918017
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 10-06-2004 à 10:10:12  profilanswer
 

Paf, le chapitre cinq.
A la recherche du Rekk perdu (ta da da dam daaaaaa !)
 
_______________________________________________________
Laath s'arrêta net. La lance était étrange, la hampe plus souple, la pointe plus large que celles qu'il connaissait. Mais cela ne changeait rien au problème. Si jamais il respirait trop profondément, il avait l'impression que le sang jaillirait, tant la lame d'acier était proche de son ventre. Il déglutit.
"Je me disais bien qu'il y avait des bruits bizarres" ricana l'homme. "Voyons voir ce que j'ai attrapé… Un gamin, rien que ça !"
 
C'était une véritable brute, qui avait visiblement forcé sur la boisson de la manière dont ses yeux ne cessaient de ciller. Son haleine était pestilentielle et sentait le vin et l'alcool de poire. Mais sa prise sur la lance n'en était pas moins ferme, alors qu'il contraignait Laath à reculer d'un pas à l'intérieur de la chambre.
"Je ne voulais pas…" balbutia le jeune homme, cherchant frénétiquement une solution.
"Tu ne voulais pas… quoi ?" imita le garde, avant de partir d'un rire gras. "J'espère que tu as une bonne raison pour être dans le palais cette nuit, petit. Tu sais que le nouvel empereur, il aime pas les voleurs. Alors moi non plus, ça non. J'avais bien vu que quelqu'un était passé par là. Yavait des traces partout, comme si quelqu'un s'était caché. Et puis la fenêtre était ouverte" Il rit de nouveau, fier de son sens de l'observation.
Laath aurait pu se gifler. Il s'était cru tellement habile, tellement malin, mais il n'avait même pas fait attention à dissimuler ses traces lorsqu'il avait fui les gardes, la veille. Mais tomber sur un soldat si obstiné et consciencieux qu'il patiente pendant la nuit devant cette porte… C'était un manque de chance flagrant, s'il en était.
"Je peux tout expliquer" murmura le jeune homme, avalant sa salive avec bruit.
 
"Ca a intérêt à me convaincre, gamin. Et ça a surtout intérêt à être la vérité, parce que le vieux Glamdush aime pas qu'on lui raconte des histoires. Ca fait deux heures que je surveille ce couloir, alors j'espère que c'est une sacrément bonne explication…"
Laath prit une grande inspiration. Il fallait absolument qu'il invente un mensonge crédible. Il recula d'un pas, et le garde le suivit. Un autre pas, et Glamdush se retrouva dans l'embrasure de la porte.
"Je… je voulais voir si je parviendrais à rentrer dans le palais. Les gars du quartier, ils disent que je ne suis pas courageux, parce que je ne fais pas les mêmes bêtises qu'eux. Alors je voulais leur montrer. Je leur ai dit que je rentrerai dans le palais cette nuit, et que je ne me ferais pas attraper. Mais je n'ai pas eu de chance…"
"Ouais… Non seulement t'as pas eu de chance, mais en plus tu me prends pour un abruti. Déjà, je crois pas ton histoire de pari, je te le dis tout de suite. Mais même si c'était vrai, pourquoi est-ce que tu reviens, alors ? Je sais que tu es déjà venu, j'ai vu les traces. Une fois, ça suffit, non ?"
 
Laath recula à nouveau de deux pas, et le garde le suivit. La pointe lui piqua doucement dans son ventre, et il gémit alors que la douleur remontait à son cerveau.
"Je vous jure que c'est la vérité" glapit-il. "J'ai profité de la journée pour reconnaître les lieux et ouvrir la fenêtre, c'est vrai ! Mais ils ont dit que ça ne suffisait pas, que n'importe qui pouvait rentrer dans le palais durant la journée. Je vous assure que je ne mens pas !" Il arbora avec conviction son air de chien battu cherchant à se faire pardonner. Le garde retira sa lame, et lui donna un violent coup de hampe sur le crâne, le faisant tituber. Il recula, à moitié assommé. Le soldat le suivit dans la pièce.
"Je t'ai dit de ne pas te foutre de moi ! Tu vas me suivre, et on va aller voir le sergent. Il saura sûrement te faire parler, lui. Il a des techniques qui ne sont pas humaines, et tu vas parler, je te le dis !"
Son rire épais s'étouffa alors qu'une dague glissait contre sa gorge. Le sang jaillit violemment, tel un torrent longtemps emprisonnée sous terre qui retrouvait enfin la surface. Incrédule, le garde lâcha sa lance et porta ses mains à son cou. Le flot de sang qui teinta ses doigts le fit gargouiller. Désespérément, futilement, il tenta de stopper l'hémorragie, mais sa vision était déjà floue, de plus en plus floue. Il s'affaissa lentement. Ses mains étaient rouges.
 
Laath laissa fuser un long soupir. Malek surgit de derrière le corps. Ses doigts étaient blancs tant il serrait avec force le poignard ensanglanté. Il tremblait doucement. Shareen sortit du recoin dans lequel elle s'était dissimulée. Elle aussi tenait son couteau d'une main ferme.
"Laath ? Tout va bien" s'enquit-elle, la voix peu assurée.
"Je crois. Oui. Oui, tout va bien. Vous l'avez tué ?" fit-il, incrédule.
"On n'avait pas tellement le choix. Qu'est-ce que tu voulais qu'on fasse" protesta Malek. Avec écoeurement, il se pencha, et essuya sa dague sur les vêtements de l'homme, laissant une large trace rouge sur sa cape impériale.
"Je ne sais pas, l'assommer ? Il ne faisait que son travail, après tout. C'est nous, les intrus, pas lui !"
Malek haussa les épaules. Il tentait de faire bonne figure, mais son visage était pâle comme celui d'un mort.
"Je suis désolé, je dois dire que je n'ai pas réfléchi. Mais je te trouve bien délicat pour un brigand"
Laath lui lança un regard furieux.
"Je ne suis pas un brigand. Je suis un cambrioleur ! Je n'ai jamais tué personne ! La violence, ça ne sert vraiment à rien quand la subtilité peut suffire"
"Dit ça à Rekk" fit Malek, amusé. "Je suis sûr qu'il serait ravi d'entendre tes arguments"
"Vous n'avez pas fini, tous les deux ?" protesta Shareen, s'interposant entre les deux garçons. "On a peut-être mieux à faire que se disputer tout de suite, non ?"
Les deux jeunes gens se lancèrent un regard venimeux, puis Laath détourna les yeux.
"Tu as raison. Occupons-nous de cacher le corps dans un coin, et repartons"
"On pourrait prendre ses habits, non ?" proposa Malek. "L'un d'eux pourrait se déguiser en garde ?
Le cambrioleur haussa les épaules
"Ca ne marchera jamais. Jamais tu ne résisterais à une inspection poussée"
"Tu es trop pessimiste. Je suis sûr que je ferais un garde parfait ! Et puis, aujourd'hui en particulier, il y a tellement de gardes dans le palais que personne ne pourra me reconnaître"
"Mmh.." Laath se détourna ostensiblement. "Fais comme tu veux. Mais il n'y a qu'un seul garde; si tu veux te déguiser, nous devrons te suivre à distance. Ca ne rimerait à rien"
Malek regarda avec regret le corps sur le sol. Il soupira.
"Tu as peut-être raison. Bon, cachons le corps alors, et repartons."
"Heureux de voir que tu es sensible aux arguments" fit Laath, son sourire enlevant un peu du reproche dans sa voix.
 
Ils s'y prirent à trois pour soulever l'homme, et le traîner dans un coin de la pièce. Avec effort, Malek renversa un perchoir sur lequel un perroquet empaillé le regardait en silence. Puis il posa une tête de cerf par-dessus le tout. Ca ne faisait pas un camouflage très crédible mais, au premier regard, on pouvait voir un amoncellement de vieilleries, plutôt qu'un corps ensanglanté. C'était déjà mieux.
Malek essuya d'un revers de main la sueur qui lui coulait dans les yeux.
"Finalement, c'est facile de tuer; ce qui est dur, c'est ce qui se passe après"
"C'est très profond, ce que tu dis là" observa Shareen, se mordant les lèvres pour ne pas sourire. Malek lui lança une bourrade.
"Il faudrait peut-être que nous repartions, non ?" fit Laath impatiemment.
Malek se baissa une dernière fois et s'empara de l'épée de l'homme. Elle était mal équilibrée pour sa main, mais c'était toujours bien mieux que la dague qu'il avait utilisé. Il se sentait revivre. Il avait eu l'impression d'être totalement nu, sans lame à son côté. Il caressa le fourreau d'un doigt furtif et murmura une prière à la Déesse du Destin, qui s'était jusque là révélée plutôt miséricordieuse.
"Allons-y" acquiesca-t-il.
 
Laath prit autoritairement la tête du petit groupe. Il avançait à moitié courbé, les mains écartées en balancier, et ses pieds ne faisaient pas le moindre bruit en touchant le parquet. On ne pouvait en dire autant de Malek et de Shareen. Malgré tous leurs efforts, le plancher grinçait dangereusement à chacun de leurs pas, et le jeune cambrioleur leur lançait épisodiquement des regards courroucés. Eh bien, désolé de ne pas être un aussi bon voleur que toi, pensa Malek avec colère. Il n'avait jamais eu l'intention d'être un poids pour personne, mais il lui semblait que, depuis un mois, il n'avait fait que gêner des gens plus habiles, plus forts, plus expérimentés que lui. C'était une pensée déprimante, et il la repoussa bien vite de côté.
 
Les couloirs paraissaient interminables, surtout à cette allure d'escargot. Parfois, des tapis épais leur permettaient de ne plus avoir à se soucier du bruit mais, autrement, Malek ne cessait de gémir en écho des grincements du bois. Il se sentait nerveux à l'extrême. Il faillit pousser un cri alors que plusieurs formes sombres se profilaient dans la pénombre. Mais ce n'étaient que de vieilles armures. Juchées sur leurs piédestaux, des heaumes vides depuis plusieurs centaines d'années les regardaient avec une expression austère. Des gants sans main serraient de longs glaives tous simples, des armes qui avaient connu la violence et la guerre. Des armes grâce auxquelles l'Empire avait réussi à s'étendre au long des siècles.
 
"Je vais prendre une de ces armes" murmura Shareen, s'approchant d'une armure. "Toi, tu as l'épée du garde, mais je n'ai rien. Si jamais il nous faut combattre, je préfère utiliser autre chose qu'une dague"
"Attention au bruit" siffla Laath. "Il ne faut pas qu'on perde de temps !"
"Ne t'inquiète pas" répondit la jeune fille, desserrant doucement l'étreinte de gantelets de plate sur la lame qu'il convoitait. Elle procédait avec d'infinies précaution, tentant de ne pas déséquilibrer l'armure. Elle sentait le regard impatient du cambrioleur sur son dos, mais l'opération ne prit finalement que quelques secondes. Avec fierté, elle exhiba sa nouvelle acquisition.
"Je l'ai !"
"Ca y est, tu es contente ? On peut y aller ?"
 
Sans un regard en arrière, Laath reprit sa progression. Malek secoua la tête avec commisération avant de lui emboîter le pas. Shareen haussa les épaules. Furtivement, elle jeta un regard à sa nouvelle arme. C'était une épée de bon acier, mais bien plus lourde que ce à quoi elle se serait attendu. L'arme paraissait vieille dans ses mains, mais la lame en étant toujours mortellement tranchante. Un espace vide dans le pommeau laissait croire qu'elle avait été richement incrustée autrefois mais, quelle que fût la pierre précieuse qui reposait là des années auparavant, une main cupide s'en était emparée. Il y avait aussi des marques plus sombres vers la pointe de la lame. Elle avait pris cela au début pour de la rouille, mais un examen plus approfondi ne laissait aucun doute: c'étaient des traces de sang. Elle ne savait pas à quel ancien guerrier il avait pris son arme, mais elle avait en tout cas déjà servi. La pensée était troublante. Quels faits d'armes avait-elle pu aider à accomplir ?
"Tu as probablement contribué à forger des légendes" murmura-t-elle doucement à la lame. "Maintenant, c'est moi qu'il faut aider"
Malek se tourna vers elle, inquiet, mais elle se contenta de lui sourire. Parler à une épée. Je suis complètement folle. C'est cette angoisse omniprésente…
 
Au détour d'un couloir, Laath s'interrompit soudain, tous les sens aux aguets.
"Des gardes" murmura-t-il. "Ils arrivent"
"On va les combattre ?" Shareen leva avec enthousiasme sa nouvelle épée. Enfin, de l'action, quelque chose. L'indécision la rendait folle.
"Par là"
Le cambrioleur ne prit pas même la peine de lui répondre. Sans hésiter, il ouvrit une porte sur la gauche, et tous s'engouffrèrent dans la pièce. Il referma la porte avec douceur et colla son oreille à la cloison.
 
Malek jeta un œil à la pièce, et son cœur s'arrêta de battre. Ils étaient dans une chambre à coucher. Un grand lit à baldaquin occupait près d'un tiers de la pièce et un couple ronflait tranquillement dedans, enlacés. La femme était à moitié cachée par les couvertures, mais l'homme avait la tête sortie et la bouche ouverte. Malek le connaissait de vue. C'était le frère du Duc de Lion. Où était-ce le cousin ? En tous les cas, un noble d'une Maison importante, qui avait dû venir spécialement pour les funérailles de l'empereur et le couronnement du nouveau.
La fenêtre était ouverte sur la nuit et l'orage. La pluie crépitait contre le rebord, et l'orage grondait de temps en temps en contrepoint. Malek était reconnaissant de ces bruits parasites. Avec un peu de chance, le couple ne se réveillerait pas. Il reporta son attention sur la porte.
 
Laath avait les yeux collés sur la serrure, et ce qu'il voyait semblait lui plaire. Il attendit une bonne minute ainsi, avant de rouvrir délicatement la porte.
"Les gardes sont passés. On peut repartir"
Ce fut avec soulagement que Malek déboucha de nouveau dans le couloir. Il avait les jointures blanches à force de serrer son épée.
"Détends-toi" murmura Shareen, caressant doucement son bras. "Tu es tout crispé"
"Ca va, ça va" Il prit une grande inspiration. "Continuons. Laath va partir sans nous, si nous traînons"
De fait, le cambrioleur était déjà loin. Il leur fallut accélérer pour les rattraper, alors que le plancher grinçait de nouveau.
Enfin, ils arrivèrent aux escaliers. Si ses souvenirs étaient bons, ceux-ci descendaient jusqu'au rez-de-chaussée, puis s'enfonçaient dans les sous-sols du palais. Il n'avait jamais imaginé qu'il puisse y avoir des geôles alors qu'il jouait dans la citadelle, enfant. Mais si geôle il y avait, alors elles ne pouvaient que se trouver au bas de ce sombre escalier en colimaçon. Laath les emprunta sans hésiter une seule seconde. Ce ne fut qu'arrivé au rez-de-chaussée qu'il attendit patiemment que les autres le rejoignent.
"C'est maintenant que les choses vont se compliquer" murmura-t-il.
"Je ne sais pas pourquoi, j'étais sûr que tu dirais ça" répondit Malek avec fatalisme. Shareen pouffa et se colla de nouveau contre lui. Ses petits seins se pressaient contre son côté.
 
Il avait bien besoin de ce changement d'idées. La descente était plus angoissante qu'il avait pu l'imaginer. Avancer dans un palais désert, au milieu d'une forêt de patrouilles de gardes, accompagné d'un sauvage avec une lance, n'était pas la meilleure chose à faire si l'on voulait vivre vieux.
Les murs ici étaient suintants d'humidité et couverts de moisissure. Plus ils s'enfonçaient profondément dans la terre, plus les escaliers se changeaient en un boyau raide, éclairé par quelques maigres torches. Laath ne ralentissait pas son allure, posant le pied sur les marches ébréchées et recouvertes de spores comme s'il avançait sur un tapis moelleux. L'escalier tournait et tournait, s'enroulant sur lui-même comme un escargot à la coquille pleine de boue. Malek sentait progressivement la confiance revenir en lui. Ce n'était que ça, après tout ?
"…trop tôt !"
"…plaindre ! … trois heures ! …. Gagne…"
Laath se figea brusquement alors que les bribes de dialogue montaient vers lui. Il inclina la tête de côté, comme pour mieux écouter.
"On dirait qu'il y a du monde pour surveiller les geôles. Le contraire m'aurait étonné. Restons silencieux, maintenant."
A pas de loups, le cambrioleur descendit les quelques marches qui restaient, les autres sur ses talons. Malek essuya la sueur qui lui coulait dans les yeux. Il avait l'impression que son cœur allait exploser dans sa poitrine. Les soldats ne pourraient éviter de l'entendre, s'il continuait à battre à ce rythme. Ou alors, ils entendraient sa respiration saccadée. Ou bien encore le cliquetis de l'épée alors qu'il ne pouvait empêcher ses mains de trembler. C'était un petit réconfort de voir que Shareen avait l'air plus effrayée que lui encore. Elle semblait avoir du mal à trouver de l'air. Il la prit dans ses bras en souriant. C'était étonnant, ce que trouver quelqu'un à réconforter pouvait aider contre sa propre peur. Avec précaution, il glissa un œil au-delà de l'escalier.
 
Au premier regard, il put constater qu'ils ne s'étaient pas trompés d'endroit. De l'autre côté de la pièce, on pouvait voir une épaisse herse en fer forgé, visiblement très épaisse, qui donnait directement sur un couloir parsemé de cachots. Malek pouvait sentir d'ici l'odeur pestilentielle de paille souillée qui se dégageait de l'endroit, et entendre les cris déchirants qui rythmaient la nuit.
Les gardes ne paraissaient pas particulièrement intimidés ni incommodés par la proximité de ces pauvres diables. Ils étaient quatre à occuper la pièce. Trois d'entre eux étaient assis en tailleur sur le sol à jouer aux dés ou aux cartes. Le dernier occupait l'unique chaise et ronflait doucement, visiblement perdu dans les vapeurs de l'alcool. Trois pichets de vin trônaient sur la table, entièrement vides. Certains avaient une bonne descente.
Les conversations étaient maintenant beaucoup plus distinctes.  
 
"Encore une heure ? Je n'arriverais jamais à tenir aussi longtemps ! Ca fait combien de temps qu'on est là, je m'engourdis complètement !"
"Dis plutôt que tu veux retrouver la petite servante, là, comment elle s'appelait ? Celle qui n'a pas arrêté de te regarder pendant le couronnement"
"Arrête, elle est vraiment moche ! Je ne suis pas désespéré à ce point !"
"Comment ça, moche ? Elle est bien ronde, là où il faut ! Qu'est-ce que tu lui demandes de plus ?"
Il y eut un concert de rires gras alors que les dés roulaient sur le sol, puis des exclamations lorsque le score fut révélé.
"Triple cinq ! La déesse de la chance est avec moi, ce soir !"
"La déesse des cocus, oui ! Foutu salaud, ça fait vingt pièces de cuivre que tu me prends en une heure ! Comment je vais me payer à boire, demain ? Tu peux me dire ?"
"Tu demanderas à ta servante !"
"Je t'ai dit qu'elle n'était pas à mon goût ! Non, moi, il y en a une qui me plaisait bien, c'est la petite que le prince recherche, là. Tu sais, elle était là, au bal. Je t'en avais parlé. Un beau morceau, je te dis. Pas assez de seins, mais une bouche faite pour l'amour !"
"Oublie la, elle n'est pas pour toi, mon vieux. Tu n'as pas intérêt à chasser le même gibier que l'empereur, ça m'étonnerait qu'il apprécie"
"Tu as raison. Non, moi, ce qu'il me faudrait, c'est une Koushite. On dit qu'elle sont farouches, mais que quand on les dresse…"
 
De nouveau, il y eut plusieurs éclats de rire, suivis par des suggestions sur la manière d'amener à l'obéissance les plus sauvages des filles. Malek écoutait avec intérêt, jusqu'à ce que Shareen lui lance une bourrade furieuse dans les côtes.
"Tous les hommes sont des porcs, ma parole !" cracha-t-elle, avant d'ajouter, un ton plus bas: "Tu crois que c'est de moi dont il parlait ?"  
"Je pense. Je ne connais pas beaucoup de filles à la poitrine plate" ironisa-t-il, pour se venger du regard noir qu'elle lui lançait. "Bon, on fait quoi, maintenant ? Ils sont très nombreux !"
Laath haussa les épaules.
"J'avais un plan, mais je ne sais pas si c'est possible, maintenant…" Il fouilla dans ses poches, et produisit une petite fiole. "Là-dedans, il y a assez pour endormir une petite armée. Enfin, une dizaine de personnes, quoi. Mais je ne sais vraiment pas comment on pourrait le leur faire boire…"
"Où est-ce que tu t'es procuré ça ?" fit Malek, incrédule. "Tu ne nous en as pas parlé avant !"
"C'était un cadeau de Dame Dani. Elle appelait ça sa "petite contribution à notre aventure". Mais je ne sais pas vraiment comment on va pouvoir s'en servir, maintenant. Ils sont trop nombreux pour que tous succombent à l'effet, de toute façon. Il faut qu'on trouve autre chose"
"Des bruits de pas ! Silence !" murmura soudain Shareen.
 
Instinctivement, les deux garçons remontèrent de quelques marches pour se soustraire aux éventuels regards. C'était une erreur, bien entendu. Le martèlement de sandales qu'avait entendu la jeune fille ne venaient pas de la salle de garde, mais bien d'au-dessus.
"Nous sommes perdus" murmura Laath, fermant les yeux. "Pourquoi maintenant ? On y était presque"
"Nous vendrons chèrement notre peau" siffla Malek en réponse, tirant son épée sans un bruit.
"J'aurais préféré ne pas avoir à la vendre du tout" rétorqua Laath. Il sortit un poignard de sa manche, arborant une expression malheureuse.
"Le voilà" murmura Shareen, se pressant contre Malek.
 
Les bruits de pas se firent plus insistants. La personne ne cherchait absolument pas à passer inaperçu. Lorsqu'elle tourna le coin du mur et tomba nez à nez avec eux, on n'aurait pu dire qui était le plus surpris. La personne de se retrouver face à trois jeunes gens armés au regard féroce – ou les trois jeunes gens en question de voir que celle qui leur avait fait aussi peur était simplement une servante portant un plateau de nourriture. Malek laissa échapper un juron. Laath laissa retomber son bras armé. Et la servante ouvrit la bouche pour crier.
Shareen fut plus rapide. Elle se jeta en avant dans un mouvement fluide, et posa la lame de sa dague sur la gorge de la jeune fille, assez proche pour faire perler une goutte de sang au milieu de son cou.
"Tu cries, je te tue. Tu te débats, je te tue. C'est compris ?"
 
Stupéfaite, prise par surprise, la femme ouvrit de grands yeux, mais le hurlement resta coincé dans sa gorge. Lentement, elle hocha la tête.
"Ne… ne me tuez pas" balbutia-t-elle.
"Ca, ça dépend des réponses que tu vas nous donner" fit Shareen, la voix glaciale. Malek la regarda avec étonnement. Il ne pensait pas qu'elle puisse faire preuve d'autant de contrôle d'elle-même. Elle avait réagi d'instinct, et semblait maintenant contrôler totalement la situation. Peut-être était-ce le fait d'avoir côtoyé Rekk ? Ses méthodes expéditives semblaient avoir un effet particulier sur la femme, qui se recroquevilla sous la menace de la lame.
"Tout ce que vous voulez… ne me tuez pas… J'ai un enfant…Ne me tuez pas…"
La servante paraissait bien jeune pour être mère. Shareen eut une moue dubitative, avant de se pencher plus avant, jusqu'à ce que leurs visages se touchent.
"Je te l'ai dit, dis-nous la vérité, et il ne t'arrivera rien" susurra-t-elle, en une parfaite imitation des manières froides du Banni. "Est-ce que d'autres serviteurs vont descendre ici bientôt ?"
 
La jeune femme secoua la tête misérablement, et se mit à parler comme une fontaine intarissable, le débit rapide et saccadé.
"Tout le monde est parti. C'est la cuisinière, ils sont montés tout à l'heure la déranger alors qu'elle allait partir se coucher, pour lui demander à manger et à boire. Ils ont dit qu'ils n'avaient pas eu assez, que tout le monde faisait la fête dans le palais pour le couronnement, et que ce n'était pas juste qu'ils n'aient que des miettes, tout ça parce qu'ils devaient surveiller un prisonnier important. La cuisinière n'était pas contente, elle leur a dit qu'elle leur enverrait quelqu'un, et c'était moi, mais ne me tuez pas, je vous en prie, je vous en supplie"
Malek sentit une boule dans sa gorge. A quelques minutes près, ils seraient tombés sur les gardes en train de monter exiger de la nourriture. Ils n'auraient jamais pu se cacher, dans cet escalier ! Ils l'avaient échappé belle…
La femme sanglotait doucement, maintenant, et Malek sentit un élan de pitié vers la pauvre servante. Mais Shareen était toujours aussi impitoyable, tournant doucement le poignard sur la gorge offerte comme si elle envisageait de l'enfoncer.
"Et la relève des gardes est pour quand ?"
La femme leva des yeux mouillés de larmes.
"Je ne sais pas, je vous jure que je ne sais pas ! Oh, ne me tuez pas, je vous en prie"
Malek s'empara du poignet de Shareen avec fermeté.
"Laisse-la tranquille. On sait ce qu'on voulait savoir. Ne la tue pas"
Elle ouvrit de grands yeux candides.
"Qui a dit que j'allais le faire ? Il n'y a bien que vous, les hommes, pour abattre les gens lorsque ce n'est pas nécessaire… n'est-ce pas Malek ?" Elle se pencha vers la servante. "Non, il y a bien mieux à faire. Toi et moi allons avoir une petite conversation. Viens avec moi. Restez ici, vous deux. Je vous rejoins tout de suite"
"Qu'est-ce que tu veux faire ?"
"J'ai été une servante, moi aussi. Je suis sûre que ses habits m'iront très bien. Ne me suivez pas"
Malek haussa un sourcil devant le ton de commandement, mais ne bougea pas alors que les deux filles remontaient lentement les marches, la servante toujours sous la menace de la dague.
Il s'assit, de mauvaise humeur.
"Je suppose qu'il ne nous reste plus qu'à attendre"
"Ne te plains pas" sourit Laath. "Sans Shareen, la fille aurait donné l'alerte. C'est une sacrée gamine, ta copine. Elle me rappelle un peu Deria, par moment. Mais elle est plus innocente, je trouve"
"Ah oui ? Je n'en ai pas l'impression, moi" marmonna Malek. Puis, machinalement, il rajouta: "Ce n'est pas ma copine"
"J'ai vu avec quels yeux tu la regardais…"
"Ca n'a rien à voir ! Je peux te dire que…"
 
Il s'interrompit alors que de nouveaux bruits de pas se faisaient entendre. Instinctivement, il porta de nouveau sa main à son épée, mais c'était Shareen qui redescendait. Elle avait abandonné ses vêtements gris pour enfiler l'ample robe et le tablier de la servante, et elle avait attaché ses cheveux en queue de cheval, comme le faisaient toutes les filles pour éviter que la graisse ne les souille. Elle portait dans ses mains le plateau qu'avait la femme auparavant, avec quelques miches de pain, deux pichets de vin et un peu de lard fumé.
 
"Alors, comment vous me trouvez ?"
"Superbe" fit Malek, sincèrement. "Une vraie fille de cuisine" Elle lui tira la langue, faussement ingénue.
"Tu comptes essayer d'empoisonner les gardes avec ma fiole ?" fit Laath, dubitatif. "L'un d'eux a dit qu'il t'avait déjà vue au bal, si tu te rappelles bien ses propos. Il va forcément te reconnaître"
"Je ne pense pas" fit-elle en secouant la tête. "Il a vu une jeune noble habillée de soie, les cheveux lâches et peignés. Je ne pense pas qu'il me reconnaisse dans la souillon qui va venir leur apporter leur repas. Je ne sais pas comment il pourrait faire le rapprochement. Et puis, est-ce qu'on a vraiment une autre solution ?"
Malek resta un instant à la regarder. Elle avait ce serrement de mâchoire, ces yeux volontaires qu'il avait appris à connaître. Une vraie tête de mule. Il ne la ferait pas changer d'avis.
"Si les choses tournent mal, nous irons t'aider" se contenta-t-il de dire, touchant le pommeau de son épée comme pour sceller la promesse.
"Les choses ne tournent jamais mal, quand c'est moi qui m'en occupe. Laath, tu peux me donner le poison ?"
Le cambrioleur produisit de nouveau sa petite gourde de potion, et entreprit d'en verser dans les deux pichets. Par acquis de conscience, il en répandit un peu sur le lard également.
"Quoi ?" fit-il en voyant les autres le regarder. "Il paraît que sa saveur est indétectable, c'est le moment de vérifier. Si on n'en met que dans le vin et que l'un d'eux ne boit pas, les choses se compliqueraient"
"Tu as raison. J'y vais"
Sur ces mots, et sans attendre de réponse, Shareen s'empara du plateau et descendit les marches d'un pas assuré. Malek et Laath l'accompagnèrent jusqu'en bas puis se coulèrent dans l'ombre, résignés à suivre la scène en observateurs.
 
"Voici le vin et la nourriture que vous avez demandé" fit la jeune fille en rentrant dans la salle, baissant les yeux avec déférence.
"Aaaah, c'est pas trop tôt !" se réjouit un des gardes, rabaissant la lance qu'il avait saisie lorsqu'elle avait surgi. "Ca fait plus d'une heure qu'on attend ! Et tu nous amènes quoi, petite ? De la nourriture qui tient au corps, j'espère ?"
"De la soupe chaude ?" renchérit un second. "Il fait un de ces froids, dans ces cachots. Quand je pense que c'est le printemps, dehors, et qu'on se gèle bêtement sous terre"
"Il pleut, dehors, abruti" répliqua le sergent, se levant maladroitement de son siège. A voir sa démarche, il devait déjà avoir beaucoup bu. "Tu devrais t'estimer heureux de ne pas être de faction aux portes du palais, ou tu serais déjà trempé comme une grenouille des torrents. Arrête de râler, et remercie la jeune fille pour le bon repas qu'elle nous apporte". Il s'inclina en une révérence, rendue ridicule par son embonpoint. "Merci, gente dame, de se préoccuper de quelques pauvres gardes de faction"
"Il n'y a pas de soupe" s'excusa Shareen, gardant les yeux baissés. "La cuisinière a dû mal comprendre. Mais vous avez du lard et du pain, et du bon vin pour vous réchauffer les os. Ca ne doit pas être facile, de monter la garde aussi tard dans la nuit"
 
Elle déposa le plateau sur la table, et les quatre hommes se ruèrent dessus.
"Ca, tu l'as dit, petite" grommela l'un d'eux entre deux bouchées de pain. "Les pauvres diables qui sont là-dedans, ils ne sont pas lavés, ils pissent et chient sur la paille, c'est vraiment une odeur épouvantable ! Même maintenant, je ne suis pas habitué.."
"Gormash !" Le sergent frappa négligemment le soldat sur son casque. "Ce ne sont pas des choses à dire à une dame. Nous ferez-vous l'honneur de rester un peu nous tenir compagnie ? Il fait froid, comme le disait mon compagnon, et nous manquons cruellement d'occupation"
"Et puis t'es plutôt mignonne" fit un autre, buvant à même le cruchon de vin, le liquide coulant sur son pourpoint. "Ca serait bien si tu restais. Juste pour regarder, je veux dire"
Shareen écarta les bras, un regret sincère peint sur le visage.
"Je voudrais bien rester, mais la cuisinière a dit que je devais remonter tout de suite pour l'aider à tout nettoyer. Tout de suite, elle a dit. Et ça veut dire maintenant. Vous la connaissez. Si je n'obéis pas, c'est le fouet pour moi."
"Ca serait dommage d'abîmer une si belle peau" fit le sergent, hochant la tête en mordant dans une tranche de lard. "Allez, file, va. Va dire à la cuisinière qu'on la remercie de se soucier de pauvres bougres comme nous" Il eut un sourire presque tendre. "Mais si jamais tu as un peu de temps plus tard, ça ne te dérangerait pas de repasser, n'est-ce pas ? On se sent vraiment seuls, ici, avec les bruits de chaîne comme seuls compagnons"
"Tu parles bien, Bornald" grimaça l'un d'eux. Shareen le regardait avec inquiétude, car il n'avait pas encore touché à la nourriture ni à la boisson. Ce fut avec soulagement qu'elle le vit négligemment prendre une cruche des mains d'un de ses compagnons et boire avidement. Il claque de la langue. "Une mauvaise piquette, évidemment. Je ne m'attendais pas à mieux. Mais ça réchauffe le corps, c'est déjà ça." Il hocha la tête en direction de l'homme aviné. "Le sergent joue les jolis cœurs, mais il a raison. Tu devrais filer, petite. La cuisinière a un sacré tempérament. Je ne voudrais pas que tu sois punie à cause de nous" Il sourit amicalement, et lui lança quelques piécettes de cuivre. "Tiens, pour ta peine. Ca ne doit pas être facile de travailler lorsque tout le monde fait la fête"
 
Shareen attrapa adroitement l'argent, et s'inclina le plus bas qu'elle pouvait.
"Merci encore, seigneur" fit-elle avec déférence. "Je pars maintenant, mais j'essaierai de revenir, si je peux"
"Ce sera avec plaisir !" Le sergent lui fit un signe amical. "Bonne chance, et bon courage pour le nettoyage !"
La jeune fille tourna les talons sans hâte excessive. Ce ne fut qu'arrivé dans l'escalier et après avoir rejoint les autres que, cachée aux regards des gardes, elle put laisser échapper un long sifflement alors que la tension se relâchait.
"Je l'ai fait !" murmura-t-elle, incrédule.
Malek hocha la tête, et posa la main sur son épaule.
"Je suis fier de toi. C'était vraiment bien joué"
"Oui, le poison ne devrait pas tarder à agir" observa Laath. "Encore quelques minutes, et ça devrait être bon"
"Ils avaient l'air… gentils" fit Shareen, l'air vaguement surprise. "Je pensais qu'ils allaient essayer de me retenir, qu'ils allaient vouloir… s'amuser avec moi, et que je devrais trouver une excuse, mais ils n'étaient pas méchants"
Malek haussa les épaules.
"Ce sont des gardes, Shareen, pas des monstres. Il y en a des gentils et des moins gentils. Mais s'ils avaient su pourquoi tu étais là, ils se seraient peut-être montrés plus agressifs…"
"Oui" fit Laath "C'est pour ça que la violence est toujours mauvaise. Je suis content qu'on se contente de les endormir, plutôt que d'essayer de nous battre. Même si on gagnait, on tuerait des innocents. Des gens qui sont là au mauvais endroit, au mauvais moment."
"Epargne-nous tes leçons de morale" grommela Malek. "Bon, ils vont bientôt dormir, là ?"
"Un peu de patience, un peu de patience"
 
Le poison était très efficace. L'alcool y était peut-être aussi pour quelque chose. Mais, cinq minutes plus tard, les ronflements des gardes commencèrent à remplir l'atmosphère. Malek se permit de risquer un œil.
Ils étaient tous les quatre assoupis. Le sergent avait ôté son casque et dormait la tête dans les bras, affalé sur la table. Les trois autres gardes dormaient sur le sol, allongés de tout leur long. Deux d'entre eux arboraient un sourire heureux.
"Peut-être rêvent-ils de toi ?" suggéra Malek, souriant.
"Tu es stupide" protesta Shareen. "Quoi qu'il en soit, il faut les attacher, maintenant"
 
Il leur fallut un effort de volonté pour abandonner la sécurité des escaliers et s'avancer dans la salle. Si jamais le somnifère n'était pas aussi puissant, si jamais l'un d'eux se réveillait, les choses allaient vraiment se compliquer.
Mais ils ronflaient à poings fermés, et les quatre se laissèrent neutraliser sans difficulté. Laath utilisait avec habileté le rouleau de corde qu'il portait autour de la ceinture pour les attacher les uns aux autres. Ses nœuds étaient efficaces et rapides à faire. En peu de temps, les quatre gardes ne présentaient plus aucun danger. Parachevant son chef d'œuvre, il introduisit avec douceur un morceau de tissu roulé en boule dans leur bouche, pour être sûr qu'aucun ne pourrait crier. Ils remuèrent vaguement devant cette intrusion, mais aucun œil ne s'ouvrit.
 
"Je ne pensais pas que ce serait aussi facile" fit Malek, haletant. Il était couvert d'une sueur glacée qui lui coulait le long du dos et l'abrutissait totalement. Maintenant, même son statut de fils de duc ne pourrait le sauver: il avait porté la main sur des gardes de l'empire. Puis il se rappela: il en avait tué un, une heure plus tôt. Puis il se rappela encore: l'empereur le voulait mort, de toute façon. Ce qu'il faisait n'avait plus vraiment d'importance.
"Le plus dur est à venir" grommela Laath.  
"Ca faisait longtemps que tu ne nous avait pas dit ça" sourit Malek.
"Le pessimisme et le doute, c'est ce qui fait un bon cambrioleur" rétorqua le voleur. "Et puis, c'est vrai que ce ne sera pas facile: il faut maintenant trouver Rekk, le sortir de son cachot, puis parvenir à l'enlever de la forteresse. Espérons au moins qu'il sera en bonne santé et capable de marcher"
"Ne parle pas de malheur" murmura Shareen.
Ils s'approchèrent de la herse. Lourde et épaisse, en fer forgé, elle était conçue pour résister aux pires assauts venus de l'intérieur. Mais lorsqu'on était dehors, tout était plus facile. En ahanant, Malek et Laath entreprirent de manipuler le mécanisme qui soulevait la porte. Lentement, elle remonta dans le mur.
"Un jeu d'enfant…"
Ils rentrèrent de concert dans les geoles.
Elles sentaient la saleté, la crasse, le vomi, l'urine et les excréments. Il n'y avait pas beaucoup de cellules, huit en tout, réservées aux prisonniers importants. Les criminels les plus ordinaires, Malek le savaient, se retrouvaient dans les prisons de Musheim, à l'autre bout de la ville. On aurait pu croire que ceux qui bénéficiaient des cellules du palais, de par leur rang, auraient plus de confort, pourtant c'était loin d'être le cas. La paille n'avait certainement pas été changée depuis une éternité. L'atmosphère était étouffante.
Et surtout, les cellules étaient vides.
La première ne contenait aucun prisonnier, la seconde non plus. Ni la troisième, ni même la septième.
"Ce n'est pas possible ! Il n'y a personne ?"
"Il y avait des gardes. Il doit forcément y avoir quelqu'un, quelque part !"
Avec désespoir, Malek se jeta sur la dernière geôle, un peu en retrait par rapport aux autres. Elle était occupée, et il sentit l'espoir revenir.
Mais ce n'était pas Rekk. L'homme qui était dans la cellule avait la peau noire.


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n°2918184
foularou
Posté le 10-06-2004 à 10:28:04  profilanswer
 

Merci ;)

n°2924543
PunkRod
Digital Mohawk
Posté le 10-06-2004 à 18:57:13  profilanswer
 

Up de 19h ! :bounce:

n°2929837
ah_ah_ouai​s
vive les moches
Posté le 11-06-2004 à 10:20:23  profilanswer
 

salut grenouille bleue je ne me suis pas manifesté avant mais je voulais juste te dire que ton roman m'a agreablement surpris et j'aimerai savoir quelle sont tes sources d'inspiration, et quel sont tes reference en matiere de fantasy

n°2931009
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 11-06-2004 à 12:14:20  profilanswer
 

ah_ah_ouais a écrit :

salut grenouille bleue je ne me suis pas manifesté avant mais je voulais juste te dire que ton roman m'a agreablement surpris et j'aimerai savoir quelle sont tes sources d'inspiration, et quel sont tes reference en matiere de fantasy


 
Les trois auteurs qui me touchent le plus, pour des raisons différentes, sont Robert Jordan (Wheel of Time), George Martin (Song of Ice and Fire, Fevre Dream) et David Gemmell.
 
Le livre parfait devrait avoir les dialogues de Gemmell, la complexité de Martin et les descriptions de Jordan.


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n°2931405
Orkin Maru​s
Arvi pâ !
Posté le 11-06-2004 à 12:46:58  profilanswer
 


  Peut-être que tu réussiras ce savant mélange...


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écrire, y'a que ça de vrai !
n°2931437
Orkin Maru​s
Arvi pâ !
Posté le 11-06-2004 à 12:48:54  profilanswer
 


  Sinon, t'as eu un appel ou une petite réponse de la maison d'édition ?


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écrire, y'a que ça de vrai !
n°2931938
Grenouille​ Bleue
Batracien Azuré
Posté le 11-06-2004 à 13:26:18  profilanswer
 

Je travaille avec eux sur les corrections en ce moment. Ce qui hélas ne veut pas dire qu'il sera pris un jour, mais au moins ce n'est pas un "non" définitif ;)


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