Mort dAbdul-Khalim Sadullayev
Plus de 15 mois après avoir repris le flambeau de la présidence à Aslan Maskhadov, Abdul-Khalim Sadullayev a été tué à Argoun, sa ville natale, le samedi 17 juin. Il est ainsi le quatrième président de lIchkérie à perdre la vie en 15 ans. Comme lors du décès dAslan Maskhadov, les versions concernant sa mort diffèrent fortement. Après lannonce de la mort de Sadullayev par Nikolai Patrushev, selon lequel Sadullayev serait mort à 11.00 du matin le 17 juin, le Premier ministre tchétchène Ramzan Kadyrov a donné sa version. Selon lui, Sadullayev aurait été tué par la police tchétchène durant la nuit. Il aurait été vendu par un proche pour 50$ - de quoi acheter une dose dhéroïne selon Kadyrov. Pour Kommersant, la découverte de Sadullayev aurait été fortuite, due à la suspicion de travailleurs vis-à-vis du va-et-vient dhommes barbus dans une cave voisine. Les échanges de feu entre les hommes du FSB, des policiers et les habitants de la maison auraient causé la mort du chef tchétchène. Selon Andrei Smirnov, cest cependant la version de la découverte accidentelle de Memorial qui semble la plus plausible. Lorganisation de droits de lhomme pense que le FSB cherchait une maison abritant des combattants tchétchènes. En approchant de la maison où se cachait le leader tchétchène, ils auraient été soumis à un feu nourri, tuant au passage un agent du FSB. Ils y auraient répondu en lançant une grenade, qui aurait été fatale à Sadullayev. Plusieurs autres combattants auraient cependant réussi à senfuir grâce au minivan dun voisin.
La nouvelle a immédiatement ravi les autorités russes et le gouvernement non séparatiste tchétchène. Lui et ses complices ont fait couler beaucoup de sang de civils innocents. Son extermination est un exemple éclatant de ce qui attend les terroristes en Tchétchénie », a déclaré le président tchétchène non séparatiste, Alu Alkhanov. Sadullayev aura eu peu de temps pour laisser son empreinte dans la lutte tchétchène. Pour Liz Fuller, Sadullayev aura surtout réussi à organiser la résistance et à létendre dans les régions voisines. Il avait créé les 6 fronts caucasiens quatre en Tchétchénie, un au Daghestan et un pour le reste du Nord-Caucase divisés en 35 secteurs, qui servent de base pour groupes de rebelles de 20-30 personnes. Tandis que les attaques massives se font rares, les attentats sont fréquents en Tchétchénie et dans les Républiques du Nord-Caucase (voir Russie). Sadullayev a également marqué par les nombreux changements effectués dans la composition de son gouvernement en août 2005 puis début 2006: nomination de Bassaiev comme vice-Premier ministre, Ministère des affaires étrangères transmis dIlyas Akhmadov à Ousman Ferzauli, puis Akhmed Zakayev, et enfin le retrait des modérés et présence de Movladi Oudougov.
Cest donc en toute logique que Dokou Oumarov, 42 ans, nommé vice-président tchétchène en 2005, a succédé à Saidullayev. Oumarov est loin dêtre une personnalité aussi énigmatique que ne létait son prédécesseur lorsquil a succédé à Aslan Maskhadov. Il sest battu au sein du bataillon Borz (loup) durant la première guerre (1994-96). Il a ensuite été nommé secrétaire du Conseil national de sécurité lors de lindépendance de facto de la Tchétchénie. Il a été accusé davoir participé aux kidnappings durant la période de lentre-deux-guerres, ce quil a toujours réfuté. Aujourdhui défini comme un des dirigeants politiques et militaires les plus expérimentés par Chechenpress, il est décrit par le fils de Maskhadov comme « audacieux, brave et courageux
Tout le monde, incluant les combattants dans les autres républiques, vont jurer de le servir ». Il est surtout, avec Bassaiev, un des derniers représentants des combattants de la première guerre, ayant eu un passé dans lUnion soviétique. Il croit en un islam traditionnel, soufi et de nombreux observateurs estiment que cela pourrait renforcer la partie nationaliste du mouvement tchétchène face au côté islamiste. La question de sa capacité de passer du terrain militaire à la gestion politique du mouvement reste posée, même si elle nétait pas moins présente pour ses prédécesseurs également.
Dans sa déclaration du 23 juin, Oumarov a donné sa vision de la lutte et de la présidence quil entend mener. « Ma vision de la fin de la guerre russo-tchétchène est le retrait de la Russie et la reconnaissance de notre droit à lauto-détermination. (
) Comme mes prédécesseurs, je ne pense pas que les Tchétchènes soient moins méritants que les autres peuples pour vivre dans un état indépendant ». Les combats se concentreront sur les « traîtres » en Tchétchénie, les Tchétchènes non séparatistes actuellement au pouvoir, ainsi que sur un élargissement du champ de bataille aux autres régions russes. « Nous avons lintention de finir les préparations cet été pour étendre de manière significative la zone des actions militaires, qui prendront place non seulement dans le Caucase, mais dans toutes les régions de Russie ». Pour éliminer les « traîtres » et les criminels de guerre, Oumarov a annoncé quune unité spéciale a été formée. Elle contiendrait les meilleurs combattants des six fronts caucasiens. Oumarov désire également étendre le travail de son prédécesseur en créant de nouveaux fronts. Mais il a rejeté tout utilisation dactes terroristes. En juillet 2005, il déclarait à Andrei Babitski que si nous utilisons de telles méthodes (terroristes), je pense quaucun de nous ne serait capable de redevenir un humain normal. Un an plus tard, il tient sa ligne: « Comme mes prédécesseurs au poste présidentiel, jarrêterai de manière décisive toutes les attaques contre les objectifs civils et les personnes ». Il a ainsi refusé dutiliser la terreur à lencontre de la population civile, ciblant postes militaires et policiers.
Il reste à voir la future composition du gouvernement. Oumarov a demandé à tous les responsables tchétchènes de rester à leur poste et nommé Chamil Bassaiev, adjoint au Premier Ministre, en tant que vice-président ce 27 juin. Ce dernier lui succédera si Oumarov décède. Les préparatifs pour lété semblent également se précipiter. Une réunion du Conseil de guerre se serait déjà tenue avec les différents chefs de guerre dAdyghée, de Karatchevo-Tcherkessie, de Krasnodar et Stavropol en juin, selon Kavkaz-Center. Selon Arbi Zakriyev, le chef de la police dOurous-Martan, Oumarov et Bassaiev se cacheraient actuellement en Ingouchie. Ils seraient à la tête dun groupe de 15 personnes, résidant dans les montagnes et dormant dans le village de Dottykh selon les informations données durant linterrogatoire dun habitant du village, Adam Petiyev (Pidiyev selon les sources). Ce dernier leur aurait fourni de la nourriture pendant deux semaines. Le Ministre de lIntérieur ingouche a rapidement contesté la version avec véhémence. « Si la police tchétchène possède des informations sur le lieu où se trouvent Bassaiev et Oumarov, pourquoi na-t-il pas informé le Ministère de lIntérieur ingouche ? (
) Juste dire, sans données, que les leaders des terroristes sont en Ingouchie est sans fondement, pour le dire délicatement ».
Pour Apti Bisultanov, ancien ministre tchétchène de la sécurité sociale, la mort de Saidullayev « ne changera pas de manière cardinale la situation dans les rangs de la résistance tchétchène. Le cours des événements est depuis longtemps indépendant des individus, de leurs qualités personnelles ». Pour certains, la nomination de Chamil Bassaiev illustre le manque dalternative au sein même de la guérilla. Est-ce pourtant la fin de la guérilla en Tchétchénie ? Cétait ce même Oumarov qui proclamait un peu plus tôt en 2006 le manque de ressources financières et humaines de la guérilla. Pour lanalyste russe Sergei Markedonov, cest surtout Ramzan Kadyrov qui en ressort renforcé. « Kadyrov est maintenant le seul maître de la république. Ses actions violent souvent le droit russe et la logique de la soi-disant verticale du pouvoir. Aucun autre dirigeant régional na une telle latitude. La résistance a cependant encore des ressources: il est beaucoup trop tôt pour annoncer la fin de la crise en Tchétchénie.
Source : Le courrier tchétchène / N° de Juillet 06
(Le Courrier Tchétchène est réalisé grâce au soutien du GRIP (Groupe de recherche et dinformation sur la paix et la sécurité) et du Groupe Tchétchénie.)
Message édité par kabale le 06-07-2006 à 14:48:35