Salut à tous,
Permettez moi de revenir dans ma véranda en cette dernière heure dune nuit de la fin juin. Par la vitre je voyais le ciel, la lune mais je ne lavais pas précisé- cest une étoile que je regardais. Elle était au centre de mon champ de vision.
Le Robert donne à lexpression « champ de conscience » la définition suivante : contenu de la conscience à un moment donné. Je pouvais donc dire quau moment considéré mon champ de conscience était confondu avec le contenu de ma vision, que ce contenu était une étendue despace à deux dimensions (je néglige le relief) disposée verticalement, de couleur noire, avec un point lumineux au centre et un cercle blanc (la lune était pleine) un peu en bas, à gauche.
Si je considère mon champ de conscience du point de vue de la réalité extérieure qui linduit lumière émise, incidence des rayons sur mon cristallin, formation sur la rétine de limage inversée- je puis dire sans quil y ait débat quil sinscrit dans lespace extérieur. Mais alors je fais totalement abstraction du substrat sensible qui induit le contenu de ma conscience. Maintenant si je considère mon champ de vision du seul point de vue de ce substrat, je vais pouvoir à mon sens dégager et distinguer deux thèses.
Dans la première, la thèse classique que jappellerai « spatialiste » ce substrat est inscrit dans lespace du cerveau. Il est le résultat dune chaîne dinduction qui commence avec larrivée des photons sur les cônes et bâtonnets de la rétine et qui sachève dans laire corticale visuelle. Dès le premier maillon, la chaîne sinscrit dans lespace, sinon cervical, du moins organique, celui de la rétine de lil. Sur cette rétine limage de létoile et limage de la lune vont se positionner de façon distincte et vont avoir une surface différentiée. Au deuxième maillon, celui de la transmission des images par les axones du nerf optique, il y a toujours inscription dans lespace. Les potentiels daction qui correspondent à limage de létoile et à limage de la lune ne sont pas transmis par les mêmes axones. Au troisième et, pour simplifier les choses, dernier maillon, les signaux des potentiels parviennent aux neurones du cortex.
On ne men voudra pas trop, jespère, de méconnaître la complexité de lorganisation physiologique à ce niveau. Ce que jen ai retenu et qui me paraît pertinent sur le sujet cest que la structure de laire corticale visuelle présente une organisation que les savants appellent rétinotopique. Horizontalement elle montre une correspondance locale point par point avec la surface rétinienne. Verticalement, en revanche, elle présente une organisation précisément dite en colonnes, chaque colonne étant un complexe neuronal en liaison toujours avec un point de la rétine.
Dans la thèse « spatialiste », illustrée caricaturée, diront certains- par Oliver Sachs, il y a succession dimages conscientes instantanées. Donc, dans le même instant, sont engendrés dans le cerveau des affects qui sinscrivent forcément dans les colonnes de laire visuelle de façon correspondante aux stimuli locaux de la rétine. Bref, pour parler simple et retrouver mon exemple, la lumière de létoile et celle de la lune ne sont pas dans les mêmes colonnes. Autrement dit le substrat sensible de mon champ de conscience a une organisation spatiale dans mon cerveau parallèle à lorganisation de son contenu perceptible.
Considérons maintenant ma thèse, quon pourrait appeler « temporaliste ». Pour elle dabord les colonnes de laire corticale visuelle ne sont pas des colonnes sensibles. Il ny a pour moi de sensible que le « cristal sensible ». Ce cristal, en loccurrence, va être sensibilisé par les émissions dondes venues de chaque colonne. La modulation de ces émissions va dépendre de léclairage, de la couleur, du contraste aussi « observable » au point du champ visuel considéré. Mais et cest le point sur lequel je voudrais insister aujourdhui- cette modulation va dépendre de la position de la colonne et du point de la rétine correspondant. Autrement la synthèse ne pourrait pas se faire dans londe que jai appelé « de synthèse » justement.
Si au lieu de regarder létoile je regarde la lune, cest la lune qui maintenant se trouve au centre de mon champ de vision. Donc ce ne sont plus les mêmes colonnes qui sont affectées par les stimuli liés à la lumière de la lune. Dans ma thèse les modulations émises en fonction de la luminosité, de la couleur, du contraste
par les colonnes concernées ne sont plus les mêmes que tout à lheure. Et pour létoile, maintenant en haut à droite, la transposition de modulation est la même.
Quest-ce quil peut y avoir de vérifiable en tout cela ? Beaucoup ici affirmeront que rien en un péremptoire message dune ligne. Moi je dirai : effectivement pas grand chose mais quand même :
1-Les neurones dune même colonne ont pratiquement chacun leur spécialisation (détection de luminosité, type de couleur ou de nuance etc.) Si dune colonne à lautre les neurones ayant la même spécialité ont aussi rigoureusement la même structure, cela infirme a priori ma thèse car sous quelque forme quelle se fasse- la modulation est forcément en rapport avec la structure du neurone. En revanche si on montrait que les neurones dune même colonne à la spécialité distincte ont un élément de structure spécifique à la colonne, on aurait il me semble un indice favorable à mes vues.
2- Je ne vais pas revenir sur tout ce que jai dit à propos du passage des émissions modulées des neurones à laffect modulé produit par le cristal sensible. Ce que je voudrais simplement rappeler cest que, dans ma théorie, toute sensation est produite par la modulation dun affect qui varie en intensité et en nature de douleur ou de plaisir. Si le rouge et le bleu sont des couleurs fondamentales, elles ne sont pas pour moi des sensations fondamentales, elles sont des modulations extrêmement fines (cf. mon premier message, §20) de plaisir et de douleur dans le temps. Ces modulations sont très différentes lune de lautre même si elles sont considérablement plus proches de ce qui les sépare de la modulation dune sensation sonore. Evidemment, je ne suis pas conscient de ces modulations. Je puis très bien considérer le rouge et le bleu comme des sensations affectivement neutres, même si cette neutralité reste relative. Le bleu est généralement considéré comme une couleur plus reposante donc plus euphorique que le rouge ressenti souvent comme plus agressif donc plus dysphonique. Cette relative distinction affective du rouge et du bleu pourrait être associée à lintégrale de la courbe de modulation, cest à dire à la quantité de douleur ou de plaisir perçue par période. Ces différences affectives perçues sont le plus souvent négligeables, au moins dans le cas des couleurs. Lorsque lon passe de la sensation à la perception et de la perception à la pensée, elles peuvent même être oblitérées totalement. Dans le cas des odeurs, évidemment, ce nest pas la même chose. Je ne connais pas dodeurs qui soient affectivement neutres, qui me laissent toujours totalement indifférent, qui mapparaissent toujours ni désagréables ni agréables. Seulement je crois quil peut y avoir des odeurs très différentes qui me plaisent tout autant lune que lautre parce que les modulations (de plaisir plutôt) qui me les feraient distinguer se compenseraient dans le temps de la même façon. Je ne veux pas trop épiloguer sur ces différences affectives - je dirais « primaires »- des sensations qui sont souvent minimes par rapport aux différences affectives « secondaires » qui peuvent varier extrêmement dun individu à lautre. Les pires odeurs celles dexcrément ou de cadavre- peuvent être associées chez certains au plaisir sexuel ! Je pencherais même pour dire que les différences affectives primaires sont le plus souvent à la limite de la conscience, omnubilée quelle est par les différences de modulation pour elle seules significatives et qui font, pour en rester là, la différence du bleu et du rouge.
Seulement, si je prends justement les sensations de couleurs (nuances comprise, on peut en percevoir plus dun million différentes), il ne me paraît pas y avoir de raison pour que les différences affectives « primaires » progressent dans le même sens en fonction dune distribution des nuances ordonnée à priori. Celles dans lordre des couleurs de larc-en-ciel par exemple. En revanche ces différences affectives primaires devraient progresser dans le même sens pour coder la position dun point dans le champ visuel de la gauche vers la droite, du bas vers le haut, de la périphérie vers le centre. Je ne dis pas que ce que lon voit en haut de notre champ visuel nous fait à tout coup bondir de joie et ce que lon voit en bas immanquablement frémir dhorreur. Je dis seulement que les termes haut, élévé, altier, noble se trouvent associés dans une série parfaitement antonyme à celle des termes bas, grossier, vil. Je dis seulement et de façon plus significative- que ladjectif gauche qui nest pas valorisant (quon excuse ma façon « gauche » de mexprimer) équivaut lorsque lon parle de direction à lancien français « senestre » qui vient directement du latin « sinister ». Et chacun comprend que le terme « sinistre » névoque pas des choses bien plaisantes ! La petite question que je posais, mi plaisant, mi sérieux (en quoi la phrase : « le Christ siègera aux cieux à la droite du père » est-elle un début dargument en faveur de ma thèse ? ) trouve ici sa réponse. Je suis sûr quon pourrait trouver dans la plupart des récits mythologiques des phrases où la valorisation de la droite et du haut se ferait de façon équivalente. Bien sûr elle a beaucoup dautres explications que celle qui mintéresse. Je dirai seulement pour en terminer là que la thèse spatialiste na pas besoin de cette valorisation plutôt utile à la mienne
Cordialement,
Clément