Camisard1 a écrit :
Si on essaie de rationnaliser le comportement de Trump sur la base de ce que l'on sait de lui depuis son 1er mandat (voire avant) : on sait que Trump :
1) aime le pouvoir, et surtout l'apparence du pouvoir : il veut être puissant et surtout perçu comme tel. Donc son pouvoir a besoin d'être usé, et abusé, pour qu'il en ressente la dopamine. D'où le "Gulf of America" et le bullying contre le Canada : franchement, il ne me semble pas qu'il y ait une demande de son électorat, même le plus MAGA, pour ces mesures : il les prend parce que c'est un moyen d'utiliser son pouvoir à sa guise, et d'obliger tout le monde, aux USA comme à l'étranger, à s'aligner. Parce que c'est son bon plaisir. (C'est l'idée que c'est l'abus de pouvoir qui permet au pouvoir d'exister concrètement.)
2) est largement guidé par le ressentiment / la vengeance : c'est clairement important pour lui, il se voit comme un martyr notamment à cause de ce qu'il a vécu pendant 4 ans sur le plan judiciaire (est-ce qu'il croit vraiment qu'on lui a volé l'élection 2020 ? c'est bcp moins clair). Les cris d'orfraies que poussent les démocrates et les élites en réponse à chaque mesure absurde sont autant d'injections de dopamine pour lui, je pense. Sur le plan international, un libéral bon teint comme Trudeau représente sans doute tout ce qu'il déteste. Et Zelensky lui a causé des pbs avec une procédure d'impeachment en 2019.
3) a une anxiété existentielle de "se faire avoir" : c'est probablement vrai pour bcp d'escrocs professionnels : ils voient les relations sociales sur une base purement transactionnelle, avec nécessairement un gagnant et un perdant. Trump ne supporte pas d'être du côté perdant, et il fait tout pour que ce ne soit plus le cas. Clairement les Européens ont longtemps bénéficié de l'existence de l'OTAN, donc c'est insupportable pour Trump. Pour le commerce avec le Canada, il semble que Trump soit vraiment convaincu que c'est au désavantage des USA (ce qui n'est pas vrai) - i.e., ce n'est pas (ou pas seulement) un positionnement tactique de sa part.
4) déteste les impôts : s'il y a une constante dans les politiques et les discours de Trump, c'est la volonté de baisser les impôts pour les entreprises et les riches, ce qui peut se comprendre (rationnellement) par son propre parcours. Il doit créer l'espace, financier et politique, pour ces baisses d'impôts : d'où sa volonté que le DOGE coupe encore bien davantage dans les dépenses publiques et l'idée (ou l'illusion) de créer de nouvelles ressources externes par les tariffs ("External Revenue Service" ).
De mon point de vue, ces 4 caractéristiques bien connues de Trump expliquent largement tout ce qu'il a fait depuis qu'il est au pouvoir, sur une base rationnelle, sans qu'on ait besoin de théories du complot ou d'hypothèse de folie pure.
Trump va continuer dans ces 4 biais autant qu'il le peut (il maximise son utilité selon ces 4 axes), mais comme toute personne rationnelle (en supposant qu'il le soit) il doit en minimiser les effets négatifs :
a) sur le plan politique intérieur : dans les sondages il est désormais à 45% vs 54% d'opinions favorables. Lors de son 1er mandat il était descendu jusqu'à 34%. C'est une jauge très importante, je pense, pas tant pour Trump lui-même (il se fiche du peuple et ne se représentera pas), mais surtout pour le pouvoir que Trump a sur le parti républicain et le Congrès. Pour le moment, les sénateurs et représentants républicains (qui dans leur majorité détestent Trump) sont réduits au silence car tout désaccord pourrait susciter une concurrence MAGA contre eux aux primaires. Mais l'emprise MAGA sur le parti s'affaiblirait si l'opinion publique tournait franchement contre Trump, par exemple en raison d'un retour de l'inflation.
b) sur le plan politique extérieur : c'est probablement la feedback loop la moins efficace pour contrôler Trump (avec sa vision isolationniste du monde), mais on voit quand même qu'il fait des efforts (par rapport à Musk, par exemple) pour ne pas se fâcher avec des partenaires clefs comme Starmer ou Macron (tant que ceux-ci font les courbettes qu'il faut, évidemment).
c) sur l'économie US : c'est là malheureusement que l'incompétence de Trump est sans doute la plus dommageable : ce n'est pas clair qu'il comprenne vraiment l'impact économique négatif des tariffs sur l'économie US. Il est possible qu'il soit mal conseillé. Mais a priori la vraie information économique finira bien par l'atteindre. Son Secrétaire au Trésor Bessent est compétent, en toute probabilité, même si pour le moment il rampe comme tout le monde. Et cette boucle de contrôle est vraiment très puissante aux USA, via les milieux d'affaires et le Congrès (qui leur est lié) : je ne crois pas à la thèse selon laquelle Trump serait indifférent à une récession.
d) sur la bourse : la semaine dernière Trump a voulu donner l'impression qu'il était indifférent à la baisse de la bourse, mais perso je n'y crois pas. Un vrai krach le ruinerait, lui et ses soutiens. Musk lui-même n'y semble pas indifférent.
Donc perso, je pense que ces 4 boucles de réaction vont permettre de freiner Trump et limiter l'impact néfaste de ses mesures. Pour le moment (a) et (c) (sans doute les 2 boucles les plus importantes) n'ont pas joué (normal pendant un court "état de grâce" ), mais cela devrait être bientôt le cas. (b) marche peu. (d) est efficace je pense, à -15% sur le NASDAQ on approche peut-être du seuil de douleur pour Trump et ses soutiens.
Donc je ne crois pas à l'idée que Trump coule délibérément les marchés pour une raison obscure (lui et ses amis ne sont pas team liquide). Les arnaques financières de Trump (DJT, TRUMP coin, World Liberty Financial etc.) marcheraient bcp mieux dans un marché bullish avec une SEC aveugle.
Si Trump veut mettre la Fed sous pression, il n'a pas besoin de faire baisser la bourse : d'une part, la Fed sous Powell va rester focalisée sur l'économie et l'inflation ; d'autre part, Trump serait sans doute plus enclin à placer ses hommes à la Fed (mais cela demande une validation par le Sénat).
S'agissant du marché obligataire, Scott Bessent a plusieurs fois mis l'accent sur l'importance d'un rendement obligataire 10 ans bas, pour soutenir l'économie. Ce qui, franchement, est un peu bizarre. Mais perso j'y vois une manoeuvre pas si bête pour protéger la Fed d'interférences politiques de Trump (quand on se focalise sur la partie longue de la courbe, on n'embête pas la banque centrale sur la partie courte).
Je ne crois pas non plus du tout à l'idée d'un reset sur les prix des actifs : d'une part, ce ne serait pas du tout dans l'intérêt de Trump et de ses amis ; d'autre part, c'est juste faux, le pricing des actions US est en ligne avec la moyenne historique (cf prime de risque du marché actions).
Bref, je pense qu'on peut expliquer rationnellement le comportement de Trump, même si je peux comprendre que l'on s'inquiète de son incompétence économique probable et de la faiblesse des boucles de contrôle jusqu'ici (mais elles vont se renforcer, je pense).
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