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Anne Catherine et l'Arme Fatale
Le film produit et réalisé par Mel Gibson est en passe de devenir le phénomène du box office des ces 20 dernières années ( 26.6 millions de $ en une journée). Son auteur crie sur les toits qu'il s'en est tenu à un respect scrupuleux des textes bibliques et fait mine de s'étonner qu'un tel déferlement de violence visuelle puisse favoriser le renouveau de l'antisémitisme chrétien. En fait, il se pourrait fort que l'on assiste actuellement à l'une des plus grandes fumisteries de l'histoire du cinéma.
L'auteur n'est pas celui que l'on croit Mel Gibson affirme s'en être tenu au texte biblique de manière littérale. Le malheur est qu'on retrouve le scénario de son film quasi intact dans une série de livres datant de 1820. Anne-Catherine Emmerich, religieuse allemande (1774-1823), a été pendant toute sa vie témoin de visions exceptionnelles, qu'elle a, sur ordre de son directeur, dicté à un " secrétaire ". De santé fragile, marquée des stigmates du Christ, elle a passé son temps alitée, à prier et à prendre sur elle les souffrances de l'humanité. Elle est actuellement "Vénérable", selon la terminologie catholique romaine. Les livres d'Anne Catherine Emmerich sont diffusés partout dans le monde par ceux qui prônent un retour à la spiritualité catholique d'avant Vatican II. Bien que souffrante, Anne Catherine Emmerich fut cependant prolixe en écriture. Elle s'est souvent demandé pourquoi il lui fallait porter ainsi la misère du monde. En cela, elle fait partie de ceux qui, passant outre la théologie de la grâce chère aux Réformateurs, s'est imaginé porter les fardeaux d'une humanité en perdition. La hiérarchie catholique, bien que réfractaire à l'ensemble de son oeuvre, y a pourtant vu un bon moyen de conserver une autorité spirituelle qui faisait fi de l'enseignement des Ecritures. Eternelle discussion chez les théologiens chrétiens entre le statut de l'Ecriture par rapport à la tradition ! Discussion que l'on aurait tort de minimiser puisque ce sont elles qui ont mené aux Guerres de religions et leur cortège de massacres. Discussion, encore, qui prend une dimension particulière aujourd'hui puisque c'est peu ou prou le même débat théologique entre les Réformateurs de l'Islam, privilégiant une ré-interprétation du Coran et les fondamentalistes, qui, non content d'en soutenir une stricte observance, lui adjoignent des traditions qui viennent en pervertir le sens. (Le voile, la soumission de la femme, les djinns, les 72 vierges, la dhimmitude, et autres joyeusetés du même acabit) Ainsi donc, Anne Catherine Emmerich a dicté plusieurs ouvrages portant entre autres sur la création du monde, l'enfance de Jésus, la vie des patriarches et la passion du Christ. Ces écrits sont le " résultat " de visions détaillées (parfois un peu trop) qui sont censés reproduire fidèlement la vie et les dialogues des scènes bibliques. On ne peut nier une certaine flamboyance à ses écrits mystico-ésotériques mais il faut bien reconnaître que, si ses visions sont éblouissantes, elles n'en demeurent pas moins bien peu éclairantes. Le lecteur reste abasourdi devant la luxuriance des détails, le foisonnement des scènes, le caractère parfois original des dialogues entre les personnages sacrés sorties de l'imagination de cette " vénérable ". Pendant les quelques siècles ou la lecture et l'analyse de la Bible était purement et simplement interdites au vulgum pecus, les ouvrages de ce type furent par contre amplement diffusés, surtout auprès de ceux dont la foi était quelque peu vacillante. Surchargés de culpabilisation à bon marché et pourtant riche de spiritualité dite de " componction " (tel L'imitation de Jésus Christ, ouvrage magnifique d'un moine demeuré anonyme et dont la première traduction en langage vulgaire est attribué à l'Abbé de Lamennais), ces livres frôlent parfois l'ésotérisme. La meilleure preuve est qu'on les retrouvent actuellement en vente dans des boutiques spécialisées ou ils côtoient les écrits de maîtres et gourous de toutes origines, orientales et autres. Mel Gibson et son confesseur ont tout pompé Qui pouvait prévoir, en 1823, que les écrits de cette religieuse allemande allaient contribuer à la plus vaste opération antisémite du septième art et, accessoirement, faire la fortune d'un acteur réalisateur américain plus connu sous le nom de l'Arme Fatale ? Il ne faut en effet pas se leurrer. Mel Gibson n'a pas trouvé son inspiration dans les Evangiles pour commettre le film le plus violent sur ce sujet dans l'histoire du cinéma. Il a purement et simplement pillé, sans vergogne et en prenant garde de ne point citer ses sources, les visions d'Anne Catherine Emmerich qu'elle a dicté entre le 18 février et le 8 mars 1823. Son effort de mise en scène, sa créativité s'en sont trouvés grandement facilité par la lecture et l'obéissance littérale à ces écrits d'un autre âge. Mel Gibson, pour être parfaitement honnête, devrait s'engager à verser aux héritiers d'Anne Catherine Emmerich la majeure partie des Droits d'auteurs qu'il ne manquera pas de toucher. Mais, si l'on considère qu'avoir des héritiers pour une nonne n'est pas du meilleur effet dans le cadre d'une éventuelle canonisation, l'Arme Fatale peut dormir sur ses deux oreilles. Le problème est que notre religieuse, certes sincère dans sa foi, était, au moment ou elle dictait ses " visions " largement influencée par la croyance inepte que les Juifs étaient les meurtriers du Christ. Une exégèse fallacieuse et approximative de quelques phrases tirées des Evangiles " que son sang retombent sur nous et nos enfants " par exemple, baignait le monde catholique de l'époque. Ajoutons à cela une méconnaissance abyssale des Ecritures et notamment de l'Ancien Testament (la Thora, les livres de sagesse et les Prophètes), le tri sélectif opéré dans les lettres de Paul, soigneusement expurgées de tout ce qui était contraire à la " saine doctrine " en vigueur dans le monde catholique. Ajoutons-y encore la violence farouche de la Contre-Réforme qui exigeait des fidèles une obéissance absolue aux dogmes catholiques, une main-mise du clergé sur l'interprétation de la Bible afin de contrer la présence envahissante du Protestantisme et vous aurez une idée de la grande liberté de penser qui pouvait exister à cette époque. Encore la faute des juifs Cette religieuse allemande, baignant dans son époque, était persuadée de la supériorité absolue de la Révélation Chrétienne sur toute autre spiritualité et dénonçait les méfaits des ennemis de la religion. Notre Anne-Catherine ne pouvait pas ne pas être influencée par ces croyances et elles les a retranscrites dans ses visions. Le compassionnisme qui sévissait déjà à cette époque a ainsi forgé la conscience collective catholique et a, peu ou prou, favorisé une haine ou à tout le moins, un rejet du Juif en tant que tel. Les souffrances du Christ au moment de la Passion sont racontés avec un tel luxe de détails que l'enfant, subissant ce lavage de cerveau de la part de ses directeurs de conscience et confesseurs, ne pouvait qu'éprouver de la haine contre ceux qui ont fait souffrir un " si bon Sauveur ". Ce sont ces livres dont Mel Gibson s'est inspiré pour commettre ce film, lourdaud et sirupeux, violent à souhait, montrant les juifs sous un jour détestable qui ne correspond en rien aux récits de la Bible. Mais Mel Gibson est un grand sentimental. La lecture des Evangiles est trop simple, trop sobre. Elle exige trop de réflexion. A ce super flic, il fallait du grand spectacle, bien graveleux, bien émotionnel de façon à faire pleurer l'Amérique profonde et à faire plaisir à son papa, grand négationniste devant l'Eternel..... L'occasion d'une réforme On le sait peu mais la torture comme moyen de conversion n'a été officiellement abolie par la hiérarchie catholique qu'en 1951, 6 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale. C'est le propre d'une structure institutionnalisée et triomphante de ne pouvoir réagir avec dynamisme aux multiples dérives qui foisonnent en son sein. Certes, le concile Vatican II a bel et bien renoncé à décrire le peuple juif comme les assassins du Christ. Faut il pour autant admirer cet effort et louer ce résultat ? La hiérarchie catholique avait 2000 ans à sa disposition pour interpréter convenablement les Ecritures. Faut-il se féliciter d'avoir attendu si longtemps pour qu'une parole plus humaine et surtout plus conforme à la tradition chrétienne soit enfin prononcée ? C'était bien le moins qui se pouvait faire. Et il n'y a aucune gloire à tirer de ce désastreux retard à l'allumage. Car le mal est fait et il faudra encore quelques générations pour extirper de l'inconscient catholique cette doctrine de la culpabilité juive dans la mort de Jésus. Anne Catherine Emmerich serait, selon des sources bien informées, bientôt béatifiée. Le film de Mel Gibson aura bien sur des conséquences dramatiques sur les rapports qu'entretiendront les Catholiques avec le peuple de l'Alliance. Et il y a gros à parier que cette mélasse américaine ne suscite encore durablement l'animosité à l'encontre des juifs. Mais il sera aussi et surtout l'occasion pour cette Eglise Catholique, par ailleurs emplie de richesses spirituelles, de faire le bilan de son héritage et d'en extirper tout ce qui n'a pas un rapport direct avec l'enseignement du Christ. Elle pourra mettre à profit ce temps de questionnement pour renoncer publiquement et définitivement à l'enseignement de certains pères de l'Eglise aveuglés par leur haine et leur mépris du Judaïsme. Comme il est de bon ton de demander aux musulmans de renoncer à certaines de leurs croyances afin d'avoir une chance d'entrer dans la modernité et ses corollaires que sont la démocratie et la laïcité, il n'y a aucune raison valable pour ne pas exiger du Catholicisme qu'il désapprouve nettement certaines théories qui flétrissent cet immense mouvement spirituel qu'est le Christianisme. Pain béni pour l'Extrême Droite
Ce n'est assurément point un hasard si les principaux partisans d'une distribution du film en France se trouvent dans la mouvance de l'extrême droite Catholique intégriste, grande consommatrice de ces livres de piété désuets, celle qui verrait d'un bon ?il que la France Laïque et républicaine soit à nouveau consacrée à la Vierge Marie. Le confesseur de Mel Gibson s'affiche volontiers en France aux cotés des catholiques les plus traditionalistes. CQFD ! Il serait tout à fait dommageable que les différentes communautés juives se mobilisent en criant à l'antisémitisme devant chaque affiche du film, et en réclamant son interdiction. Réclamer l'interdiction d'une création artistique n'est jamais productif. Le principal combat à propos de ce film devra avoir lieu, au sein de l'Eglise Catholique comme dans le reste de la Chrétienté dont elle n'est finalement qu'une partie, entre ceux qui désireront jeter un ?il neuf sur leur héritage et les quelques nostalgiques qui préféreront la lecture simpliste d'Anne-Catherine Emmerich à la méditation intelligente et éclairée des textes bibliques... et pourquoi pas en hébreu, langue dans laquelle il plût un jour à Dieu de balbutier. Mais, parce que l'Eglise aura refusé d'opérer cette Réforme indispensable, les juifs seront encore montrés du doigt et les antisémites incurables auront enfin un argument de poids à faire valoir dans leur détestation viscérale des Juifs et d'Israel. Pierre Lefebvre © Primo Europe
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