Et ce qu'il y a également de commun avec Mercier, c'est un nom propre dans le titre...

J’emploie le mot « Etat », on comprendra aisément ce que je vise par ce mot : quelque horde de bêtes blondes carnassières, une race de conquérants et de seigneurs, qui, organisés de façon guerrière et dotés de la force d’organiser, posent sans se soucier des conséquences leurs terribles pattes sur une population qui est peut-être, quant au nombre, incroyablement supérieure mais encore sans forme, encore errante. C’est ainsi que commence l’ « Etat » sur la Terre ; je pense que c’en est fait de cette niaiserie qui le fait commencer par un « contrat ». Celui qui peut commander, celui qui par nature est « seigneur », qui entre violemment en scène dans ses œuvres et ses agissements, que lui importent les contrats ! Avec de tels êtres, on ne calcule pas, ils arrivent comme la destinée, sans cause, sans raison, sans égard, sans prétexte, ils sont là comme l’éclair est là, trop terribles, trop soudains, trop convaincants, trop « différents », pour être même seulement haïs. Leur œuvre est une instinctive création et impression de formes, ce sont les artistes les plus involontaires, les plus inconscients qu’il y eut jamais. En très peu de temps, quelque chose de nouveau est là où ils apparaissent, un agencement de pouvoir qui vit, dans lequel parties et fonctions sont délimitées et rapportées les unes aux autres, dans lequel absolument rien ne trouve place qui n’ait d’abord reçu un « sens » en vue de l’ensemble. Ils ne savent pas ce qu’est la faute, la responsabilité, l’égard, ces organisateurs-nés ; en eux règne ce terrible égoïsme de l’artiste qui scintille comme le minerais et se sait par avance et à jamais justifié dans son « œuvre », comme la mère dans son enfant. Ce n’est pas chez eux que la « mauvaise conscience » a poussé, cela va de soi ; mais elle n’aurait pas poussé sans eux, cette plante hideuse, elle serait restée absente si n’avait pas été ôtée hors du monde, du moins du monde visible, sous la pression de leurs coups de marteau, de leur violence d’artistes, un incroyable quantum de liberté et rendu pour ainsi dire latent. Cet instinct de liberté rendu latent par la violence, nous le comprenons déjà, cet instinct de liberté refoulé, retenu, enfermé à l’intérieur et se déchargeant et se défoulant finalement uniquement en soi-même, c’est cela, cela uniquement dès sa racine, la mauvaise conscience.

Une heureuse proportion des membres, des contours ondoyants, un teint agréable, une peau douce, une taille fine et dégagée, une voix mélodieuse, etc., sont des qualités qu’on ne doit qu’à la nature et à la chance ; à la nature, qui en livra la disposition et la développa elle-même ; à la chance, qui préserva l’activité créatrice de la nature de toute influence de forces néfastes.
Cette Vénus-là sort déjà tout achevée de l’écume de l’océan ; achevée car elle est une œuvre accomplie, méticuleusement composée par la nécessité et, en tant que telle, incapable de la moindre variation, du moindre élargissement. En effet, puisqu’elle n’est rien d’autre qu’une belle présentation des fins que la nature poursuit en l’homme, et par conséquent que chacune de ses propriétés est totalement déterminée par le concept dont cette beauté relève, on peut la juger comme entièrement donnée, d’après la disposition, bien que celle-ci ne se développe que selon les conditions du temps.
La beauté architectonique de la formation humaine doit être bien distinguée de sa perfection technique. Par cette dernière, il faut comprendre le système des fins elles-mêmes, telles qu’elles s’associent les une aux autres en vue d’une fin ultime supérieure ; par la première, simplement une qualité de la présentation de ces fins, telles qu’elles se manifestent dans le phénomène à la faculté de l’intuition. Aussi lorsqu’on parle de la beauté, on ne prend en considération ni la valeur matérielle de ces fins, ni la technicité formelle de leur liaison. La faculté de l’intuition s’en tient uniquement à la façon d’apparaître sans accorder la moindre attention à la constitution logique de son objet. Bien que la beauté architectonique de la conformation humine soit conditionnée par le concept dont celle-ci relève et par les fins que la nature poursuit en elle, le jugement esthétique l’isole totalement de ces fins et seul ce qui appartient immédiatement et spécifiquement au phénomène est admis dans la représentation de la beauté.