Article du Monde du 07 Novembre qui refléte totalement ma pensée sur la mort de l'Ourse Canelle :
Aux bêtes sauvages, la patrie reconnaissante
L'OURSE Cannelle est morte.
Une émotion bien palpable s'est emparée brusquement du pays.
La dépouille de Cannelle a été immédiatement transférée par hélicoptère pour être autopsiée.
Jacques Chirac, en conseil des ministres, s'est recueilli et a parlé d'une « grave perte pour la biodiversité ».
L'Agence France-Presse nous apprend que le Parti socialiste a rédigé un communiqué dans lequel il se déclare « scandalisé » par cette disparition. Ne parlons pas des associations de défense de la nature, légitimement secouées par la mort de la dernière représentante femelle de la sous-espèce des ours bruns des Pyrénées.
Voilà plusieurs décennies, Pierre Lazareff (1907-1972), directeur de France Soir, faisait observer que la presse devait respecter deux tabous pour survivre paisiblement : éviter à tout prix de parler de contraception et ne jamais dire du mal des chiens.
La liste a évolué, mais elle vise encore juste pour ce qui concerne les chiens.
Mieux, elle s'applique un large spectre allant des animaux domestiques aux bêtes sauvages. Chacun, chacune, tous intouchables ! Le loup et le roquet, l'aigle et le chaton, la cigogne et le serin sont devenus sacrés.
Au point que opinion refuse d'entendre les plaintes des bergers dans les Alpes, méprise les doléances des habitants des Pyrénées.
Comme si le stress et les pertes financières des bergers importaient peu, à condition que les loups puissent croître dans la félicité.
Comme si l'inquiétude des Pyrénéens était pitoyable en regard du bonheur des ours.
Ecologie Rupestre
En quelques années, la religion du « sauvage » est venue s'ajouter au culte d'une nature toujours plus pure et « vierge ». Dans une course éperdue pour remonter le temps, les tenants d'une écologie rupestre ont imaginé de reconstituer un cadre naturel dévolu à la faune sauvage. Mais quid des hommes, ces héritiers des paysans qui ont façonné au fil des siècles ces paysages ?
La France est ce curieux pays où une alerte à la rage dans le Sud- Ouest, durant l'été, peut mobiliser les autorités sanitaires, la police et la gendarmerie, accessoirement les médias pendant des semaines, tandis que, dans le même temps, la mort violente de deux inspecteurs du travail, tirés comme des lapins par un exploitant agricole, laisse la population indifférente. L'alerte à la rage s'est finalement et fort heureusement dégonfl ée. Les deux inspecteurs du travail sont toujours morts. Mais l'émotion de quelques centaines de propriétaires de chiens, privés de la possibilité, durant un weekend de septembre, de promener leur animal domestique ou de partir à la chasse accompagné, a fait pleurer Margot. Qui se rappellera des deux fonctionnaires ?
C'est devenu un truisme : l'homme ne trouve pas meilleure humanité que chez ses amis les bêtes. Tant pis, au passage, pour les 2 milliards d'êtres humains qui n'ont pas accès à l'eau potable, sans parler des millions d'enfants qui meurent annuellement de sous-alimentation.
Le chien (ou le chat) apporte l'indispensable équilibre psychologique aux enfants (mais ne saurait valablement servir de baby-sitter), garantit le minimum vital de sérénité aux adultes (sans pouvoir raisonnablement se substituer à un partenaire), dispense du réconfort aux vieillards isolés (sans combler totalement la solitude). On l'adore pour ses vertus consolatrices. On l'adule pour sa servitude, car il est là pour servir.
L'économie s'est emparée de ce marché considérable. Un marché qui laisse rêveur. En France, où 52 % des foyers possèdent un animal de compagnie, les dépenses liées à leur alimentation et à leurs soins de santé se sont élevées à près de 46 milliards d'euros en 2003. Dans ce domaine, nous battons sensiblement les Etats-Unis, qui ne dépensent « que » 37 milliards d'euros. Victoire d'autant plus marquante qu'il existe là-bas environ 378 millions d'animaux domestiques pour 290 millions d'habitants. Vertige des chiffres de part et d'autre de l'Atlantique : les Français prennent pour leur part un soin jaloux de 57 millions d'animaux familiers (chiens, chats, hamsters, poissons rouges et serpents ?).
Presque la parité. L'animal de compagnie semble l'avenir de l'homme. amour sélectif A une grosse nuance près. Notre prétendu amour immodéré des bêtes est très sélectif. Autant nous adorons et dépensons sans compter pour nos animaux de compagnie, autant nous fermons les yeux et refusons de dépenser trop pour la viande des animaux d'élevage. Notre ferveur à l'égard de nos compagnons à quatre pattes nous déculpabilise des millions de poulets élevés en batterie et promis à la mort violente, des élevages intensifs et sordides de porcs et de bovins.
Idolâtrie côté cour, barbarie côté jardin. Terrain glissant. Comme Pierre Lazareff autrefois, le Parti républicain aux Etats-Unis a compris depuis longtemps qu'il est bon d'insister auprès des électeurs sur les thèmes porteurs, ceux qui font gagner. C'est la liste des « G » : comme « God » (Dieu), « gays » (les homosexuels), « guns » (les armes) et? « grizzly » (l'ours fétiche des uns, l'ours à tirer pour les autres).
Laurent Greilsamer