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Le bail commercial, sans en être l'élément essentiel, est un des éléments constitutif du fonds de commerce, dont il conditionne souvent la bonne exploitation. De part son importance, il génère un important contentieux, dont l'arrêt rendue par la cour de cassation en formation de section (FS), et publié au bulletin (B) est une nouvelle illustration.
Les faits en cause sont simples : la société Continent Hypermarchés refuse de renouveler le bail qui la lie à la société Lenault, et désire même expulser cette dernière, au motif que celle-ci n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés. Point important à relever, la non immatriculation de la société ne résulte pas de son propre fait, mais de la faute d'un tiers, le greffe du tribunal de commerce en l'occurrence, qui a oublié de prélever sur le compte du notaire de la société le complément de redevance nécessaire à cette inscription. La cour d'appel a d'ailleurs retenu que la société Lenault pouvait se prévaloir de cette faute, "cause déterminante" de l'absence d'immatriculation de la société et semble lui ouvrir droit au renouvellement du bail commercial par le jeu d'une inscription rétro active. La cour de cassation, casse et annule la décision de la cour, retenant que le commerçant non immatriculé ne peut voir son bail commercial renouvelé. Telle est la leçon qu'apprend à ses dépends la société Lenault par cet arrêt. La solution, rendue au visa des articles L145-1 et L123-9 du code de commerce (anciennement 1 et 66 du 30 septembre décret de 1953) semble sur le plan de la logique juridique parfaitement classique (I), mais soulève tout de même une série de remarques sur les conséquences pour la société de cette non immatriculation dont elle n'est pourtant pas responsable (II).
I. Une solution classique
Cet arrêt semble parfaitement conforme tant à la législation en vigueur tant à la jurisprudence dans laquelle il s'inscrit. Classique dans l'affirmation de la nécessité de l'immatriculation pour bénéficier du renouvellement (A) qu'il réaffirme, mais également dans l'appréciation de la date de l'immatriculations (B).
A. Nécessité de l'immatriculation
Sur le simple plan de l'application du droit, la cour fait une application à la lettre des articles L145-1 et L123-9. Le syllogisme est limpide. Pour bénéficier du renouvellement d'un bail commercial, il faut être immatriculé au jour de la demande (majeure), la société n'est pas immatriculée lorsqu'elle fait cette demande (mineure), donc son bail ne peut être renouvelé. La loi ne faisant aucune distinction dans l'origine de la non immatriculation, peut importe que celle-ci soit le fait d'un tiers ? greffe dans ce cas, mais aussi notaire ? ou de la société même, seule compte finalement la simple constatation de l'absence d'immatriculation. La solution dégagée par la cour n'est d'ailleurs pas nouvelle (voir Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, Syndicat mixte pour l'aménagement touristique la montagne c/ époux Mathot). Elle s'inscrit dans un courant jurisprudentiel récent qui peut sembler sévère, faisant peser sur le preneur les conséquences d'une faute émanant d'un tiers. Certaines décisions avaient d'ailleurs pu prendre en considération la bonne foi du preneur et avaient montré plus de souplesse, notamment lorsque le greffier était en cause. Le droit français entend sous le même terme de bonne foi deux acceptions, règle de bon comportement entre contractants ou croyance légitime en une situation de fait ou de droit erronée. C'est cette seconde définition qui pourrait être visée dans l'arrêt et qui a pu être prise en considération par le passé, soit par la troisième chambre (voir Cass. 3ème civ., 24 novembre 1994, cass. 3ème civ. 26 novembre 1997) ou par des cours d'appel (voir CA Paris 7 novembre 1989).
B. Date de l'appréciation de l'immatriculation
Un autre apport de l'arrêt se situe au niveau de l'appréciation de la date à laquelle doit être remplie la condition d'immatriculation. Cette appréciation doit se faire à la date de la demande de renouvellement (voir Cass. 3ème civ., 18 novembre 1998) et non, comme il avait pu être jugé à la date de la délivrance du congé. Ainsi, en cas de délivrance du congé par le bailleur, c'est au moment de celle-ci que l'immatriculation doit exister. En cas de demande en renouvellement signifiée au bailleur par le locataire, à défaut de congé, il suffit que le locataire soit immatriculé au registre du commerce à la date de cette demande ; l'arrêt ne s'écarte pas sur ce point de la solution déjà antérieurement affirmée à de multiples reprises par la Haute juridiction. Dans les deux hypothèses cette immatriculation doit persister jusqu'à l'expiration du bail.
II. Une décision à double sens
La logique juridique et le juste ne font pas toujours bon ménage. Cet arrêt en est encore la preuve. En faisant peser sur le commerçant les conséquences de l'absence d'immatriculation, il est créé à son encontre une nouvelle source de responsabilité du fait d'un tiers (A). Mais il faut également noter que cette absence d'immatriculation a des effets qui vont plus loin que le simple renouvellement du bail dont il est question en l'espèce (B).
A. Logique sécuritaire
En faisant peser sur le commerçant les conséquences de la faute d'un tiers, ici le greffier, il se créé a son encontre une grave insécurité juridique. En effet, alors qu'il pensait avoir rempli les formalités nécessaires et s'être assuré de son inscription, il peut voir l'ensemble de ses précautions annihilées par un officier public peu scrupuleux.
Cette solution sévère est en adéquation avec le rôle et l'importance attribuée au registre du commerce et des sociétés. Ce système de publicité légale, a été mis en place essentiellement pour "éviter que ne nuise aux tiers et au public le traditionnel secret des affaires " (Dekeuwer-Defossez, n° 201). De ce fait, une réinscription rétroactive du commerçant, même au titre de la bonne foi, au registre apparaîtrait comme dangereuse dans l'optique de la protection des tiers qui se fondent sur le contenu du registre. Elle remettrait en cause les événements qui auraient pu se dérouler entre la date à laquelle l'inscription aurait du avoir lieu et celle du jugement. La rétro activité a des effets pervers, et la logique de protection du plus grand nombre ? les contractants de la socité Lenault ? prime sur l'intérêt particulier de cette dernière. Mais elle n'est cependant pas privé de recours, puisque le règlement des contestations entre le commerçant et le greffier est prévu par les articles 59 et suivants du décret du 30 mai 1984. Ces contestations - sous réserve des dispositions des articles 62-1 à 62-6 du décret du 30 mai 1984 (D. no 84-406, 30 mai 1984, art. 62-1 à 62-6) - sont portées devant le juge commis à la surveillance du registre, qui statue par ordonnance ; ce magistrat n'est investi d'aucun pouvoir d'appréciation quant à la validité des actes qui lui sont remis.
Mais il est alors possible de s'interroger sur la création, de fait, d'une obligation pour un commerçant d'aller vérifier lui-même l'exactitude des mentions portées au RCS et des modifications faites par le greffier.
B. Les conséquences du défaut d'immatriculation
Outre le refus du renouvellement d'un bail commercial, l'immatriculation d'un commerçant au registre conditionne nombre de droits.
Le commerçant non immatriculé, commerçant de fait, ne peut se prévaloir de sa qualité et subit alors l'ensemble de la législation touchant à la lutte contre la para commercialité.
L'immatriculation par exemple conditionne le régime des actes et les règles de preuve : un commerçant non immatriculé ne peut se servir de sa comptabilité par exemple pour rapporter la preuve d'un acte qu'il aurait passé.
Le bailleur pourra refuser ce renouvellement sans être tenu au paiement d'une indemnité d'éviction, mais le bail commercial ne peut être résilié au seul motif que le locataire n'est pas immatriculé, sauf clause lui imposant cette obligation.
Mais il faut cependant noter que les autres dispositions du statut continuent de s'appliquer, notamment celles relatives à la forme du congé.
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