1 - La titularité des droits
Les présomptions de titularité.
Dans le cadre de la protection conférée par le droit d'auteur, la jurisprudence récente continue de s'aligner sur la présomption tirée de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle selon laquelle en l'absence de toute revendication de la part de personnes physiques, la personne, morale ou non, sous le nom de laquelle le dessin ou modèle est divulgué ou qui l'exploite, est titulaire des droits sur l'oeuvre, qu'elle soit ou on collective (Cass. com., 21 janv. 2004, PIBD 2004, n° 784, III, p. 234 ; CA Paris, 2 juill. 2003, PIBD 2003, n° 780, III, p. 113 ; 31 mars 2004, PIBD 2004, n° 790, III, p. 424 ; à la suite de Cass. 1re civ., 3 avr. 2001, PIBD 2001, n° 728, III, p. 508). En conséquence, point n'est nécessaire pour la société Jean-Paul Gaultier de justifier que son salarié et créateur Jean-Paul Gaultier lui ait cédé ses droits afin de rendre recevable sa constitution de partie civile (Cass. crim., 24 févr. 2004, PIBD 2004, n° 790, III, p. 424). La seule preuve à apporter par le titulaire réside dans la divulgation sous son nom ou en des actes d'exploitation sous son nom, à l'exclusion de toute autre preuve notamment de l'existence d'un bureau d'étude de création par exemple (CA Paris, 10 oct. 2003, PIBD 2004, n° 778, III, p. 50). Une présomption similaire de titularité est tirée, en droit spécifique des dessins et modèles, de l'article L. 513-2 (en combinaison avec l'art. L. 511-9 c. propr. intell. : TGI Paris, 27 juin 2003, PIBD 2004, n° 777, III, p. 16) : point n'est besoin pour le titulaire de l'enregistrement, un musée en l'espèce, de produire le contrat par lequel il aurait acquis du créateur personne physique les droits sur le modèle pour justifier de son droit d'agir en contrefaçon, bien entendu en l'absence de revendication de la part du créateur initial (même arrêt). Comme sous l'empire du droit ancien, le dépôt, désormais constitutif de droit, fait naître au profit de son auteur, même personne morale, une présomption de titularité de droit. On sait que par un important arrêt du 17 juin 2003 (V. J. Passa, Rép. Com. Dalloz, v° Dessins et modèles, févr. 2004, n° 105, p. 26), la Chambre commerciale a parallèlement décidé que le dépôt d'un dessin et modèle par une société fait présumer qu'elle est également titulaire des droits d'auteur sur cette création. L'ensemble de ce dispositif, assez cohérent entre les deux régimes de protection met à l'abri les exploitants des contestations de principe élevées par les présumés contrefacteurs qui, autrement, seraient de nature à paralyser les poursuites.
Aspects internationaux de la titularité.
Des créations ont été réalisées à l'étranger dans un pays où elles ne peuvent prétendre à une protection par le droit d'auteur : leur protection en France est dès lors contestée sur le fondement de l'article 2-7 de la Convention de Berne selon lequel « pour les oeuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d'origine, il ne peut être réclamé dans un autre pays de l'Union que la protection spéciale accordée dans ce pays aux dessins et modèles ; toutefois, si une telle protection spéciale n'est pas accordée dans ce pays, ces oeuvres seront protégées comme oeuvres artistiques ». Néanmoins le Tribunal de grande instance de Paris écarte cette argumentation (23 juill. 2003, PIBD 2004, n° 777, III, p. 13) au motif que la preuve d'une première divulgation dans le pays considéré n'est pas rapportée et par voie de conséquence, la notion de pays d'origine ne se trouvait pas établie. Un titulaire américain de droit d'auteur bénéficie en revanche des mêmes droits en France selon le principe d'assimilation posé par l'article 5 de la Convention de Berne que ce pays a ratifiée en 1989 (CA Paris, 4 juin 2004, PIBD 2004, n° 795, III, p. 599). La décision du Tribunal de grande instance de Paris du 5 décembre 2003 (PIBD 2004, n° 784, III, p. 239) s'affronte à la toujours délicate question du conflit entre les dispositions de l'article 2-7 de la Convention de Berne et l'article 12 du traité CE qui pose le principe de la non-discrimination en raison de la nationalité. En d'autres termes, peut-on appliquer les dispositions de l'article 2-7 dans les rapports entre individus ressortissants de deux pays de l'Union sans encourir le reproche de discrimination ? En l'espèce pouvait-on refuser la protection en France à des modèles de chaussures italiennes ne pouvant faire l'objet dans ce pays d'une protection par le droit d'auteur alors qu'elles n'avaient fait l'objet d'aucun dépôt au titre de la protection des dessins et modèles en France ?
La Cour d'appel de Colmar (1re ch., 10 août 1999, RTD com. 2000, p. 643, n° 3, nos obs. ; PIBD 2000, n° 691, III, p. 71) avait eu déjà l'occasion de se prononcer sur une question similaire (il s'agissait alors de la règle de comparaison des délais de l'art. 7-8 Conv. de Berne). Il s'agissait de la première application en France appliquée à des dessins et modèles, de la fameuse jurisprudence « Phil Collins » de la Cour de justice des Communautés européennes du 20 octobre 1993 (RIDA, janv. 1994, n° 159, p. 304). La Cour de Colmar a écarté la règle conventionnelle en décidant sur la base de la jurisprudence communautaire qu'il y aurait discrimination à ne pas accorder une protection par le droit d'auteur en France à un créateur allemand n'ayant pas bénéficié d'une telle protection dans le pays d'origine. Une telle application du droit communautaire se fonde en réalité sur une interprétation particulièrement extensive de la jurisprudence communautaire selon laquelle c'est en réalité l'application du principe de réciprocité aux créateurs étrangers qui serait incompatible avec le droit européen (sur l'ensemble de cette question, A. Lucas et H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire et artistique, 2e éd., Litec, 2003, n° 1169 et n° 911). Il convient de recadrer le débat : la Cour de justice, dans son arrêt du 20 octobre 1993, indique sans ambiguïté : « il est constant que l'art. 7 ne vise pas les éventuelles disparités de traitement et les distorsions qui peuvent résulter, pour les personnes et les entreprises soumises à la juridiction de la Communauté, des divergences existant entre les législations des différents Etats membres, dès lors que celles-ci affectent toutes personnes tombant sous leur application, selon des critères objectifs et sans égard à leur nationalité [...], ledit article exige en revanche en revanche, la parfaite égalité de traitement de personnes se trouvant dans une situation régie par le droit communautaire, avec les ressortissants de l'Etat membre [...] et s'oppose dès lors à ce qu'un Etat membre soumette l'octroi d'un droit exclusif à la condition d'être un ressortissant national ». En l'espèce, la question était donc de savoir si la discrimination était fondée sur la nationalité : or, ce qui compte, ce n'était point la nationalité du créateur, mais le lieu d'origine de l'oeuvre au sens des articles 7-8 et 4 de la Convention de Berne. La même mésaventure aurait pu advenir à un créateur Français en Allemagne. A défaut d'une discrimination directe fondée sur la nationalité, s'agit-il alors d'une discrimination indirecte, dont les effets sont assimilables à ceux d'une véritable discrimination fondée sur la nationalité, forme de discrimination, également condamnée par la jurisprudence communautaire (sur l'ensemble de cette question, P. Garrone, La discrimination indirecte en droit communautaire : vers une théorie générale, RTD eur. 1994, n° 3, p. 439) ? La Cour de cassation n'en a pas été convaincue et a cassé l'arrêt de Colmar (Cass. com., 26 mars 2002, LPA 2002, n° 133, p. 24, note C. Alleaume ; Propr. ind., 3 juin 2002, p. 27, note P. Kamina). La Cour de Paris a elle-même considéré, dans une affaire qui, comme la présente, a trait à l'éventuel conflit entre l'article 12 du traité et la règle de l'article 2-7 de la Convention de Berne, que cette dernière « ne contient aucune discrimination déguisée fondée sur la nationalité » (CA Paris, 16 nov. 2001, JCP E 2002, p. 1477, obs. H.-J. Lucas ; Propr. ind., juin 2002, p. 27, note P. Kamina). La dernière jurisprudence de la Cour de justice sur la question de la discrimination appliquée aux dispositions intéressant la propriété intellectuelle apparaît plus restrictive (CJCE, 6 juin 2002, aff. C-360/00, Land Hessen c/ Ricordi et Bünen, D. 2002, AJ p. 2334 ; RTD com. 2002, p. 676, obs. A. Françon ; Pollaud-Dulian, Du bon usage du principe communautaire de non-discrimination en droit de la propriété intellectuelle : à propos de l'affaire La Bohème, Propr. intell., janv. 2003, n° 6, p. 24). Devant ces hésitations, le Tribunal de grande instance de Paris a saisi la Cour de justice d'une question préjudicielle ainsi libellée : « L'article 12 du traité CE qui pose le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, s'oppose-t-il à ce que la recevabilité d'un auteur à réclamer dans un Etat membre la protection du droit d'auteur accordée par la législation de cet Etat, soit subordonnée à un critère de distinction fondé sur le pays d'origine de l'oeuvre » ?
Dépôt frauduleux.
Selon l'ancien article L. 511-2, la propriété d'un dessin ou d'un modèle revient à celui qui l'a créé ou à ses ayants droit, mais le premier déposant est présumé, jusqu'à preuve du contraire, en être le créateur. Il s'agit d'une présomption simple (CA Paris, 14 déc. 1994, PIBD 1995, III, p. 167). Il appartient donc à celui qui se prétend être créateur contre le déposant d'apporter la preuve de sa création. La création étant un fait juridique, sa preuve en est rapportée par tout moyen. Le dépôt n'étant pas alors constitutif de droit l'action en revendication comme en matière de brevet est dès lors inutile : il suffit que le créateur véritable ou antérieur se manifeste. Le dépôt d'un modèle par une personne qui n'en est pas l'auteur, en fraude des droits du véritable créateur doit normalement être annulé (TGI Paris, 25 mai 1999, PIBD 1999, III, p. 487). Le Tribunal de grande instance de Strasbourg, dans une affaire où le caractère frauduleux de dépôts effectués au cours des années 1990 n'était pas contesté, le déposant ne disposant que d'une licence d'exploitation des créations, décide en revanche le transfert des dépôts au nom du créateur sans qu'aucune prescription ne lui soit opposée en raison de la mauvaise foi du déposant (TGI Strasbourg, 1er juill. 2003, PIBD 2004, n° 777, III, p. 21). Ces éléments indiquent (à défaut du visa d'un texte dans la décision) que le tribunal a fait en réalité application des nouvelles dispositions de l'article L. 511-10 du code de la propriété intellectuelle et que l'on se trouve dans le cadre d'une véritable action en revendication. Le nouvel article L. 511-10 introduit en effet en droit français une action en revendication. Inutile avec le système ancien, ce mécanisme est rendu nécessaire par le fait que l'enregistrement est désormais constitutif de droits. Ouverte au créateur ou « à toute personne qui estime avoir un droit sur le dessin et modèle » (l'ayant droit), victime d'un dépôt effectué en fraude de ses droits ou en violation d'une obligation légale ou conventionnelle, l'action se prescrit par trois ans. La prescription court à compter de la publication de l'enregistrement ou, en cas de mauvaise foi au moment de la publication de l'enregistrement ou de l'acquisition du dessin et modèle, à compter de l'expiration de la période de protection.