BoraBora Dilettante |
Je le crains, hélas (tout en espérant me tromper).
Tout d'abord, la situation de ces labels est diverse. Rhino a été indépendant de 1978 à 1998 avant d'appartenir totalement à Warner. Autrement dit, c'est leur période d'indépendant qui a produit la plupart des disques qui ont fait leur réputation. De 1999 à 2004, on a vu la quantité de rééditions augmenter et la qualité moyenne baisser. Puis en 2004 Warner a réorganisé sa structure et licencié à tour de bras (et réduit les coûts partout). L'un des effets a été le licenciement de Bill Inglot et Dan Hersh (les deux hommes responsables à 90% de la qualité sonore et des recherches d'archives), qui travaillent encore occasionnellement pour Rhino mais ne sont plus que freelances. Du coup, la qualité a encore baissé, mais cette fois de manière dramatique.
Parallèlement, toujours en 2004, Warner a lancé le label Rhino Handmade, des rééditions peu grand public, qui correspond plus ou moins à ce qu'était Rhino tout court avant 2004. Et les disques Rhino Handmade, ils sont super, je les adore (du moins certains ) mais... ils sont très chers et à tirage très limité. J'ai l'intégrale Coasters, les Dionne Warwick, l'intégrale Rascals, le Jackie DeShannon, le Percy Mayfield et le Lorainne Ellison. Mais je n'ai jamais pu m'acheter les Little Richard, Tony Joe White, Fats Domino, Aretha Franklin, Ray Charles, Ides of March etc. Pas assez de sous au moment où ils sont sortis (principe Rhino Handmade : 20$ par CD quelqu'en soit le nombre. Donc 100 $ pour un coffret 5 CD ), et ils ont tous été épuisés en quelques mois (voire quelques semaines pour certains d'entre eux).
Hip'O appartient à Universal depuis le début, par contre. Mais on a le même effet qu'avec Rhino : les rééditions de qualité qui sortent du train-train habituel (18ème compilation de Marley, 27ème remastering de What's Going On), elles sont sur le label spécialisé Hip'O Select. Qui pratique des prix moindres que ceux de Rhino Handmade, mais qui n'est tout de même pas à la portée de toutes les bourses. Et là encore, ce sont des éditions limitées. D'ailleurs, certains des coffrets de l'intégrale des singles Motown ou de la fabuleuse série de rééditions de tous les singles de James Brown en doubles CD commencent déjà à être épuisés, et ne sont plus dispos qu'en téléchargement sur iTunes (moindre mal, on me dira, mais bon...).
Quand à Ace, ils sont indépendants et n'ont jamais cessé de faire du bon boulot, à des prix pas spécialement bas mais qui restent raisonnables (15 € du bout chez nous). Seulement étant indépendants ils dépendent des accords de licences des majors. Et on les a vu perdre la licence Fantasy (donc Stax par contre-coup), par exemple, alors qu'ils avaient fait un boulot fabuleux sur le catalogue. Universal, qui a repris les droits, a fait quelques très belles choses ces deux années, en s'appuyant sur la commémo du 50ème anniversaire de Stax, mais le résultat est tout de même là : 10% à peine du catalogue Stax qui était dispo chez Ace a été réédité par Universal.
Bref, mal barré.
ET puis se posent d'immenses problèmes qui vont de plus en plus empêcher des rééditions de qualité, même quand un petit label consciencieux employant un ingé de talent voudra s'y lancer. Je vais recoller ici mon coup de gueule du topic idiophilie, où je relayais le cri d'alarme de Steve Hoffman :
Citation :
Pendant ce temps, la situation devient dramatique. Pas seulement parce que la qualité des masterings se dégrade, mais parce que le processus devient irréversible :
* Nombre de rééditions d'envergure de ces 20 dernières années ne seront jamais refaites parce que le marché ne sera plus jamais assez étendu pour justifier les frais d'une refonte. Si elles sont bâclées sur le plan sonore, il faudra s'en contenter à jamais (un bon exemple, particulièrement frustrant, est "The complete Motown Singles 1959-1972", magnifique série de coffrets, dont le très faible tirage n'est toujours pas épuisé, ce qui est en dit long sur l'hypothèse d'un remastering futur).
* Les bandes master d'enregistrements 50's/60's (et même déjà 70's, en partie) sont de plus en plus dégradées et leur vie touche pour beaucoup à leur fin, quand elles ne sont pas déjà mortes ou disparues. Bien sûr, on découvre encore des "safety copies" ou des copies de 1ère génération envoyées à l'étranger. Mais globalement, inutile de se faire d'illusions : un patrimoine entier est en train de disparaître.
* Les labels eux-mêmes, et particulièrement du fait de la concentration en majors, n'ont plus aucun intérêt pour leurs bandes. La tendance est à stocker tout le bazar dans des entrepôts sous-traités, ce qui rend la tâche de l'ingénieur du son consciencieux totalement impossible. Pour certains labels, les bandes sont même détruites, puisqu'encombrantes et jugées désormais inutiles. En cas de besoin de réédition, on prend le transfert digital, auquel on met un petit coup d'égalisation pour différencier le son de la réédition précédente. On commence même à voir apparaître des CD masterisés d'après d'autres CD.
En espérant que Pierre2312 ne m'en voudra pas de dériver quelque peu sur un sujet qui a plus sa place sur le topic mastering, une illustration du point précédent avec le merveilleux et historique label de jazz Fantasy, qui a précisément choisi la voie de l'entrepôt à distance. Coup de gueule désespéré de Steve Hoffman :
Citation :
The great engineers at the legendary Fantasy Studios were pros who were at the top of their game. The studios themselves were really nice as well. All gone now, I guess.
Stuart Kremsky, the (now ex) Fantasy archivist was one of those people who always went the extra mile for clients. I could NEVER have remastered the "100 Greatest Jazz Albums Of All Time" from the original master tapes if it wasn't for him. He must have gone through and rejected 800 reels of tape before he found the absolute masters for us for those 100 albums. Also the Creedence Clearwater Revival LP's and SACD's I did were produced with CRUCIAL help from Stuart, who could find a true master tape in a pile of confusing oxide fodder. Now, the tapes are being entered in a computer and shipped to a big storage facility where no one will be able to distinguish a master from a dub, stereo from a mono reel or anything else. Most of that crucial information is NOT MARKED ON THE REELS. I give Fantasy credit for NOT throwing away the original boxes to rebox though; that would be much worse. One had to learn from experience which reels were which. That's all gone now.
I've said it before but I'll say it again: If I were you all I would buy every OJC Jazz CD I could get my hands on.
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Explication plus détaillée de la procédure :
Citation :
The client gets a vague computer print out of the inventory.
And then they just GUESS which reels are to be sent.
Always drives me bonkers because the person transcribing the information on to the computer knows nothing about historical tapes. They have no way of knowing what is what so you have pages of the same info for different reel numbers. No way to tell which is the correct reel to pull. Either you pull them all or keep guessing.
Most likely what will happen is they will start using the digital safety copies of everything.
When I was working on BAD CO. the print out from IRON MOUNTAIN was by SONG TITLE. So I read:
Artist BAD CO.
Song title: CAN'T GET ENOUGH.
Reels 1-50 quarter inch tape
Reels 51-60 two inch tape.
Every single reel was marked MASTER because they had no words for anything else. POINTLESS. 60 reels all marked exactly the same for just one song. No tape legend info at all like "Name of studio, recording date, etc". Nothing. Which one of those 50 reels of quarter inch tape is the true master if any? Ship all of them across the country and find out. Maybe none of them. Ship them BACK across the country and have some minimum wager throw them back on the shelves. Try again, spend more money. Can't find it at all? Give up.
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Et un dernier pour la route (note : "Iron Mountain" est le nom de la société d'archivage) :
Citation :
Nothing will be destroyed, just filed, but as what?
One album? Maybe 22 reels even for a lowly obscure jazz album.
How so? Take a look...
Well, side A and B stereo work parts, side A and B stereo masters, side A and B stereo safety, side A and B stereo EQ cutting master, side A and B protection digital, side A and B outtakes (could be up to six reels), side A and B mono masters, side A and B mono safety, side A and B mono EQ cutting master, side A and B mono outtakes (could be up to 6 reels). USUALLY NOT CLEARLY MARKED! The tapes needs to be eyeballed; played to see splices, etc.
Now, in the case of Creedence, or a "greatest Hits" comp, each SONG is duped again for the GREATEST HITS stereo master reels, EQ reels, digital reels, etc.
If the computer print out is by SONG TITLE, well, good friggin' luck trying to find THE master out of 22 reels. If it's by record number, same problem. ALL of the reels will have the same number. If it's by artist, well, same problem. Some of the most famous albums (like the Modern Jazz Quartet's "CONCORDE" ) are not even on master album reels anymore but were put on compilation reels in the 1970's in a different order for the Milestone reissue series. Some famous albums were reissued many times and the master tapes for them have all of the later record numbers on them as well. Which number is which? Thousands of tapes like this. WITHOUT A SPECIALIZED ARCHIVIST WHO KNOWS WHAT TO PULL OR HOW TO TELL IRON MOUNTAIN HOW TO INPUT THE DATA CORRECTLY, DINKS LIKE ME WHO DO A LOT OF WORK WITH FANTASY/CONCORD TAPES ARE SHEET OUT OF LUCK.
Crap, right now I have to do several recuts in the last batch of the Analogue Productions 45 RPM vinyl series "The 100 Greatest Jazz Recordings Of All Time" and I need the "stereo side A and B work parts" reels in order to bypass the stereo master reels with the wicked reverb on them. BEEP; too late, gone to the Mountain. "We can't find 'em right now, sorry". Maybe never again. Do you see why this is grievous news for the Audiophile community?
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Désolé pour les non-anglophones et pour la longue digression, mais j'ai décidément beaucoup de mal à comprendre que l'on puisse se dire audiophile et ne pas s'intéresser à cette question essentielle, alors que nous touchons à la fin d'une époque et vivons pour la 1ère fois dans l'histoire du son une régression inévitable par tout amateur de musique, et surtout irréversible. (...) je suis content que certains ingénieurs du son fassent encore correctement leur boulot, quelle que soit la musique figurant sur leurs disques. Mais ce sont les 50 dernières années de musique enregistrée qui motivent mon intérêt de mélomane, pas une poignée de disques à destination d'un marché de niche.
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Depuis ce post, on peut noter deux choses : je disais que les coffrets Motown étaient encore dispos, or certains ne le sont plus. Et on a vu avec les rééditions New Order la caricature de ce qui est annoncé : des remasterings à partir de la 1ère source qui tombe sous la main. Dans le futur, on va avoir de plus en plus de rééditions de ce type, soit des clones de CDs antérieurs (cf Charly, qui le fait depuis longtemps sur le "grey market" ) repackagés, soit pire encore des repiquages de vinyles. Et la réédition de qualité sera cantonnée à une poignée de titres sur de petits labels pour collectionneurs, qui les vendront chers et pendant un temps très limité. Un marché de niche, quoi.
Bon, on n'en est pas encore là, et d'une certaine manière ce n'est pas si dramatique pour les gens de 40+ parce qu'on a accumulé déjà des tonnes de disques, qu'il y a l'énorme marché de l'occase, et qu'il y aura toujours ce petit marché de niche qui nous apportera chaque année de quoi écouter. Mais pour reprendre quelque exemples de Rhino Handmade et Hip'O Select : quelle est la chance pour quelqu'un dans 10 ans de pouvoir acheter leurs disques tirés aujourd'hui à 4 ou 5000 exemplaires ? Aura-t-on un jour une nouvelle intégrale de Percy Mayfield, par exemple ? Je ne pense pas. Et celle sortie par Rhino Handmade il y a 2 ans atteindra des prix prohibitifs sur eBay. Message édité par BoraBora le 23-11-2008 à 20:17:24 ---------------
Qui peut le moins peut le moins.
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