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Des espoirs de rebond à court terme, des raisons de rester prudent au-delà
Un contexte économique peu porteur, avec de sérieux risques de récession économique : nos experts restent dans l'ensemble sur la défensive
TABLE RONDE ANIMÉE PAR YVES DE KERDREL ET ROLAND LASKINE | JDF HEBDO | 06.09.2008 | Mise à jour : 21H49 TABLE RONDE- Les meilleurs experts de la place analysent le marché. Nous avons réuni les meilleurs experts de la place pour analyser le marché, recueillir leur sentiment sur la situation macroéconomique et nous livrer leur stratégie d'investissement pour les mois à venir. Après la baisse de ces derniers mois, une reprise est envisageable, mais les risques de récession mondiale limitent la visibilité et ne permettent pas d'investir en toute sérénité. LE JOURNAL DES FINANCES. Après l'immobilier américain et la crise financière, les marchés redoutent la récession. Peut-on miser sur une amélioration en 2009 ?
MARC FIORENTINO : Je maintiens mon opinion, nous sommes confrontés à une crise profonde qui se propage par étapes. Nous assistons à la correction de tous les excès commis au cours de ces dernières années, avec l'éclatement de la bulle immobilière et financière aux Etats-Unis, un dégonflement de la bulle chinoise et de celle qui s'était constituée sur les matières premières.
Les Etats-Unis sont confrontés à une chute brutale, et l'Europe, qui tournait déjà au ralenti, est entrée dans une récession molle. Mais ce que les marchés refusent de voir, c'est que nous sommes déjà confrontés à un ralentissement marqué de l'activité dans les pays émergents, qui menacent eux aussi de tomber en récession.
La seule bonne nouvelle, c'est la baisse du prix du pétrole. Le dégonflement de la bulle pétrolière est totalement cohérent avec le scénario actuel de récession mondiale qui se profile à l'horizon.
PATRICK LEGUIL : N'exagérons rien. La Chine est loin de la récession, mais son ralentissement ne fait aucun doute. Il est confirmé par une chute brutale de l'indice Baltic Dry Index, représentatif du trafic maritime, notamment, entre les pays occidentaux et les zones émergentes. Mais la plus mauvaise surprise de l'été, c'est l'Europe, où l'activité se dégrade dans des proportions nettement plus importantes que prévu. A la différence des Etats-Unis où elle est déjà bien entamée, de ce côté-ci de l'Atlantique, la crise immobilière ne fait que commencer. Je pense donc que nous sommes confrontés à une crise profonde et durable.
GÉRARD AUGUSTIN-NORMAND : La réduction de l'offre de crédit par un système bancaire totalement exsangue constitue un problème majeur qui prive l'économie du carburant dont elle a besoin pour se développer. La visibilité est faible, mais il ne faut pas oublier que la Bourse raisonne toujours par anticipation. On peut donc penser qu'une bonne partie de la récession qui se profile est déjà prise en compte. En dépit de ce climat dégradé, un rebond boursier pourrait intervenir à la faveur de la poursuite de la baisse du prix du pétrole et d'un raffermissement du dollar.
VICTOIRE DE TROGOFF : La comparaison des évolutions des PIB du deuxième trimestre des Etats-Unis et de l'Europe nous rappelle que nos problèmes sont bien plus structurels qu'outre-Atlantique. Hors subventions par les banques, l'économie européenne ne dispose d'aucune perspective de croissance. On a vu un début de destruction de demande de la part des pays de l'OCDE, due à un niveau absolu du prix du baril trop élevé, mais ça ne fait que repousser de quelques mois le déséquilibre bien réel entre l'offre et la demande. Le prix du pétrole pourrait cependant continuer de baisser, car la diminution du prix du baril entraîne la baisse de l'inflation et relance les espoirs de réduction des taux en Europe. Cela renforce le dollar et autorise une baisse du prix du baril puisqu'il est lui-même libellé en dollars.
LE JOURNAL DES FINANCES. Que cache la faiblesse actuelle des multiples de capitalisation?
GÉRARD AUGUSTIN-NORMAND : Les niveaux de valorisation sont faibles,mais ils sont justifiés par les risques de récession, qui sont synonymes de dégradation des résultats. Dans les périodes de ralentissement, la faiblesse du PER doit donc être approchée avec prudence, car elle peut constituer un faux signal d'achat.
PATRICK LEGUIL : Il faut être très prudent sur les niveaux de PER. En effet, si à l'exception des banques les publications de résultats du premier semestre se sont révélées satisfaisantes, il faut s'attendre à des révisions en baisse pour le second semestre et sans doute aussi pour 2009. Tout cela fausse quelque peu l'impression de faible valorisation des cours de Bourse.
VICTOIRE DE TROGOFF : Ce n'est pas la valorisation qui m'inquiète. Certes, le consensus anticipe 10 % de croissance des profits en 2009 et 2010, ce qui paraît irréaliste ; mais les niveaux de PER de 10 sont largement capables d'être réévalués au profit d'une révision en baisse de ces anticipations. Par ailleurs, par rapport aux autres actifs, les actions restent peu chères. Il n'y a rien de positif qui puisse mener à un quelconque optimisme, si ce n'est l'éloignement de deux scénarios catastrophes que sont la crise systémique et la stagflation.
MARC FIORENTINO : Nous allons vers une accélération des révisions en baisse des résultats, mais le fait que nous soyons dans un cycle baissier ne veut pas dire que nous ne bénéficierons pas d'un rally boursier dans les semaines ou les mois à venir. Le déclic pourrait venir par exemple d'un sauvetage des rehausseurs de crédits américains, qui signifierait que la crise financière est sous contrôle. Les cours des valeurs bancaires étant au plancher, le secteur pourrait rebondir et entraîner temporairement avec lui l'ensemble de la cote, notamment les titres qui ont le plus baissé. Il ne s'agirait cependant que d'un rebond technique, plus lié à des rachats de positions vendeuses qu'à la prise en compte des fondamentaux. LE JOURNAL DES FINANCES. Quelle est votre stratégie d'investissement ? Quel secteur privilégiez-vous ?
MARC FIORENTINO : La stratégie à suivre dépend avant tout de votre profil d'investisseur. Si vous êtes un boursier actif, vous pouvez vous placer à titre spéculatif pour jouer un rebond du marché à court terme, car il n'est pas exclu qu'après les fortes baisses que nous avons connues au cours de ces derniers mois l'indice CAC 40 remonte au-dessus de 5.000 points avant la fin de l'année. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à jouer les titres les plus massacrés de la cote, comme les banques, les compagnies d'assurances ou les compagnies aériennes. Les investisseurs les moins aguerris auront intérêt à continuer de sous-pondérer les actions au profit des placements monétaires tant que la visibilité sur les perspectives de reprise de l'activité ne se sera pas améliorée. En tout état de cause, tous les détenteurs de portefeuilles très investis en actions ont intérêt à guetter un rebond pour alléger les positions.
PATRICK LEGUIL : La meilleure stratégie consiste à faire preuve de prudence, en évitant de s'exposer aux valeurs les plus cycliques, comme celles liées aux matières premières, par exemple. Il ne faudra surtout pas hésiter à alléger les positions sur tout rebond de la cote car, dans les périodes de fort pessimisme comme celles que nous traversons aujourd'hui, la moindre bonne nouvelle est capable de réveiller la cote. Une nationalisation du système de garanties bancaires aux Etats-Unis pourrait très bien intervenir avant la fin de l'année et susciter un regain d'optimisme sur le marché. Nous pourrions alors terminer 2008 aux abords des niveaux de début de l'année.
GÉRARD AUGUSTIN-NORMAND : Ce n'est pas parce que nous nous situons dans un marché baissier qu'il n'existe pas d'opportunités d'achat. Les titres ayant le plus souffert ces derniers mois sont susceptibles de profiter les premiers d'un rebond la cote. Les valeurs bancaires, comme BNP Paribas ou Société Générale, sont par exemple très bien placées pour figurer en tête des hausses au moindre signal d'apaisement dans le secteur financier. Même chose pour Axa.
Je reste prudent sur le secteur de la consommation et de la distribution. Carrefour a par exemple beaucoup baissé, mais je ne vois pas bien ce qui pourrait réveiller le titre après la mise en place d'une nouvelle direction qui n'a que faiblement profité au titre. LE JOURNAL DES FINANCES. Sur quelles types de valeurs faut-il concentrer les portefeuilles ? Peut-on revenir sur les valeurs défensives ?
PATRICK LEGUIL : Nous sommes dans un marché value et l'attrait des valeurs défensives reste entier, mais on a vu qu'elles ne sont pas parvenues à résister à la baisse intervenue au cours de ces derniers mois. Certaines d'entre elles, comme Danone, dans le secteur agroalimentaire, ont cependant montré durant le mois d'août qu'elles étaient parfaitement capables de rebondir après des baisses jugées excessives. France Télécom présente également d'indéniables qualités défensives. Les valeurs liées à l'énergie, à l'exception de Total, pourraient subir des corrections de cours dans les mois à venir. Certains emprunts obligataires émis par les plus grands noms de la cote offrent aussi des rendements très intéressants dont il est possible de profiter dans une optique de diversification des portefeuilles.
GÉRARD AUGUSTIN-NORMAND : Les sociétés foncières, qui présentent des décotes de l'ordre de 40 % par rapport à leur valeur d'actif, peuvent être également mises en portefeuille à titre défensif et pour le rendement.
MARC FIORENTINO : Prudence sur les grands équipementiers, comme Schneider, Siemens ou Alstom, qui sont aujourd'hui très recherchés mais qui pourraient souffrir d'une baisse de leurs carnets de commandes.
VICTOIRE DE TROGOFF : Comme d'habitude, je ne crois qu'à la sélection de valeurs. Il faut investir dans des sociétés qui se créent leur propre vent, et il s'agit souvent de valeurs moyennes.
Actuellement, on peut s'intéresser aux titres qui ont été affectés de façon disproportionnée, souvent plus au niveau boursier que dans leurs comptes, par la folle envolée du prix des matières premières. Les fabricants de pneus, les brasseurs et les producteurs agroalimentaires en sont des exemples. Par ailleurs, je continue de penser que le secteur bancaire offre aujourd'hui certaines belles opportunités puisque les recapitalisations sont largement derrière nous, et le ralentissement cyclique qui se profile ne justifie pas desPER inférieurs à 8. Enfin, le baril a entraîné mécaniquement le service pétrolier dans sa chute, mais les besoins sont tout aussi pressants avec un baril à 100 ou à 140 dollars.
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