Citation :
de Francois Augereau
A propos de la question récurente "Qui est Tom Bombadil ?", la série des ouvrages de l'Histoire de la Terre du Milieu, publiée depuis quelques années, apporte peut-être, dans le Livre des Contes Perdus - Tome 1 dont Tolkien avait abandonné la rédaction, des éclaircissements nouveaux. Dans le troisième chapitre de cet ouvrage intitulé "La venue des Valar, et la Construction de Valinor", il est dit (à propos de l'arrivée d'Aulë et de Palurien, Aulë et Yavanna dans le Silmarillion) : "Tout autour d'eux alla une grande armée qui est les esprits des arbres et des bois, des vallons et des forêts et des pentes de montagne, ou bien ceux qui chantent dans l'herbe au matin et chantent parmi les blés qui se dressent au soir: ceux qui sont les Nermir et les Tavari, les Nandini et les Orossi, les lutins, les farfadets, les fées, les pixies, les leprechauns, et par d'autres noms les appelle-t-on encore, car leur nombre est très grand : pourtant on ne doit pas les confondre avec les Eldar, car ils naquirent avant le monde et sont plus anciens que ses plus anciens, et n'en proviennent pas, mais en rient beaucoup, car n'ont-ils pas eu un quelconque rôle en son façonnement, et c'est donc en grande partie un jeu pour eux".
L'index du Livre des Contes Perdus précise que:
- les Nermir sont des "fées des prés",
- les Tavari sont des "fées des bois",
- les Nandini sont des "esprits des vallées",
- et les Orossi sont des "fées des montagnes". En note à ce chapitre, Christopher Tolkien n'évoque pas Tom Bombadil et je connais trop peu le reste de ses écrits ou les correspondances de Tolkien pour savoir si le rapport entre Tom et ce chapitre a jamais été envisagé. Toutefois, il semble (c'est une pure hypothèse) que Baie d'Or pourrait être une Tavari (plus qu'une Nermir) et que Tom Bambadil pourrait facilement se ranger dans l'une ou l'autre des nombreuses catégories des lutins et farfadets, pixies, etc., et autres qui ne sont pas formellement désignées. En cela, je penche plus pour leur reconnaissance comme des Esprits de la nature que comme des Maiar ou des Valar. On note en fait, avec intérêt, que le Livre des Contes Perdus précise que ces êtres étaient là avant la création de la Terre du Milieu. Et on lit par ailleurs, dans la Communauté de l'Anneau, que Tom "était là avant la rivière et les arbres [...] la première goutte de pluie et le premier gland", qu'il "connaissait l'obscurité sous les étoiles quand la peur n'était pas présente". A Fondcombe, Elrond dit qu'il avait "oublié Bombadil, si en fait, c'est le même qui parcourait les bois et les collines il y a longtemps et qui, même alors, était plus vieux que les vieux". Elrond précise, au cours de son Conseil : "Il ne portait pas alors ce nom. On l'appelait Iarwain Ben-adar, le plus ancien et le sans père. Mais il a reçu bien d'autres noms de la part d'autres gens : les nains l'ont appelé Torn, les hommes du Nord Orald, et il a beaucoup d'autres noms encore. C'est une créature étrange, mais peut-être aurais-je dû le convoquer à notre Conseil". "Il ne serait pas venu" répond Gandalf. Erestor interroge alors Gandalf "Il semble qu'il ait un pouvoir même sur l'Anneau". Et Gandalf lui dit "Non, ce n'est pas exactement ce que je dirais. Mettons plutôt que l'Anneau n'a aucun pouvoir sur lui. il est son propre maître. mais il ne peut rien changer à l'Anneau lui-même, ni briser son pouvoir sur les autres". Tom peut toutefois faire disparaître l'Anneau quand il le lance en l'air, sauf si ce n'est qu'un tour de prestidigitation. Que nous apprend cette première évocation de Tom au Conseil d'Elrond ? D'abord, qu'Elrond connaît certes Tom et ses différents noms (pour l'étymologie de ceux qu'il donne, il conviendrait de consulter des experts) mais qu'en même temps, Elrond a "oublié" Tom et se demande même s'il aurait dû le convoquer. On peut en déduire qu'Elrond ne sait peut-être pas quelle est la nature exacte de Tom, sinon il aurait su s'il devait ou non le convoquer. Gandalf, en revanche, sait que cette convocation aurait été inutile. Il doit donc connaître la nature de Tom et il sait aussi que l'Anneau n'a pas de pouvoir sur lui. Revenons donc au Livre des Contes Perdus. Ne dit-il pas, à propos des lutins, farfadets et autres êtres venus avec Aulë et Yavanna que le Monde n'a pas prise sur eux. C'est ce que l'on peut comprendre dans la phrase "Ils n'en proviennent pas, mais en rient beaucoup, car n'ont-ils pas eu un quelconque rôle en son façonnement, et c'est donc en grande partie un jeu pour eux". Dois-t-on comprendre que ce qui est issu de ce monde n'a pas non plus, par définition, de prise sur eux, et ce pourraît être le cas de l'Anneau. Or, on se souvient que l'Anneau ne rend pas Tom invisible et que Tom peut voir Frodon quand il porte l'Anneau. Si nous poursuivons le Conseil d'Elrond, Erestor propose de confier l'Anneau à Tom pour qu'il le garde à jamais inoffensif. Et Gandalf lui dit "Non, pas de son propre gré. Il pourrait le faire si tous les gens libres du monde le suppliaient, mais il n'en comprendrait pas le besoin. Si on lui donnait l'Anneau,il l'oublierait bientôt ou plus vraisemblablement le jetterait. Pareilles choses n'ont aucune prise sur son esprit. Ce serait le moins sûr des gardiens". Voilà je pense une réponse qui va contre l'idée que Tom puisse être un Maia ou un Vala. Car ces derniers comprendraient le besoin de rendre l'Anneau inoffensif même s'ils n'acceptaient pas de le faire eux-même. Ils le refuseraient en disant, soit que ce n'est pas de leur compétence, soit que c'est aux "gens libres" d'en assumer le poids. D'ailleurs, lorsque Glorfindel propose au Conseil d'envoyer l'Anneau au-delà de la Mer, Elrond répond que "ceux qui résident au-delà de la Mer refuseraient de le recevoir : pour le bien ou pour le mal, il appartient à la Terre du Milieu". Faut-il comprendre que les Valar, s'ils résidaient en Terre du Mileu, pourraient accepter l'Anneau, et donc que Tom peut être un Vala ? Je ne le crois pas. Lorsque Gandalf dit que Tom ne "comprendrait pas", c'est bien parce que Tom est détaché des choses de ce Monde, alors que les Valar et les Maiar ne le sont pas. Autrement dit, ce n'est pas parce que les Valar et les Maiar n'interviennent pas qu'ils sont détachés du sort du Monde; au contraire, depuis la création, ils ne font que s'en soucier. Dans le Livre des Contes Perdus, en note au chapitre consacré à l'arrivée des Valar, Christopher Tolkien précise : "Dans l'oeuvre ultérieure [le Silmarilion] il n'y a aucune trace d'explication de l'élément "farfadet" dans la population du monde: il n'y a que rarement des références aux Maiar, et il n'est certainement pas dit qu'ils incluent ces êtres qui chantent dans l'herbe au matin et chantent parmi les blés qui se dressent au soir". Christopher Tolkien estime donc qu'outre les peuples de la Terre du Milieu, il existe bien d'autres êtres en dehors des Valar et des Maiar. Dans le Livre des Contes Perdus, il existe un autre personnage qui fait songer à Tom : le flûtiste Timpinen (ou Tinfang) qui passe son temps à bondir et jouer de son instrument tandis que s'illuminent les étoiles, tout comme Tom bondit et ne cesse de chanter en parcourant son domaine. Au tout début du chapitre IV du Livre des Contes Perdus : "l'Enchaînement de Melko", on retrouve en effet Eriol qui parle à Vairë des musiques entendues durant son sommeil, et celle-ci lui dit qu'il s'agit de "la flûte deTimpinen [...] que d'autres nomment Tinfang Warble et qu'il jouait et dansait lors des crépuscules d'été pour la joie des premières étoiles". Vairë explique aussi à Eriol qu'il "est partout dit que cet esprit n'est ni entièrement des Valar ni des Eldar ; mais est à moitié une fée des bois et des vallons, venue de ces grandes compagnies des enfants de Palurien, et à moitié un Gnome [un Noldo] ou un Flûtiste des Côtes [un Teleri]". En note à ce chapitre, Christopher Tolkien dit que son père a écrit puis barré fermement un passage où Timpinen serait le fils de Tindriel Wendelin (la Maia Melian) et de Tinwë Tinto, c'est-à-dire le roi des elfes Thingol (l'édition française comporte une faute de frappe et indique Linwë Tinto), faisant au passage de Timpinen le frère de Lúthien Tinuviel. Une suppression aussi définitive de la part de Tolkien exclut la possibilité, pourtant séduisante, d'un être hybride mi-Elfe, mi-Maia. En l'occurrence, si l'idée avait été retenue, elle n'aurait pas beaucoup servi l'hypothèse développée plus haut, car si Tom avait été lui aussi, par on ne sait quelle ascendance, un de ces êtres hybrides (un cousin de Lúthien), on aurait eu du mal à croire qu'Elrond n'en sache pas plus sur lui. Dans le commentaire au chapitre IV du Livre des Contes Perdus, Christopher Tolkien fournit deux poèmes sur le personnage de Timpinen "dansant tout seul, sautillant sur une pierre, voltigeant comme un faon. [...] Il ne joue pas pour moi, il ne joue pas pour toi, il ne siffle pour aucun d'entre vous. Sa musique est sienne". Dans la première version écrite en 1914, Christopher Tolkien dit que Tinfang (Timpinen) est appelé un "Leprechaun" et que dans le premier glossaire du langage gnomique (i.e. quenya), il est "une fée". Cette indication est très intéressante, car elle permet de savoir que les fées peuvent être "il". Par conséquent, les Nermir, Tavari, Nandini et Orossi, évoqués plus haut peuvent être des "homme-fées" si vous me permettez ce raccourci. Et pourquoi pas Tom ? Voilà de nouvelles pistes ouvertes... Notons, toutefois qu'avec contradiction, dans le second poème consacré à Tinfang, celui est qualifié au vers 52, de "vieil elfe". En conclusion de ces différentes remarques, je finis par être convaincu que Tom Bombadil n'est bien sûr ni un Homme, ni un Hobbit, ni un Nain, et pas plus un Elfe. Pour les raisons évoquées, je ne crois pas non plus qu'il soit un Vala ou un Maia. Il reste donc un Mystère qui, peut-être, trouve sa source lointaine dans certains êtres tout aussi mystérieux du Livre des Contes Perdus. Je suis à cet égard d'accord avec J.R. Lecocq, à qui j'ai soumis mon hypothèse, lorsqu'il m'a répondu "Si on peut penser que Tolkien ait abandonné cette idée, on ne peut pas affirmer qu'elle ait disparu même de son inconscient".
Après tout, ne devrions-nous pas nous contenter de la réponse que Tom lui-même fournit à Frodon quand ce dernier lui demande qui il est : "Ne connaissez-vous pas mon nom ? C'est la seule réponse." ?
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