rahsaan | Compte-rendu d'une discussion avec un jeune amateur de philosophie
Thèmes abordés : le stoïcisme, les passions, la maîtrise de soi, le soi ; la paresse/l'ennui ; la vie/l'existence
> La philo, qu'est-ce qu'elle a fait pour toi ?
Elle m'a évité de me poser de fausses questions.
Elle m'a appris à construire ma propre pensée et a donc ne pas laisser les autres penser à ma place.
Elle m'a permis de m'intéresser à nombre de choses que j'aurais laissé de côté sans ça.
Elle permet de comprendre le monde dans sa complexité.
Elle fortifie l'esprit et donne du courage.
>Je commence à "relire" la préface d'Epictète .. Tu pourrais m'expliquer vite fait ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas stp ?
Ce qui dépend de toi --> les passions, les jugements, les opinions etc.
Ce qui ne dépend pas de toi --> tout le reste (biens matériels, jugements des autres etc. )
> C'est quoi les passions ? Les passions ? La joie, la tristesse, la jalousie, le désir, l'amour, le regret etc.
Ces passions, te dit Epictète, ne dépendent que de toi.
>Peux-tu les contrôler ?
Oui, tu peux les changer car ça ne dépend que de toi de les changer.
En effet, nul ne peut être joyeux, triste, jaloux etc. à ta place. Toi seul a le pouvoir de changer tes passions : ça ne dépend que de toi.
Epictète dit alors que si tu es parfaitement maître de toi-même, tu voudras les choses telles qu'elles sont, selon l'ordre nécessaire de la Nature.
L'ignorant accuse les autres, l'homme qui s'instruit s'accuse soi-même, le sage n'accuse ni soi ni les autres. > Pourquoi le sage n'accuse t-il ni soi ni les autres ?
Si qqch ne te satisfait, si ça ne va pas bien, alors naturellement tu commenceras par accuser les autres, qui qu'ils soient : c'est la faute aux autres, il n'avaient qu'à pas...
Quand tu commences à être éclairé, tu comprends que si qqch ne va pas et que tu t'en plains, c'est parce que c'est de ta faute : c'est à toi de changer, pas au reste du monde. Au lieu de toujours accuser les autres, il faut regarder si le problème ne vient pas de soi. L'homme éclairé préfère commencer par s'accuser lui-même, plutôt que les autres.
Enfin, le sage, qui a compris et accepté l'ordre nécessaire des choses, n'accuse ni les autres ni soi parce qu'il ne trouve rien à redire à la nature des choses. Il a compris la nécessité de la Nature et l'accepte : en étant maître de lui, il fait tout ce qui est en son pouvoir et donc ne peut en rien être insatisfait.
> Mais pourquoi le sage ne se pose t-il pas de question sur sa personne ?
La question n'est pas de se poser des questions sur sa personne : c'est que le sage a réussi à dépasser le moment de l'ignorance ( "c'est la faute aux autres" ) et celui de l'homme un peu éclairé ( "c'est ma faute si les choses vont mal" ) : alors le sage peut dire : "si les choses vont ainsi, c'est en conformité avec la nécessité de la Nature ; faisant tout ce que je peux en tant que cela ne dépend que de moi, je vis en parfaite conformité et harmonie avec cet ordre naturel des choses ; donc je n'accuse personne car je ne vois rien à changer à ce qui est."
> Tu seras quel genre de prof ?
...genre bon. Du moins j'espère. > C'est quoi la paresse ?
Quelques pistes :
la paresse --> refus de l'action ; fatigue du corps ; pesanteur, ennui ; volonté d'inaction ; incapacité à accepter le côté pénible de l'action etc.
Je sais pas, essaie d'y penser un peu : qu'est-ce que c'est, être pris de paresse ? à quoi ça s'oppose ? ya t-il une raison à la paresse ou bien est-ce que ça nous tombe dessus ? etc.
>Ma paresse me saoule comment faire ?
Personne ne peut surpasser cette paresse à ta place. Il ne dépend que de toi de changer.
Là, tu es étudiant. Quand tu auras à gagner ta croûte, à trouver un travail, tu verras que tu sera forcé de sortir de ta paresse.
>Mais une question : que fais-tu de tes journées ?
Je lis, je me promène, je m'ennuie, je vois des potes, ma copine...
>Et l'ennui au sens philosophique peut etre utile ?
Pas de pensée sans ennui.
Ca veut pas dire que l'ennui amène automatiquement la pensée, loin de là. Heidegger distingue 3 formes d'ennuis :
- l'ennui qui te traîne en longueur : quand tu atteins un train en retard dans une petite gare de campagne et que tu n'as rien d'autre à faire que de tourner en rond dans la salle des pas perdus. Le temps s'étire indéfiniment et plus rien dans les choses autour de toi ne te "dit".
- l'ennui par saturation : tu vas dans une soirée, avec pleins de gens : c'est la fête, tu t'agites, tu te distrais en permanence, tu discutes, tu vas en tous sens, dans l'ébullition du lieu ; et en partant, tu soupires "qu'est-ce que je me suis ennuyé !". C'est après coup que tu réalises l'ennui qui était là depuis le début mais que tu n'as pas ressenti sur le moment.
- l'ennui profond, qui te laisse à vide : c'est l'ennui des profondeurs, l'ennui abyssal, où rien, plus rien ne te fait envie, où tu sombres dans une incapacité profonde à te diriger vers quelque chose que ce soit. Et même la première forme d'ennui, l'ennui de l'attente, peut encore être une manière de se distraire de cet ennui tout-puissant.
Alors quelle "utilité" à cela ?
Heidegger suggère que dans l'ennui, ce qui t'apparaît, c'est le monde comme tel : qu'est-ce qui fait un monde ? Non pas telle et telle chose additionnées ; non pas la totalité de ces choses, ni même la structure sous-jacente à ces choses, mais le fait que ce soit le monde où tu vis, dans lequel tu habites, dans lequel tu agis, a des soucis... L'ennui fait apparaître le phénomène de la mondanéité en pleine lumière. Tu vis toujours déjà au sein d'un ensemble de choses (ta chambre, ta ville, ton université etc.). L'ennui fait apparaître le monde. Or l'homme est libre en ce qu'il est configurateur de monde : il peut choisir son monde, dire ce monde, déterminer ce qu'il est. L'ennui est ce qui sépare radicalement l'homme de l'animal (qui n'a presque pas de monde, selon H. : l'animal est dit "pauvre en monde" ). Du reste, la question serait à poser : l'animal s'ennuie t-il ?
Selon Heidegger, non. Seul l'être particulier qu'est l'homme peut s'ennuyer.
>Mais si je comprend bien dans la vie tout est utile,tout nous est utile a vivre mieux ?
Hmmm... Nietzsche dit qu'il faut savoir ruser face aux épreuves de la vie (la maladie par exemple) : faire le gros dos, apprendre à être malin, à transformer les faiblesses en force, être patient, apprendre à tirer parti des épreuves quand on y est confronté. Quelles sont les forces à tirer de la maladie, de l'ennui, de l'angoisse, de la paresse ?...
Alors, tout nous est-il utile ?
Tout n'est pas fait pour l'homme, loin de là ! Mais vivre consiste à savoir tourner à sa faveur ce qui t'arrive. >"Ce qui te ne tue pas te rend plus fort ? " Ce que je veux dire : la mélancolie, la tristesse etc. etc. nous sont utiles pour changer cela, cela dépend de nous.
La phrase que tu cites est l'une des plus célèbres de Nietzsche, oui. C'est bien ce qu'il veut dire par là.
A quoi peuvent-être utiles la mélancolie, la tristesse etc. ?
En ce que moi seul peut y faire face, en ce que personne ne peut changer mes sentiments ni les éprouver pour moi, dans cette épreuve, je suis amené à jauger plus lucidement mes forces. En prenant mieux la mesure de celles-ci, je rentre plus en possession de mes forces.
C'est une épreuve stoïcienne au sens où je suis amené à comprendre ce qui dépend de moi uniquement. Ainsi, au lieu de me disperser, de m'extérioriser dans le monde de façon brouillonne (aller ici et là, courir à la FNAC, perdre mon temps en vaine agitation), je fais face à moi-même, donc je deviens plus maître de moi.
Ceci me semble particulièrement important à notre époque ; la tristesse authentique est, au bout du compte, plus nécessaire, plus importante, plus profonde et plus riche d'enseignements que les plaisirs futiles de l'agitation, des mille sollicitations de la publicité...
Ce n'est pas pour inciter à tirer la tronche que je dis ça ; seulement, rien n'est plus gratifiiant que de sentir sentir fort et libre, maître de soi, capable de décider de ce qu'on s'autorise à vouloir ou non.
> J'ai pas trop trop compris comme on peut prendre conscience de son SOI.
En l'éprouvant, tout simplement.
Prends un fait simple : 24h/24, 7j /7, tu es toi et rien que toi ! Tu as à être toi, à te supporter, que ça te plaise ou non ! Tu as à être incarné, à être un être vivant ; tu as à vivre ; les stoïciens disaient que si tu vis, c'est que tu l'as choisi, puisque si ça te ne plait pas, tu as toujours la porte de sortie du suicide... Dès lors, la vie t'est remise à charge : à toi de l'assumer. Donc tu as à être toi, mon vieux et on en est tous là !
Et c'est ça, prendre conscience de son SOI : c'est vivre au jour le jour avec soi et apprendre de plus en plus à ressentir qu'on est incarné.
Non le suicide n'est pas "mal" vu par les stoïciens, puisque c'est un signe de liberté héroïque : face à la tyrannie, il te reste une liberté inaliénable, c'est celle de ne plus être plutôt que d'être.
Incarné = incorporé = situé dans une chair, dans un corps charnel. >Etre soi c'est vivre ?
Vivre = persévérer dans son être et l'augmenter (Spinoza)
Exister = avoir à être soi (Heidegger)
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