Une épée de Damoclès pour le Belang
LaLibre.12/01/2005
Pour couper les vivres aux partis liberticides, il fallait une loi de procédure. Celle-ci a été votée, mardi soir par la commission de l'Intérieur du Sénat. Par 13 voix - les partis démocratiques, sauf le CD&V- contre 3.
Qui se sent morveux, qu'il se mouche... A voir l'énergie déployée mardi par le Vlaams Belang pour retarder encore l'examen du projet de loi qui doit permettre d'appliquer la loi de 1999 visant à priver les partis liberticides de financement public, on comprend que le parti-clone du Vlaams Blok a déjà peur pour son portefeuille.
Mais les manoeuvres dilatoires du Belang ont fait long feu: en commission de l'Intérieur du Sénat, tous les partis démocratiques (sauf le CD&V) avaient décidé de faire aboutir ce texte, qui a finalement été approuvé mardi soir par 13 voix contre 3, après un débat long de plusieurs heures au cours duquel le Vlaams Belang a monopolisé la parole.
Parcours chahuté
Le texte qui a été voté en commission du Sénat (par la majorité PS-MR-SP.A-VLD, rejoints par le CDH et Ecolo, contre le CD&V et le Vlaams Belang) a connu un parcours législatif chahuté. Depuis juillet 1989, une loi règle le contrôle des dépenses électorales et le financement des partis politiques. En 1995, on y ajoute un article 15 bis: pour avoir droit à une dotation publique, les partis politiques doivent s'engager, dans leurs statuts, à respecter les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention des droits de l'homme.
En 1999, le législateur fait un pas de plus: au-delà de cette obligation formelle statutaire, il insère un article 15 ter prévoyant un dispositif précis pour priver les partis liberticides de financement public. Concrètement: la section administration du Conseil d'Etat est compétente pour examiner dans les faits si un parti politique, ses composantes, candidats et élus, respectent bien les valeurs fondamentales de la démocratie et, le cas échéant, pour le priver des deniers publics.
Quel est le problème?
Mais la mise en oeuvre des dispositions contenues dans cet article a soulevé des problèmes de procédure. En substance, l'article 15 ter prévoyait d'organiser la procédure de privation par un arrêté royal, alors que l'article 160 de la Constitution exige que les grands principes de toute procédure devant le Conseil d'Etat soient fixés par la loi (et pas un simple arrêté royal).
«C'est donc une loi de procédure. Il faut très simplement fournir une base légale suffisante au déroulement de la procédure devant le Conseil d'Etat», précisait avant le vote le socialiste Philippe Moureaux. Pour le PS, le problème de rétroactivité de la loi ne se pose pas. «Le texte ne peut avoir un effet d'amnistie pour la simple raison que le principe de la suppression du financement des partis non démocratiques est inscrit depuis presque 6 ans dans la loi. Le changement de nom d'un parti ne peut avoir d'incidence sur la mise en oeuvre de cette loi.» Eructations sur les bancs du Blok devenu Belang.
«Les faits commis à partir de mars 1999 doivent être pris en considération: pas question d'amnistie. Des liftings ou des modifications cosmétiques ne peuvent annihiler l'application de la loi», enchaînait Christine Defraigne, chef de groupe MR. Ni amnistie ni amnésie, ajoutait Isabelle Durant, sénatrice Ecolo. Même écho sur les bancs du CDH.
Du côté flamand, l'interprétation était quelque peu différente. «On veut qu'à l'avenir, il existe une instance qui permette de supprimer la dotation publique aux partis qui s'en prennent aux droits et libertés garanties par la Convention européenne des droits de l'homme», soulignait le VLD, Paul Wille. Qui faisait -finement- mine de ne pas comprendre l'acharnement du Vlaams Belang contre cette loi. «Dans votre for intérieur, vous semblez déjà penser que vous allez entrer en ligne de compte.» Même (faux) étonnement de la part de Myriam Van Lerberghe, chef de groupe SP.A: «Quel est le problème? Si vous ne commettez pas d'infraction, il n'y aura pas de plainte.» Mais le nouveau dispositif est une épée de Damoclès pour le Belang.
«Idiote et déraisonnable»
Les propos du sénateur CD&V Marc Van Peel tranchaient singulièrement dans le concert démocratique. C'est une initiative «idiote, déraisonnable et contre-productive» de voter un tel texte, estimait l'ex-président des sociaux-chrétiens flamands. Van Peel s'en est pris violemment à «l'entêtement des francophones» dans la lutte contre l'extrême droite. Il leur reproche de suivre une stratégie qui, derrière les idéaux, vise à affaiblir les autres forces politiques flamandes en renforçant le Vlaams Belang. «Au Parlement flamand, le règlement permet de supprimer les dotations publiques mais, sagement, l'assemblée a décidé de ne pas le faire. Ici, les partis francophones fixent les règles du jeu, PS en tête. Ils s'indignent de l'extrême droite mais en même temps lui donnent les armes pour nous abattre.»
© La Libre Belgique 2005