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Extrait de « LExpress » du 29.06.04 : pour ou contre les redoublements ?
Redoubler pour reprendre son souffle ou être pénalisé ? Alors que des experts dénoncent cette mesure,
« inefficace » et « injuste », la France continue de lutiliser massivement et François Fillon relance le débat :
« Jai le sentiment que les enseignants souffrent de ne pas être suffisamment entendus sur cette question ».
Pour : Gaëtan Cotard Professeur de français, membre du collectif Sauver les lettres « Faire passer des élèves faibles peut aboutir à les décourager ». Les études qui expliquent que le redoublement est inefficace ne sont pas sérieuses, y compris celle du ministère de lÉducation, qui révèle notamment que moins de 10% des élèves ayant redoublé le CP obtiennent leur bac. On y compare le cursus délèves qui sortent dune classe après lavoir redoublée et celui délèves qui en sortent normalement au bout dun an. On constate que le cursus ultérieur moyen des premiers est moins bon que celui des seconds et on en tire malhonnêtement la conclusion que le redoublement est inutile. Or la seule conclusion quun tel constat autorise est que les élèves qui sont amenés à redoubler présentent, en moyenne, des capacités inférieures à ceux qui passent. Depuis le début des années 1980, on incite à ne plus faire redoubler les élèves au motif que cela nuit à limage que lélève a de lui-même. Cette raison « psychologique », non avérée, est le produit dun courant de pensée post-soixante-huitard, à lorigine de la loi dorientation de 1989 et de son credo « lélève au centre du système ». François Fillon a raison de déclarer [Le Monde du 27 mai] : « La loi de 1989 a conduit à enlever aux enseignants leur pouvoir de décision en matière de redoublement. Nest-on pas allé trop loin ? » Lesprit de cette loi a donné trop de pouvoir aux parents et les encourage à aller en commission dappel pour contester la décision du conseil de classe. Or ces commissions, dont aucun membre ne connaît lélève, peuvent infirmer, en dix minutes, sur simple lecture des notes, la décision du conseil qui, elle, résulte dun an dobservation. Envoyer dans les classes supérieures des élèves très faibles, cest les détruire psychologiquement. Jen vois, chaque année, découragés. Le redoublement varie-t-il dun collège à lautre ? Il est sûr quun élève faible dans un collège de ZEP aura plus de chances de passer dans la classe supérieure quun élève du même niveau dans un collège un peu plus exigeant. Mais cela ne veut pas dire que le premier collège aura raison, alors quil existe dautres solutions, comme le BEP suivi de la première dadaptation, qui donnent à un élève en difficulté la possibilité, en quatre ans, dobtenir un bac technologique. Or ces voies sont méprisées. Reste que le redoublement est la dernière chance de réussite pour lélève qui commence à perdre pied.
Contre : Marie Duru-Bellat, Sociologue à luniversité de Bourgogne et à lInstitut de recherche sur léducation (IREDU). « Le redoublement révèle un manque dimagination » Redoubler est inefficace, pénalisant, coûteux et injuste. Inefficace, de nombreuses enquêtes lont montré au niveau international - notamment à lécole primaire et au collège (pour le lycée, on dispose de moins détudes). Les élèves qui redoublent progressent un peu, mais progresseraient davantage sils étaient passés quand même dans la classe supérieure. Non seulement ceux qui redoublent ne rattrapent pas leur retard, mais ils prennent un an de plus. Ce qui les pénalisera, notamment au moment de lorientation : en fin de troisième, on observe par exemple que, à niveau comparable avec un autre élève, celui qui est plus âgé dun an pâtit dune orientation moins prestigieuse que lautre. Létiquette « redoublant » le pousse plus facilement vers des filières professionnelles. Cette plus grande sélectivité des conseils de classe tient à la fois aux professeurs, qui perçoivent les redoublants comme des élèves à problèmes, et aux élèves et leur famille, qui se sentent stigmatisés par le redoublement. Les enquêtes qualitatives le montrent, cest une épreuve pour eux, dautant que ce sont massivement des élèves issus de milieux populaires. Ils perdent confiance en eux. Le redoublement renforce les inégalités sociales. Et il est coûteux. Sur le plan psychologique. Et au sens propre du terme, même si la question est taboue. Une année en plus coûte de largent à lEducation nationale. Or, avec cet argent, on pourrait imaginer dautres solutions. Enfin, la solution du redoublement est injuste, parce que les décisions varient beaucoup dune classe à lautre. Les enquêtes lont démontré dans les années 1990 : une forte proportion délèves qui redoublaient dans une classe nauraient pas redoublé dans une autre (et de même entre collèges). Et puis le redoublement est une arme disciplinaire pour les professeurs, qui exercent à travers lui une forme de pouvoir. Cest dailleurs pour cela quils y sont si attachés. Cest largument dautorité qui prévaut alors que, dans les faits, le recours au redoublement révèle un manque dimagination pédagogique. Enfin, il faut souligner que cest une position très franco-française. La France est lune des championnes du redoublement en Europe. Or on constate que les pays comme lIslande, la Norvège, la Finlande, où domine la règle du passage automatique, sont ceux où les élèves ont les meilleurs résultats au monde. Cela devrait nous pousser à nous interroger sur la pertinence du redoublement.
Delphine Saubaber.
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