Montpellier et ses voisines condamnées à se réconcilier pour réussir. (ou Montpellier et les boulets jaloux). LOL
LE MONDE | 04.02.04 | 14h01
Pendant que la capitale régionale se développait, Perpignan, Béziers et Nîmes subissaient les douloureuses reconversions de la viticulture ou du textile. Cette rivalité a handicapé la région, qui manque d'une politique coordonnée de développement.
Montpellier de notre envoyé spécial
Filons la métaphore du guide touristique, qui décrit le Languedoc-Roussillon comme un "amphithéâtre" composé d'une succession de paliers, du littoral qui borde le golfe du Lion jusqu'aux massifs montagneux de l'arrière-pays.
Sur le devant de la "scène" régionale, l'actrice principale - Montpellier - est jalousée par ses partenaires : certains rechignent à lui donner la réplique, d'autres lui tournent le dos. Sur les "gradins", les hauts cantons pestent d'avoir été écartés de l'affiche et se lassent d'un spectacle qui les ignore.
Telle est l'image que renvoie une région très attractive - comme en témoigne sa forte croissance démographique -, mais qui souffre de l'absence de projet régional et du manque de cohérence de ses principaux décideurs locaux. En témoignent ces interrogations répétées sur la place et le rôle de Montpellier. "Une vraie question, mais qui est souvent mal posée", indiquent bon nombre d'interlocuteurs... avant de se livrer à des analyses diamétralement opposées. A entendre certains, la capitale régionale prendrait la forme d'une hydre tentaculaire menaçant d'étouffer peu à peu le reste de la région, en la vidant de sa substance.
D'autres assurent, à l'inverse, que l'avenir de la région repose sur un nouveau développement de l'agglomération de Montpellier, seul susceptible de la maintenir à flot face à ses puissantes voisines, Barcelone, Toulouse et Marseille.
"Face à ces métropoles, Montpellier est la seule ville qui peut prétendre à quelque chose. Et encore...", note Philippe Clairet. Pour ce responsable des études à l'Insee Languedoc-Roussillon, qui estime que cette région est dotée d'une "bonne hiérarchie urbaine", l'avenir est écrit : il y aura une "conurbation forte" englobant Nîmes, Montpellier et Sète. "Cela prendra de vingt à soixante ans, ajoute-t-il, mais le politique finira bien par rejoindre l'économie."
L'heure n'est pas venue. Et le moment n'est pas propice. A moins de deux mois des élections régionales, la droite languedocienne entend en effet agiter "l'épouvantail" montpelliérain pour affaiblir Georges Frêche, maire (PS) de la ville depuis 1977, et candidat de la gauche à la présidence de la région. "Montpellier s'est développée aux dépens des autres villes", souligne le président (UMP) de la région, Jacques Blanc, qui, candidat à sa réélection, précise toutefois n'avoir nullement l'intention de "remettre en cause son rôle de capitale régionale". "Montpellier a pompé", renchérit le maire (UMP) de Perpignan, Jean-Paul Alduy, qui assure que la victoire du "jacobin" Frêche serait celle de ce slogan : "Montpellier toute !" "Montpellier n'a eu de cesse de sucer le sang des villes moyennes", affirme également le maire (UMP) de Béziers, Raymond Couderc.
Pour comprendre de quoi il retourne, mieux vaut quitter le terrain préélectoral et remonter plusieurs dizaines d'années en arrière. A une époque où la région Languedoc-Roussillon n'avait que de bonnes raisons de ne pas voir le jour. "Le Gard était attiré par Marseille ; une partie de l'Aude, ainsi que les Pyrénées-Orientales, par Toulouse ; et la Lozère se tournait vers l'Auvergne...", raconte l'économiste Michel Laget, ancien directeur de recherche au CNRS.
"C'EST CLOCHEMERLE !"
La volonté administrative ayant eu raison de ces forces centrifuges, il fallut doter cet ensemble hétéroclite d'une capitale. Parmi plusieurs villes de même calibre, telles que Nîmes, Béziers ou Perpignan, Montpellier, qui avait pour elle sa vocation universitaire, fut distinguée. Ce choix, naturel, est d'autant moins contesté que la capitale ne paraît pas dangereuse : "Montpellier, apathique, est alors considérée comme un ventre mou", note Claude André, de la chambre régionale de commerce et d'industrie.
Au cours des années 1960, deux événements vont assurer le décollage de la métropole : l'arrivée de quelque 25 000 rapatriés ; puis l'implantation d'IBM - délaissée par le maire (PCF) de Nîmes -, qui génère 4 000 emplois et de nombreux sous-traitants. Le moteur est en place. Mais la métropole ne prendra vraiment son essor qu'après l'élection de M. Frêche.
"Montpellier la surdouée", la ville du tertiaire, de la bourgeoisie et des plaisirs, va laisser sur place ses anciennes et industrieuses rivales. La métropole développe ses centres de recherche et mise sur la culture, quand d'autres sont confrontées à de difficiles reconversions : viticulture à Béziers, textile à Nîmes, bassin minier d'Alès. Ce puissant et brusque effet de ciseau génère son lot de frustrations et de jalousies, attisées par le tempérament impétueux de M. Frêche.
Histoire ancienne ? Rien n'est moins sûr. Professeur de droit public à l'université de Montpellier, Dominique Rousseau estime qu'au-delà des maires en place s'exprime ainsi "l'âme des villes". Le malentendu, à l'en croire, pourrait donc durer. Or le passif est déjà lourd. Notamment entre Nîmes et Montpellier, qui se sont disputé aéroports, échangeurs d'autoroute et stades, sans parvenir à faire avancer la liaison TGV qui doit les réunir. Au grand dam des décideurs administratifs et économiques.
"Il y a des blessures importantes. L'opposition à Montpellier est flagrante", souligne M. André. "C'est Clochemerle ! On a des atouts, et on donne l'impression de les gâcher, ce qui est ahurissant", note Bernard Olivier, responsable de la Soridec, une société de capital-investissement qui finance des entreprises de la région. Sous couvert d'anonymat, un haut fonctionnaire, qui déplore la "faiblesse du personnel politique local", assure que "ces tensions ont handicapé la région". "L'union sacrée pour l'intérêt stratégique, je ne l'ai pas rencontrée", ajoute-t-il.
Hors effets de manche, le diagnostic semble pourtant partagé : moins homogène et moins puissant que les régions voisines, le Languedoc-Roussillon ne leur tiendra tête qu'en assurant le développement coordonné d'un vaste pôle urbain sur son littoral. Cette perspective imposera, tôt ou tard, de faire taire les rivalités passées.
Jean-Baptiste de Montvalon
ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 05.02.04
Message édité par bread_n_butter le 08-08-2005 à 20:32:50