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Ce qui me décourage le plus, en fait, ce sont les gens qui affirment, et il y en a beaucoup, et à un certain niveau ils finissent par me convaincre, "regardez, le confinement marche(ra)" : comme si on allait tous rester tranquillement chez nous pendant le passage d'un orage, et remettre le nez dehors une fois l'orage terminé. Mais une épidémie ne fonctionne pas comme ça, j'ai peur que les gens le croient, mais ce n'est pas une force externe qui se déchaîne, l'épidémie est en nous, si on s'isole elle se résorbe, si on ressort elle réapparaît (exemple). Si le confinement marche, si c'est lui et non l'immunité qui cause et limite le pic épidémique, je l'ai expliqué à de nombreuses reprises, on est complètement dans la merde parce qu'on n'a aucune stratégie de sortie de crise. Même pas de piste de stratégie. Même pas de début de commencement de piste de stratégie, à part des mots lancés au hasard comme des tests dont on n'a pas les moyens (la France n'a pas les moyens de fournir des masques à ses soignants, même les écouvillons manquent pour effectuer des prélèvements rhino-pharyngés, alors effectuer des tests virologique ou sérologique en grand nombre, ça ressemble un peu à une utopie… et même avec ces tests, la stratégie coréenne, souvent érigée en exemple, repose sur une approche globale de la société qui me semble inapplicable en Europe, sans parler de mesures extrêmement liberticides comme le traçage des téléphones mobiles pour repérer les contacts). Si le confinement marche bien, on ne voit pas comment on pourrait le lever, ou au minimum, comment on pourrait le lever sans tomber dans une dystopie juste un peu plus light (mais plus durable) que le confinement lui-même. Et personne n'a fait le moindre progrès sur cette question.
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Dans tous les cas, même dans le scénario résolument optimiste où l'épidémie est massivement sous-évaluée ou bien où on arriverait inexplicablement à contrôler les choses avec un confinement limité dans le temps, les dommages causés à notre société seront irréparables. L'empressement avec lequel la société a accepté, sans broncher, sans qu'une voix discordante se fasse entendre, des mesures dignes de ce qu'il y a trois mois j'aurais qualifié de ridicule fiction dystopienne, au motif qu'il faut sauver des vies, est absolument terrifiant. Le fait de découvrir, pour commencer, que les gouvernements ont ce pouvoir que de mettre toute la population en arrêt à domicile, sans même avoir besoin de passer par une loi, est déjà en soi une blessure dont la démocratie ne se relèvera jamais : on savait déjà que le prétexte bidon du terrorisme justifiait des entraves démesurées aux libertés publiques (confinement à domicile sans procès pour des personnes arbitrairement qualifiées de « dangereuses », par exemple, justement), mais on a franchi un bon nombre d'ordres de grandeur. Peu importe que ç'ait été fait avec les meilleures intentions du monde, peu importe que ç'ait été le moins mauvais choix dans les circonstances. Un droit, dit un adage classique, ce n'est pas quelque chose qu'on vous accorde, c'est quelque chose qu'on ne peut pas vous retirer : nous savons donc, maintenant, que le droit de circuler librement était une illusion : quand le confinement sera levé (et il le sera probablement, un jour, sous une forme), ce fait restera.
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J'ai l'impression qu'on réagit juste dans l'immédiat : surcharge du système de santé ⇒ confinons tout le monde, sans chercher à nous demander s'il y a un plan, ou un début de commencement de plan, pour sortir de l'impasse.
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Des entraves énormes ont été mises à toute vie personnelle, en revanche, le contrôle sur les employeurs est minimal, par exemple : apparemment, sauver des vies justifie qu'on anéantisse la vie personnelle des Français mais il ne faut surtout pas trop toucher leur vie professionnelle. On en arrive à la situation absurde et incroyablement injuste où certains voudraient sortir de chez eux et n'en ont pas le droit, tandis que d'autres voudraient avoir le droit de rester protégés chez eux mais n'en ont pas non plus la possibilité (sauf à perdre leur emploi).
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le gouvernement a perdu de vue le but (la distanciation sociale) pour se focaliser sur le moyen (le confinement). Une mesure de distanciation tout à fait sensée aurait été de rendre obligatoire la distance de 2m entre les personnes dans tout lieu public, et de verbaliser ceux qui s'approchent inutilement des autres, et par ailleurs d'inciter les gens à rester chez eux (sans contrainte personnelle mais avec un fort contrôle des employeurs qui prétendent avoir besoin de faire venir leurs employés). Mais on se doute bien que quand ils sont munis de la légitimité apparente de sauver des vies, les enthousiastes de l'autoritarisme n'allaient pas s'en tenir là. On en arrive maintenant à des formulaires de dérogation de plus en plus humiliants, et on discute de la distance et du temps maximal auxquels on a le droit de s'éloigner de chez soi. Formulaires qu'il faut d'ailleurs remplir à l'encre indélébile sous peine d'amende si on essayait d'en réutiliser un (là ça ressemble tellement à quelque chose tiré de Kafka que ce serait drôle si ce n'était pas tragique). On en vient à interdire le vélo de loisir, chose pour laquelle il n'a été donné aucune forme de justification, alors qu'il est facile de se tenir à bonne distance des autres quand on est en vélo ; on en vient à la mise en place d'un couvre-feu dans certaines villes alors que rationnellement il vaut mieux étaler le plus possible les heures où les sorties sont autorisées pour qu'il y ait le moins de monde à un moment donné : s'il fallait démontrer que ceux qui prennent ces décisions n'ont aucune fin rationnelle en tête, c'est la meilleure preuve possible. Encore un autre problème est que les règles sont appliquées selon le bon vouloir très aléatoire et très arbitraire des agents de police chargés de les appliquer, ce qui cause des injustices et une insécurité juridique incroyables.
Mais, comme me l'a suggéré une amie, l'absurdité de toutes ces règles vise sans doute un autre objectif, qui est le détournement de culpabilité. Le vrai scandale, c'est l'impréparation de la France face à une épidémie qui était éminemment prévisible jusque dans son timing pour quiconque sait extrapoler une exponentielle. Le scandale de fond, c'est le manque de moyens de l'hôpital public (ou, dans une autre ligne d'idées, le manque de moyens des transports publics qui sont en permanence bondés, favorisant la transmission de toutes sortes d'infections). Et le scandale immédiat, c'est le manque de masques qu'on cherche à cacher derrière l'idée que les masques ne servent à rien pour le grand public. (Il y a aussi l'histoire des élections municipales dont le premier tour n'a pas été reporté — ceci dit, je pense qu'on monte un peu trop cet épisode en épingle et je soupçonne que le nombre de contaminations à cette occasion a été très faible.) Alors pour distraire l'attention de tous ces scandales, on en crée un autre : tout est la faute de ces irresponsables qui osent s'aventurer à plus de 1km de chez eux, ou faire un tour en vélo dans un endroit où ils ne rencontreront personne, ou sortir acheter du Coca-Cola (ou des serviettes hygiéniques !) au lieu de limiter aux courses essentielles. On fustige à la fois ceux qui achètent trop (ils créent des pénuries !) et ceux qui n'achètent pas assez (ils sortent sans raison !).
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