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Pikmin 2 : bouquet final ?
Appuyons-nous encore une fois sur les propos de l'auteur lui-même. Lors de l'un de ses rares passages à Paris, Shigeru Miyamoto avait répondu en février 2002 avec ironie à la question posée de l'éventualité d'un Pikmin 2. " Il serait facile de faire une suite à Pikmin évidemment, il suffirait de changer dhistoire et de faire des nouvelles maps, non ?. En fait je travaille actuellement sur quelque chose de complètement différent. Vous ne verrez jamais de Black (dark / evil / méchants, quoi, NDR) Pikmin !(rires)". De l'ironie donc, puisque les plus foncés des nouveaux Pikmins sont violets, juste très costauds, et pas plus evil que les autres. Et cela révèle sans doute le petit problème inhérent à ce qui devient la série Pikmin. Le concept inédit à la réalisation si originale et ramassée étaitparfait dès le premier jeu. Un vrai jeu vidéo avec structure et gameplay raffiné que tout le monde s'entend encore pour qualifier d'artistique tellement il innove. Dans beaucoup d'autres domaines d'activités où la part de création artistique est primordiale, l'uvre serait auto suffisante et en resterait là comme l'ont bien compris les créateursd'Ico sur PlayStation 2 qui préfèrent s'attaquer à une nouvelle réalisation(Wanda et le Colosse) plutôt que de prendre le risque de reprofiler un Ico complet tel qu'il a été conçu. Pikmin était et reste si original qu'il aurait pu se passer d'une suite. Comme le jeu ne s'est pas vendu tant que ça, il serait devenu une légende, un énième symbole de la créativitéinsolente de la symbiose Nintendo/Miyamoto. Mais parce que le jeu vidéo est avant tout le fruit d'une industrie, et que, bien souvent, les vrais bénéfices d'une création inédite, voire surprenante, se font sur le deuxième épisode, une fois la réputation assise et l'information acheminée jusqu'au territoire du grand public, une suite a été lancée.Une logique d'abord industrielle destinée à amortir à moindre coût la technologie développée à grands frais sur un nouveau concept. Les grands jeux vidéo se concrétisent toujours en modifiant et repoussant les outils technologiques déjà connus. C'est même ainsi qu'ils arrivent le plus souvent à surprendre. Réussites confirmées mais au potentiel de ventes pas complètement atteint, Halo sur Xbox et Metroid Prime sur GameCube ont récemment suivi ce logique et sans doute justifié chemin de rentabilité en proposant des suites assez semblables. Une démarche plus délicate quant il s'agit de Pikmin 2 qui, quoique Nintendo fasse, ne sera jamais un blockbuster. Trop malin, difficile à résumer et à comprendre au premier regard, à cheval entre jardin d'enfant et jeu de gestion et stratégie complexe détourné du PC, pour vraiment exister en terme de ventes, Pikmin 1 ou 2 doivent se créer un public spécifique. En l'état, malgré la réputation des adorables bourgeons petits soldats à l'assaut de jardins miniatures, Pikmin reste un jeu de niche. Ce n'est évidemment pas un défaut sinon celui de ne pas être capable d'engranger des millions de yens comme les Mario et Zelda. Car, encore une fois, Pikmin 1 était si abouti dès le départ que Nintendo n'avait aucune raison de changer quoique ce soit au principe du jeu et aux contrôles aussi peu ordinaires qu'aboutis dès le premier jet. Contrairement aux plus souples Mario et Zelda à la marge d'évolution assez grande qui leur a permis de se renouveler d'années en années en injectant de nouveaux concepts à l'inspiration initiale, altérer quoique ce soit à la réalisation de Pikmin 1 serait carrément changer de jeu. Donc, fait assez rare dans le catalogue de jeux Nintendo (hors sports loufoques, et encore) qui refuse les suites littérales au point même dene pas accoler les chiffres 2 ou 3 derrière les titres (exemples les plus récents : le titre officiel de Papier Mario 2 est Paper Mario : La Porte Millénaire, celui du énième Mario Kart : Double Dash, etc), la suite de Pikmin est chiffrée sans autresous-titre. Là où la plupart des éditeurs préfèrent capitaliser sur le chiffre qui donne apparemment un sens aux suites dans l'esprit du grand marché, Nintendo prend le plus souvent le risque créatif de sous-titrer ses jeux dans le sens où ils sont supposés aller(1080°
Avalanche au lieu de 1080° 2, Wave Rave
Blue Storm plutôt que Wave Race 2
). Toute une philosophie vis à vis du jeu qui obligel'entreprise à réinventer chaque pseudo suite. Avec son simple chiffre derrière le titre, Pikmin 2 n'emprunte pas cette voie. Même si l'on comprend bien que le 2 signifie aussi l'irruption d'un deuxième personnage principal et la possibilité de jouer à deux simultanément. Pikmin 2 aurait-il été fait à contrecur ? Sans l'aval de Miyamoto lui-même ? Sans doute pas, avec ses deux nouvelles races de Pikmin, son deuxième maître d'armes permettant plus de taches simultanées, le jeu s'ouvre à de nouvelles possibilités. Et,des bruitages à la musique, du level design aux nouvelles animations, les terrains de jeu sont de plus en plus minutieux et "vivant", preuve du soin toujours apporté à la réalisation par les directeurs Shigefumi Hino et Masamichi Abe et le producteur Takashi Tezuka. Même si l'astuce des grottes parallèles arrêtant le chronomètre sent un peu trop la facilité, une façon simple et infinie d'allonger surface et temps de jeux sans se préoccuper de la structure générale. Passer de Pikmin à Pikmin 2 correspond à commencer un jeu de cartes avec un paquet de 32 pour le continuer avec un paquet de 52. Plus de cartes, donc plus de combinaisons, plus de variations, mais fondamentalement, le même jeu. Évidemment Pikmin 2 peaufine et améliore quelques détails du premier essai, comme la disparition des 30 jours fatidiques pour tout accomplir. Aucune uvre ou même chef d'uvre n'est terminée dans l'absolu. On peut soupçonner qu'un Léonard De Vinci, un Picasso ou un Jason Pollock pourrait très bien continuer indéfiniment leurs tableaux les plus célèbres ou y revenir des années plus tard. Moyens techniques aidant, on voit même de plus en plus de cinéastes retoucher leurs anciens films pour corriger des erreurs, soit disant, "de jeunesse". Si une uvre dite d'art est fondamentalement un work in progress, à fortiori un jeu vidéo, même artistiquement et techniquement réussi, est forcément perfectible. Mais fallait-il le faire pour se contenter de refaire ? More of the same résume la langue anglaise, "plus de la même chose" ? Probablement oui en terme de consommation, mais, OVNI inattendu dans la production générale, puisque la singulière originalité de Pikmin le destinait à devenir une légende, un symbole, un statement (en anglais encore, une"affirmation" ) de ce que peut être le jeu vidéo quand il s'arrache au principe de rentabilité populaire, cette suite tout à fait honorable mais sans surprise, banalise ce qui aurait peut-être dû rester unique.
François B. de la Boissière
Source : OverGame
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