Le Contradicteur a écrit :
Est ce que vous savez où (sur internet) je pourrais me procurer des copies (si possibles corrigées et/ou notées) de matière à ce que je puisse avoir une idée du travail à fournir ?
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Un éxemple de dissertation - épreuve d'ordre general du concours d'entrée en 1ere année, IEP de Paris - notée 17.
D'avance désolé pour la place que ça prendra, c'est un peu long
"Sujet : Quest-ce que faire preuve de courage politique ?
Dans La République, Platon compare lEtat à un navire. Toutes sortes dindividus
tentent de semparer du gouvernail et, une fois quils le possèdent, ces hommes fêtent leur
victoire en buvant avec leurs complices, laissant ainsi le bateau dériver vers des récifs et
des roches. Le courage politique dans ce cas, est de prendre le gouvernail à ces criminels et
de tenter, face aux événements, de garder la route que lon sest fixé seul -dans une
autocratie- ou collectivement -dans une démocratie-. Faire preuve de courage politique,
cest donc saffirmer dans laction, face au hasard et accepter de prendre des risques de
tous genres, le tout pour mener lEtat et plus encore la société à bon port.
Cependant, plus généralement, quest-ce que faire preuve de courage politique ?
Est-ce être un héros, ce qui tendrait à réserver le courage politique à quelques surhommes
isolés ou bien est-ce être un homme qui développe tout simplement ses capacités et
actualise son essence ?
Le héros en politique semble au premier abord être celui qui fait preuve de courage
politique. Cependant, les risques que comporte cette définition amènent à redéfinir le
courage politique véritable.
Le héros réussit à imposer ses choix, ses idées ou celles de son clan, face aux
événements et face aux autres. Il semble donc dans la politique-domaine, c'est-à-dire la
politique des hommes politiques et non celle des principes, être celui qui fait preuve dun
réel courage politique. Ce héros prend ainsi des risques, fait face aux troubles et affirme sa
croyance en des idées.
Le héros cornélien prend des risques véritables. Don Rodrigue doit choisir entre son
honneur et son amour. Cest le dilemme cornélien, que Le Cid met particulièrement en
avant.
Choisir Chimène, cest renoncer à lhonneur familial, sali par un soufflet. Mais choisir son
honneur, cest dire non à lappel de son coeur. De même, le héros politique prend des
risques pour lui ainsi que pour les siens. Lempereur Napoléon Ier est parmi ses hommes au
pont dArcole. Il est parmi ses hommes encore lorsque ceux-ci sont malades, lors de la
campagne dEgypte. Ce héros meurt seul, à Sainte-Hélène, en plein Atlantique. Le risque
était donc grand, mais le héros a su être là quand la France, en pleine Révolution, est
envahie de toutes parts par les monarchies inquiètes. Le héros prend donc des risques,
paye le prix de ses actes mais reconstruit son pays de lintérieur, grâce au code civil et de
lextérieur, en sauvant les frontières. Pour Goethe, Napoléon, cest la « révolution
couronnée ». Le héros politique est donc capable dimposer ses idéaux légalité civile- au
prix de sa vie. Cest la raison pour laquelle Hegel estime dans La raison dans lhistoire que
ce sont les héros qui font avancer lhistoire vers sa fin, utilisés en cela par lEsprit. Ainsi, le
héros serait lélu qui va réaliser la nécessaire avancée vers la fin de lhistoire et légalité
civile des hommes. Le héros est donc courageux et réussit à imposer son idée du mieuxvivre
ensemble, c'est-à-dire son idée politique. En outre, ce héros qui est un surhomme
réussit à faire face aux troubles. Face à la tyrannie dun Cromwell, il faut un héros capable
de mettre en place le « Léviathan » quappelle de ses voeux Thomas Hobbes dans le
Léviathan. « Nimporte quel ordre vaut mieux que le désordre » est en somme le contenu de
louvrage. Le surhomme doit donc être capable de se mettre au-dessus des troubles et
daffirmer un ordre. Le courage politique dont il doit faire preuve saffirme donc dans les
événements. Cest dans la contingence de la vie en société que se développe ce courage du
héros. Nicolas Machiavel exprime en outre dans Le Prince limportance de la ruse et de la
force dont doit faire preuve le héros en politique. Le courage se fonde donc également sur
cette dimension particulière de lhomme qui est son rapport à lautre. Le héros nest
courageux que face à lautre, à celui qui exprime des idées contraires aux siennes. Le héros
courageux prend donc des risques et saffirme dans laction comme le seul recours possible.
Mais ce courage serait vide et naurait de sens sil ne servait pas à affirmer des
idées, une vision du monde (Weltanschauung en allemand) et une conception du mieuxvivre
ensemble. Le surhomme cherche à imposer ce en quoi il croit, cest ce qui fonde son
action et par là même signe son courage politique. A lorigine de ce courage, il y a donc une
croyance en des idéaux. Lorsque lanabaptiste Thomas Münzer mène la révolte des paysans
en Saxe entre la fin du XVème siècle et le début du XVIème siècle, il a une croyance
véritable et sûre delle-même en ce pour quoi il agit. Il prend des risques et est même
exécuté pour avoir trop cru en son idéal. Cest donc un héros qui, semble-t-il, fait preuve
dun authentique courage politique. De même, le cardinal de Retz, qui mène la Fronde au
milieu du XVIIème siècle, croit fermement en limportance de la féodalité locale et des
parlements régionaux. Dans ses Mémoires, il démontre que la monarchie absolue telle que
la construisent Richelieu et Mazarin est une erreur profonde pour la France. Le cardinal de
Retz est donc un authentique héros, qui suit la pente de ses idées face aux dangers de
ladversité. Tout comme la croyance religieuse qui ne doute pas delle-même, la croyance
politique est le socle sur lequel sérige le courage politique. Face aux oppositions et aux
idées contradictoires, le héros poursuit son chemin.
Le courage politique du héros est donc triple : cest une prise de risque, face aux
troubles et afin daffirmer une croyance. Cependant, ny-a-t-il pas là un risque grave quil
convient décarter ?
En effet, un héros défini de la sorte fait preuve dun courage dangereux. Le véritable
héros ou surhomme a une croyance en des idées qui ne doutent pas delles-mêmes. Il
confond facilement croyance et vérité. Le risque est donc dagir par conviction, sans
mesurer la portée de ses actes. Cela amène à redéfinir le courage politique.
La véritable croyance est celle qui doute delle-même. Cest le déséquilibre entre la
croyance profonde et le doute qui fait la richesse de cette dernière. En religion, le credo et le
culte sont des manières de jouer avec le doute, de mêler notre croyance à des remises en
cause. Cest bien le doute qui fait la richesse de la foi de ceux qui croient. Quel
investissement personnel lhumain engage-t-il face à la vérité ? Aucun. Il nest nul besoin de
se réunir chaque dimanche pour réaffirmer que deux et deux font quatre. Si lexistence de
Dieu était démontrée et admise comme une vérité, la croyance disparaîtrait à linstant.
Il en va de même au niveau politique. Ce qui fait la richesse dun mouvement didées, cest
la possibilité de douter de sa véracité. Toute dérive de la croyance vers la vérité est un
danger pour la politique et par là même pour la société. Dès que la croyance en ses idées
ne doute plus, elle devient une idéologie, allusion-illusion au réel, comme le définit Althusser.
En effet, lidéologie croit être vérité mais nest en fait quune approche partielle et illusoire.
La lutte des classes ou encore la supériorité de la race aryenne si tant est quelle existesont
des croyances certaines delles-mêmes. Aucun doute nest possible. Or, ces idéologies
nées au XIXème siècle puis réutilisées à leur insu au cours du XXème siècle sont au coeur
des totalitarismes qui nient lhumanité des hommes en ne recherchant pas le développement
de leurs qualités. Ce premier point montre le risque pour la société dêtre menée par un
héros qui croit en son idéal. Ensuite, le surhomme défini plus haut agit par conviction et ne
pense que trop peu aux conséquences de ses actes. Est-ce une attitude responsable ? Estce
vraiment courageux de ne pas affronter ses erreurs ? Max Weber distingue en effet dans
Le savant et le politique deux éthiques de laction politique. Tout dabord, certains agissent
selon une éthique de conviction. Ceux-là sont certains deux-mêmes et si lobjectif à
atteindre ne lest pas, ce ne peut être dû quà une mauvaise application de leurs ordres.
Ainsi, Staline poussait indirectement son administration à truquer les recensements afin que
ceux-ci correspondent aux objectifs fixés par lui-même. Au contraire, lhomme qui agit selon
une éthique de responsabilité accepte de répondre des conséquences prévisibles de ses
actes; en démocratie, la motion de censure est le meilleur moyen exemple de cette
responsabilité vis-à-vis du peuple souverain. Ici encore, le courage politique de celui qui
impose ses idées contre tous comporte le risque de ne plus douter de lui-même. Dans Les
sentiers de la gloire (Paths of glory), Stanley Kubrick montre que des hommes sûrs deuxmêmes
peuvent envoyer des dizaines dautres à la mort. Le film se déroule dans les
tranchées, durant la Première mondiale. Les généraux Mireau et Broulard décident, dans un
ravissant château, richement décoré et transformé en quartier général, denvoyer les
hommes prendre un objectif impossible à atteindre, « la fourmilière ». Ici, les généraux
agissent par conviction, sans se soucier de lapplication de leurs plans dans le réel. Il ne
semble plus que lon puisse parler de courage ici. Une redéfinition est donc nécessaire, face
à ces nombreux risques qui dénaturent laction politique et donc le courage politique. Il faut
alors distinguer le courage en politique du courage politique. Le héros, qui prend des
risques, saffirme, face aux troubles et croit en des idéaux ne fait pas preuve de courage
politique mais, en fait, de courage en politique. Le héros importe de la mythologie dans le
champ politique. Il sagit alors de courage en politique et non de courage politique véritable.
Cependant, la politique étant ce qui englobe toute une communauté dhommes, elle ne peut
se résoudre à accepter un héroïsme partiel, conquis grâce aux armes par exemple. Le héros
militaire ne lest que dans son domaine. Le politique, de par la richesse de son essence ne
saurait accepter de héros au sens quasi surnaturel du terme.
Toute tentative de créer des héros en politique est donc dangereuse. Le héros de Verdun
était certainement un héros militaire, mais sa tentative de devenir un héros politique a
historiquement échoué. Par opposition à ce courage en politique, dévoiement de la vraie
nature de la politique, on peut définir un courage politique véritable. Il ne sagit plus dêtre un
surhomme, mais simplement un vrai homme.
Les risques de lhéroïsme, de la croyance aveugle et de léthique de conviction
permettent donc de redéfinir le courage politique. Celui-ci nest pas celui de quelques-uns,
d « une aristocratie du courage », mais se trouve au coeur de chacun de nous.
Le courage politique, cest tout dabord continuer à y croire -dune croyance véritable
donc en proie au doute-, et ensuite, mêler conviction et responsabilité. En fait, faire preuve
de courage politique, cest être homme, tout simplement.
Faire preuve de courage politique, cest continuer à croire en ce que lon fait, même quand
tout semble indiquer que cest un échec. Il ne faut pas, bien entendu, se retrouver dans
léthique de conviction qui ne doute pas delle-même. La clef pour éviter de retomber dans
les dangers développés plus haut est de continuer à croire en lhumaine valeur dans laction.
Toute action, toute idée est courageuse au sens positif du terme, pourvu que lhumanité de
chacun ne soit pas niée. Il est donc nécessaire de conserver une valeur dans laction, sans
quoi cette dernière seffondre et perd tout son sens. Le courage politique véritable est dans
cette persévérance face aux difficultés et aux malheurs. Faire preuve de courage politique,
cest alors être un héros, mais « au sens le plus simple du mot » comme lécrit Max Weber à
la fin de Le savant et le politique. Ce courage, cest ce quil appelle le « paradoxe des
conséquences ». Croire, envers et contre tout en un dogme fixe, mais en la politique. Cest
cette croyance qui anime Jean Zay, Léon Blum ou encore Pierre Mendès-France dans leurs
procès durant la Seconde guerre mondiale. Ces hommes croyaient en la force de la loi et de
la politique face à lidéologie qui les jugeait. Ils étaient des héros, bien plus que nimporte
quel chef militaire ou monarque.
Ensuite, faire preuve de courage politique, cest mêler dans son action conviction et
responsabilité. Face à ceux qui agissent dogmatiquement, par conviction et à ceux qui
senferment dans linaction en se protégeant derrière leur responsabilité, lhomme courageux
politiquement croit en une manière dorganiser la vie commune mais accepte lerreur et
reconnaît ses fautes. Le capitaine du navire doit donc prendre le cap qui lui semble le
meilleur pour aller à bon port, en considérant le vent et la marée -la contingence des
événements politiques- et ensuite, affronter les critiques sil a fait une erreur. Il existait
jusquà peu des tribunaux pour juger les capitaines qui avaient conduit leur navire au
naufrage. Faire preuve de courage, cest donc accepter un risque et, simplement et
humblement, reconnaître ses fautes. La navigation doit être prudente, mais pas inactive. En
politique comme en navigation, au milieu dune tempête, il est impossible de temporiser. Il
faut alors savoir saisir loccasion favorable à laction visée. Aristote distingue ainsi dans La
Politique la phronesis ou prudence du kaïros, la saisie de loccasion favorable à laction.
Faire preuve de courage dans laction, cest donc réussir à mêler ces éléments, tous dirigés
vers le mieux vivre ensemble.
Faire preuve de courage politique, cest en fait être simplement homme, et non
surhomme, et développer des facultés profondément humaines. Aristote démontre dans La
Politique que lhomme est un animal politique, un zoon politikon. Lhomme plus que
nimporte quel animal, se réalise dans la politique et léchange que la société entraîne.
Chacun est donc porteur dun courage politique en puissance, cest à dire dune capacité à
continuer à naviguer dans la tempête de manière toujours juste. Non pas juste au sens
dexact, car les erreurs remplissent laction du politique, mais juste au sens de moral, c'està-
dire que faire preuve de courage politique, cest « dire oui, jai fait une erreur ». Cest donc
en étant dabord homme que lhomme politique fait preuve de courage. Chacun, en outre,
par une citoyenneté active, fait preuve de courage, en refusant une loi injuste. David Henry
Thoreau explique le courage quil faut pour affronter un pouvoir injuste. Ainsi, à la suite de la
guerre de 1848 des Etats-Unis contre le Mexique, cet homme refuse de payer des impôts
qui servent à fondre des baillonnettes. Il fait preuve alors de désobéissance civile. Sans
gloire ni héroïsme, cet homme a fait le choix du légitime sur le légal et a fait preuve de
courage politique, à son échelle. Faire preuve de courage politique, cest donc être homme.
Lhomme courageux mêle donc « esprit de finesse », selon lexpression de Pascal,
c'est-à-dire inspiration, avec raison et prudence. Faire preuve de courage politique nécessite
donc un esprit rationnel, voire scientifique, mais aussi lâme dun artiste, toujours conscient
de la gravité de sa tâche, mais déterminé à créer du nouveau, sans relâche.
Faire preuve de courage politique, ce nest donc pas être un surhomme, mais tout
simplement développer ses qualités naturelles. Le courage politique nest donc pas le
courage en politique, simple collage de lhéroïsme dans le domaine de la politique. Il ne
sagit donc pas de vouloir à tout prix être un surhomme ou un héros, mais dêtre tout
simplement un homme. Car lhéroïsme au sens courant nexiste pas en politique. Etre un
homme véritable, cest déjà être un authentique héros."