evaristegg a écrit :
Du coup je me pose un question : pourquoi le top management est presque toujours assuré par des énarques ? C'est un preuve de qualité certes, mais je suis sûr que chaque année, quelques HEC ou normaliens tout aussi brillants décident de ne pas passer ce concours. Le réseau peut-être une explication ?
Est ce que vous pensez que c'est quelque chose qui va continuer à moyen / long terme ?
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Pour trois raisons fondamentales, tout aussi historiques que pratiques :
- Historiquement, le "top management", considéré comme un poste stratégique, a toujours été verrouillé par l'Etat. Il y a une démocratisation depuis les privatisations de 1986 qui - relativement - permet de ne pas opter pour un Enarque, même si les verrous psychologiques sont peu évidents à faire sauter. Pour faire simple dans l'illustration, je te renvoie à la liste wikipedia des privatisations en France (http://fr.wikipedia.org/wiki/Privatisations_en_France) dont tu verras qu'elle concerne 90% des actuelles grandes entreprises.
- Certaines entreprises, pourtant privées aujourd'hui, nécessitent des Enarques à leur tête (ou X-Ena), de par les enjeux de l'entreprise : Air-France-KLM a été dirigée par Jean Cyril Spine.tta, auquel Alexandre De Ju.niac (X-ENA) a succédé. Tu serais quelque part surpris d'apprendre que pendant tout son mandat, Spin.etta n'a jamais passé une semaine sans avoir de rendez-vous à l'Elysée pour discuter. Les toutes dernières discussions portaient sur l'intérêt de l'Etat de vendre des Airbus aux pays du Quatar qui essaient, par l'intermédiaire de ces contrats, d'obtenir également ce que l'on appelle "des autorisations de survol" avec leurs avions immatriculés au Quatar. Pour faire simple, à partir du moment ou l'Etat concède une autorisation, c'est une compagnie Quatarienne de plus qui peut faire concurrence sur des moyens et longs courriers avec des prix 30 à 40% inférieurs à Air France, avec un service de meilleure qualité, et sans avoir à supporter les coûts d'infrastructure et de personnel (qui mangent toutes les marges d'Air France). Dès lors, tu peux aisément deviner qu'un "feu vert" du Gouvernement torpillerait Air France en trois ans. Les conseillers ministériels qui s'occupent de suivre le dossier de vente des Airbus (parce que c'est piloté par la voie diplomatique au sens large et suivi par le Secrétariat Général du Gouvernement) n'ont pas forcément conscience de l'impact d'une telle décision. De ce fait, la connaissance du fonctionnement de l'Etat (qui est très encadré par les usages, les références hiérarchiques et les procédures) est pratiquement un prérequis au sein du "top management". Quand ce n'est pas un énarque à la tête du top management, très souvent le "cabinet" du top management dans le privé comporte des énarques.
- Enfin, la troisième raison vient des capacités "gestionnaires" des Enarques : tout au long de la scolarité, il y a un contact permanent de "management" : le stage en préfecture consiste à accompagner le Préfet dans tous ses déplacements, d'une part pour représenter l'Etat, mais aussi relève d'une mission de management de la préfecture. Une journée "ordinaire" consiste à se lever à 6h30, prendre la voiture, se déplacer dans le département pour assister à 8h à une inauguration ou une réception, être de retour à 9h à la préfecture, enchainer trois réunion avec les services de la Préfecture sur des dossiers qui sont pilotés, à 10h30 tu as la réunion avec le Secrétaire Général, de 11h à 11h15 tu visites les services de la préfecture pour s'assurer que tout se passe bien, à 11h18 tu reçois une alerte surprise de mise en situation d'un départ de feu qui a été coordonné par le département de la Sécurité et Protection Civile, et tu dois t'assurer, avec le Préfet, que le déroulement est bien conforme aux plans de sécurité établis pour le département, et prendre des décisions très rapidement en fonction des données et de l'évolution simulée de ce feu. A 15h, fin de l'exercice, trois réunions encore avec les services, qui t'exposent certains problèmes et demandent à la fois ton point de vue et aussi ton autorisation pour y donner suite (du type "Madame D. demande une autorisation de séjour, son cas pose problème" et le Préfet vous demande de vous occuper du dossier). 18h : tu as encore une réception d'activité culturelle...
Le deuxième stage dans le privé est identique, puisqu'en général tu es affecté au poste des affaires publiques d'une grande entreprise (officieusement le cabinet du PDG). Dans ce cadre, on te donne des missions à responsabilités qui impliquent de défendre la position de l'entreprise, de faire de la communication, et aussi de savoir négocier et convaincre - le tout en lien avec le PDG et les différents responsables de services. Il s'agit de préparer les plans de communications de crise (que ce soit une crise positive ou négative), la communication interne et externe de l'entreprise, et représenter à la fois les intérêts de l'entreprise mais aussi les intérêts de l'Etat (tu es présent généralement aux conseils d'administrations, impliqué dans les dossiers importants et stratégiques : fusions, licenciements, accidents - communication interne aux personnels, communication externe au grand public, communication avec l'Etat)
Le 3e stage est très souvent un stage en Ambassade (Chancellerie politique) ou dans une Organisation Internationale (FMI, OMC, Organisation Européenne...) ou l'on va tester à la fois ta capacité à te déplacer partout (c'est le moment ou l'on te délivre le visa diplomatique et les accès et facilités de déplacement prioritaires - tous les énarques en possèdent un pour le stage), mais également à mener des rounds de négociation sur des dossiers au long terme impliquant des enjeux internationaux.
La scolarité est entrecoupée de "séminaires" qui ressemblent plus à des "formations" qu'a de véritables cours universitaires, notamment de communication, de gestion de risques et de crise, de management, de prise de décision...
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Dès lors, la conjonction de ces trois (historique, de formation, de réseau et d'expérience) font que, naturellement, les énarques sont davantage préférés aux poste de haut management, à l'arrivée de la quarantaine/cinquantaine. Le passage en politique dans des cabinets ministériels peut effectivement aider, mais n'est pas indispensable. Au final, leur importance ne risque pas de disparaitre, mais nécessite, à ces hauts postes, qu'il y ait une composition équilibrée entre la part des énarques, IEP, ESC, et universitaires au parcours professionnel conséquent, pour assurer une diversité de pensée et une pondération des risques en ce qui concerne les décisions à prendre au plus haut niveau.