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Libre circulation: faut-il avoir peur?
Les projections sont unanimes: le plus gros de la migration des nouveaux pays de l'UE devrait se faire vers l'Allemagne et l'Autriche. La Suisse n'en recueillerait qu'un peu plus de 2%. Explications. Denis Masmejan
Mercredi 7 septembre 2005
Rubrique: Temps fort • La Suisse doit-elle s'attendre à une forte immigration? Toutes les études réalisées jusqu'ici excluent une forte immigration vers la Suisse de travailleurs provenant des nouveaux Etats membres de l'Union européenne depuis 2004. Plusieurs raisons à cela: la Suisse a négocié de longs délais transitoires pour la mise en place de la libre circulation intégrale avec les nouveaux venus; la plupart des 15 Etats de l'UE ont fait de même; et au sein même de l'UE, la libre circulation n'a jamais provoqué d'exode massif. L'adhésion, dans les années 80, de l'Espagne, de la Grèce et du Portugal, a au contraire entraîné le retour de l'immigration, au fur et à mesure que la croissance économique progressait dans ces pays. • Combien d'immigrants sont attendus en Suisse dans un premier temps? Dans son rapport sur la question en 2004, le Conseil fédéral est parvenu au chiffre d'une immigration supplémentaire annuelle de 4600 personnes dont 1600 actifs dès que les délais transitoires seront épuisés. Un volume représentant 2,3% de l'émigration attendue des nouveaux Etats vers le reste de l'Europe, et qui devrait se réduire par la suite en raison de l'augmentation du niveau de vie dans les pays concernés. En cas d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, planifiée pour 2007, il faudrait compter avec une émigration supplémentaire de 3100 personnes, dont 1100 actifs. Pour donner un ordre de grandeur, l'immigration nette en Suisse a été en moyenne de 28 000 personnes par année – dont 7700 actifs – sur vingt ans, de 1980 à 2000. • Quel potentiel migratoire à long terme? En 30 ans, l'effectif des ressortissants des 10 pays d'Europe centrale et orientale (PECO) résidant en Suisse passerait de 20 000 aujourd'hui à 90 000. Une augmentation représentant 1% environ de la population. Seuls 35% environ de ces 70 000 immigrés seraient des actifs. Pour parvenir à ces résultats, le Conseil fédéral a appliqué les mêmes modèles que ceux qui ont été utilisés pour évaluer l'émigration des nouveaux membres vers le reste de l'UE. Ces projections, souligne le gouvernement, présentent un haut degré d'incertitude. • La libre circulation avec l'Europe des 15 a-t-elle entraîné une forte immigration? L'accord sur la libre circulation avec l'Europe des 15 est entré en vigueur en 2002, mais ne déploiera son plein effet qu'à partir de 2007 et pourra être remis en cause par référendum en 2009. Les premières expériences – qui ne sont certes pas encore totalement représentatives – confirment les prévisions: il n'y a pas eu de ruée des travailleurs européens sur la Suisse. L'immigration en provenance de l'UE a quelque peu augmenté, celle des ressortissants de pays tiers diminué. Globalement, le solde migratoire (la différence entre les entrées et les sorties) a légèrement reculé depuis 2002. Les contingents de main-d'œuvre ont été maintenus jusqu'en 2007, mais seuls les permis de longue durée (15 000 par an) ont été épuisés. Les autorisations de courte durée (jusqu'à 12 mois, 115 000 permis par an) n'ont été utilisées qu'à hauteur de 60% du contingent. • Quelles branches sont les plus concernées en Suisse? Depuis 2002, l'immigration en provenance de l'UE a progressé notamment dans l'agriculture, le bâtiment, l'horlogerie. Dans ces branches, le chômage n'a pas évolué différemment de la moyenne nationale. Les données disponibles ne permettent donc pas d'étayer un éventuel lien entre libre circulation et détérioration du marché de l'emploi, souligne le Seco dans un rapport publié en juin. Avec l'extension de la libre circulation aux nouveaux pays, on s'attend, dans un premier temps, à une demande de main-d'œuvre bon marché dans l'agriculture, la construction également et la santé. Mais la Suisse pourrait être attrayante aussi pour des travailleurs qualifiés. • Combien de travailleurs pourraient quitter les nouveaux Etats pour s'établir dans l'Union européenne? Selon les estimations les plus courantes, l'immigration nette provoquée par la libre circulation pourrait atteindre, les premières années, entre 140 000 et 240 000 personnes par an, dont 35% d'actifs, pour l'élargissement actuel. En cas d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie, planifiée pour 2007, les prévisions varient fortement, et le total de l'émigration oscille, selon les études, entre 200 000 et 790 000 personnes, dont 35% d'actifs. Ce flux devrait retomber sous les 150 000 par an au bout de 10 ans. Ces estimations ont été établies sur la base d'un scénario où la libre circulation serait intégrale dès l'entrée des nouveaux Etats dans l'UE. Ils ne tiennent donc pas compte des délais transitoires de 2 à 7 ans fixés par la plupart des 15 Etats membres pour freiner l'arrivée des candidats à l'émigration. Les estimations les plus élevées ont été calculées à partir des prévisions pour l'Allemagne, dont tout le monde reconnaît qu'elle va absorber avec l'Autriche une très large majorité de l'émigration en provenance des PECO. • Quelles prévisions à long terme pour l'UE? Le potentiel migratoire à long terme – 30 ans – des 10 Etats d'Europe centrale et orientale est estimé à 3,9 millions de personnes, soit 3,5% de la population de ces pays et 1% de la population des 15 Etats formant l'UE avant l'élargissement à l'Est. A noter qu'aujourd'hui, seuls 1,5% des habitants de l'UE résident dans un autre Etat européen que leur pays d'origine. • Pourquoi une émigration vers l'Ouest? Entre les économies des 15 Etats de l'UE et celles des 8 nouveaux pays d'Europe centrale et orientale, il existait, au moment de l'entrée de ces Etats dans l'UE, des différences globalement plus marquées qu'entre l'Espagne, le Portugal, la Grèce et le reste de l'UE lorsque ces pays ont adhéré dans les années 80. Les économistes estiment donc qu'il existe une réelle incitation à l'immigration, mais ils soulignent aussi que le niveau de formation de la population active est meilleur dans les PEC0 qu'il ne l'était dans les trois pays du Sud de l'Europe. Tout dépendra, en définitive, de la croissance dans les nouveaux Etats et dans l'Europe des 15. • Ces projections sont-elles sûres? Non, chacun en convient. Leur fiabilité dépend de multiples variables, en particulier la croissance économique dans les anciens comme dans les nouveaux Etats membres. Plus la croissance économique des nouveaux venus sera élevée, moins leurs habitants seront poussés à émigrer. C'est la leçon qui a été tirée, en particulier, de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal, qui ont vu leur émigration revenir après leur entrée dans l'UE. Toutes les études démontrent également que la mobilité des gens est fortement limitée par des facteurs subjectifs. On ne quitte pas facilement le pays où l'on a grandi, malgré le droit que l'on peut avoir à s'établir ailleurs. • Où devrait se concentrer l'immigration des nouveaux Etats? En Allemagne (jusqu'à 65%) et en Autriche (15% environ). Ces prévisions sont fondées sur le fait qu'actuellement déjà, les immigrés des PECO sont très majoritairement fixés dans ces deux pays. L'immigration devrait se concentrer dans les régions frontières entre ces deux pays et les nouveaux Etats membres. Et donc pas en Suisse. Certains experts estiment que le potentiel d'émigration vers l'Allemagne est particulièrement élevé, de l'ordre de 8 à 10% de la population des PECO, de sorte que le nombre d'émigrés vers ce pays varie très fortement selon les études, de 15 000 à 250 000.
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