CR trail de Bourbon 2021
https://www.strava.com/activities/6155857991/overview
Après des participations aux Mascareignes (65 kms) 2018 (138ème) et 2019 (140ème), j'avais prévu de passer à la marche supérieure avec le Bourbon (111 kms) en 2020 mais à cause du covid
Tant pis, c'était l'occasion de continuer à s'entrainer pour combler un gros déficit de technique
Suite aux incendies qui ont ravagé le Maido fin 2020 le parcours a été modifié, escamotant la fameuse montée au Maido, le sentier tout juste réouvert aux randonneurs étant trop dangereux pour y faire passer une course On passe donc de 111 à 105 kms, avec une ascension pas forcément plus simple à la place, Dos d'Ane.
Comme chaque année, les participants se voient dotés d'un maillot à la couleur de leur course (bleu pour le Bourbon, jaune pour la Diagonale, vert pour la Mascareignes, rouge pour le relais Zembrocal)
Je fais le classement par équipe avec Lucas (22 ans, 5ème au scratch de l'ultra trail du Mercantour en juillet, vise la victoire en espoir et un top 15 au scratch) et Lucas (23 ans, vainqueur sortant de la Mascareignes espoirs) : je vais devoir me montrer au niveau pour ne pas passer pour un vieux crouton .
Je crèche dans un gîte à Cilaos depuis jeudi après-midi, histoire de souffler tranquillement avant la course, de ne pas avoir la nausée en voiture / bus juste avant la course (route aux 1000 virages), et ils me permettent de squatter le salon le vendredi après-midi en attendant la course
Le départ se fait vendredi à 21h00 (et 21h10 / 21h20), je dépose les enfants à la piscine une 1ère fois très tôt le matin, à peu près à l'heure pour les 1ers de la Diagonale passent dans Cilaos, du coup j'hésite à aller les voir mais je me ravise, preferant retourner dormir, car j'aurais ensuite une longue épreuve L'avantage d'être installé au gîte c'est que j'ai aussi accès aux toilettes, un peu mieux que les trucs publics en ville dans un état compliqué avec le monde qui traine et attend J'irai reposer les enfants à la piscine 3 fois dans l'après midi, je me dis que ça devrait être pas trop mal car plus grand chose à évacuer pour les prochaines heures et j'ai effectivement été tranquille pendant toute ma course sur ce sujet si important
Je comptais passer sous les 24 heures avant que le parcours ne soit modifié, puis 23 heures un fois raccourci, puis de nouveau 24 heures quand j'ai su que j'étais en vague 3.
Segment 1 : Cilaos / caverne Dufourg (refuge du Piton des Neiges)
Toujours à cause du covid, ils séparent les coureurs par vagues de 500 au départ, et pour moi je me retrouve dans la dernière (et heureusement dans le 1ère pour les équipiers) Ça démarre par 6.5 kms de route puis piste 4x4 avant d'attaquer "le bloc", une redoutable montée (qui continue au Piton des Neiges), je sais que ça va bouchonner donc je pars en mode yolo, je donne tout pour dépasser un maximum de participants "lents" qui vont ensuite bouchonner dans la montée Ça se passe plutôt pas mal, après 15 minutes je double des dossard "vague 2", 35 minutes pour les vague 1 (ça restera un point important de la journée de voir le numéro de vague de mes concurrents ). La montée jusqu'au pointage (juste après la bascule) se passe le nez dans le cul des concurrents devant, dans les virages j'essaye de doubler au prix de gros efforts car ça fait de sacrée marches à grimper .
Je pointe en 174 position (sans le savoir, on n'a aucun retour de notre position), c'est une remontada de malade Remplissage des flasques et c'est reparti.
Segment 2 : caverne Dufourg / Hellbourg
Là on est parti pour le segment que je redoute le plus, descente dans un 1er temps dans les rochers bien casse-gueules, puis dans la boue glissante J'ai déjà fait plusieurs fois ce morceau, à caque fois dans la souffrance. A ma grande surprise je double des concurrents aux rares endroits où c'est possible, mais c'est encore majoritairement du cul à cul faute de place pour passer En fait j'ai l'habitude de faire ces descentes avec mes potes créoles qui descendent comme des avions, du coup là avec des zoreils qui arrivent de métropole la différence est visible
Je pointe à Hellbourg en 180ème position, pas trop mal après la partie que je redoutais le plus, et les bouchons sont à peu près terminés pour un moment
A la sortie du ravito Philippe mon ravitailleur m'attend pour changer chaussures et chaussettes (prévus car passages dans la boue inévitables) mais c'est limite inutile. Je le fais quand même pour garder mon plan de marche. Remplacement aussi de l'accu de la frontale en prévision de la fin de la journée, ça sera déjà fait
J'ai une vingtaine de minutes d'avance sur la base 23 heures, le cardio à 80% de moyenne après 5h30 de course
Segment 3 : Hellbourg / Bras Marron
Un petit bout tout en descente goudronnée / bétonnée à fort % : de quoi bien casser les cuisses à ceux qui seraient trop ambitieux
Segment 4 : Bras Marron / plaine des Merles
Là je sais que c'est le plus important pour moi : une interminable ascension avec des gros %, l'effort qui me convient le mieux
Petit à petit je double en effet un sacré paquet de monde, le cardio à la limite pour ne pas exploser (aux sensations, je n'affichais que le % moyen de la journée, pas l'instantané), et quand les cuisses sont dures je me fais violence en beuglant "shut up legs" (référence cycliste pour ceux qui ne connaissent pas ).
J'arrive en haut au ravito en bon état, pas cramé, satisfait du travail accomplie dans cette montée, une soixantaine de places de gagnées
J'ai encore pris de l'avance sur la base 23 heures, du coup je vais attaquer la descente dans Mafate de nuit, pas grave
Segment 5 : plaine des Merles / Marla
Le jour va se lever dans la descente et c'est un plaisir de courir sur du beau sentier avec la lumière qui arrive, ces beaux paysages, peu de monde autour J'échange quelques mots avec un concurrent qui est du même avis
Ça avance bien, ça grappille encore des minutes sans s'épuiser
J'arrive au ravito de Marla, drapeaux bretons sous la tente J'y croise un gars que je connais parti en vague 1, je suis surpris de l'avoir rattrapé vu son niveau (je le doublerai quelque minutes plus tard en train de vomir, ça explique un peu )
Segment 6 : Marla / Roche Plate
Là il y a moyen de bien dérouler jusqu'au lieu dit "3 roches", puis derrière c'est du casse pattes à base de montées raides et descentes. Pour la partie casse pattes je me cale derrière un petit groupe qui avance plutôt bien, peut-être un peu trop pour certains car ça élimine au fur et à mesure. Finalement je suis un gars qui va à la bonne vitesse pour moi, il me propose de doubler si je veux, mais je suis au rupteur Quand on arrive au ravito je le remercie bien pour son aide sur ce segment, son allure m'a aidé à bien avancer
Ravito et je cherche du regard un pote qui devait être là ou à celui d'après, je ne vois personne, je ne m'éternise pas limitant les arrêts au minimum pour grappiller du temps.
Segment 7 : Roche Plate / Ilet des Orangers
A partir de ce ravito on rejoint la trace de la Diagonale et on rattrape les derniers, ça commence à faire du monde à doubler, et pas toujours facile car ils ne sont plus très lucides pour réagir quand on annonce droite ou gauche
Ça démarre par une montée consistante vers La Brèche, bifurcation permettant d'aller au Maido (comme avant) mais cette année on descend ensuite à l'Ilet des Orangers.
Juste avant la bascule de rattrape un gars qui me dit "c'est beau ici !" (il y a un point de vue superbe en effet) "mais c'est plus difficile que chez moi !" : je lui demande d'où il vient, de Corse. Comme je l'ai rattrapé dans la montée il me propose de doubler mai la bascule arrivant, je lui dis de rester devant, car je suis mauvais descendeur et il va devoir me redoubler juste après. Du coup il me dit "ok, reste dans le sillage". Et là le gars bombarde en descente, je suis au rupteur pour suivre, il annonce bien fort son arrivée aux retardataires, j'ai l'impression d'avoir une moto ouvreuse de la police Ceci-dit j'y laisse un peu des plumes car c'était trop rapide pour moi
J'arrive au ravito et je trouve mon pote, quelques mots d'encouragement et je vais remplir les flasques. Juste devant moi : Laurent Jalabert J'allais lui glisser 2 ou 3 mots (genre je suis plutôt cycliste que traileur et je suis originaire de là où il vit) puis je me ravise en voyant qu'il a des hématomes et griffures sur le visage, le pauvre devant avoir d'autres chats à fouetter que d'entendre les paroles débiles d'un fanboy
Segment 8 : Ilet des Orangers / Deux Bras
C'est reparti pour encore de la descente, cette fois tout seul à mon rythme qui va bien pour tenir les délais sans me démonter
J'arrive tout en bas à la rivière des Galets et mauvaise surprise : on ne travers pas par la passerelle comme la trace gps l'indiquait, mais en traversant les pieds dans l'eau impossible pour moi de mouiller les pieds sinon je ne finirais jamais les 45 kms restants Du coup je traverse pieds nus, le temps perdu à enlever et remettre les chaussures et chaussette n'étant finalement pas bien élevé
Je repars pour une montée bien raide, et soudain c'est le drame : panne sèche d'essence d'un coup, plus rien dans le réservoir Un peu emballé par ma belle course depuis le matin, j'avais sous estimé le coup de bambou qui allait arriver. Je picorais 2 ou 3 trucs à chaque ravito, j'avais manger quelques bouts de patate douce, fromage et viande séchée de mes provisions (il me manquait le réchaud pour faire une raclette ), mais c'était clairement pas assez Je sors mes provisions, impossible de mastiquer et déglutir.
Je suis instantanément au ralenti, et plus j'avance et moins ça va Il reste 8 kms pour arriver au ravito où dès le départ je comptais manger une assiette de riz, mais je lutte... je m'assois plusieurs fois sur un rocher, j'ai la tête qui tourne, je me fais doubler par des familles de touristes avec leurs enfants
Je finis par arriver au ravito en ayant perdu beaucoup de temps, j'essaye de manger un truc mais impossible de mastiquer, je prends 1 des 6 yops qui restent pour plus tard. Du coup je me pose sur une table pour laisser passer un peu de temps, les odeurs de cuisine me donnent envie de vomir mais même pas la force de me lever pour aller plus loin
Au bout d'un moment j'essaye d'avaler le yop et c'est une bonne surprise : ça passe ! Ce qui est con, c'est qu'ils n'en ont plus Je me pose sur un tabouret juste devant les stands de ravitos et me force à boire de l'eau et du coca, faute de mieux. Je finis par tenter des morceaux d'orange et ça passe, difficilement. Je prends un temps conséquent pour manger l'équivalent de 2 oranges, et pendant ce temps je regarde les taxis 4x4 qui sont là, l'envie d'abandonner étant bien forte Je finis par me motiver à continuer en me disant que l'abandon n'est pas une option vis à vis des 2 équipiers, il faut finir, même si ça sera un peu lent !
Segment 9 : Deux Bras / Dos d'Ane
La montée des enfers quand on est en Je double quand même du monde dont un italien qui accélérait quand je me rapprochais
J'arrive en haut en gérant comme je peux et je retrouve mon ravitailleur qui se faisait du soucis, se demandant où j'étais passé Je lui explique mes problèmes d'alimentation et j'ai une idée : il va m'apporter du yop au 3 prochains ravitos
C'est encore limite niveau énergie, mais les jambes reviennent petit à petit
Segment 10 : Dos d'Ane / chemin Ratinaud
Pas grand chose à dire, ça se descend plutôt pas mal, je ne cherche pas à forcer
Segment 11 : chemin Ratinaud / La Possession
Highway to hell ! On descend par le sentier Kalla, mais avec un pote on l'appelle la ravine Kalla tellement c'est défoncé et pourri, une chiasse
Assez vite ça se fait cul à cul car je suis bloqué derrière des retardataires, le rital me double dans la fin de la descente qui est roulante, moi j'ai arrêté de courir pour économiser mes forces, la fringale n'étant pas très loin avec cette alimentation "optimisée), il faut gérer pour finir, en marche dynamique je rattrape des gars qui courent sur certains passages puis sont au ralenti ensuite, cramés
Segment 12 : La Possession / La Grande Chaloupe
Highway to hell bis ! le fameux sentier avec les blocs de pierre : montée raide en plein soleil, je souffre
Wade est venu pour m'accompagner jusqu'à la fin, ça permet de casser un peu la lassitude qui s'installe après une vingtaine d'heures de course
A ma surprise je suis plutôt pas mal en descente, l'inverse de d'habitude
Je gère pour rejoindre le ravito et mon yop
Segment 13 : La Grande Chaloupe / Le Colorado
De nouveau de la grosse montée, la nuit arrive, je surveille l'allure moyenne depuis le début et ça pourrait le faire pour passer sous les 24 heures
Plus on se rapproche du pointage tout en haut et plus on est gêné par des maillots jaunes par toujours coopératifs Faut prendre son mal en patience, je connais le parcours et je sais qu'à tel ou tel endroit il y aura une possibilité pour dépasser
On croise Patrick Montel j'aurais aimé un petit encouragement dans la tradition
Segment 14 : Le Colorado / La Redoute
Le passage sous les 24 heures est assuré, reste à rentrer dans le top 100 pour finir en beauté
Je suis mauvais dans cette descente difficile, mais je me fais violence pour mettre tout l'énergie qui me reste : ne pas avoir de regret (à la dernière Mascareignes je m'étais fait griller tout en bas de la descente ).
Comme depuis plusieurs kms je surveille les dossards de maillots bleus pour savoir dans quelle vague ils sont, car ceux avec 10 ou 20 minutes de débours sur moi ne sont plus dangereux
Je double encore, les maillots jaunes sont cette fois très bien pour s'écarter d'eux mêmes quand ils entendent débouler derrière, la descente de nuit parait longue mais ça se fait pas trop mal A un gros paquet, le rital est bloqué derrière et je double toute la file à raz du vide
Tout à la fin avant d'entrer dans le stade, sur un bout de cheminement piétion, c'est l'embouteillage avec ceux qui courent avec leurs gosses et le rital en profite, à l'entrée du stade il me tape sur l'épaule avec un sourire narquois puis sprinte pour me griller avant la ligne d'arrivée il n'avait pas vu que j'étais parti 20 minutes plus tard le matin J'aurais bien aimé voir sa gueule quand il a du lire le classement
Au classement par équipe on finit 5ème malgré une superbe 11ème place : pas de regret, la 3ème marche du podium était hors de portée cette année
J'ai du dépasser les 10 litres d'eau et coca sur la journée, mais -5.5 kgs à l'arrivée
Après l'arrivée c'est le cadeau : 2 bières, ça faisait 1 mois 1/2 que je m'en privais
Je suis sur le cul en voyant mon classement final : 82 ème Avec tout le temps perdu dans les bouchons et l'hypoglycémie , on fait le débours et ça pouvait me faire rentrer dans le top 40 Jamais je n'aurais cru pouvoir approcher ces places Un pote traileur avec qui je fais beaucoup de vélo m'avait dit que les formats longs me conviendraient mieux, il n'avait pas tord
J'ai fait 2 fois la Mascareignes, la 2ème pour corriger les innombrables erreurs faites lors de la 1ère. Là j'ai un bilan très positif (malgré une très grosse erreur), je ne sais pas pour une 2ème Quant à s'aligner sur la diagonale, je ne sais pas non plus, on ajoute le facteur sommeil, c'est particulier (un peu comme au Paris-Brest-Paris)
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"C'est un asile de fous, pas un asile de cons … Faudrait construire des asiles de cons, mais, vous imaginez un peu la taille des bâtiments !"