Comment penser le phénomène religieux ? Quelle est sa vraie nature ? Surtout, qu'est ce que la réflexion philosophique a à dire de pertinent à ce sujet ? Partons d'un constat : immergé dans la nature par sa corporéité, lhomme en émerge aussi par la conscience quil prend de sa naturalité, par cette présence à soi quest la conscience. Lhomme, " le seul animal qui sache quil doit mourir ", ressent douloureusement limpassibilité sereine des constellations et lindifférence des fleuves. Aussi, balance t-il entre la nostalgie dune unité perdue avec la nature, adhérence immédiate à lêtre, innocence naturelle en deçà de langoisse dexister, et laspiration à un dépassement de la nature, à un au-delà de la nature. Vaine nostalgie peut-être et aspiration démesurée ? " Ni ange ni bête ", lhomme est condamné à vivre une existence ambiguë dans un monde ambiguë. Mais il ne sy résigne pas, tenté soit par le vertige de la nature qui le tire vers ses racines, soit par livresse du surnaturel qui lattire vers ses sommets.
Est surnaturel en effet ce qui est occulte ou transcendant, produit par une causalité contingente ou absolument libre de toute détermination, mystérieuse donc, imprévisible et incontrôlable. Le surnaturel serait donc de lordre de la gratuité et de la grâce, produit dun caprice ou dun libre-arbitre que nenchaîne aucune loi ; une infraction au naturel, une violence faite à la nature, une transgression des limitations naturelles, une libération par dissipation des déterminismes ; le surnaturel cest, sinon lanormal, du moins le para-normal. Ce qui est sur-naturel serait affranchi des cadres spatio-temporels de notre sensibilité, des catégories de lentendement, des normes de la raison et des bornes de la volonté : surhumain.
Ainsi identifié, le surnaturel pose trois types de problèmes : ontologique, critique, et pratique.
Comment la réalité humaine secrète-t-elle la croyance au surnaturelle ? Serait-ce parce quelle en émane quelle en témoigne ? Descartes ne pensait-il pas que " nous avons premièrement en nous lidée dinfini " ? Ou bien serait-ce parce que la réalité humaine ne se réduit pas à un être naturel mais redéfinit elle-même sa nature en termes de culture ?
Cependant, la possibilité même de trancher le dilemme ontologique pose un problème critique : une connaissance du surnaturel serait-elle possible ? Le surnaturel est-il rationnel, irrationnel ou supra-rationnel ? Nest-il que " le paradis des esprits à chimères " ? (cf. Kant, Les rêveries dun visionnaire).
Cette question théologique à un enjeu pratique ; Pour le meilleur et pour le pire, la croyance au surnaturel oriente et ordonne une vie. Croire aux miracles, cest choisir un style de vie. Cest choisir la confiance, mais aussi labandon à la grâce ou aux caprices imprévisibles de puissances occultes ou transcendantes. Certes, cette croyance entretient une sorte despoir aveugle, " en cas de malheur ", lorsque la nature semble nous accabler. Mais ce peut-être un renoncement à penser notre vie et à la gouverner. " Croyance cest lesclavage... " écrivait Alain (cf. Minerve ou de la sagesse). " Cest une ivresse dont il faut se passer " concluait-il.
Or, aujourdhui journaux et bibliothèque, cinéma et télévision font une place étonnante au surnaturel ! Horoscopes, ésotérisme, fantastique prolifèrent et font recette. La floraison et lemprise des sectes sur la jeunesse, la ferveur charismatique des foules rassemblées autour du pape ne manifestent-elles pas " le retour du Sacré " ? Quelle est donc cette croyance qui survit à la faillite des idéologies ? De quelle secrète et tenace adhésion tire t-elle son indéracinable assurance ?
Partons d'abord du bon pied : le surnaturel ce nest pas le magique, cest le religieux. Transcendant, ambivalent, séparé du profane par les interdits, le Sacré est la catégorie religieuse par excellence. Le surnaturel relève du Sacré. Les théologiens distinguent dailleurs le " surnaturel essentiel " du " surnaturel modal ". Le premier englobe ce qui dépasse la nature entière : la grâce, lextase mystique, la révélation divine. Le second désigne ce qui nest pas au-delà de la nature, mais au-delà de la nature humaine, des facultés humaines : le miracle.
Les lumières surnaturelles de la vision extatiques en Dieu sont infiniment plus éclairantes que les lumières naturelles des sens, de lentendement, de la raison. Saint Jean de la Croix, un des plus grands mystiques chrétiens, justifie cette transcendance. Lesprit humain a soif dune vérité absolue, soif que nétanchent pas les lumières naturelles. Pour satisfaire à sa vocation lesprit devra donc renoncer aux lumières naturelles, faire " la nuit " pour percevoir la lumière divine. Nuit des sens, nuit de lentendement, nuit de la raison, nuit par extinction des lumières naturelles, cest la première démarche de la foi, cette " échelle secrète et obscure ". Mais à la nuit par défaut de lumières naturelles ne succède pas immédiatement lillumination divine. Vient dabord une seconde nuit : nuit par excès de lumière divine où lâme aveuglée reste suspendue dans " lhorreur de la nuit " ; jusquà ce que, enfin accoutumée, elle soit illuminée par la clarté sans ombre du divin.
Dans lordre de laction, le surnaturel cest la grâce. Sans laide de Dieu, sans ses bontés et ses faveurs, constantes ou exceptionnelles, la volonté humaine serait impuissante. Dans le premier écrit sur la grâce, Pascal pose le problème : " Si on demande pourquoi les hommes sont sauvés ou damnés, on peut en un sens dire que cest parce que Dieu le veut et en un sens dire que cest parce les hommes le veulent. Mais il est question de savoir laquelle de ces deux volontés... est la maîtresse, la dominante, la source, le principe et la cause de lautre. Il est question de savoir si la volonté de lhomme est la cause de la volonté de Dieu, ou la volonté de Dieu la cause de la volonté de lhomme. "
Saint Augustin soutient que limpuissance de la créature pécheresse, esclave de son corps, ne peut être compensée que par la grâce de Dieu. Marquée par la faute originelle, notre volonté peut librement faire le mal, mais non le bien. Dieu seul nous arrache au péché. Nous sommes libres seulement de prier. Plus tard, les Jansénistes se feront les défenseurs de la Grâce suffisante. Mais si la théologie actuelle fait une part aux oeuvres des hommes dans leur salut, même si elle souligne que la grâce nous coûte, elle maintient que sans elle nous nirions pas jusquà ce don absolu de soi qui est la foi dans sa pureté.
Sous la forme de la prophétie, le surnaturel devient le moteur de lHistoire. Cest parce que Dieu parle par sa bouche que le prophète soulève les peuples et arrache les princes à leur trônes. Il y a " la loi et les prophètes ", mais cest la parole du prophète qui dit la loi. Ivre de Dieu, le prophète vaticine et Dieu réalise ses prédictions.
Et pour convaincre les hommes de peu de foi qui ont besoin de Signes, Dieu fait des prodiges, directement ou par saints interposée. Le miracle, cest dabord le prodige qui suspend les lois de la nature : le soleil ne se couche pas ! Les pains se multiplient, leau se change en vin ! Les aveugles voient et les morts ressuscitent. Ces événements miraculeux sont des Signes de la puissance surnaturelle de Dieu. Longtemps la théologie a insisté surtout sur les prodiges, phénomènes contraires aux lois de la nature. A partir des Temps Modernes, elle met plutôt laccent sur le Signe. Finalement peu importe que le prodige soit un objet objectivement vérifiable, ce qui compte, cest le sens de la manifestation du surnaturel : le signifié plus que le signifiant.
Lintrusion bouleversante du surnaturel dans lordre naturel nest quun témoignage de lexistence dun monde surnaturel. Dans lunivers magique, les défunts vivent bien une vie autre que celles des vivants, mais se mêlent à celle-ci. Cette vie autre nest pas une autre vie, elle nest pas surnaturelle. Les hommes ont longtemps cru que la vie se poursuivait après la mort, sous une autre forme, mais pas dans un ailleurs absolu. Lidée dune vie surnaturelle, se développe plus tardivement dans leschatologie religieuse et remplit deux fonctions (cf. Michel Hulin, Le monde surnaturel et limaginaire de lau-delà).
Dabord elle empêche la mort dabolir le sens de lexistence ; soit en considérant la mort comme un retour à une vie qui recommence dans un éternel retour ; soit en lappréhendant comme un repos éternel après les peines de la vie. Retour éternel du même ou bien fin des temps sont des victoires sur la mort, ce phénomène naturel inscrit dans la logique du vivant.
La seconde fonction des mythes eschatologiques est de trouver dans le monde surnaturel la solution des conflits, introuvable dans le monde naturel (soit en rétablissant léquilibre des mérites, par le châtiment des méchants et la récompense des justes, soit par le pardon et la réconciliation universelle). Des expériences initiatiques (sortes danticipation de la mort) soutiennent ces croyances, par des pratiques spirituelles (méditations) et par des pratiques matérielles (jeûnes, mortifications de la chair...). Il sagit daffranchir lhomme du temps, qui est la mesure du changement naturel, par quoi les êtres et les choses sacheminent vers leur destruction. La vie surnaturelle cest, selon la formule de lapocalypse de Jean, " la mort de la mort " !
Aujourdhui encore, loin de se dissiper avec la désaffection à légard des pratiques religieuses et les progrès dune rationalité technologique dominante, que ce soit sous la forme vulgaire de pratiques naïves de conciliation de la chance et de conjuration de la malchance, sous lapparence savante de la parapsychologie, ou sous la figure bouleversante dun charisme religieux des masses, socialement et politiquement subversif, le surnaturel demeure parmi nous ! A quelles attentes, toujours déçues dans le monde réel, répond donc cette croyance en un monde sur-réel ?
Bergson, dans Les deux sources de la morale et de la religion, se demandait comment lhomme, en tant quêtre raisonnable, pouvait former les représentations fantasmatiques des magies et des religions. Il expliquait ce quil appelle " labsurdité chez lêtre raisonnable " par lexistence dune " fonction fabulatrice " destinée à corriger, par ses fictions, les effets socialement dissolvants de lintelligence. Lintelligence, en effet, conseillerait dabord à lhomme légoïsme. La fonction fabulatrice servirait à parer à ce danger. En soutenant, par des interdits et des prescriptions sacrés, les coutumes, les règles de la vie sociale, la religion primitive sauverait la société hors de laquelle il nest pas dhumanité. La fonction fabulatrice apaiserait aussi langoisse que suscitent nécessairement chez lindividu, conscience et intelligence, qui sont " mémoire et anticipation ", cest-à-dire souci de vivre. La fabulation religieuse serait dabord " une réaction défensive de la nature " contre les pouvoirs de lintelligence, déprimants pour lindividu et dissolvants pour la société. Cette explication ne vaudrait cependant, selon Bergson, que pour les " religions statiques " des " sociétés closes ".
Par contre, dans les " religions dynamiques " des " sociétés ouvertes ", le surnaturel mériterait vraiment son nom : il ne procéderait plus de la nature mais serait lappel à la création spirituelle, à la création des valeurs ; il consisterait dans limmensité de la " terra incognita " quest la spiritualité pure. Alors que le surnaturel des religions statiques serait naturel par son origine et ses fonctions, le surnaturel des religions dynamiques accomplirait un dépassement de la nature où la vie est empêtrée dans la matière, vers une surnature où la vie, libérée des entraves de la matérialité, serait pure spiritualité, réalisant " la fonction essentielle de lunivers, qui est une machine à faire des Dieux ". Bergson sefforçait ainsi de comprendre lambivalence du surnaturel, dérisoire et vital, illusoire et exaltant.
Cette ambivalence fait en effet problème. Peut-être reflète-t-elle seulement lindissociabilité de la nature dans la réalité humaine ? La mutation de la nature avec le phénomène humain ? Ce soupçon oblige à produire un examen critique du sens et de la valeur du surnaturel.
La croyance en des pouvoirs et en un monde surnaturel est-elle une illusion, illusion dont il serait possible de faire un usage mystificateur ? Ou bien exprime-t-elle, fut-ce sous une forme mystifiée, linquiétude dêtre ? Tout homme ne rêve-t-il pas dêtre Dieu, comme le suggérait Sartre, dans LEtre et le néant. Le surnaturel est-il un rêve grandiose et vain ?
Ils entretiennent des rapports troublants. Le surnaturel nest-il pas le substitut apaisant, mais irréel, de la réalité angoissante et refusée comme telle ?
Les matérialistes grecs déjà dénonçaient cette illusion. Démocrite, qui voulait selon Nietzsche " se sentir dans le monde comme dans une chambre claire ", réduisait lunivers aux mouvements nécessaires et contingents des atomes éternels dans le vide éternel, expulsant toute-puissance occulte ou transcendante. La religion est une illusion mortelle, surenchérit Epicure, par les peurs quelle inspire (crainte de lintervention des Dieux dans cette vie et appréhension du jugement des dieux dans une autre vie) elle interdit lataraxie. Elle suscite même linhumain dans lhumain : le sacrifice dIphigénie ! Le surnaturel cest linhumain !
Après des siècles de chrétienté, Spinoza, attaque sous le nom de " superstition ", toutes les formes du surnaturel. Parce quils sont accessibles par nature aux passions, à la peur ou à lespoir, les hommes sont la proie de la superstition (cf. Traité théologico-politique). Les passions nourrissent limaginaire et limaginaire nourrit les passions. De la peur ou de lespoir naît la superstition et de la superstition naissent la haine et la violence. Illusion malfaisante, le surnaturel, né de la servitude des passions, engendre la servitude de limaginaire (" connaissance du premier genre " ) en nous empêchant de chercher le salut dans la connaissance rationnelle (" connaissance du second genre " ). Aliénée et aliénante, la crédulité nous prive, avec les lumières et lintelligence, de la joie et donc de la vertu. La prophétie, par exemple, nest que la parole et limagination poétique dhommes exemplaires certes et enthousiastes mais non pas sages. Sans aucun don surnaturel, les prophètes ne révèlent sous le nom de Loi divine que la loi naturelle damour du prochain, loi inscrite dans lâme humaine. Kant ajoutera que, si le prophète prédit lavenir, ce nest pas parce quil possède une intelligence surnaturelle prémonitoire, mais parce quil produit lui-même ce quil annonce ! Son influence sur le peuple est telle quil provoque la ruine des empires en lannonçant ! Quant à la révélation, une enquête historique sur lécriture dite " Sainte " démasque, à travers ses naïvetés et ses incohérences, son origine toute humaine. Cest dans nos coeurs et non dans lEcriture quest inscrite naturellement la parole divine damour. De même, les miracles ne sont que des écrits propres à enchanter les foules ignorantes des causes naturelles.
Comment dailleurs, demande Spinoza, Dieu pourrait-il transgresser la nécessité naturelle sans cesser dêtre lui-même ? La puissance de Dieu et celle de la nature sont une seule et même puissance (panthéisme) ; la nécessité divine et la nécessité naturelle se confondent. Dieu ? Autrement dit, la Nature. La Nature ? Autrement dit Dieu. Dieu ne pourrait produire un miracle quen cessant dêtre lui-même, ce qui est absurde. Il ny a pas de surnaturel, puisque le divin et le naturel ne font quun. Il ny a pas de vie surnaturelle.
En refusant à Dieu toute transcendance par rapport à la nature, Spinoza évacue lessence même du surnaturel : le Sacré. Le surnaturel nest donc que la projection anthropomorphique, dans limaginaire, de passions et de finalité qui sont le propre de lhomme. Auguste Comte identifiera sous le nom d " Etat théologique " du développement de lesprit humain cet imaginaire, âge barbare, premier âge de lesprit. Mais Freud ne croyait pas que cet âge soit jamais révolu. Fruit dun désir inassouvissable, lillusion du surnaturel serait impérissable. Il y a eu, il y aura des métaphores mais pas de " crépuscule des dieux ". Cette illusion est-elle au moins bienfaisante ?
Dès lantiquité Quinte-Curce observait : " La superstition est le plus sûr moyen auquel on puisse avoir recours pour gouverner la masse ". Usant cyniquement des passions des hommes, les politiques enracinent dans la servitude des passions celle de lillusion, et dans la servitude de lillusion celle du despotisme : peur, superstition, soumission. Le surnaturel est à la fois, explique Marx, lexpression de la détresse réelle des hommes et la protestation contre cette détresse, la victoire illusoire sur cette détresse. " Opium ", cest-à-dire paradis artificiel, la croyance en un monde surnaturel dissuade les hommes de lutter pour la maîtrise de la nature et de leur propre nature. Ce nest pas un hasard si les convulsions historiques de notre siècle ont ressuscité la croyance en une forme de pouvoir politique que la Grèce antique dabord, la Révolution française ensuite, avait démystifié : le pouvoir sacré. " Pouvoir charismatique " du guide inspiré, identifié par Max Weber, illustré par Führer, Duce, et autres conducteurs des peuples. Formes actuelles du vieux pouvoir surnaturel des théocraties.
Cependant, on ne peut refuser à la croyance au surnaturel toute signification positive. Sy manifestent aussi des inquiétudes essentielles à lesprit humain. Reste à savoir si le surnaturel est une manifestation désirable ou indésirable de ces inquiétudes.
- Inquiétude du coeur : La foi dans une vie surnaturelle permet déchapper au sentiment angoissant de la déréliction, à la conscience désespérante de notre être-pour-la-mort. De Saint Augustin à Kierkegaard retentit la même question : " si lhomme navait pas de destination éternelle, que serait donc la vie, sinon le désespoir ? " Notre sensibilité se révolte contre la nécessité naturelle de la mort. La croyance au surnaturel nous apaise, mais nest-ce pas au prix dune abdication de notre responsabilité sur notre vie, au prix dun renoncement à la revendication et à lusage de notre liberté ? Albert Camus dans le Mythe de Sisyphe accuse la religion de " faire le saut " par-dessus labsurdité de la condition humaine au lieu de la regarder en face. La cruelle lucidité de la raison refuserait les consolations du coeur ? Mais la raison elle-même est inquiète. En quête dabsolu, elle a, écrit Kant dans la Critique de la raison pure, " un penchant naturel " à sortir des limites de la connaissance.
- Inquiétude de la raison : Le surnaturel pourrait-il être ce que Kant une " Idée de la raison " ? La dialectique platonicienne ne propose-t-elle pas au logos, à lintelligence de remonter, au-delà de la science, jusquà cet inconditionné que dabord lamour découvre et nous désigne, monde intelligible dont le monde sensible ne serait que lombre et lécho ? Lontologie et la théologie rationnelle dAristote situent au-delà de notre monde naturel soumis au changement (à la génération et à la corruption, à la croissance et au déclin, à laltération) lêtre inaltérable, immuable et éternel, le divin, sur-naturel ? LÊtre-en-tant quêtre et lÊtre, absolument parlant, sont par essence surnaturels. Dailleurs, le mot Métaphysique ne signifie-t-il pas étymologiquement " ce qui est au-delà de la physique ", cest-à-dire au-delà de la connaissance de la nature ? La Métaphysique nest-elle pas le projet dune connaissance rationnelle du surnaturel ?
Cependant, dans la philosophie antique, même le divin, même la surnature restent inséparables de la nature. Le monde astral nous en offre lanalogon visible : en regardant le ciel étoilé je vois le divin ! Et le Dieu dAristote nest-il pas un " vivant éternel " ? Comme si le rationalisme antique ne pouvait se représenter la surnature que sur le modèle de la nature. Enfin, même sous cette forme " sage ", le surnaturel est-il connaissable ? On peut tout au plus le penser, concédera Kant, mais non pas le connaître, cest-à-dire vérifier quun objet corresponde à notre pensée. En ce sens, les prétentions de la métaphysique ne sont pas plus crédibles que les rêveries des visionnaires. Mais si la raison ne peut rien savoir du surnaturel, elle nous demande dy croire pour donner un sens à la vie morale. Limmortalité de lâme ou lexistence de Dieu sont pour Kant des postulats nécessaires de la raison pratique. Ce que la connaissance laisse échapper, laction lexige. " Que nous est-il permis despérer ? "
- Le surnaturel exprime peut-être finalement lInquiétude de la volonté : Le surnaturel nest-ce pas lespérance ? Et peut-on vouloir sans espérer ?
Cependant, " il nest pas nécessaire despérer pour entreprendre ". Une volonté autonome ne se nourrit pas despérance mais de devoirs. Dailleurs espérer, cest rêver et vouloir, cest faire. Espérer, cest prier. Prier, cest sabandonner à des forces supérieures ; cest renoncer à vouloir, cest renoncer à penser par soi-même. Vouloir, cest croire en ses propres ressources et non sen remettre à des pouvoirs surnaturels. La croyance au surnaturel nest pas cet appel à toutes les ressources dont nous pouvons disposer, appel constitutif de la Bonne Volonté.