J'ai écrit ce texte de mémoire sur mes vols :
Impressions de vol.
Sensations de vol.
Sensation, au petit matin, de se sentir seulement, uniquement, surtout aviateur, de navoir en tête que latmosphère, le besoin irrépressible et inné de voler, qui comme moi se réveille, esprit embrumé, piste embrumée, laérodrome, les odeurs inoubliables, indescriptibles, des avions et des planeurs dans le hangar, de voir la piste encore vide, mais pas pour longtemps.
Les posters de la Patrouille de France, de Mirage dans le club house, dans le hangar.
Un énorme Morane Saulnier 733 Alcyon jaune réformé de lAéronavale qui sennuie au fond du hangar.
Ouverture des énormes portes du hangar, lourdes.
Déhousser tous les planeurs.
Sortir de leurs housses tous les parachutes, les vérifier, les installer dans leurs planeurs respectifs.
Idem des batteries remises à charger tous les soir.
Aller chercher les cartes météo à la station de la base militaire voisine avec un vieux Solex dans la fraicheur du matin.
Sortir les 33 planeurs du hangar, les emmener sur la piste soit en les poussant à la main, soit tractés au pas par une voiture.
Si on utilise la piste 028, ça va vite, le seuil de piste est proche, mais si c'est la 010, il faut les emmener à lautre bout des 800 mètres de piste.
C'est long, très long.
10 h 30 : briefing général du chef pilote.
On est tous réunis, assis sur des chaises, des bancs, en face de lui, avec nos notes, consignes. On prend les consignes pour la journée, priorité aux vols dentraînement, un peu de double, décole, probablement des lâchés solos pour la première fois, il ne faudra pas trop étaler les circuits sur la campagne aujourdhui, zones militaires réservées pour la journée, etc.
Savoir que nous sommes dans un aéro club historique.
Qui a connu Guynemer et lescadrille Lafayette, Hélène Boucher et ses records du monde de vitesse dans les années 1930 en Caudron Rafale, les avions allemands puis américains pendant la seconde guerre mondiale et l'Otan.
Impression émouvante que si jouvre la porte de la salle de briefing sur le hangar, que je ne serai absolument pas étonné de voir un Guynemer et son Spad décoller, une Jaqueline Auriol et son Mirage IIIC se préparer à un record du monde de vitesse à mach 2, un Mermoz sinstaller dans son Laté 28 ou dans son Couzinet Arc En Ciel, ou bien encore un Turcat monter dans son Griffon pour aller voler à mach 2.
Sensation incroyable dêtre là, moi, gamin de 18 ans, assis entre un champion du monde de vol à voile, une future championne du monde de voltige, une recordwomen du monde de vitesse en planeur, des pilotes de chasse et des pilotes de ligne.
Je crois rêver debout
Moi qui, il y a quelques mois seulement rêvait de Mermoz et de Chuck Yeager sur les banc de mon lycée.
Et jécoute et note les consignes de notre chef pilote, pilote de Super Mystère B2, religieusement.
Midi / midi trente.
On a tout juste fini de mettre les 33 planeurs en piste.
On est crevés.
Sauf ceux, toujours les mêmes qui ont regardé les autres travailler.
10 qui bossent, 30 qui regardent.
Comme partout, comme toujours.
Repas froid mais copieux vite fait.
Salade de tomates, jambon, thon, uf, salade, fromage, maïs, etc.
Yaourt, bananes.
Avalé en un quart dheure par nos organismes jeunes et solides.
Sensation juste avant le vol, de se demander si on a bien fait sa prévol, si le parachute est bien réglé et vérifié, si la carte est prête, les documents de vols prêts et signés par le chef pilote, si on a bien pris à manger et à boire, parachute réglé, gueuses installées, lunettes de soleil, casquette, etc.
Sensation de se demander à chaque fois par quel miracle moi, simple quidam de la ville, en suis arrivé là, pilote parmi les pilotes, à qui on confie un planeur de plusieurs millions de francs.
Sensation à hurler de bonheur face à tout lunivers dêtre admis parmi les aviateurs.
Jubilation infinie dêtre de ceux vers qui tend le but ultime de lévolution depuis les premières cellules vivantes : évoluer et explorer les espaces nouveaux pour y insuffler la vie, pour y chercher un biotope nouveau pour y perpétrer la survie, pour fuir un biotope terrien qui sessouffle, exsangue de nourriture, deau potable, datmosphère respirable.
Avoir son aéronef à soi, une merveille en résine, fibre de verre et gelcoat de 37 de finesse, machine dune pureté inouïe dont des Eric Nessler et des Lilienthal nauraient jamais osé rêvé de leur vie.
Avoir réussi on ne sait pas comment les brevets, les heures de double commande, les épreuves en vol, les épreuves théoriques à Athis Mons.
Se demander comment se fait il que lon soit passé de ce petit gosse qui rêvait de Mermoz, de Clostermann, de Neil Armstrong à jeune adulte aviateur.
Oui, cest bien moi, parachute de secours ajusté sur le dos, avec mon planeur pour la journée.
Ne plus avoir envie de rien dire, savoir que désormais tout mot est inutile.
Savoir que tous les livres de Saint Exupery, Clostermann, Mermoz lus des dizaines de fois pendant les récréations au collège, les week end, les vacances mortellement ennuyeuses avec les parents et la famille sont présents à lesprit de chacun de nous tous, et surtout, tellement exacts !!
Tellement stupéfaits que ce que décrivent Saint Exupery et Clostermann de leurs vols on le retrouve tellement exactement dans nos petits vols en planeur !
Se demander pour la cent milliardième fois pourquoi moi je pensais déjà à tout ça dès le collège alors que les autres ça ne leur effleure lesprit pas une seule seconde de leur vie !
Prier très fort de ne jamais avoir la réponse à cette question, mais en ressentir tellement profondément le sens ultime
Comprendre ce que les copains pilotes pensent et font seulement en les regardant.
Ne déjà plus faire partie de cette planète.
Avoir un trac monstre. Mais lentraînement qui fait faire chaque geste qui doit être fait. Prévol, Cris
Se demander se que feraient Mermoz, Neil Armstrong, Chuck Yeager, Jaqueline Auriol, tous ces aviateurs et aviatrices qui ont fait laviation telle quon la connaît.
Se demander ce que pense notre chef pilote en attendant que les première ascendances se déclanchent, ce pilote de Super Mystère B2 supersonique.
Regarder les gens qui restent au sol à se bronzer sur le bord de la piste avec limpression évidente dêtre déjà à des années lumières de ces gens là. De ne plus faire partie de leur monde, mais ai je jamais fait partie du monde de ces gens là pour en être arrivé où jen suis aujourdhui.
Ils sont sur un aérodrome, des avions, des planeurs, des moto planeurs à disposition et ils restent au sol !!!!!
Inconcevable !!!
« La plage cest pour les gens couchés avec des cervelles de plomb, laérodrome cest pour les gens debouts avec des ailes dans la tête »
Ca, cest de moi.
Je serais sur Mars à leur construire leurs stations-hôtel de touristes quils seront toujours plantés sur Terre à se bronzer !
Les premières petites rafales douces et molles dair tiède des ascendances qui commencent à se réveiller.
Le chant des oiseaux dans le ciel.
Lherbe de la piste à perte de vue.
Le soleil qui tape.
Les trois avions remorqueurs alignés cote à cote sur le bord de la piste, verrières ouvertes, les pilotes assis à leurs places qui attendent lordre du chef pour la mise en route et la mise en lair des planeurs.
Les oiseaux qui chantent, dans un air qui commence à chauffer.
Les 33 planeurs alignés lun derrière lautre en trois colonnes de 11.
Prêts au décollage.
Alignés avec leurs grandes ailes blanches comme des F14 avant le catapultage sur leur porte avions.
Frime puérile : on se ballade inutilement avec le parachute négligemment porté par une brettelle à lépaule devant les touristes derrière les barrières, bloqués par le panneau « interdit au public », que nous franchissons à laise devant eux, assis à la terrasse du club house de laéro club, faisant admirer les avions et les aviateurs à leur marmaille, cest leur sortie du week end, comme on va à Disney Land ou à la foire du Trône.
Bonheur dêtre aviateur alors que les autres préfèrent, par ce temps, bronzer, sétaler sur lherbe et ne rien faire, écouter une musique simpliste et ridicule faite par des humains qui nont jamais été dans le ciel, qui me laisse indifférent.
Sensation de victoire, de jubilation dêtre à la bonne place au bon moment.
De ne pas faire partie de ceux qui restent à terre, mais dêtre de ceux qui vont explorer un nouveau monde.
Après les océans, latmosphère.
Et au delà de latmosphère : lespace !!!
Ceux qui vont dans le ciel, et ceux qui restent par terre.
Sinstaller dans le cockpit.
Gestes éternels du pilote qui sinstalle dans son cockpit, par la gauche, toujours par la gauche.
Trac qui disparaît comme par miracle.
Les bretelles du parachute.
Les bretelles du siège.
Lénorme poignée métallique ronde en bleu.
Glang, glang, glang, glang, glang, pour chaque bretelle énorme, solide.
Ca y est, on ne fait plus partie de cette planète.
On pense naturellement que dans quelques heures, quelques jours, quelques semaines, on sera en orbite, sur la Lune, sur Mars.
Cris. Commandes, réglages, instruments, sécurité
Odeur inimitable, indéfinissable, inoubliable de cockpit.
On referme la verrière.
Dernier réglage de laltimètre.
Re vérification de la radio vhf.
Toute cette préparation, mise en place devient tellement évidente, normale.
Ca y est, on est dans son monoplace, le sien.
Dans une bulle de plexiglas, impression dêtre dans un Mirage qui va nous emmener à mach 2.2 à 20 000 mètres.
Mieux, dans un X15, celui de Neil Armstrong qui va vous emmener à 107 000 mètres à 7 000 km/h au delà de latmosphère, dans lespace, là où on ne pilote plus avec des commandes aérodynamiques mais avec des fusées dattitude, les mêmes que sur les vaisseaux Mercury de Shepard et Glenn plus tard, là où latmosphère est quasi inexistante, là où il ne reste quun pas à faire pour la Lune, pour Mars.
Le stagiaire ou le copain qui reste au sol parce que fatigué, grippé, chacun son tour, moi, c'était la semaine dernière, qui accroche le câble de remorquage, lavion remorqueur qui vient se placer devant dans mon axe.
On vérifie pour la centième fois la poignée bleue des aéro freins rentrés verrouilles, la petite poignée verte du compensateur un peu en avant à piquer.
Le stagiaire qui vérifie la sécurité du circuit, si personne dans le circuit de piste et si le b.o., la roulette de queue, est retiré.
Je lève le pouce pour lui indiquer que le décollage est possible.
Qui mets les ailes à lhorizontale.
Le pilote du remorqueur qui regarde dans son rétroviseur et sait à ce signe quil peut décoller.
Le câble qui se tend., légèrement élastique, tendu par les à coups et les mouvements à droite, à gauche de lavion.
Les gaz en grand, couple moteur de lavion remorqueur corrigé au palonnier.
Cest parti.
Le planeur qui accélère.
Ca a toujours été automatique chez moi, à chaque décollage, un large sourire qui se fige sur mon visage à chaque accélération du décollage.
Mottes de terre qui font sautiller le planeur.
Les réflexes appris qui agissent, garder les ailes horizontales, saxer dans laxe du remorqueur avec le palonnier tant que le planeur est au sol.
Gestes devenus automatiques à force de travail épuisant avec un instructeur qui vous même la vie dure ; à raison !
Et chaque fois ce miracle qui coupe le souffle et qui fait couler des larmes.
Plus de vibrations, les ailes ont pris le relais sur le train datterrissage, elles portent !
Ces ailes de 15 mètres denvergure et de largeur moyenne de 1 mètre qui soulèvent 350 kg à 80 km/h !
Les commandes qui ont de leffet dans lair, par quel miracle à chaque décollage ?
Ca y est, après des millions dannées dévolution humaine, je suis enfin en lair, arraché à cette planète ancestrale qui nous a nourri avec patience depuis des milliards dannées.
« La Terre est notre berceau ».
A.C. Clarke.
« La Terre est notre berceau, mais on ne reste pas indéfiniment dans son berceau. »
Alexandre Tsiolkovski.
Extension de mon esprit sur les ailes au travers des commandes mécaniques, des câbles, des tiges, des renvois, des ailerons, profondeur, dérive, pour faire évoluer cette merveille de planeur de 15 mètres, blanc brillant aux courbes parfaites, magnifiques, pures comme le ciel.
Le remorqueur qui corrige sa dérive, on reste pile dans son axe pour ne pas lui infliger des efforts de travers qui lui rendraient le pilotage difficile et dangereux.
Lhorizon qui séloigne.
Le sol qui séloigne.
De plus en plus de détails au fur et à mesure que le sol et lhorizon séloignent.
Ca y est !!
Le moment rêvé depuis gosse, tous les jours, pendant les cours décole ennuyeux est arrivé !
Je suis en lair !
Je pilote !
Il y a 5 minutes encore je me demandais ce que je faisais là, par quelle hallucination collective on nous avait tous foutu dans les esprits quon allait voler !
Sensations des mouvements légèrement en retard du planeur dans latmosphère, dus à la souplesse des ailes et à lélasticité de lair, des mains et pieds qui corrigent automatiquement sans quon en ait vraiment conscience.
Gestes qui ont appris à subtilement anticiper par automatismes avec lentraînement.
Le soleil qui chauffe à travers la bulle de plexiglas.
Lair de plus en plus frais sur les pieds et dans les aérations.
Réglages fins et sensations du câble qui se tend, se détend, sétire, un peu élastique pour ne pas casser net sous les à coups brutaux des pilotes débutants et des turbulences fortes.
300 mètres on rentre le train datterrissage.
La grosse poignée noire, lourde, la roue et son système qui pèsent et quil faut remonter et verrouiller.
Lhorizon qui se dérobe.
Qui ne montre en fin de compte que toujours la même chose : lotissements de pavillons tous identiques, routes, autoroutes, stations essences, supermarchés, casernes, fermes, château deau, lignes à haute tension, relais téléphoniques, champs, fermes, patelins tous identiques vu den haut, lignes de chemin de fer, gares, zones industrielles, cimetières, carrières, toujours létalage humain à perte de vue, dun horizon à lautre, finalement répandu sur toute la surface de la planète.
Noyés sous la brume de chaleur et de pollution.
Alors on regarde en lair.
Cest plus joli.
Là est notre futur.
Loin de cette planète sursaturée de pollution, de bruit, dhumains excités et bruyants.
Ils en sont toujours à se chamailler avec leurs petits problèmes relationnels infantiles que nous nous sommes déjà là haut, au dessus deux, partis pour les étoiles.
Tout à lheure, juste à laide des ascendances thermiques je serais à 2500 mètres.
Et mine de rien entre les limites de lespace interplanétaire et mon planeur à 2500 mètres il ne me restera au dessus de moi que les ¾ de pression atmosphérique avant lespace..
Un bon habitacle, une bonne combinaison spatiale, un bon moteur, des moteurs dattitude et cela suffit pour aller voir là haut à plus de 80 km daltitude, là ou on sort de latmosphère, là ou on est dans lespace, là ou un simple véhicule spatial, de loxygène, de la nourriture et du carburant suffisent pour aller visiter les planètes du système solaire.
Facile.
50 ans quon sait faire ça.
50 ans que nos politiques ne se décident toujours pas.
Lamentable.
500 mètres.
Battement des ailes du remorqueur ordonnant le largage,
je devais rêver, dhabitude on a pas besoin dattendre que le pilote du remorqueur simpatiente pour quon se largue.
Poignée jaune.
Clong !
Les anneaux dacier libérés qui bondissent loin devant, le câble se détend en ondulant, et le pilote de remorqueur, pressé de redescendre parce que je ne suis pas le seul à faire décoller, passe sur le dos, tire sur le manche, plonge vers le sol, le câble qui suit lavion dans une longue et élégante courbe à 200 km/h. Les becs de bord dattaque des ailes du remorqueur qui souvrent sous la forte accélération.
Moi qui tire doucement sur le manche pour transformer mes 150 km / h en un petit 100 mètres de gain daltitude.
Et je me retrouve à 95 km / h à spiraler dans ma première ascendance.
Pas le moment de rêver, il faut saccrocher, gagner les 2500 mètres, la base noire des cumulus.
Serrer le virage dos au vent, lélargir face au vent.
Pas dangoisse à avoir, un planeur cest fait pour résister à 2.5 g et encore il y a une marge de sécurité. Je peux incliner jusquà plus de 60 degrés.
Les pilotes de ligne ont horreur de faire ça.
Les pilotes de chasse, habitués à la voltige et au supersonique eux savent quon peut le faire, alors ils le font. Pas un problème pour eux, Les limites ils savent où elle sont, eux.
Les ascendances ne sont jamais bien rondes, bien circulaires.
Il faut les visualiser dans sa petite caboche, se faire une simulation visuelle personnelle comme un ordinateur se fait sa simulation informatique 3d, interpréter les informations du variomètre, des sensations au fesses, au manche, à la vue, au badin, à laltimètre, les variations plus ou moins rapides, les retards et accélérations des aiguilles plus ou moins importants et se faire une représentation mentale 3d de lair que lon traverse.
A chaque fois, corriger le lacet inverse au palonnier, lincidence et le roulis induit au manche.
Aider un peu le planeur à sincliner en poussant un poil sur le palonnier du côté du virage.
Ne jamais relâcher une seconde sa concentration sur les informations données par le fil de laine qui indique la direction relative de lair par rapport au planeur, la bille qui indique la direction du poids apparent (si on dérape à lextérieur du virage ou si on glisse à lintérieur, si on est bien symétrique en virage), les différents variomètres qui indiquent la vitesse verticale de lair par rapport au planeur, le badin (la vitesse) et laltimètre.
Et surtout, presque le principal, les sensations dans les commandes, au moins aussi importantes que les indications quantitatives du tableau de bord, quoi que certaines sont aussi un peu qualitatives.
Et au bout de plusieurs tours, on sait si on est dans une ascendance en forme de croissant, duf, hachée, écrasée par le vent, stable, régulière ou non, une suite de bulles, etc.
Et de modifier chaque seconde de son évolution pour coller au plus près à la partie la plus chaude de la « pompe », ascendance en jargon de pilote.
Pas le temps de regarder le paysage.
Pas le temps de penser à ce que font les autres restés lamentablement par terre.
Le paysage au sud de la région parisienne, pour ce quil a dintéressant, toujours les mêmes activités humaines citadines au sol de toute manière.
Constatation à chaque fois angoissante : plus on monte et plus les activités humaines vues semblent lentes, les rues de plus en plus désertes, les trains de plus en plus lents, les voitures de petites fourmis lentes insignifiantes.
Plus on monte, plus la présence humaine au sol ralentit et disparaît.
De toute manière, voler cest aller vers le haut, pas regarder en bas, vers le sol.
Pas le temps de penser à ce quon va bouffer le soir au club house.
Pas le temps de penser à la nulasse restée au sol et qui na dautre préoccupation pour sa petite vie de rampante que de se trouver un mec à marier, pour se « caser » sassurer son pauvre petit avenir de citadine aux crocs du mâle reproducteur qui assura sa subsistance et sa descendance.
Et les premières barbules sont là.
Les petits nuages cotonneux au bord des cumulus et plus bas que leur base noire et glaciale comme lenfer.
2500 mètres.
Lair est glacial.
30 degrés au sol, -5 sous les cumulus.
On est au dessus des barbules qui orbitent autour de la base du cumulus mais plus bas.
Lascendance, comme toujours avec laltitude sest élargie, stabilisée, est devenue régulière, stable et large, mais considérablement renforcée.
Il ne faut pas y rester sous peine de finir aspiré dans le cumulus noir denfer glacial.
Et oui, vu du sol un cumulus ça à lair joli, inoffensif, mais il ne faut pas se fier aux apparences.
On sest fixé un cap général 200, presque sud, on regarde comment est le temps vers ce cap là, et on fonce sous le cumulus le plus proche de ce cap.
Cest un tantinet plus compliqué que ça bien sur, des tas de paramètres sont à observer, comme la direction du vent, la nature du sol, langle du soleil, entre autre.
Et cest parti pour aller se balader sur la campagne.
Loin de Paris, de son bruit, de son excitation de sa bulle de pollution immonde qui se répand et sétale sur les campagnes environnantes.
Dôme gris jaune atroce quon voit à des centaines de kilomètres.
Et à chaque tour dans lascendance, voir au loin, au nord est, Paris, noyé sous un gigantesque dôme de brume grise et jaune de pollution qui sétale sur les côtés.
Nettement mieux là dans lair pur daltitude !
Prendre comme vitesse indiquée ce que donne le MacCready, petite couronne transparente graduée plaquée sur un variomètre, pour perdre le moins de temps possible entre deux ascendances, donc perdre le moins daltitude possible.
En général dans les 120 / 140.
Cela peut durer des heures comme ça.
Vol dont on ne peut jamais savoir si ce sera un vol de routine, ou un vol plein de surprises.
Titiller le sommet de la couche dinversion brumeuse, y replonger pour aller chercher une autre ascendance.
Faire des rencontres.
Dautres planeurs avares dinformations qui se la jouent silence radio, qui ne veulent rien dire de ce quils sont trouvé comme conditions atmosphériques, de leurs projets de vol.
Bonjour le vol déquipe.
Des hélicos, des avions de tourismes aux trajectoires des plus incertaines et douteuses, qui affichent leur correction de dérive des plus approximativement, pas vraiment sûrs deux, des busent qui prennent les mêmes ascendances, qui grimpent plus vite et plus serré, qui vous grattent vite fait bien fait dans le cur de lascendance, jetant un couac et un coup dil méprisant à cet engin blanc énorme, lourd, pataud quelle dépassent sans beaucoup deffort.
Des Mirage, des Jaguar, des Puma, des Fouga qui passent très vite et très bas en dessous.
Un Noratlas qui samuse à passer 50 mètres en dessous.
Un militaire hilare qui vous regarde dans la bulle de lastrodome au dessus en arrière du cockpit.
Impression dêtre un miniature plongeur de chez Cousteau qui se fait frôler par une baleine volante colossale.
Soudain impression pendant une demi heure que le ciel est vide. Personne ne parle à la radio, personne à lhorizon.
La première fois on panique.
Catastrophe mondiale ?
Seul rescapé ?
Malaise ? Perte de la vision, de laudition ?
Seul dans un volume de plusieurs centaines de kilomètres.
Et dun seul coup ils sont tous là à vous frôler.
Et re seul dans latmosphère.
Visions de centrales nucléaires au loin, de Mont Saint Michel, de champs, de fermes, de hameaux, de monorail en béton pour aérotrain, de base militaire, davions militaires qui sy posent et y atterrissent.
Sensation de latmosphère qui évolue au fur et à mesure de la journée.
Frais qui se dégourdit et se réveille en milieu de journée, chaud, turbulent, dur, excité par le soleil à 15 heures, qui se calme par à coups et par phases en fin daprès midi et jusquau soir, de moins en moins réchauffé par le soleil qui descend sur lhorizon.
Simaginer que tous les aviateurs des années 20/30, de la guerre de 40, des années 50/60/70/80 on tous eu les mêmes altimètres, badins, variomètres, billes et fil de laine, manche à balais, palonniers, compensateurs, aéro freins à manipuler et utiliser, que ce soit dans un Morane, un Latécoère, un Mirage, un F86, un Spitfire, un Mustang, un avion fusée X1 ou X15.
Se rappeler les formules et courbes inscrites au tableau noir par linstructeur, les journées de mauvais temps où ils nous faisait des cours de mécanique du vol, les formules de cx, cz, énergie cinétique, énergie potentielle, polaires, etc.
Penchés sur les calculatrices scientifiques à calculer des tas de courbes sur du papier froid, dans un hangar glacé par les courants dair.
Et les comprendre en essayant des petits trucs en lair quand le chef est loin.
18 heures.
Le soleil baisse, lair est nettement moins chaud, moins turbulent, les ascendances deviennent difficiles, molles, faiblissantes.
Trois heures avant elles étaient puissantes et violentes, maintenant il faut exploiter finement la moindre bulle un peu tiède.
Il y a encore un heure cétait du pilotage presque davion de chasse, à la dure, maintenant cela ressemble plus à du pilotage de ligne, beaucoup plus doux, un autre genre, à la fois calme, presque trop calme mais reposant.
Le plafond des cumulus est doucement passé de 2500 à 1400 mètres, il faut commencer à se la jouer tout en finesse pour rentrer, parce que bientôt il ne sera plus quà 700 mètres et les ascendances des plus faibles et délicates à exploiter.
Et on se pose dans un air qui commence à shumidifier, de la rosée sur le bord dattaque des ailes, et au niveau des longerons, le soleil bas qui rougit, les myriades de moucherons et moustiques écrasés contre le nez et les ailes qui commencent à puer.
Luminosité du soir, couleurs du soir, odeurs du soir, humidité du soir, longues ombres du soir.
Lheure où les hirondelles sortent en bandes chasser le moustique et le moucheron haut dans les ascendances.
Traverser les bancs dhirondelles en se demandant par quel miracle jamais une seule ne touche le planeur !
Meilleures pilotes et voltigeuse que les humains, assurément.
Les douleurs et la fatigue qui se font connaître au cerveau et au corps.
Coups de soleils sur le visage et les avant bras, les fesses et le dos meurtris en compote, la sueur qui brûle les yeux, les ampoules éclatées dans la main droite qui a manipulé sans relâche le manche, les doigts meurtris, raidis douloureux dêtre restés crispés sur le manche et les autres commandes, la vessie qui sest retenue pendant des heures, douloureuse, gonflée à exploser.
Cervelle totalement emplie du pilotage, manuvres difficiles du début du vol devenues une deuxième nature à la fin du vol.
Le planeur qui occupe tout lesprit, pièce par pièce, incrusté dans les neurones au fil de la journée, à force de sêtre totalement concentré pilotage.
Chaque mouvement, bruit, infime, quun pilote débutant ne ressentirait pas, qui en raconte énormément sur son état, sur lair traversé
Machine qui fait partie intégrante de lesprit du pilote dans chacun de ses atomes. Ressentir jusquau renvoi de commande planqué quelque part dans laile que lon sait commencer à manquer un peu de graisse ou pas assez serré, les infimes efforts de la profondeur monobloc quon ressent presque comme si elle nous faisait de la transmission de pensée.
Intimité homme machine volante absolue.
Ressentir linfime et subtile dégradation des performances des ailes dont les bords dattaque sont recouverts de moucherons écrasés.
Ressentir linfime et subtile variation de comportement des filets dair sur les gouvernes à chaque changement de masse dair, infimement plus vif là, infimement plus mou là.
Sensation que seule une machine avec qui on a fourni des efforts pour rester en lair pendant des heures daigne vous délivrer un peu.
Comme on ne connaît bien quelquun quaprès des années de choses communes vécues ensemble, épreuves et moments magiques à la fois.
Avoir ressenti le léger mouvement infime de la profondeur de ce type de planeur qui a telle réaction au moment de lentrée dans une masse dair de telle composante de mouvement vertical.
Et savoir en analyser la masse dair et lattitude du planeur et faire le mouvement à peine visible à lil nu sur le manche à balais qui simpose logiquement.
Et le planeur est content en ne vous infligeant pas des réactions parce que vous lavez laissé faire, alors quun débutant aurait tenté une réaction trop anticipée, exagérée, inutile aux commandes pour corriger ce que le planeur corrige en fait de lui même, aérodynamique parfaite.
Savoir laisser faire la Nature lorsque cest nécessaire.
Elle sait mieux que nous la Nature.
La fatigue et lémotion qui assaillent.
Le cerveau fatigué qui revient petit à petit à sa condition initiale de terrien, douloureusement, les souvenir dune autre vie au sol tellement lourde, terre à terre, usante, comme un fardeau, qui se réinstallent un à un dans un cerveau fatigué, douloureux.
Se demander avec mauvaise humeur si le pilote qui prendra ce planeur demain saura ressentir et aimer mon Charlie 10 aussi bien.
Magouiller pour le refiler à un pilote de chasse plutôt quà un stagiaire, encore moins à un pilote de ligne que le laissera à trop bas à 700 mètres alors que les autres grimperont sans problème à 2500 !
Sourire puéril de savoir quon va larguer, ce soir dans le bureau, aux autres un : « oh moi, 7 h 45 de vol aujourdhui ».
A ceux qui nont fait que leur petite heure peinarde, juste pour faire le minimum dheure de vol requis pour conserver la licence, juste pour épater une nana draguée pour le week end
Minable.
Ceux dont on ne sait pas à quoi ils ressemble.
Qui arrivent au club quand on est déjà en lair, qui repartent quand on est encore en lair.
Quel gâchis !
3 ou 4 fois 20 minutes de vols ce matin pour essayer des planeurs après leur visite technique annuelle. Le circuit de 300 km peinard à petite vitesse, (les épreuves de performances en circuit ce nest pas pour moi, par contre la voltige et les longs vol à laltitude maximale, alors là, je me régale), deux baptêmes de lair entre 17 et 18 heures, et le vol crépusculaire de 1 heure 40.
Les images fortes, les sons, les différents bruits de lair sur les surfaces du planeur, légers tourbillons qui viennent faire un plop plop mou sur le fuselage, sifflement chuintant, on dirait un fantôme, de lair dans les interstices des aérofreins, les sensations des moments difficiles tout comme des moments magiques qui sincrustent dans lesprit, dans les oreilles, dans les sens.
Epuisé, vidé de toute substance, mais rempli de sensations de vols pour la vie, (une vie de galère pour une seule journée de vol, ça vaut largement le coup !), le parachute dégrafé sur le dos, on se dirige vers le bureau du chef pilote pour remplir son carnet de vol, satisfait, très satisfait.
On peut tutoyer Neil Armstrong. Chuk Yeager serait à côté descendant de son X1 on trouverait ça des plus normal.
Muroc. (Edwards AFB)
Les films et les articles des journaux aéronautiques sur les Lifting Body, du X15, du X20, des avions fusées X1, X1B X2 de Chuck Yeager, Scott Crossfield, Neil Armtrong, largués dun B29 ou dun B52 et qui partent foncer à mach 2 ou mach 7 à une altitude où il faut remplacer les gouvernes par des fusées dattitude.
Que lon se repasse dans lesprit à volonté la semaine au boulot ou dans les transports en commun ou le midi pendant la pose déjeuner avec les collègues..
Revivre un vol crépusculaire dans le bus ou pendant le repas du midi.
Et les autres, à quoi pensentils ?
Faire un atterrissage peinard, avoir la piste de 800 mètres pour soi tout seul, découvrir que la plupart des autres ont déjà rentré leurs planeurs dans le hangar depuis longtemps, quon est lavant dernier à se poser.
Le copain sympa qui est resté vous attendre en piste qui nous apprend quils sont déjà tous partis bâfrer au restaurant ou rentrés chez eux dans la banlieue parisienne sordide puante.
Découvrir comme dhabitude que la plupart des gens sont rentrés chez eux à des heures « raisonnables », cest à dire dans les 17 heures, heures de bureau imprimés dans leurs cerveaux de citadins indécrottables.
Pour ne pas louper quelque chose à la télé, pour ne pas se coucher trop tard, parce quon est invité chez la belle mère, parce que demain on travaille vous comprenez.
Moi aussi je travaille demain et non je ne comprend pas.
Et dans 20 ans que raconteront ils à leurs enfant ?
Avoueront ils un jour quils ont préféré rentrer douillettement à la maison plutôt que de faire un vol crépusculaire ?
Moi je sais bien que non.
Ressentir la planète tourner, traverser le terminateur.
Découvrir quen quelque mots, rires, sourires, plaisanteries les derniers posés se racontent un vol rempli de péripéties, et que quelques regards, gestes, mots suffisent pour tout se raconter.
« Ah oui, le front pluvieux à lest de Châteaudun toi aussi tu as vu comme il sest super vite développé ? »
« Oui, jai essayé de le traverser avant quil soit trop important mais jai fait demi tour en moins de deux minutes ! »
« La pluie cest pire que les aéro freins grands ouverts !»
« Bin oui ça cest sur ! »
« Alors jai foncé sur la pompe de service au nord de la base et je me suis refait jusquà 2100 quand même et je suis reparti vers le sud ouest pour rallonger ma branche ».
« Super. »
« Bin moi un Jaguar est passé à côté de moi tout sorti, aux grands angles, à basse vitesse pour venir midentifier, je suis passé un peu limite de la zone interdite de Chateaudun ».
« Yeaaaahhh »
« Il croyait mimpressionner mais je lui ai fait une telle démo de voltige quil a eu peur il a foutu le camp pc allumée ! »
« Bin voyons, mais oui, mais oui »
Découvrir quil faut, comme dhabitude, comme presque tous les soirs, prendre une ou deux voitures avec une remorque planeur pour aller chercher ceux qui se sont posés dans un champ, bien sur à 100 / 150 km de là à côté dun patelin paumé quon trouve à peine sur la carte, quil va encore falloir faire le démontage du planeur dans sa remorque dans les 23 heures à la nuit, dans un champ on sait très vaguement où.
Que lon va mettre une heure à chercher, lampe torche sur la carte.
Quau retour il va falloir le remonter, que je nettoie mon planeur, que je range et vérifie mon parachute dans sa housse spéciale dans la pièce climatisée, que je mette la batterie en charge, nettoyer les ailes, la verrière, la dérive, la profondeur à la peau de chamois, housser les ailes, le cockpit, ranger le fragile tube pitot (tube en acier chromé délicat qui sert de prise dair pour le badin principalement) dans sont logement spécial dans le cockpit.
Et enfin pouvoir manger, prendre une douche et dormir.
Ah non, toute la paperasserie.
Inscrire les heures de vol des pilotes sur les carnets de vols, les cahiers pour la comptabilité et la facturation, mes heures de la journée dans mon carnet de vol et dans le carnet de bord de mon aéronef.
Sortir du hangar, dans la nuit chaude de lété, sentir les odeurs de la piste, du tarmac, du hangar encore chauds de la journée.
Se rappeler que quelques heures avant un Jaguar est venu me renifler de près à 2000 mètres au large de Châteaudun.
Curieusement être plus ému par mon atterrissage très doux dans un soirée bien avancée, que par ma bagarre dans les ascendances.
Regarder le ciel et la piste qui se demandent ce que je fous là par terre comme un péquenot bouseux aux jambes et à lesprit plantés, enraciné depuis des millénaires dans son champs de terrien. Lourd, très lourd, la pesanteur a repris ses droits !
Mais pas pour longtemps !
Dici quelques générations
. Nous serons sur la Lune avec son sixième de g et sur Mars avec son tiers de gravité.
Des gens qui réapparaissent dans le noir, de je ne sais doù.
Un ancien pilote de ligne, de ceux qui étaient pilote de chasse ou de bombardier pendant la deuxième guerre mondiale, abattu, déporté, évadé non pas une, mais quatre fois, pas le genre à écrire ces choses là dans un livre et à réclamer la légion dhonneur, qui ont défriché les lignes africaines dAir France avec des DC3, DC4, DC6 et cette merveille absolue de Lookheed Constellation ; dans les années 1950 / 1960.
Et qui se met à nous faire un cours dastronomie.
Tout simplement, comme ça.
Encore un grand moment magique que ceux rentrés trop tôt chez eux dans leur vie parisienne ne peuvent pas connaître.
Moi je ne dis rien, jenregistre tout.
Ce que je vois, les odeurs, ce quil dit, lair tiède, la silhouette du hangar dans la nuit, les étoile, Mars, Jupiter
Surtout sans rien dire pour ne pas gâcher ce moment magique.
Déjà quand il pleut ils nous font des cours de technologie aéronautique, de mécanique du vol, de météo, de navigation, daérodynamique et même de programmation informatique pour calculer la polaire dune aile, son cx, son cz dans toutes les conditions de masse dair possibles !!
Et ces quelques soirs où, sans presque se concerter tellement cela nous est naturel, laisser des planeurs et les trois avions remorqueurs en piste.
Sachant que la législation autorise les vols vfr ( vol à vue ) une demie heure avant le lever du soleil et une demie heure après le coucher du soleil, bien sur quon nallait pas passer à coté de ça !
En plein été !
Il faut être définitivement fou pour passer à côté de ça !
Décoller en double remorquage (deux planeurs par avion remorqueur, un planeur avec un câble de remorquage court, et lautre avec un câble long, cest une technique qui nest pas pour novice !), grimper à 6 planeurs et 3 remorqueurs à 2000 mètres.
Larguer les câbles tous au top radio du chef.
Et se laisser glisser en vitesse de taux de chute minimum (-0.85 mètre seconde). 50 minutes pour descendre de 2500 mètres à ce taux de chute.
Encadrés de loin par les remorqueurs avec leurs feux allumés.
Admirer le coucher du soleil à 1500 mètres tous en formation large dans lair frais du soir avec les odeurs et les sons de lactivité humaine au sol qui remontent verticalement jusque dans nos cockpits.
Un chien qui aboie, une voiture qui démarre, une porte qui claque, des voix d'un couple qui se crie dessus.
Se poser presque dans le noir avec juste les lumières de la ville et des phares des remorqueurs qui se sont posés avant nous au bord de la piste.
Comme Mermoz posait son Breguet 14 à une époque où les infrastructures nocturnes et les radio navigation étaient inexistantes.
Pousser tranquillement les planeur humides de lhumidité du soir, à pieds, à deux jusquau hangar.
Contents de nous et du grand moment magique gravée à vie dans la cervelle.
Au moins quand on sera vieux on aura quelques moments magiques daviateurs à raconter les soirs dhivers aux petits neveux et petits enfants.
Et ranger et nettoyer les planeurs.
Et surtout ne rien dire.
Avec le bruit des moteurs des avions et de lair sur les planeur ; les visions magnifiques des autres planeurs et remorqueurs dans la nuit qui tombe au dessus de la Beauce ; les odeurs de lair daltitude ; les sensations aux commandes des ailes invisibles dans un air de nuit invisible qui semblent vouloir rester pour léternité dans nos têtes.
Et de retourner dans le bureau, content, marquer 1 h 40 de vol en plus pour la journée !
Les autres soirs de pluie ou de brouillard, attendre que les autres, ceux qui pilotent comme ils vont au tennis ou au golf ou au cinéma, les gamins que les parent ont inscrits au stage de pilotage de deux semaines comme on les inscrit en colonie de vacance ou chez les scouts, on attend quils soient au lit.
Le reste ça ne les regarde pas.
Et on sort les cassettes des films pris sur la Lune en 69, ou des vols des X15 au delà de latmosphère. Neil Armstrong sur la Lune, Neil Armstrong dans son X15 moins de 10 ans avant.
Et on se les regarde, crevés, chacun une bouteille de champagne à la main, silence religieux et émus en pensant tous « nous aussi un jour on y sera là haut !
Nous aussi nous feront partie de ceux qui sortent de latmosphère, biotope de la vie sur Terre depuis 4 milliards dannées.
Les premiers terriens à sortir de latmosphère, à se libérer de notre gravité, comme les premiers poissons sortis de locéan pour explorer les terres asséchées.
Finalement, explorer dautres milieux, mais ça fait partie de nos gènes, depuis des milliards dannées, depuis nos plus anciens ancêtres qui ont dû explorer dautres conditions pour survivre.
Maintenant, cest à nous, cest notre tour daller explorer les planètes, les étoiles.».
Et le lendemain matin pendant que les autres dorment encore.
On est sur un aérodrome et ils dorment !
Se retrouver à 1000 mètres à laube dans le rustique et simple mais fiable moto planeur des années 1960, pas rasé, pas douché, avec juste un bol de café au lait dans le ventre.
Seul au dessus de la planète endormie.
Il fait déjà 20 degrés, un grand soleil, brume du matin qui sélève doucement en stratus qui disparaîtront dès que la chaleur montera, et ils nont rien dautre à faire quà dormir !
Quand ils seront vieux ils se diront « si javais su quand jétais jeune, maintenant que mon corps me refuse ces choses là. ». Mais non, cest trop tard. Je sais, ça agace, mais cest tellement vrai !
En communion absolue avec latmosphère qui commence mollement à frémir sous les premiers rayons du soleil.
Humidité de la rosée du matin sur les ailes.
Odeur forte et très particulière du cockpit dans la fraîcheur du matin.
Voir sur des dizaines de kilomètres les brumes du matin monter et se transformer lentement et majestueusement en stratus. Puis se diluer et sévanouir dans un air qui se réchauffe vite les matins dété.
Et ne pas avoir besoin de carte météo pour visualiser dans sa petite caboche tout lenchaînement logique de lévolution de latmosphère pour la journée, avec une telle température, une telle humidité, un tel sol, un tel ensoleillement, une telle pression, toute la suite des événements météo est tellement logique.
Cest tellement simple, cela ne peut vraiment pas se passer autrement.
Redescendre, tout doucement, très doucement, moteur au ralenti, se demander toutes les deux secondes si ce nest pas mieux de le couper pour économiser un peu dessence, mais non, préférer se conserver quelques minutes de vol en plus, moment magique du pilote qui descend de son cockpit après le vol, douche rapide, vrai petit déjeuner avec les autres qui émergent, trop embrumés pour remarquer les portes du hangar déjà ouvertes et le moto planeur sur le tarmac, puis, zen, faire les premiers vols de sécurité des planeurs qui sortent de visite technique annuelle avec un copain et un pilote remorqueur bougon le matin.
Pendant que les autres font les courses, jouent au ping pong, font la grasse matinée
Pendant que ceux là nont rien dautre à faire de leur jeunesse
Voir la tête des pilotes du dimanche qui se pointent avec la famille et la marmaille en fin de matinée et début daprès midi, très étonnés de découvrir que nous avons déjà des heures de vol dans la matinée
En colère de sapercevoir que tous les planeurs sont déjà pris, que sils avaient été là plus tôt ils auraient pu sinscrire au tableau de vols de la journée avant 10 heures, pour que le chef puisse organiser la répartitions des machines assez tôt pour que cela puisse se faire, selon les pilotes et les vols à faire.
Ce nest sûrement pas à midi que lon se pointe dans un club de vol à voile lorsque les décollages commencent justement entre midi et 13 heures lété !
Certains ne comprendront jamais que lon ne donne pas rendez vous à la météo !
Toujours les mêmes.
Expliquer à un jeune cadre dynamique, raide dans son magnifique costard bleu pétrole, la coupe de cheveux absolument parfaite, qui regarde avec mépris mon vieux blue jeans, mon vieux tee shirt, mes basquettes usagées ; que largent quil met dans de superbes chaussures en cuir très chères quil entretient avec minutie, bien sûr assorties à sa cravate de grande marque, des lunettes de soleil et une montre plaqués or épouvantablement chères ; que je préfère le mettre dans des heures de vol pendant que je suis jeune.
Et que je préfère attendre dêtre vieux et que mon corps ne me permette plus de voler pour macheter de jolis vêtements très chers mais très futiles.
« Bin oui tu vois, avec tout le pognon que tu portes sur toi, moi je me paie quand même une centaine dheures de vol de planeur».
« Mine de rien. »
Choc des cultures.