sposalizio a écrit :
Quelques réflexions sur la crise avec un angle d'attaque un peu différent
A. La crise qui s'est déclenchée et que nous vivons actuellement bénéficiera sans doute aux Etats-Unis.
Au delà de ses causes complexes cette crise dans ses débouchés est une confrontation supplémentaire sur le terrain économique avec l'Europe voir de façon mineure avec d'autres zones du globe qui placent un espoir géopolitique dans le retour vers une multipolarité recomposée. Pour quelles raisons?
Au delà du Plan Paulson modifié et de l'injection de 700Mld de $, à mon sens ce ne sont pas tant les conséquences immédiates et supposées comme telles ou le montant du plan qui importent. Bien plus intéressant est le fait que les institutions US accroissent par cette manoeuvre leur supervision/contrôle sur les flux financiers ainsi générés de manière directe et indirecte. Tout comme elles accroissent leur emprise sur certains acteurs économiques. Nous sommes en ce sens, je le crois, en train d'assister à une reconfiguration économique.
Il y a fort à parier que ces sommes et ces prises de contrôle ou nationalisations vont profiter de manière directe ou indirecte au financement de l'innovation ainsi qu'à la R&D afin d'accroître encore le gap avec d'autres pays. Et ce afin de répondre à des impératifs financiers, économiques mais aussi militaro-industriels...
Par ailleurs, le système économique US est structurellement mieux à même de générer des prises de décisions que ne l'est le système Européen lorsqu'il s'agit d'affecter des fonds importants, publics ou privés, à l'innovation et à la recherche. La prise de contrôle et l'injection massive de liquidités peuvent au final favoriser un bond dans ce domaine. L'UE incapable d'agir de concert - sauf au pied du mur comme dans le cas Belge, et encore - ne pourra que regarder les évènement se dérouler avec impuissance.
Second point, ces liquidités dont nous parlons d'où proviennent-elles? Pour une grande part qu'il s'agisse de fonds souverains ou d'autres sources de financements celle-ci sont externes : Chine, Arabie Saoudite, Singapour, et même Russie ont mis la main à la poche pour contribuer à la stabilisation telle qu'on nous l'annonce. Les Etats-Unis ont du effectuer diverses concessions mais dans le même temps ils ont permis à ces acteurs externes de prendre pied dans le capital d'institutions financières US créant ou renforçant de fait une interdépendance qui pourrait se réveler très efficace pour contrer l'euro (ou d'autres monnaies locales). Rappellez vous en effet de tous ces pays qui ont déclaré, pas plus tard qu'en 2007, leur intention d'adopter l'euro comme monnaie de réserve à court ou moyen terme. On pourra aussi mentionner les déclarations de Greenspan en septembre 2007.
Il me semble que ce type d'opération permet aux Etats-Unis de conserver le contrôle de la masse critique des transactions financières au niveau global. Celui qui contrôle ou maîtrise la plus grande partie de ces flux peut imposer des coûts supplémentaires à ses concurrents, des coûts que supporte aujourd'hui la sphère euro (même principe qu'une bataille de normes). Le terme de contrôle n'est peut être pas la panacée, le terme de part de marché est sans doute plus proche de cette idée.
La crise économique vient à point pour confirmer/préserver le dollar dans son rôle de monnaie de référence face à l'euro. Et les parties prenantes dans la crise qui avaient naguère et récemment émis des doutes quant à l'attractivité du dollar reviennent vers lui aujourd'hui. Au final, l'économie US risque de s'en trouver plus ouverte/mondialisée ce qui pourrait au final accroître son dynamisme.
Troisième point, malgré la crise il semble que l'économie réelle US ne connaisse pas d'effondrement important (et ce même si les indicateurs de production publiés par la FED sont en recul vs 2007). De là à parier que malgré la récession les Etats-Unis vont continuer à s'étendre/prendre des parts de marché à l'international... B. Quelques considérations politiques. La crise marche et va de paire avec l'action politique.
On ne peut évoquer ces aspects économiques sans mentionner des aspects politiques et l'émergence d'un "nouveau réalisme" US. Ce "nouveau réalisme" privilégie désormais, sans se dissimuler le moins du monde, dans chaque coup de force politique ou résolution de tension au niveau local, l'utilisation d'un leader régional intéressé et non plus l'OTAN devenu secondaire ou encore les institutions internationales (ces dernières étant depuis longtemps dépassées). Dernier exemple en date : la Géorgie. Cette façon de mener leur politique étrangère procure aux E-U une flexibilité et des marges de manoeuvre bien plus grandes qu'il y a quelques années (cf. Irak I, Koweit, Ex Yougoslavie etc.) . On est loin de la "politique morale" pronée par G. W. Bush au cours de son premier mandat... insensiblement, l'air de rien on n'en parle plus et ce terme n'est plus evoqué. Sauf peut être pour faire peur à certains méchants capitalistes non vertueux de Wall Street et donner à l'opinion publique une impression de chasse aux sorcières.
Bien sur, les E-U connaissent également des problèmes au niveau politique en témoigne le coup d'arrêt subi en Amérique Latine ou ailleurs. Mais la reconfiguration politique a bien eu lieu dans la méthode et la doctrine. Cependant une telle politique à un coût.
Et justement, cette reconfiguration économique dont nous parlions vient à point nommé compléter des mouvements et des recompositions politiques. D'une part en dégageant des ressources pour l'économie là où d'autres ont été accaparées pour et par des actions de guerre ou politiques antérieures (on rappellera ici que les guerres d'Irak et d'Afghanistan coûtent 16 milliard/mois aux E-U) et d'autre part en introduisant des variables d'interdépendance et des intérêts économiques supplémentaires dans le jeu politique. On peut alors estimer raisonnablement qu'au delà des comparaisons imagées avec le krach de 29 et la récession où nous venons d'entrer, les grands perdants au final pourraient être les pays de l'UE bien plus que les US. Ces derniers pourraient mieux tirer leurs marrons de cette crise qu'on ne le pense. Bien sur tout ceci dans le cas où la situation ne verrait pas les plus pessimistes prévisions se réaliser.
Il est sur également que ceux qui feront les frais de cette reconfiguration économique et politique seront avant tout les contribuables américains. Mais les coûts de cette crise de régulation seront sans doute transitoires eu égards aux avantages que les US pourront en retirer à plus long terme (dans 3/5 ans). Il est intéressant ici de rappeller que toute crise n'est pas tant dangereuse lorsque le choc initial se produit. Le vrai danger réside dans la réponse qu'on y apporte d'où l'importance du timing (cf. un des posts de Juju44).
C. Autres grands gagnants : la criminalité financière
De manière récurrente au fil des scandales et des implications toujours plus complexes, la criminalité financière perd de sa lisibilité. Elle profite des dysfonctionnements économiques qu'elle contribue elle même à créer. Quoi de mieux qu'une crise pour blanchir, laver plus blanc ou recycler?
La criminalité économique a besoin du soutien ou tout au moins de la neutralité du pouvoir politique (lui même dépendant des appuis financiers), des milieux d'affaires impactés et d'une neutralité régulative pour se développer. Nul doute que déréglementation, dématérialisation et émergence d'un réseau de communication mondial ont contribué à la progression de cette mauvaise herbe. L'illusoire concurrence pure et parfaite et le meilleur produit ne suffisent pas. Il y a tant de choses qui forcent souvent la main dans les aspects invisibles du marché...
Autant, il est difficile malgré l'accélérateur à particules de définir ce qu'est la masse noire (ou une pier noir), autant il est difficile d'estimer précisement notre masse noire économique. La définir étant pour le coup plus simple.
On estimait en 2000 à 500 milliards de dollars les profits du traffic de drogue, à 200 milliards ceux du piratage, à 100 milliards pour la contrefaçon... sans oublier quelques dizaines de milliards ici ou là (détournements du budget de l'UE, traite des blanches) avec une capacité de blanchiment de 350 milliards par an. Le PIB criminel mondial aurait dépassé largement les 1000 milliards de $ annuels. C'est un chiffre qui revient également en 2008.
A l'aube du crédit crunch... nul doute que certains organismes financiers ou opérateurs, pris à la gorge, auront la tentation de recourir à des solutions de financement moins recommandables mais dont l'activité sous jacente aurait certainement pu être noté AAA par les agences de notations pour ce qui est des aspects purements financiers (ce qui au vu de la crédibilité des dites agences n'aurait pas fait tache pour le coup). La véritable régulation et les véritables vélléités de lutte contre la corruption risquent de faire long feu (comme l'appel de Genève en son temps, 1996 déja!) et demeurer des chimères. Malgré, les plus fermes déclarations et engagements des différents responsables économiques et politiques. Quant aux paradis fiscaux... ils seront sans doute incités à adopter un code de bonne conduite afin que tout ce beau monde continue à évoluer selon les règles de la "bonne gouvernance".
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