#taggrevue
Je commence à toucher du doigt le concept de collection.
Je me suis toujours refusé d’aligner les miniatures dans une vitrine, d’accumuler des BD lues une seule fois dans une bibliothèque Billy ou pire, de ramener du sable de chacun de mes voyages.
Et pourtant malgré mon envie d’éclectisme je me retrouve avec une majorité de plongeuses parmi mes montres et il j’ai dernièrement ajouté une pièce (arghhh je déteste cette expression niaise) indispensable pour former ce qui représente pour moi le tryptique parfait des icônes de la plongée professionnelle.
Loin de moi l’envie d’aller chercher des mamies fragiles et pleines de tritium éclaté sur le cadran et les aiguilles. Non, j’ai là je crois, un trio parfait.
Chacun de nous sait pourquoi il est attiré par les montres mécaniques. Des souvenirs de familles ou cinématographiques, une attirance pour la micromécanique ou encore le rappel qu’avant d’être des bijoux masculins inutiles, les montres étaient parfois des outils répondant à un cahier des charges bien précis.
En l’occurrence si les montres étanches répondaient à un besoin de tout un chacun et solutionnait un problème récurrent, les montres de plongée étaient nécessaires pour mener à bien une plongée et ont été indispensables pour faire progresser l’exploration sous-marine. Bon l’évolution du matériel de plongée et les études sur la décompression aussi, forcément.
Dès le début des années 60 se développe l’usage de la plongée à saturation. Cela consiste à faire vivre les plongeurs dans des caissons pressurisés (ou hyperbare) à la même pression que la zone de travail.
Durant l’ensemble de cette période, les plongeurs vont respirer un air spécial, qui contient de l’hélium et de l’hydrogène en plus de l’oxygène, afin qu’ils puissent supporter les effets de la pression sur le corps. Ceci n’est pas un problème tant que le plongeur reste dans l’environnement qui est sous pression. Toutefois, lors de la remontée, les plongeurs doivent respecter des paliers de décompression afin de réduire le taux d’azote et d’hélium dans les tissus humains. La profondeur et le temps de chaque palier de décompression varient en fonction du temps passé sous l’eau et de la profondeur atteinte.
Il faut savoir que les atomes d’hélium sont les plus petites particules gazeuses naturelles sur la planète et peuvent se glisser partout, y compris à l’intérieur de montres qui sont pourtant parfaitement étanches. Toutefois, lorsque des bulles d’hélium ont réussi à se glisser dans le boîtier de la montre, celles-ci se retrouvent coincées à l’intérieur du boîtier et une différence de pression va apparaître entre l’air à l’intérieur du cadran et l’air extérieur pouvant endommager la montre et notamment faire sauter le verre.
La plongée à saturation est essentiellement associée à la pratique en offshore sur les plateformes pétrolières. Les conditions de travail de ces plongeurs doivent être parmi les pires.
Ces deux vidéos donnent un aperçu de cet univers :
https://www.youtube.com/watch?v=SbAxa-_3h6E
https://www.youtube.com/watch?v=8JZ0_bfG-UI
Leurs missions durent plusieurs jours, parfois jusqu’à 1 mois, pendant lesquels ils passent la majeure partie du temps dans un caisson minuscule pour sortir travailler plusieurs heures en combinaison dans des mers souvent froides et ce jusqu’à 300 mètres de profondeur. La condition physique doit être impeccable, le droit à l’erreur interdit.
Il est impossible de sortir du caisson sans faire la décompression, qui dure plusieurs jours. En cas d’accident, l’urgence doit être traitée par l’équipe elle-même. En temps que plongeur, sa survie est aussi liée à la qualité du travail de l’équipe technique en surface. Une erreur dans la procédure, une pression qui chute d’un coup et c’est la mort immédiate de l’équipage.
Une idée de ce que peut être un caisson hyperbare à la fin des années 60 :
Extrait d’un article sur la Comex :
« En France, la durée d’une plongée en saturation ne peut dépasser 30 jours. La durée de compression des plongeurs est courte en comparaison du temps de décompression. Pour une plongée à 300 mètres, les plongeurs devront subir une compression de 14h et une décompression de 10 jours »
Un peu de lecture : https://www.draeger.com/corporate/c [...] s_plan.pdf
Si les conditions sont extrêmes aujourd’hui encore, il est raisonnable d’imaginer qu’elles étaient bien pires dans les années 70, essor de la plongée offshore. Que ce soit l’habitat, le matériel ou les connaissances des risques.
Bref que ce soit pour rythmer la journée de travail d’un plongeur en saturation ou permettre à un plongeur professionnel de vérifier son temps de plongée et ses paliers de décompression, la montre était indispensable. Elle devait être particulièrement étanche et robuste.
C’est tout cet univers et ces conditions extrêmes qui me fascinent.
Les montres dont je vais vous parler sont le résultat d’un fantastique travail d’ingénierie à la fin des années 60 dont l’objectif était de concevoir des montres capables de résister aux contraintes imposées par ce nouveau métier.
Concernant la contraintes principale, deux solutions ont été trouvées :
1) Une parfaite étanchéité à l’hélium
2) Une solution de contournement permettant à ce gaz de sortir sans abimer la montre
Je ne prétends pas avoir une connaissance sans failles du métier ni de l’horlogerie à l’époque.
Si la première marque à avoir trouvé une solution à la présence d’hélium dans la montre est Doxa avec la fameuse valve à hélium, on en retient surtout Rolex avec la Sea-Dweller 1665 sortie en 1967.
C’est essentiellement une Submariner à laquelle on a ajouté une valve à helium et peut-être un verre plus épais (à confirmer). Rien de transcendant en dehors de cette valve. Et pourtant, c’est une icône. Au cours des décennies et déclinaisons qui ont suivies, elle est associée à la Comex, entreprise française pionnière dans l’exploration sous-marine.
Maquette de la valve que l’on retrouve sur les 16660 et 16600 :
La mienne, la première du trio, est une Sea-Dweller 16600, soit la référence ultime des SD en 5 chiffres et la dernière à avoir équipé la Comex. Produite de 1988 à 2008, elle est annoncée étanche à 1200m.
Elle fait le pont entre les Rolex vintage à 4 chiffres et les générations « luxe » à 6 chiffres. On a donc ce qui fait le charme des anciennes avec les chanfreins, le protège couronne fin, l’insert alu qui se patine, le bracelet un peu léger en construction mais néanmoins très solide mais aussi la tranquillité d’esprit des modernes avec le verre saphir et le côté un peu posh du cadran laqué et du 904L.
Je ne rentre pas dans les détails techniques, je préfère donner mes impressions.
Son épaisseur et le fond bombé en font une montre pas forcément très équilibrée au poignet. Autant une submariner de l’époque est confortable, autant celle-ci nécessite un peu de temps pour s’accoutumer. Attention, elle reste légère vis-à-vis des standards d’aujourd’hui et passe sous une chemise (le test ultime si on en croit les revues des internets).
Elle a comme on dit, une belle présence, mais peut être tout à fait considérée comme la montre de tous les jours.
Et puis c’est dingue de se dire qu’elle peut survivre à des pressions de dingue dans des conditions de fou et en même temps, m’accompagner dans les réceptions de l’ambassadeur.
La deuxième montre arrivée dans ma collection (sic) est une autre icône de la plongée professionnelle. Elle en tire d’ailleurs son nom, la PloProf (pour plongeur professionnel).
Sortie en 1971 par Omega pour un usage exclusivement professionnel. Elle a été imaginée à partir d’une feuille blanche à la différence de la précédente.
C’est un véritable ovni visuel. On aime ou on déteste.
Elle répond à plusieurs problématiques.
Concernant l’hélium, plutôt que de le laisser s’échapper à la décompression, Omega a préféré faire en sorte qu’il ne puisse s’insérer dans la montre.
La fragilité de la couronne aux chocs est résolue par son positionnement à gauche et son intégration dans le boitier. Ou plutôt est-ce le boitier qui entoure la couronne…
Quant au risque de mouvement accidentel de la lunette, il est ici résolu par un système de blocage qui nécessite une pression sur le bouton rouge pour tourner celle-ci. Ingénieux mais pas très pratique. J’arrive cependant à tourner la lunette d’une main en appuyant sur le bouton avec le majeur pour ensuite manipuler la lunette avec le pouce et l’index.
Cette montre est dite « monobloc », c’est-à-dire que le calibre est inséré par le haut, comme le cadran, les aiguilles et tout le reste (joints et verre). Plus la montre recevra de pression, plus celle-ci Cela participe à son étanchéité.
Beaucoup de plongeuses vintage sont déclarées non étanches par le SAV pour cause de filetage du fond vissé rouillé ou déformé. Problème résolu ici.
Il est fait régulièrement référence à l’utilisation d’un alliage spécifique utilisé pour cette montre à l’époque, l’Uranus steel, que certains associent au 904L de par la présence de molybdenum dans sa composition.
Plus d’info ici : https://omegaprototypes.com/seamaster-600-ploprof/ & https://www.omegaploprof.com/
Cette montre est imposante voire même effrayante au premier abord, mais finalement très portable et confortable. Fond plat, longueur de corne à corne plutôt courte et épaisseur et poids contenus.
Mon exemplaire est un peu particulier. Non pas son origine mais sa condition. Cette Ploprof a été complètement remise à neuf à Bienne. Boitier, bracelet, lunette, cadran etc… Seul le mouvement est resté. Je trouve ça dingue qu’Omega continue à produire l’intégralité des pièces pour une montre du début des années 70.
Le cadran est d’un beau bleu profond, la lunette acrylique donne un effet que l’on retrouve sur les lunettes saphir, en un peu moins prononcé. Gros avantage de cette remise à neuf, elle est parfaitement étanche et l’ensemble cadran/aiguilles/lunette est bien lumineux.
J’adore quelques détails de finition comme le fond strié permettant à la montre de mieux tenir sur la combinaison ou encore les courbures intérieures et angles polis du boitier.
La troisième montre de ce trio est donc la dernière arrivée.
C’est la Seiko Tuna SLA041, une énième évolution de la première Tuna.
Tout comme pour la Ploprof, ça fait quelques années que la Tuna me fait de l’œil.
L’histoire de la Tuna débute en 1968 quand un plongeur professionnel japonais vient voir Seiko pour se plaindre de sa plongeuse Seiko, inutilisable selon lui. S’en suit une analyse du problème (l’helium encore lui, mais pas que) et quelques années de travail pour sortir la 6159-7010.
Tous les détails sur cet excellent article : https://wadokei.me/blog/la-vraie-histoire-de-la-tuna
Ce qui caractérise la Tuna c’est donc son étanchéité à l’hélium grâce à la forme en L de ses joints et le boitier monobloc, mais surtout la protection périphérique du boitier typique et quasi unique à cette montre.
Là encore la fonction dicte la forme et la Tuna répond à des contraintes techniques précises. C’est un véritable outil à sa sortie. Et aujourd’hui encore !
Des trois, c’est la seule qui dans sa version actuelle ne s’est pas travestie pour plaire à une clientèle à la recherche d’un montre statut.
La Sea-Dweller actuelle s’est parée de céramique fragile sur la lunette et cherche à battre des records d’étanchéité pour le plaisir médiatique.
Omega a choisi la simplicité sur la Ploprof moderne avec l’abandon de la construction typique en monobloc pour y mettre une valve à hélium. Sans compter l’épaisseur, le poids et la fragilité de la lunette saphir, puis céramique. Elle ne garde donc que la ressemblance globale du boitier.
Seiko continue depuis de nombreuses années à produire la Tuna 1000m en quartz et en automatique (voire en Spring Drive) avec à peu près les mêmes spécifications que la toute première. Et si les prix ont forcément augmenté, une S23631 à quartz coûte environ 2000€.
https://www.ablogtowatch.com/seiko-prospex-tuna-s23631/
Je trouve la solution choisie par Seiko sur nombre de ses plongeuses et par Omega sur cette Ploprof 600 plus belle que celle de tous les autres, aka la valve à hélium. Plutôt que de trouver un moyen de gérer le problème de l’hélium dans la montre, autant ne pas le faire entrer. Autrement dit, plutôt que de trouver une solution à un problème, faisons en sorte d’éviter le problème.
Quelque chose me dit que la solution qui me plait est aussi la plus contraignante tant sur le plan industriel que sur le plan financier et même pour le SAV.
Aujourd’hui Rolex et Omega font la course à celui qui a le plus grand kiki avec la Deep-Sea Challenge (11000m) et l’Ultra-Deep (6000m). Le premier utilise une valve à hélium comme d’hab, l’autre s’en passe et ne communique pas vraiment sur la gestion de ce gaz.
En parlant de montrer qui a le plus gros, j’ai adoré ce test grandeur nature de Seiko réalisé en 2015.
Ils ont attaché 4 Tuna sur un bathyscaphe, 2 auto et 2 quartz. Les modèles ayant été pris au hasard dans la production. Et ils ont descendu le tout à grande profondeur. La montre à quartz s’est arrêtée à un peu plus de 3000 mètres et l’auto à 4300 mètres ! La pression appliquée sur le verre finissait par toucher l’aiguille des secondes. A la remontée, les montres fonctionnaient parfaitement.
https://www.youtube.com/watch?v=sYVVGpZNyws
Seiko aurait pu communiquer comme des dingues, ils auraient également pu faire une version commémorative de l’exploit ou augmenter l’étanchéité annoncée à 3000m. Et bien non. A la japonaise quoi. La classe.
Depuis que je lorgne sur la Tuna, j’aurais pu craquer une demi-douzaine de fois. Cependant, j’étais à chaque fois, retenu par quelques détails. Le mouvement quartz, le thème doré, le côté toolwatch un peu trop exacerbé ou même les aiguilles moches des précédentes générations.
Celle-ci en revanche, si elle n’est pas une réelle ré-édition de l’originale, en reprend quelques codes esthétiques et apporte probablement la meilleure finition qu’une Tuna ai eu jusqu’à présent.
La 6159-7010 à côté de celle qu’on appelle l’Empror Tuna, la SBDX011, équipée du 8L35 tout comme la mienne. On voit bien la ressemblance de la SLA041 avec l’originale.
Sur cette SLA041 comme sur ses contemporaines la lunette est en céramique et protège un boitier en titane, la couronne mais aussi la lunette qui ici est en « ever-brilliant steel », un alliage très proche du 904L à priori. On a donc 3 matières différentes sur cette montre !
Seiko commence à utiliser cet alliage sur les modèles haut de gamme (les deux autres plongeuses sorties en même temps que celle-ci par exemple, les SLA037 et SLA039, https://www.seikowatches.com/fr-fr/ [...] -limited/) ainsi que sur certaines Grand Seiko.
L’insert est très similaire à celui de la SBDX001, un acier laqué. Ca brille, ça se raye, mais c’est solide et ne coûte pas un bras à remplacer. Certains ont réussi à rattraper les rayures avec du polish auto. J’essaierai un jour sur la MM300 à laquelle j’ai fait une belle rayure dès la première semaine en plongée avec et puis plus aucune sur les dizaines de plongées qui ont suivi.
Le cadran bleu gris est en fer pour apporter une meilleure résistance magnétique et il est légèrement laqué quand toutes les autres Tuna ont un cadran mat. La finition n’appelle aucune critique.
Je ne ferais pas la classique remarque sur la cadran qui passe du bleu au noir, car ce n’est pas vrai. Cependant je trouve qu’il donne parfois l’impression d’être gris clair et parfois, quand la lumière se fait plus rare et enfoui au sous cet épais verre saphir, il est bleu nuit.
Dans ces instants en général, l’insert vire au gris, les graduations disparaissent et les aiguilles brossées nous sautent au visage. Autrement dit, elle se joue des reflets et j’adore ça.
D’ailleurs, les aiguilles reprennent également la forme originelle et ont une taille parfaite. Je prends pour exemple le lollipop de l’aiguille des secondes qui est positionné pile au milieu des index ronds qu’il traverse, remarquable !
Aucun marquage prospex sur le cadran, pas de X ou de S sur la couronne et aucune référence à un quelconque anniversaire au cul. L’équipe marketing n’a pas eu accès au bureau d’étude visiblement et c’est tant mieux.
Le bracelet accordéon est lui aussi une création de la marque lors de la sortie de la première Tuna. Sa fonction est de permettre à la montre de rester en place lorsque le plongeur descend et que sa combinaison en néoprène se compresse avec la pression. Idée reprise par d’autres depuis. Ingénieux.
Elle est grosse et épaisse, mais c’est la plus légère des trois. Et le placement des cornes ainsi que le fond plat font qu’elle se pose bien.
J’ai là 3 montres de folie. Une originale avec ses 50 ans mais neuve, une évolution presque vintage maintenant et une évolution moderne très fidèle au concept de son aînée. Elles représentent une époque, une épopée, les débuts de la plongée professionnelle offshore et des grandes profondeurs. La grande époque des montres mécaniques avant l’arrivée des ordinateurs de plongée.
Merci d’avoir lu cette longue revue. Si le sujet vous intéresse je vous invite à regarder les vidéos et jeter un œil aux différents liens.
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Tu n'es plus un chat, mais une madeleine