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Investisseur de renom, l'Américain Jim Rogers a acquis sa notoriété en fondant, au côté de George Soros, le fonds Quantum, dont les performances ont atteint près de 4 000 % en l'espace de dix ans. Le gérant a pris le temps de visiter 116 pays au cours d'un tour du monde de trois ans, relaté dans son ouvrage L'Investisseur aventurier, qui vient de paraître aux éditions Valor. Jim Rogers lance actuellement un fonds en euros spécialisé dans les matières premières, la seule classe d'actifs qui lui semble promise à une forte hausse au cours des prochaines années, essentiellement grâce à la demande chinoise. Fort d'une expérience à la fois riche et réussie, il nous livre sa vision sans complaisance de l'économie et des marchés financiers.
Pourquoi avoir créé un fonds matières premières ?
A mon avis, elles constituent le meilleur investissement pour les années à venir. Durant la longue période de baisse des années 80 et 90, personne n'a investi dans de nouvelles capacités de production. Aussi l'offre a chuté et la demande a continué à progresser. Les stocks se sont épuisés. Tout cela signifie que nous allons connaître un marché haussier durant plusieurs années. Il a d'ailleurs déjà commencé depuis cinq ans et va se prolonger pendant une période de cinq à quinze ans, correspondant au rééquilibrage entre l'offre et la demande. Mais les matières premières ne commencent-elles pas à être surévaluées ?
Ce sont les actifs les plus performants au monde depuis cinq ans. Je m'attends à une consolidation cette année ou en 2005 car la Chine va essayer de ralentir son économie, en surchauffe. Les cours vont alors chuter. Mais ce sera le moment d'acheter, car une deuxième vague haussière suivra cette période. Il n'y a pas une matière première qui soit chère historiquement. C'est pourquoi je pense que ce marché montera encore. Certaines matières premières se situeront à un prix historiquement élevé dans dix à quinze ans. Un particulier peut-il acheter des matières premières ?
C'est très facile, mais personne ne sait comment s'y prendre. Tout le monde peut appeler son courtier pour acheter 10 000 euros de sucre ou 10 000 euros d'actions Volkswagen. Il y a probablement plus d'argent à gagner dans le sucre que dans Volkswagen. Et vous vous rendrez compte que les matières premières ont été beaucoup moins volatiles que les actions. Achetez ce qui n'a pas encore monté, c'est-à-dire le sucre, le café ou le jus d'orange ! Que pensez-vous de l'or ?
Je détiens de l'or, mais je ne suis pas très optimiste car les capacités de production ont continué à croître au cours des vingt-cinq dernières années. La principale raison de mon scepticisme est que les banques centrales possèdent environ quarante ans de stocks d'or et veulent toutes les vendre. Il y a eu beaucoup de spéculation sur l'or. Selon certains, le marché, qui est très haut, pourrait redescendre vers 330 dollars l'once. Quel est votre sentiment sur l'économie ?
La reprise est réelle aux Etats-Unis et certainement dans la plupart des pays, parce que les banques centrales américaine, japonaise et chinoise émettent d'énormes montants d'argent. Après les élections fin 2004, je soupçonne un ralentissement en 2005 et 2006 car les Américains ne peuvent pas continuer à émettre et à dépenser tout cet argent, sans quoi le dollar va sombrer. Cela dit, certains pays vont très bien se comporter à un horizon de dix-quinze ans : le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie, l'Indonésie, le Brésil... Vous n'avez pas mentionné l'Europe ?
Vous avez un problème démographique très sérieux en Europe, et des coûts sociaux écrasants. Cela constituera un boulet persistant. Je pense donc qu'il vaut mieux placer son argent dans des économies liées aux ressources naturelles et avec des populations jeunes. Comment percevez-vous l'évolution des marchés d'actions ?
Je ne pense pas que beaucoup de personnes aient une opinion haussière sur les actions, parce qu'elles sont très chères dans le monde entier. Nous allons connaître une période similaire à celle de la fin des années 60 et 70 et du début des années 80. A mon avis, les actions vont à nouveau connaître ces périodes de fluctuation plutôt que de baisse. Acheter des actions quand elles sont déjà valorisées au-delà de 20 fois les bénéfices et penser qu'elles vont vous enrichir, cela n'est jamais arrivé dans l'Histoire. Le consensus est pourtant très fort pour penser que les actions vont monter jusqu'aux élections américaines...
Je pense que 2005 et 2006 seront mauvais aux Etats-Unis. De plus en plus de gens vont réaliser cela et le marché d'actions américain risquera d'être inférieur à son niveau actuel à la fin de l'année. Le marché peut baisser un moment parce qu'il semble actuellement que Bush va perdre. Mais les gens vont commencer à vendre avant les élections de novembre. Quels sont vos titres préférés ?
La plupart de mes actions se situent dans des pays qui vont bénéficier du boom des matières premières. Autre thème, la disparité croissante en Asie entre le nombre d'hommes et celui de femmes, plus élevé. Ainsi, je suis favorable aux valeurs qui vont bénéficier de la revalorisation du statut de la femme, comme les fabricants de pilules contraceptives. On peut aussi penser aux cosmétiques, aux écoles. En Europe, on peut s'intéresser aux entreprises de défense et aux petites banques, en raison de la poursuite de la concentration du secteur. En France, je possède des titres Total, Compagnie des Alpes, Christian Dior, Metaleurop et Thales. Mais, de façon générale, je suis vendeur sur les marchés d'actions. Ainsi, sur le marché américain, je suis vendeur des grandes banques et des entreprises liées au logement. En particulier de Fannie Mae, qui est un grand établissement financier. Un scandale plus retentissant que celui d'Enron pourrait se produire sur cette société. C'est le bilan le plus endetté de l'Amérique. Que pensez-vous de la parité euro/dollar ?
Le dollar va probablement remonter dans les deux à trois ans, mais je suis plus optimiste pour l'euro pour les quinze ans à venir. La dette américaine augmente d'environ 1 trillion de dollars tous les vingt et un mois. Pour des raisons financières, militaires et géopolitiques, il y a lieu d'être « baissier » sur le dollar. Je m'attends à ce qu'il perde son statut de monnaie de réserve mondiale. Il peut descendre très bas. Wall Street connaîtrait alors des problèmes car les gens ne placeraient pas leur argent aux Etats-Unis, où les cours des obligations baisseraient et les taux d'intérêt seraient en hausse. L'euro pourrait-il se substituer au dollar ? Même si je pense qu'il va mieux se comporter que le dollar, l'euro ne devrait pas survivre plus de quinze ans. Je ne sais pas quelle devise prendra la place du dollar. Peut-être la monnaie chinoise, mais j'ignore si cela marchera. Les Chinois ont rejoint l'Organisation mondiale du commerce et, selon les termes du traité, ils doivent laisser flotter leur monnaie d'ici à 2007. Avec les Jeux olympiques en 2008, cela va certainement arriver dans deux ou trois ans. La Chine va devenir le pays le plus important au XXIe siècle. Faites apprendre le chinois à vos enfants et à vos petits-enfants !
Propos recueillis par ELISABETH WATRIPON et PIERRE-YVES LEPELTIER
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