Bone une petite nouvelle alors :
That night
Dans mon boulot, on est souvent amené à voyager. Ho oui. Vous allez me dire : «Haaa, aller dans tous les pays du globe et descendre dans des palaces 5 étoiles, quel rêve ! » Oui, ça c'est ce qu'on nous dit avant de signer le contrat d'embauche. Dans la réalité, c'est plutôt Maison-Aéroport-Hôtel-Boulot-Hôtel-Aéroport-Ma- ison. Pas le temps de faire du tourisme. En plus quand on visite nos filiales, on a du boulot accumulé toute l'année qu'il faut expédier en trois jours.
Bref ce soir là, je rentrais à mon hôtel, fourbu, ma cravate desserrée, la chemise en sueur. Pas très glamour, mais mes bosses m'avaient expédié dans un coin où il fait frais quand le thermomètre atteint les 38 degrés. Après cette journée de merde, et d’ailleurs cette fin de journée de merde, je me dirigeais vers le bar de l'hôtel où grâce au pouvoir ancestral de la note de frais, je pourrais me commander une piña colada avant de retourner m'écrouler dans ma chambre. Ce soir là je ne zapperais pas les chaînes arabophones, ni CNN, que dalle ! Dodo et demain rebelote ! Mais en attendant, me fiant à mon codage génétique particulier qui me permet de trouver les barmans dans tous les hôtels du monde, je me dirigeais vers l’armoire aux délices.
Je passais à côté du piano, qui diffusait les notes fatiguées de son pianiste dans le même état, lorsqu’un point rouge brillant entra dans mon champ de vision. Ca n'était pas le laser du Terminator qui désignait ma fin prochaine (enfin je ne croyais pas ça au début), mais une robe de lamé rouge qui étincelait comme une boule miroir dans une discothèque. Ajustant ma vision, je pouvais discerner très nettement le décolleté vertigineux, d'une femme aux longs cheveux noirs, dotée d'une paire d'yeux vert émeraude. Oui, dans cet ordre là. Elle était assise sur un tabouret au fond du bar, près du mur, et regardait nonchalamment les volutes de sa fumée, comme le ferait un dragon mélancolique. Dieu est un fumeur de gitanes…
Dans ma tête se bousculèrent alors des phrases commençant par « ho putain !» et d’autres se terminant par « pas pour toi». Je m'installais donc sur le tabouret le plus éloigné de la huitième merveille du monde, non de la seule merveille du monde, mais qui était le plus proche du barman. Celui-ci qui n'avait pas les yeux dans ses verres pour une fois. Je lui commandais donc ma colada chose, bref, mon cocktail habituel dont je ne revenais plus sur le nom, allez savoir pourquoi. Du coin de l'œil, et au travers du rideau de fumée qu'exhalait Rita Hayworth aux cheveux noirs, je surpris, à mon grand étonnement, son regard dans pointé dans ma direction.
« Hey papi chulo ! Tu m'offres quelque chose ? »
Hein ? Quoi ? Qu'est-ce ? On me parle ? On s'adresse à moi ? Un silence se fit dans le bar, interrompu seulement par une fausse note du pianiste. Le souffle de tous les hommes présent se coupa net. Tous regardaient dans ma direction, dans un mélange de stupeur, d'envie et de haine.
« - Heu… Bahh… Pourquoi pas ? Huhuhu
- Champagne ! »
Oulahhh, carrément ! Bon en général ma vénérée direction me permettait ce genre d'extra. En ces temps là, je leur faisais gagner suffisamment de pognon pour qu’ils ne se montrassent pas regardants, mais je voyais déjà le regard lourd de reproches et annonciateur de débats du genre : « la phallocratie dans l'entreprise » que me lancerait Jenny de la compta lorsqu'elle éplucherait ma note de frais. J’aime beaucoup Jenny, mais elle a tendance à être toujours sur mes basques, surtout quand elle peut exercer la nécromancie comptable en mon endroit.
« - Ha oui, certainement, mais peut-être que…
- Quoi ? Tu te dégonfles ! Non mais tu t'imaginais quoi ? Que tu pourrais me sauter avec un verre de coca light ?
- Vous sauter, mais enfin je---, balbutiais-je dans une tentative d'indignation.
- Ha les hommes tous les mêmes ! Rien dans le pantalon ! Tu n'as rien dans la culotte mon petit cochon ! Un tout petit haricot ! » ragea-t-elle dans une voix (merveilleuse) teintée d'un fort accent espagnol
- … »
Oui, la sur le moment, après cette dure journée de boulot, je savais pas quoi lui répondre je tentais donc de rétorquer :
«- Barman ! Servez à madame un verre d'eau avec beaucoup, BEAUCOUP de glace, ça calmera ses ardeurs »
Qui n'était pas très convaincant. Elle avait le regard du chat devant une souris.
« -Et puis tu sais ! » rajoutais-je « tu devrais lire l'histoire de Jack et du haricot magique. Au début, c'est un tout petit pas grand-chose, mais après ça devient une tige énorme qui t'emmène au septième ciel ! »
Haha ! Et toc ! Bon, c'est pas terrible comme répartie, mais c'est tout ce que j'ai trouvé sur le moment. J'étais pas mécontent de moi, et pourtant y'avait vraiment pas de quoi. Mais au moins je pourrais boire ma boisson tranquillement. Elle me considérerait sans doute comme un crétin, mais je m'en fous. De toute façon, j'avais même pas rêvé que je rêverais qu'un jour que je la séduise. Alors basta ! Laisse moi plonger dans mon jus d'ananas, c'est le seul endroit où je promènerais mon nez de la soirée. Je sentais les regards ricanants de la mâle assemblée dans mon dos. Fichez-moi la paix. !
Elle me regarda alors longuement. Un sourire naquit sur ses lèvres, et elle partit alors dans un éclat de rire. Un rire interminable. Et elle me dit :
« - Toi, tu n'est pas très beau, tu es même assez laid. Tu n'as pas l'air très riche non plus, mais au moins tu as de l'esprit et tu m'as fait rire ! »
Sympa comme compliments. Mais elle avait pas tort.
« - Regarde les tous, le cul sur leur chaise, à me déshabiller du regard ! Pas un n’a osé s’approcher. Et toi, avec ton gros ventre, ta sueur puante et ta cravate de merde tu as réussi à me… surprendre. Je te veux ! Et je te veux ce soir ! »
OK. Là les mecs on se dit normalement: « ouah arriver à brancher une nana de ce calibre, c'est le pied », on remercie son ange gardien, toutes les divinités du panthéon, même si on est un athée convaincu. Pas moi. Moi à ce moment là je me disait «mais qu'est-ce qui m'arrive ? Y'a un truc qui cloche !
« Bouge ! »
Me dit-elle en se levant de sa chaise. Et moi je l'ai suivi, j'ai rien pu faire contre. « Mais Madame, je ne suis pas celui que vous croyez ! J'ai du travail ! », ou n'importe quel excuse que me hurlait mon cerveau. Le vrai. Pas celui sous la ceinture. Mais rien... Je la suivais comme un petit chienchien à sa mémère. Hypnotisé par le mouvement de balancier du pendule qu'évoquait le déhanchement de sa silhouette au travers des couloirs de l'hôtel. Parfois elle se retournait et plissait les yeux en me regardant.
Elle ouvrit la porte de sa suite. Je ne faisais pas attention aux meubles raffinés, ni aux tableaux dont les hôtels de luxe garnissent leurs appartements pour VIP. Je rentrais dans sa chambre, où je percevais plus nettement encore les fragrances de son parfum. Tout dans cette chambre respirait la féminité. Elle entra dans la salle de bain et lança :
« Qu'est-ce que t'attends ? Déloque toi ! »
Je m'exécutais. Je me déshabillais et posait mes vêtements soigneusement repliés sur un repose bagages. Et là je la vis sortir de la salle d’eau.
Gainée de bas de soie noir, soutenus par des jarretelles se glissant sous une culotte en dentelle rouge, vêtue d'une guêpière qui soulignait encore la finesse de sa taille, et peinait à dissimuler ses seins, ses cheveux jetés sur son épaule, ses lèvres gonflées, son regard en amande dont je ne distinguais plus que deux braises,…
Je n’ai plus la force, ou le courage ou l’envie d’aller plus loin. Ce qui se passa dans cette chambre restera recouvert du voile de mes absences ou de mon désir de discrétion. Mais je me fais encore aujourd’hui l'écho de certaines phrases, que ma mémoire me fait la honte ou le plaisir de ranimer par moment.
« Ha mon chéri ! Tu es un rapide ! Mais ne t'en fais pas, je connais des techniques… »
« Ha ! Ha ! Je n’aurais pas cru capable de ça !»
Des images aussi me reviennent. Pourquoi je me vois d'en haut ? Mais qu'est-ce qu'elle me fait ? Un massage cardiaque ? La respiration artificielle ?
« - Tu es revenu parmi nous mon chéri ! On va pouvoir recommencer ! »
Et puis ça redevient flou. Ensuite, je la revois couchée sur son lit, accoudée sur ses avants bras. Une cigarette au bord de ses lèvres sensuelles, elle me dit :
« - Tu es vraiment très… con ! Maintenant, dehors ! »
Vers quatre heures du matin, ou cinq heures, ou c'était hier, ou c'est déjà demain ? Je ne sais plus. Je serais errant dans le couloir de ce palace. J’étais en caleçon. « Les petits cochons courent tout nu, mais toi tu devrais mettre ton slip ». J'ai mes vêtements roulés en boule sous le bras. Je croise un employé de l'hôtel qui n'a pas l'air surpris de me trouver là, où alors il a été suffisamment professionnel pour ne pas me le montrer. Il m'indique comment regagner ma chambre. J'exécuterai machinalement ses instructions. Je parvins à rentrer ma clé dans la serrure. Je me suis assis sur mon lit et je resterai comme ça un long moment.
Il fait un soleil magnifique, ma mission ici se termine. Je suis assis sur mon tabouret fétiche, un verre de champagne pétille devant moi. Je repense à cette nuit. « A mon retour, il faudra que j’invite Jenny à dîner. A présent, elle ne pourra plus me le refuser ». J’ai soif ! Je regarde le barman.
« J’espère qu’à présent, tu m’offriras autre chose que de l’eau glacée !»
Je sens sa présence derrière moi. Je souris. Je l’aperçois dans le miroir. Resplendissante de jour, comme de nuit. Je désigne mon verre de champagne au barman, et je lui fait un signe de la main. Le signe qui dans la plupart descultures veut dire « 2 ». Le signe du « V » de la victoire.